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Jean-Claude Delaunay: Le marxisme est la science sociale de notre temps

marxisme PCF

Lien publiée le 17 juin 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://lepcf.fr/Le-marxisme-est-la-science-sociale-de-notre-temps

Je fais partie de ceux qui ne sont pas nés dans un berceau tapissé par les oeuvres de Marx. J’ai cependant consacré mon existence de chercheur à comprendre, à l’aide de cette théorie, ce qu’est le capitalisme. J’ai étudié de près certains de ses instruments, la comptabilité nationale par exemple. J’ai cherché à mesurer le taux d’exploitation des travailleurs en France sur près d’un siècle. Au milieu de ma vie professionnelle, j’ai cherché à comprendre ces activités que l’on appelle les services et qui étaient, dans un pays comme la France, en pleine expansion. Plus récemment, je me suis intéressé au processus de mondialisation du capitalisme. Dans ce contexte, je me suis vivement intéressé à l’économie chinoise et au socialisme en Chine. Cela dit, mon intervention porte uniquement sur les services et leur rapport à l’industrie.

LE PHENOMENE DES SERVICES

Quand on traite des services, on entre sur un terrain brulant pour ce qui a trait au marxisme.

Certaines théories considèrent que les services ne modifient pas la théorie de Marx. Ces activités ne seraient que des extensions de la division du travail et seraient remplacés ou modifiés, grâce aux machines, comme le sont les biens. D’ailleurs, parfois, des biens sont produits à leur place et ces biens (par exemple les disques, les CD) se substituent à eux . Dans un registre différent, le développement des services serait surtout la manifestation de l’impérialisme et de ses formes financières et bureaucratiques contemporaines.

Mais la plupart des théories considèrent que l’apparition massive des services remettrait en cause le bien-fondé de la théorie de Marx. Ils relèveraient de la production immatérielle. Or le problème que Marx voulait traiter aurait été celui de la propriété privée des biens matérels. Notre époque, qui serait celle de l’immatérialité, anéantirait, pour cette raison, la problématique révolutionnaire de Marx. Selon d’autres théories, le marxisme reposerait sur l’analyse des relations Hommes-Machines. L’apparition massive des services indiquerait que l’analyse devrait porter désormais sur des relations de type Hommes-Hommes. Par conséquent, le marxisme aurait été une analyse de l’Economique. Le monde contemporain serait celui de La Politique. Enfin, les services produiraient une sociologie totalement différente de celle imaginée par Marx. Ils témoigneraient de l’émergence de nouvelles classes moyennes, ce qui obligerait à repenser le rôle directeur de la classe ouvrière dans le processus révolutionnaire. Tels sont, à mon avis, les principales théories qui, émises à propos des services, concernent la théories de Marx.

C’est dans cette ambiance que, au début des années 1980, je me suis engagé dans l’étude des services. Je crois pouvoir résumer ma réflexion d’ensemble en disant que l’industrie et les services sont deux pôles contradictoires de l’économie. Ils sont donc, de ce fait, unis et opposés. Toutefois, le dépassement de la contradiction n’implique pas la disparition de l’industrie des pays capitalistes, comme cela se produit avec la mondialisation capitaliste. Elle implique simplement sa transformation radicale. De la même façon qu’à une certaine époque, l’agriculture a été transformée pour devenir une agriculture industrielle, aujourd’hui, la société devient une société de service et l’industrie prend la forme d’une industrie servicielle. Cette évolution n’en est cependant qu’à ses débuts et suppose, pour être menée à terme, le déploiement de grandes luttes sociales.

Mon exposé contient 2 parties. Je vais montrer, dans une première partie, que l’industrie est toujours aujourd’hui l’activité la plus importante au sein de l’activité économique générale au plan mondial. On peut prévoir que le 21ème siècle verra le monde se couvrir de firmes industrielles.

Je vais montrer, dans une deuxième partie, que, cependant, sans disparaître physiquement, loin de là, l’activité industrielle , ou activité de la production matérielle classique, laissera progressivement la place à la production non-matérielle (nom que je donne aux produits des activités de service) et sera transformée par elle au fur et à mesure que les luttes sociales l’imposeront.

Première Partie : L’Industrie demeure la plus importante des activités économiques au plan mondial.

Cette première partie contient deux sous-parties. Dans la première sous-partie, j’explique les raisons de l’importance de la production industrielle à notre époque. Dans la deuxième sous-partie, je dis pourquoi les services en ont accompagné le développement et la pénètrent.

