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En Turquie, le groupe Rocher licencie 124 ouvrières de l’usine Flormar pour s’être syndiquées !
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
En Turquie, 124 ouvrier·ères de la marque de cosmétiques Flormar du Groupe Rocher ont été licencié·es parce qu’elles·ils se sont syndiqué·es afin de mieux se défendre contre la direction de l’entreprise qui leur impose des conditions du travail indignes et des bas salaires. Depuis plus de 3 semaines, elles·ils se réunissent chaque jour devant l’usine à Gebze pour faire reconnaître leur droit syndical. A Paris, une action de soutien a eu lieu samedi dernier devant le magasin Yves Rocher de la rue de Rivoli.
La Zone Industrielle de Gebze est un vaste ensemble de production composé d’au moins 125 entreprises nationales et internationales comme Saint-Gobain ou Siemens. L’usine de la marque de cosmétique Flormar dont le Groupe Rocher est l’actionnaire majoritaire se trouve dans cette immense zone de 537 hectares où plus de 20.000 ouvrier·ères travaillent le jour et la nuit. La production couvre une large gamme de marchandises allant des médicaments jusqu’à des tracteurs.
120 ouvrier·ères de Flormar ont été licencié·es parce qu’elles·ils se sont syndiqué·es, afin de mieux se défendre contre la direction de l’entreprise qui leur impose des bas salaires et des conditions de travail indignes. Depuis plus de trois semaines, ces ouvrier·ères dont la grande majorité sont des jeunes femmes, se réunissent chaque jour devant l’usine à 7 heures du matin. Avant “d’être mises à la porte“, elles travaillaient en deux équipes. Celles de l’équipe de jour pointaient à 7h30, travaillaient 10h et arrêtaient à 17h30. Ensuite, ce sont celles de l’équipe de nuit qui reprenaient leur poste et travaillaient jusqu’à 3h30. Dans l’entreprise, ni la journée de dix heures, ni les horaires de nuit font l’objet d’une rémunération supplémentaire ; les salaires restent minimums. Depuis leur licenciement, les ouvrières viennent à l’usine non pas pour travailler, mais pour défendre leurs droits. Elles sont là, devant la porte de l’entrée, pour dire à la direction qu’elles sont décidées à “faire entrer le syndicat dans cette usine“. A leur yeux, la raison pour laquelle ils·elles sont licencié·es, à savoir la syndicalisation, constitue maintenant la revendication la plus importante. Elles expriment toutes avec force leur conviction selon laquelle elles seront réintégrées tôt ou tard à Flormar, mais cette fois-ci en tant qu’ouvrières syndiquées.
La syndicalisation
Tout commence au début de l’année 2018. Le mois de janvier est le moment où les ouvrières attendent une augmentation de salaire. C’est en vain, car comme chaque année, la direction leur demande encore de repousser leur espoir à l’année suivante. Zuhal Aktaş ouvrière à Flormar depuis 3 ans et demi rapporte la situation : “Depuis que je travaille ici, Flormar nous fait des promesses. L’année dernière, des records [de profit] ont été battus à l’usine. Au mois de mars, nous avons produit 60.000 produits, en travaillant jour et nuit. Cette année [2018], ils devaient augmenter nos salaires, mais non, ce fut une augmentation insignifiante“. A cette mère de deux enfants, la syndicalisation apparaît comme seule solution au problème de salaire. “ Au mois de janvier, nous n’avons pas eu d’augmentation. Quelques ami·es [collègues] nous ont demandé si nous voulons un syndicat dans l’usine. Au début, j’en savais rien. Je ne savais pas de quoi il s’agissait. Ils·elles nous ont expliqué à quoi sert un syndicat, et j’ai décidé de me syndiquer pour travailler dans des meilleures conditions“.
