[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

Nouvelle grève Air France : le début de la fin ?

AirFrance

Lien publiée le 9 juin 2018

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.lepoint.fr/economie/nouvelle-greve-air-france-le-debut-de-la-fin-08-06-2018-2225525_28.php

Ce nouveau conflit social en plein été pourrait être fatal à la compagnie, qui perdra une grande partie de son chiffre d'affaires et des parts de marché.

La rencontre ce vendredi entre Anne-Marie Couderc, la présidente non exécutive d'Air France-KLM qui a succédé à Jean-Marc Janaillac, et les différents syndicats représentatifs s'apparente à une visite de politesse. La dirigeante n'a quasiment aucun pouvoir. Elle n'avait par ailleurs guère fait ses preuves lors des conflits sociaux chez le distributeur de presse Presstalis, où elle avait mené une délicate opération de restructuration. Anne-Marie Couderc n'a pas la faculté d'accepter (ou de refuser) les 5,1 % d'augmentation réclamés par le personnel. Un nouvel appel à la grève à été lancé.

Au sein de l'intersyndicale d'Air France, les dirigeants du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), partisans d'une ligne dure, sont en pointe. Un tract du SNPL distribué cette semaine pointe une situation suicidaire : « Si le temps joue contre nous car notre pouvoir d'achat continue de baisser inexorablement, il joue aussi et surtout contre notre entreprise. En effet, la presse nous interroge quotidiennement et commence à annoncer de possibles grèves cet été, ce que nous ne pouvons démentir. Les cascades d'annulation de billets sur la période estivale commencent donc à se faire sentir. Les recettes continueront logiquement de baisser tant que la situation ne sera pas apaisée. Une entreprise ne peut croître et gagner de l'argent avec un tel malaise en son sein. »

Chute de la rentabilité

L'été est une saison cruciale : les vols, plus nombreux, sont ceux qui sont le mieux remplis avec des tarifs élevés. Un aller-retour aux Antilles entre la mi-juillet et la mi-août coûte, par exemple, plus de 1 000 euros, contre 400 en basse saison. En résumé, le chiffre d'affaires annuel repose en grande partie sur cette période estivale. Comme le baril de pétrole remonte, les marges se réduisent avec un carburant plus cher. En mai, la recette unitaire et le taux d'occupation des avions, qui sont deux critères de la rentabilité d'une compagnie aérienne, étaient en baisse, déjà plombés par les grèves. Avec les centaines de millions d'euros de pertes (affrètement d'avions, remboursement des passagers, etc.), Air France pourrait voir ses comptes virer au rouge, tandis que ses concurrentes, mieux structurées, engrangent les bénéfices et continuent de conquérir des parts de marché. Pour un Toulousain ou un Lyonnais, le temps de trajet pour aller à Los Angeles ou à Shanghai est sensiblement le même via Paris avec Air France, via Londres avec British Airways ou via Francfort avec Lufthansa.

Dans ce contexte, la direction d'Air France ne peut accepter une hausse des salaires de plus de 5 %, qui plus est dans un secteur concurrentiel. Pour apprécier le coût des navigants à Air France, trois paramètres doivent être pris en compte. Il y a, bien sûr, le salaire annuel versé et les heures de vol réalisées. Mais la composition des équipages, troisième critère, est souvent oubliée, ce qui atténue artificiellement les différences de productivité avec les autres navigants européens. Chez Air France, l'équipage est bien plus souvent composé de trois pilotes que dans les autres compagnies européennes. Exemples : la compagnie tricolore prévoit un commandant de bord et deux copilotes sur ses vols à destination de Chicago, contre un commandant de bord et un copilote sur British Airways (BA) ou Lufthansa (LH). Idem vers l'Inde. L'impact sur le coût de la desserte n'est pas négligeable, au point que la compagnie française se désengage sur cette dernière destination au profit de Joon et via un accord avec l'indienne Jet Airways. Si on prend une base 100 pour le salaire d'un commandant de bord et 66 pour le copilote, cela revient à 166 pour les compagnies européennes et 232 pour Air France. Presque 40 % de plus !

L'exception française

Pourquoi une telle différence ? La France est le seul pays d'Europe à ne pas avoir rendu obligatoire il y a deux ans l'application de la seule limitation européenne du temps de vol (FTL, Flight Time Limitation) calculée à partir de la gestion de la fatigue (FRM, Fatigue Risk Management). L'Agence européenne de la sécurité aérienne s'est appuyée sur des études médicales internationales pour construire ces règles, validées aussi aux États-Unis. Le pavillon français a le « privilège » de cumuler deux réglementations, l'ancienne et la nouvelle.