A/ L’importance de la production industrielle

Je suis conduit, dans cet exposé, à faire apparaître 2 caractéristiques des activités économiques. Certaines seraient dominantes en raison de leur importance relativeeu égard à leur capacité à satisfaire les besoins de la population. D’autres seraient déterminantes, en raison de leurs effets sur le développement du reste des activités.

Je prétends qu’aujourd’hui, l’industrie est toujours dominante, mais qu’elle est de moins en moins déterminante du fonctionnement des économies.

a) Pourquoi l’industrie est-elle toujours dominante et le demeurera-t-elle encore longtemps ?

L’industrie est dominante parce qu’elle produit les biens matériels dont les populations ont besoin pour vivre conformément aux conditions de notre époque. Le développement économique est synonyme de développement industriel. De plus, l’industrie fournit les équipements permettant de construire et de renouveler les infrastructures de la vie moderne, qu’il s’agisse des voies ferrées pour les trains à grande vitesse ou des « serveurs, réseaux, fibres optiques, composants électroniques que nécessite internet et tout le reste  » (A. Bellal, « Pour une véritable culture industrielle, rompre avec l’infantilisme technologique », 01/06/2018). Enfin, l’industrie est le terrain expérimental à grande échelle sur lequel s’enracine l’activité de recherche. Perdre le savoir-faire industriel réduit la capacité à développer le savoir-faire scientifique.

Le graphique 1 montre que des pays en développement tels que la Chine et l’inde disposent d’un fort potentiel industriel et peuvent faire face aux exigences essentielles de leur développement intérieur.

Graphique 1 : La production industrielle en % du GDP

Depuis 2011, la Chine est la première puissance industrielle du monde, devant les Etats-Unis. L’Allemagne, qui a maintenu son industrie dans une plus grande proportion que la France ou les Etats-Unis, est en mesure de fournir les pays en développement en biens industriels de haut de gamme. La crise économique que traverse aujourd’hui la France résulte en partie de la désertification industrielle de son territoire.

Cela dit, le fait que l’industrie soit importante ne permet pas de conclure qu’elle soit déterminante du développement économique d’ensemble. L’exemple de la Chine illustre ce propos. Des décisions de premier plan furent prises en 1999 par exemple, pour donner un nouvel élan à la formation universitaire et à la recherche.

Graphique 2 : L'emploi dans l'enseignemennt supérieur en Chine

L’action administrative et politique, qui correspond à l’exercice d’activités de service, est aujourd’hui déterminante du développement industriel chinois.

L’industrie est donc importante pour satisfaire les besoins du développement mais elle n’est pas ou elle est de moins en moins déterminante de ce développement.

b) Caractéristiques de l’industrie et développement des services

Pourquoi a-t-elle été accompagnée d’un fort développement des services ?

L’industrie que nous connaissons n’est plus celle du 19ème siècle. Le degré de complexité des forces productives s’est accru. Ensuite, la division du travail a fait apparaître le besoin de services collectifs traités à part des services individuels ordinaires. Enfin, les conditions générales de fonctionnement des sociétés ont profondément changé. De nouveaux besoins apparaissent, indépendamment des besoins industriels.

  1. La complexité
    Les rapports économiques ne sont plus les mêmes aujourd’hui qu’à l’époque de Marx. Les relations qui les sous-tendent sont de plus en plus nombreuses. Leur espace de définition s’est étendu. Elles fonctionnent dans le temps, avec le crédit. Elles nécessitent une organisation administrative et législative dense et continue.
  2. L’approfondissement de la division du travail 
    Elle a fait apparaître le besoin, en amont de la production industrielle ou à ses côtés, d’activités représentatives des conditions générales de la production. Il s’agit, notamment, des activités d’éducation, de santé, de culture, de recherche, d’administration, de planification, de financement, de gestion de l’eau, de défense. 
    Marx, prenant l’exemple des abeilles, a clairement observé qu’il n’existe pas de production sans conception préalable de la production. Cela étant dit, ces activités, que j’appelle « services collectifs », doivent, aujourd’hui, être développées systématiquement de manière séparée de la production. Elles sont une manifestation de la complexité économique contemporaine, de son ampleur. Elles entretiennent une certaine distance avec la production courante.
  3. Les changements intervenus dans la vie courante. 
    Je désigne ici deux familles de phénomènes qui sans être directement liés au développement de l’industrie, sont générateurs de services : l’allongement de la vie humaine et l’urbanisation.