En effet, au mois de janvier, quelques syndicalistes de Petrol-Is débutent simultanément un travail de syndicalisation dans six usines, situées toutes dans la Zone Industrielle de Gebze. Début mai, les ouvrier·ères franchissent le pas et se syndiquent. Le but de Petrol-Is est d’obtenir le droit de représentation dans cette usine où il n’y a pas de syndicat. D’après la loi, pour qu’un syndicat puisse revendiquer sa présence dans une établissement, il doit prouver l’adhésion de plus de la moitié de l’ensemble des ouvrier·ères qui y travaillent. En seulement quelques semaines, le syndicat atteint le nombre nécessaire d’adhérents et demande l’attestation du ministère. C’est à ce moment-là que la direction refuse de reconnaître le syndicat et licencie très rapidement de nombreuses personnes qu’elle soupçonne d’être syndiquées. S’en suivra une réunion entre les responsables syndicales et les ouvrier·ères licencié·es, au cours de laquelle les salarié.es décident de résister devant l’entreprise jusqu’à ce que Flormar accepte de les réintégrer dans l’usine et reconnaisse la représentation syndicale.
“A l’intérieur [de l’usine], notre vie est en danger“
En plus des bas salaires, les ouvrières en lutte mentionnent les mauvaises conditions de travail comme raison principale de leur mobilisation. Elles pointent particulièrement du doigt les problèmes liés à la santé et à la sécurité au travail. En effet, parmi les pays de l’OCDE, la Turquie se trouve en tête de la liste des accidents mortels. Ainsi, en 2017, plus de 2.000 personnes sont mortes suite à un accident du travail. Durant les 5 premiers mois de l’année en cours, 754 ouvrier·ères ont déjà perdu la vie.
Nurhan Güler, la plus ancienne des ouvrières en lutte, est employée par Flormar depuis l’ouverture de l’usine il y a quinze ans. “Quand j’ai commencé à travailler ici, l’usine venait de démarrer. Il n’y avait encore ni de chauffage ni de toit. Nous avions vraiment froid, donc nous avons fait une pétition entre nous. Ils [les cadres] nous ont accusé de nous organiser, alors que nous avons simplement demandé à travailler sous un toit ! C’était il y a 15 ans. Nous portions à mains nues des bidons de 100 kilos, remplis de produit chimique. Nombreuses sont des amies qui ont eu une hernie discale et ont été opérées par la suite. Il y a deux ans, les choses se sont un peu améliorées avec les nouvelles machines. Dans l’atelier où nous produisons de la poudre, c’est toujours infernal. Nous travaillons dans la poussière de poudre. Il n’y a pas de système d’aération, nous travaillons sans masque. Plusieurs amies ont eu des problèmes de poumons, mais ils n’ont toujours pas installé un système d’aération“ raconte Nurhan.
Hasret Düzgün est une jeune ouvrière. Elle a 20 ans et travaille chez Flormar depuis onze mois. Son expérience montre que la sécurité et la santé des ouvrières ne sont toujours pas une préoccupation de la direction d’usine. “[Cette année] dans la nuit du 23 février j’ai eu un accident du travail, j’ai failli perdre mon poignet droit. Je continue à avoir des séances de kiné. Malgré le fait que j’ai demandé aux responsables à plusieurs reprises de changer de poste, parce que j’avais des douleurs, ils me font travailler au même lieu en prétextant qu’il n’y a pas suffisamment d’agent·es. La nuit où l’accident s’est produit, ils ne m’ont même pas conduite à l’hôpital, j’ai appelé ma famille pour qu’elle m’y amène. Le médecin qui m’a reçue a prescrit deux mois et demi d’arrêt de travail. La direction a contesté en disant : Mais pourquoi tu prends un arrêt, viens travailler !“
Plusieurs ouvrières indiquent que la direction refuse les arrêts maladies qui ne sont pas prescrits par le médecin de l’entreprise, et met la pression sur les personnes malades ou accidentées pour qu’elles continuent à travailler. Ce médecin qu’Hasret et ses camarades mentionnent est devenu célèbre car il partage des “selfies“ sur les réseaux sociaux le montrant en poste de production en remplacement des ouvrières licenciées.