Techniquement, le problème est très simple : le Code de l'aviation civile (CAC) est fondé uniquement sur le temps de vol, en gros de la mise en route à l'arrêt des moteurs, alors que le FTL est fondé sur le « temps de service », en d'autres termes le temps de travail, celui passé dans l'entreprise. Les limitations de temps de travail, calculées en fonction de la pénibilité de l'horaire (de nuit, très tôt le matin, tard le soir, etc.) et du nombre d'étapes, sont deux paramètres ignorés par le CAC. « Pour les scientifiques et les médecins, le CAC est une parfaite absurdité qui n'a pas de raison d'être, mais, pour les organisations professionnelles, c'est le nirvana. Le fait de conjuguer le FTL au CAC interdit les excès du CAC tout en maintenant ses limitations propres », constate un responsable d'une grande entreprise aéronautique française. Les temps de repos du CAC interdisent les réengagements le lendemain d'un vol sur moyen-courrier et imposent sur long-courrier des renforts de l'équipage sur tous les vols de plus de dix heures.

Le temps de service possible étant calculé en fonction de sa pénibilité avec le FTL, il autorise les vols de onze heures de jour mais les limite à neuf heures de nuit. Le groupe de travail, qui vient de se réunir à Cologne dans le cadre de l'Agence européenne de la sécurité aérienne, n'a pas noté de dérive notable après deux ans de mise en place du FTL. En France, on reste donc accroché à un Code de l'aviation civile (CAC), qui remonte à... 1960. À l'époque, le vol de référence de la réglementation était le Paris-Alger, soit six heures de vol en avion, qui devaient être suivies de onze heures de temps d'arrêt. Mais, si le vol durait six heures cinq, l'arrêt passait à plus de dix-huit heures. Droite dans ses bottes, l'administration française renâcle à abandonner le CAC pour prendre en compte le seul FTL. Ce sont deux logiques différentes. Une réglementation définit le repos nécessaire et suffisant avant d'effectuer en toute sécurité un vol (FTL). L'autre calcule les jours de récupération après un vol (CAC). Conséquence de la conjonction des deux réglementations, on constate, en annualisant l'activité, qu'un pilote de Boeing 777 vole cent à cent vingt heures de plus par an chez British Airways (BA) que chez Air France, réparties sur cent soixante-quinze jours contre cent cinquante.

Augmentation chez Lufthansa

La modernisation de cette réglementation à deux étages permettrait un sérieux gain de productivité, et à moindre coût.

La comparaison des salaires des navigants entre les compagnies européennes est souvent biaisée par le choix de la référence. Ainsi, le salaire minimum garanti d'un commandant de bord d'Airbus A380 à Air France s'affiche à 230 000 euros par an selon les organisations professionnelles. À première vue, il semble inférieur aux 270 000 euros du même pilote chez Lufthansa. Mais, à Air France, on oublie d'intégrer les différents mécanismes d'heures supplémentaires qui portent le chèque annuel à au moins 270 000 euros. Cet écart se retrouve, bien sûr, pour les autres fonctions, copilotes long-courrier, commandants de bord et pilotes moyen-courrier, ainsi que pour les instructeurs. Autre approximation, la hausse récente annoncée outre-Rhin pouvant aller jusqu'à 6 % sur une période 2018-2020 ne concerne pas dans le groupe Lufthansa toutes les compagnies. Eurowings, Swissair, Austrian Airlines, Brussels Airlines, etc. n'ont pas de part du gâteau alors que la différence de salaire peut y atteindre 30 %. À Air France, cela reviendrait à exclure d'une augmentation les pilotes de Transavia, Joon, Hop ! pour ne considérer que l'activité de la compagnie nationale. Enfin, l'ancienneté est une ligne non négligeable de la feuille de salaire. À British Airways, il faut trente-quatre ans pour arriver au plafond de l'échelle contre seulement vingt-quatre ans à Air France. Dix ans de bonus.

L'exemple de French Bee

Actuellement, une seule compagnie française applique strictement les règles européennes. C'est French Bee, la sœur low cost d'Air Caraïbes au sein du groupe vendéen Dubreuil. Née en 2017, elle est partie d'une page blanche pour définir ses règles opérationnelles, ce qui lui permet, par exemple, d'effectuer à deux pilotes (et non trois) les vols de jour entre Paris et La Réunion. C'est prévu par le FTL, qui permet de voler à deux pilotes jusqu'à onze heures de jour. Chez Air France, le renfort d'un troisième pilote est prévu dès neuf heures de vol.

À ces surcoûts franco-français s'ajoute le poids des charges sociales, qui ne sont pas plafonnées pour des salaires élevés. « Lufthansa paie des charges patronales à hauteur de 25 %, plafonnées à 100 000 euros de salaires, quand Air France paie 46 % de manière non plafonnée. Au final, l'écart de coûts est de 400 millions d'euros », expliquait récemment au Sénat Jean-Marc Janaillac, le PDG démissionnaire. Au sein même du groupe franco-néerlandais, le décalage de rentabilité entre la compagnie française et KLM (588 millions d'euros de résultat d'exploitation en 2017 pour la première, 910 millions pour la seconde) est flagrant.