Pour conclure cette sous-partie, je dirai que la liaison entre industrie et services est aujourd’hui très forte. Les autorités chinoises en font l’expérience et souhaitent développer de manière accélérée un fort secteur des services aux entreprises, comme l’indique le graphique 3 ci-dessous.

Graphique 3 : L'emploi urbain dans les services en Chine

Cela dit, Il ne paraît pas possible de confondre services et production industrielle ou de dire simplement que la production industrielle détermine le volume des services nécessaires. Les services ont, si je puis dire, acquis leur indépendance. Ce ne sont pas les résultats univoques du développement industriel. Ce ne sont pas davantage de simples rejetons de l’impérialisme, même si certains services sont hypertrophiés par le Capital alors que d’autres sont atrophiés par lui. Enfin, pour débattre de ces problèmes, mieux vaut ne pas s’engager dans la voie de faux arguments. Ce n’est pas parce que les produits industriels sont nécessaires à la mise en oeuvre de la fonction recherche, par exemple, que les activités industrielles dont les chercheurs utilisent les produits sont déterminants de la recherche. Car à ce compte-là, on ne voit pas pourquoi on ne reconnaîtrait pas à l’agriculture le rôle déterminant de tout l’ensemble économique.

Plutôt que de se satisfaire d’arguments fragiles, mieux vaut, comme le faisait Marx, observer la réalité, et, parmi toutes les observations recueillies, accorder une particulière attention à la façon dont le travail fonctionne à leur propos et en leur sein. La problématique mise en œuvre par Marx est fondamentalement une problématique du travail.

Deuxième Partie : Production non matérielle et Travail

Il est clair qu’existe une corrélation positive entre production industrielle et production de services. C’est évident pour les services aus entreprises. Mais certains services ont été développés sans que l’industrie soit directement impliquée dans leur production. Il paraît donc raisonnable de se demander en quoi la production industrielle est différente de la production des services. Sans doute ces 2 catégories de production ne satisfont-elles pas les mêmes besoins ?

Dans la première sous-partie de cette seconde partie, je vais chercher à définir ce qu’est la production matérielle (production agricole et industrielle), par différence avec la production des services, ou production non matérielle .

Dans la deuxième sous-partie, j’examinerai les caractéristiques du Travail de la production non matérielle .

A/ Production matérielle et Production non matérielle

a) La production matérielle industrielle

La matérialité sociale d’un produit quelconque est, d’une part, définie par ses caractéristiques concrètes, et, d’autre part, par le temps de travail, présent et passé, dépensé pour le produire. Sous cet angle, biens et services sont tous matériels. Il m’a semblé utile, cependant, de faire la distinction suivante.

Un produit (industriel) est matériel dans la mesure où il est le résultat de la transformation des matières présentes au début de son procès de production. Dans la langue française, on parle, d’ailleurs, de matières premières à ce propos. Elles sont premières dans le processus. Le contenu moléculaire du produit est théoriquement le même au début et à la fin du processus, mais ce contenu a été transformé.

Pour obtenir un produit matériel, il a notamment fallu l’emploi d’une force de travail et d’équipements. Mais ces éléments sont, au plan concret, explicatifs de sa forme et non de son contenu.

b) La production non matérielle des services

Un service, en revanche, est un produit dont le contenu matériel de départ n’a aucune importance pour sa définition. Des matières premières ont été utilisées (courant électrique, ordinateur, papier, etc.). Toutefois, le produit d’arrivée (le service) est indifférent à ce contenu.

Par différence avec les produits matériels, ce sont les forces de travail et les équipements ayant permis l’obtention des produits non matériels qui caractérisent ces derniers. Sans doute viendra-t-il à l’esprit tel ou tel contre-exemple (la restauration, par exemple). Mais la réalité est rarement « pure ».

Dans le moment présent, je suggère d’appeler « production non matérielle » l’ensemble de la production des services, quitte à distinguer, dans cet ensemble, des groupes significatifs, comme le font les statisticiens (services aux ménages, services aux entreprises, etc.).

B/ Le travail de la production non matérielle

Il est important de savoir ce que sont les produits et comment ils évoluent. Mais il l’est plus encore de savoir quelles sont les caractéristiques du travail dans ce contexte.

Je vais d’abord indiquer quelles sont, selon moi, les principales caratéristiques du travail de la production des services. J’évoquerai ensuite certains aspects nouveaux du Travail de production des services.

a) Les principales caractéristiques de la production des services.