Article 25/2 du code du travail
Comme se syndiquer est un droit reconnu par la constitution turque, les entreprises répressives envers la syndicalisation ne peuvent pas légalement recourir aux licenciements pour cette raison. Elles n’ont pas beaucoup de peine à contourner ce problème car il existe mille manières de licencier un·e ouvrier·ère. Ainsi, la plupart des ouvrières sont sanctionnées par l’article 25/2 du code du travail qui justifie un licenciement en cas de “conduites non conformes aux règles de la morale et de la bonne volonté au travail“. Considérée comme faute grave, la personne licenciée pour cette raison n’a droit ni aux indemnités, ni au chômage. Autrement dit, les ouvrières en lutte n’ont plus aucune ressource financière depuis le jour où elles sont renvoyées par Flormar. En somme, c’est en les condamnant à la misère immédiate que la direction cherche à empêcher les ouvrières licenciées de poursuivre leur lutte. De plus, elle espère montrer l’exemple et faire peur à celles qui sont encore à leur poste de travail. Pourtant la mobilisation très forte des femmes depuis plus de trois semaines devant l’usine prouve que le plan de l’entreprise est en train d’être déjoué.
La solidarité s’organise
Les ouvrières expriment avec détermination leur volonté “d’aller jusqu’au bout". Dans cette lutte, elles ne sont pas seules. En plus des ouvrier·ères syndiqué·es d’autres usines et d’autres secteurs, les soutiens affluent au “piquet de résistance“ à Gebze pour exprimer leur solidarité. Ce sont surtout les femmes ; ouvrières, employées, étudiantes, retraitées, féministes, militantes des organisations de gauche, membres de sections féminines de partis politiques, qui manifestent leur enthousiasme de voir les ouvrières ne pas se laisser faire. Ces dernières à leur tour mettent l’accent sur l’importance de cette solidarité féminine en disant que “l’union des femmes fait la force“. Un ouvrier en lutte exprime ainsi son étonnement face à la grandeur de solidarité des femmes : “Franchement en tant qu’homme, j’ai envié [les femmes] ! Chaque jour, des associations de femmes dont je n’avais jamais entendu le nom viennent ici apporter leur soutien“.
Récemment, 94 organisations de femmes et de LGBTI ont publié une lettre adressée à la direction de Flormar Turquie ainsi que à celle du groupe Rocher, dont voici des extraits :
« Les ouvrier.eres qui résistent avec détermination depuis le 15 mai veulent retourner à leur travail. Leur revendication est de vivre dignement avec un salaire qui le permet et des améliorations concernant la santé et la sécurité au travail.
Flormar dont la publicité proclame « si nous les femmes, le voulons, nous pouvons tout réussir » n’hésite pas à licencier des ouvrières qui soutiennent leurs collègues !
Comment Yves Rocher qui se vante de « respecter la nature » explique-t-il le comportement hostile de Flormar envers les travailleur.euses ?
Le groupe Rocher confirmera-t-il par son silence l’action anticonstitutionnelle d’une marque faisant partie de son groupe mais se situant ailleurs, alors même qu’en France se syndiquer est un droit ?
(…) Nous ne vous laisserons pas à la fois exploiter l’image de la femme forte afin d’augmenter le nombre de consommatrices, et licencier des femmes qui demandent leurs droits !
Nous n’utiliserons pas vos produits jusqu’à ce que toutes les ouvrières soient réintégrées et leurs revendications satisfaites.
Si nous nous arrêtons, le monde s’arrête, nous le savons ! »
A Paris, un groupe de soutien, constitué majoritairement d’immigré·es de Turquie, cherche à faire entendre la voix des ouvrières en lutte de Gebze par des actions ciblées. Ainsi, elles·ils se réunissent une fois par semaine devant un magasin Yves Rocher et dénoncent la politique criminelle du groupe, tout en demandant aux consommatrices de le sanctionner par un boycott actif.
Les ouvrier·ères en lutte de Flormar appellent à la solidarité et nous rappellent :
“Ce n’est pas le maquillage, mais la résistance qui embellit !”
Soutenons les ouvrières et ouvriers en lutte contre Flormar en Turquie !
Boycottons les produits Yves Rocher !
Un tract prêt à photocopier est proposé, pour distribuer devant les magasins Yves Rocher, enseigne du groupe. Vous pouvez télécharger le document pdf ici