Le travail des services peut être décrit à l’aide de 5 caractéristiques importantes.

  1. Sa dimension relationnelle
    Tout travail, dans le cadre d’un paradigme technologique donné et de la division correspondante du travil, est la combinaison de deux composantes : une composante de transformation des matières (TR) et une composante de relation avec les autres agents et usagers du produit (R).

    T = TR x R

    Un produit matériel (bien) peut alors être défini comme un produit dont la composante relationnelle du Travail est égale à 0 ou proche de 0. Dans les sociétés capitalistes industrielles, le marché est l’instance des relations relatives aux produits matériels. Leurs producteurs (celles et ceux qui travaillent) ignorent quels en sont les consommateurs. Leurs consommateurs ignorent celles et ceux qui l’ont produit.
    Un produit non matériel (service) est au contraire, dans le cas général, un produit dont la composante de transformation est nulle. En revanche, sa composante relationnelle est égale à 1 ou proche de 1. Le travail qui est à son origine vise à produire explicitement une relation, ou un ensemble de relations. Le producteur d’un service connaît nécessairement le consommateur de ce service. Cette connaissance fait même partie de son Travail. Réciproquement ; le consommateur d’un service connaît nécessairement le producteur du service qu’il (elle) consomme. Il (elle) en apprécie directement le Travail.

  2. L’usage.
    Il découle de ce qui précède que le travail de service est un travail ayant à prendre en compte l’usage du produit de service. Ce qui est très différent du travail de production des biens. Dans une société développée capitaliste, le Travail relatif aux biens a uniquement pour but la vente, quelque que soit l’usage fait du produit matériel vendu, alors que le Travail de service a pour but explicite l’usage des produits non matériels de service.
  3. Profondeur variable du produit de service
    J’appelle « profondeur du Travail » la nature et le degré de l’utilité qui est recherchée à l’aide des produits du travail. Le Travail de service est un Travail dont la profondeur varie, comme celui des biens, quoique de manière différente. Cela dit, le point important, ici, a trait aux services collectifs. Le choix de leur profondeur dépend de choix de nature politique et stratégique. Le service de santé, par exemple, peut avoir pour finalité seulement de soigner les maladies ou seulement de les prévenir, ou de les soigner et de les prévenir. La profondeur du service d’éducation peut être de former des personnes à telle qualification. Ce peut être aussi de les former et de réduire le chômage visible. On peut généraliser cet exemple à l’ensemble des services collectifs.
  4. Implication plus grande du travailleur dans le procès de production des services. 
    La nature du travail de service change pour les travailleurs eux-mêmes. Il peut être plus savant, en moyenne, « plus intéressant » que celui dépensé pour la production des biens. En même temps, la charge nerveuse induite par ce travail est plus forte eu égard à la plus grande implication mentale du travailleur dans le procès de son travail, alors même que ce procès demeure contrôlé par le Capital avec l’objectif de la rentabilité maximale.
  5. Une productivité dont les lois diffèrent de celles relatives aux biens
    La production des services n’obéit pas aux mêmes lois d’évolution de la productivité que la production des biens. Lorsqu’il s’agit de transformer les matières premières, cette évolution est sans mystère. Les capitalistes agissent principalement sur les équipements, dont ils sont les propriétaires, pour accroître, à titre individuel, la production de plus-value (la productivité) et de profit. Ils agissent également sur les procédures, les protocoles. 
    Par l’intermédiaire des équipements et dans le cadre des rapports marchands capitalistes qui sur-déterminent et encadrent l’activité relationnelle des salariés des services, les capitalistes des services gardent la main et cherchent à atteindre des objectifs de productivité. Ces objectifs sont cependant plus difficiles à réaliser que dans le cas des biens.

Quel bilan peut-on tirer à partir de l’observation de ces caractéristiques ? Le travail de service est-il en train de révolutionner le procès de travail des sociétés développées au point de remettre en cause les théories de Marx ?

On peut raisonnablement apporter à ces questions les réponses suivantes. D’une part, le travail de service présente d’évidentes particularités. Ce n’est pas une simple extension quantitative du procès de production industriel. Il est générateur de tensions supplémentaires nouvelles entre les Travailleurs et les Capitalistes. Il introduit des éléments relationnels nouveaux au sein du procès de production. Mais il ne possède aucun pouvoir révolutionnaire particulier, qui le placerait en dehors du capitalisme industriel dans ce qu’il a de plus classique. Le rapport social de service ne bouleverse pas le rapport social capitaliste, qui repose toujours sur la propriété du capital. Cependant, le travail de service n’est pas neutre. il met le Capital à l’épreuve. Il forge les éléments d’une nouvelle conception du travail et il ouvre la perspective révolutionnaire qui consistera à mettre réellement et totalement la production matérielle et la production non matérielle au service des consommateurs.

b) Une nouvelle révolution technique en cours : quels effets sur le Travail de service ?

Je souhaite, pour terminer ce texte, faire état des révolutions techniques en cours et de leurs effets sur le Travail, en particulier sur le travail de service. Je vais être extrêmement bref, renvoyant aux écrits des ingénieurs et des scientifiques sur ce point. Ce que l’on observe est d’une part, que le Travail de service, que l’on croyait imperméable à toute mécanisation, s’est trouvé, dès les années 1960-1970, en première ligne de l’investissement informatique, notamment dans le secteur bancaire. Aujourd’hui, la société chinoise est en train de vivre, grâce aux investissements effectués, un grand bouleversement dans l’accès aux services collectifs, notamment pour les réservations de billets de train, les prises de rendez-vous dans les hôpitaux, le e-commerce, le paiement électronique des factures de tous montants, l’obtention d’informations administratives de toutes sortes. Les machines améliorent le fonctionnement de l’ensemble en réduisant considérablement les temps d’attente pour la délivrance des services.

L’informatisation de l’activité de service ne met pas en cause les caractéristiques du travail de service dégagées dans la sous-partie précédente. Au contraire, elle permet de mieux les accomplir en concentrant les besoins de main-d’oeuvre sur les activités essentielles.

Stimulé par les besoins du Capital, le progrès technique suit son chemin. De nouvelles machines apparaissent, de nouveaux paradigmes se mettent en place, rappelant et prolongeant les conceptions de Turing sur les machines universelles et les théories de Wiener sur la cybernétique.

Alors que, jusqu’à une époque récente, les résultats recherchés commandaient la puissance de calcul, la relation inverse tend à l’emporter. C’est la puissance de calcul qui commande la puissance mécanique. Francis Velain, ingénieur, traduit comme suit les effets de cette révolution du numérique sur le travail : «  Elle permet un travail collaboratif plus important, une meilleure réactivité, des projets conçus en amont avec une précision de plus en plus fine  ». Il ajoute « le travail ne vit plus au rythme de la puissance mécanique mais de la machine à calculer. Le centre de gravité du travail et celui de la création de valeur quittent l’atelier pour la R&D ; les bureaux d’études, la supervision et la maintenance » (F.Velain, « Pour contrer le capitalisme 2.0, Marx 0.0 ! », mai 2017, Internet).

Cette nouvelle ère technologique, dont l’Intelligence Artificielle est aujourd’hui la manifestation la plus visible, accentue les évolutions précédemment observables et en précise de nouvelles.

D’une part, elle confirme en tendance le rôle directeur et désormais déterminant de la recherche, par voie de conséquence le rôle directeur et désormais déterminant des services collectifs, dans l’ensemble des activités économiques. D’autre part, elle ouvre la perspective réelle, concrètement fondée, que la production soit effectuée comme on rend un service.

Francis Velain a mis en lumière, dans certaines de ses interventions, le fait que cette nouvelle ère technique, à condition qu’elle soit prise en charge par le mouvement révolutionnaire, ouvre la perspective de la disparition de la séparation entre travail de conception et travail d’exécution. Je crois que la réflexion relative à ce paradigme technique concerne la disparition (le dépassement) d’autres « séparations », celles notamment entre production matérielle et production non matérielle (ou entre industrie et services), entre réel et monétaire, entre individuel et collectif, entre privé et public, entre temps de travail libre et temps de travail contraint. Bref, il est déplacé d’annoncer la mort de l’industrie comme de faire « la guéguerre » aux services. Il est autrement intéressant de comprendre ce que les services portent en eux de nouveau.

Il est autrement fécond de comprendre les évolutions et révolutions que les prolétaires peuvent accomplir s’ils prennent suffisamment de hauteur, tant à propos de l’industrie que des services.

Jean-Claude Delaunay

(14/06/2018)

CONCLUSION : PERSPECTIVES DE DEVELOPPEMENT DU MARXISME AU 21ème SIECLE

  • L’intelligence artificielle
  • Le socialisme et le développement
  • Les rapports économiques mondiaux