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Bolivie : la colère de la jeunesse étudiante de la ville d’El Alto

Bolivie

Lien publiée le 18 juin 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-lavaud/blog/160618/bolivie-la-colere-de-la-jeunesse-etudiante-de-la-ville-d-el-alto

La bataille qui oppose l’Université publique d’El Alto et ses étudiants au gouvernement depuis plus d'un mois est symptomatique d’une lame de fond contestataire du régime parmi les jeunes du pays qui fustigent son autoritarisme, son arbitraire et sa corruption

L’assassinat par un policier de l’étudiant Jonathan Quispe de l’Université publique d’El Alto (UPEA)  continue de susciter des remous.  Rappelons qu’il est survenu le 24 mai dernier au moment de la dispersion d’une manifestation de l’ensemble des personnels de cette université qui réclamaient une rallonge budgétaire. Après avoir accusé les étudiants d’avoir causé la mort de leur camarade par le tir d’une bille depuis le tuyau d’un pétard (une version qui a suscité incrédulité et hilarité), le ministre de l’Intérieur a finalement admis que cette bille avait été tirée par l’arme d’un policier. Et il a désigné le coupable : un sous- lieutenant.  Une explication plus proche de la vérité, mais bien sûr incomplète.  Qui a donné l’ordre d’utiliser ce type d’arme et de projectile pour juguler cette  manifestation?

Personne ne s’y est trompé. La mobilisation de l’UPEA n’a pas cessé depuis lors. Des marches d’appui  ont été organisées dans les autres universités publiques du pays pour condamner la répression policière, voire demander la démission du ministre de l’Intérieur.  Diverses associations citoyennes ou syndicales ont appuyé le mouvement : le Comité Cívico de Potosí, le conseil des ayllus et markas del Kollasuyu  (CONAMAQ), l’Association départementale des Producteurs de Coca (ADEPCOCA) et les fédérations de paysans des Yungas (vallées profondes du département de La Paz). Un rapprochement s’est opéré entre les deux universités publiques de l’agglomération pacénienne : l’UPEA et l’Université mayor de San Andrés (UMSA).  Et puis c’est la municipalité d’El Alto et un ensemble d’associations représentatives de la ville qui se sont jointes au mouvement pour forcer le gouvernement à négocier : notamment les associations de voisins (juntas de vecinos) – pourtant divisées.  Deux journées ville morte ont été organisées les 4 et 5 juin dernier, tandis que s’installaient des piquets de grévistes de la faim au siège de la centrale ouvrière régionale (COR), à celui de la Asamblea Permanente de Derechos Humanos de Bolivia (APDHB), à l’Université majeure de San Andrés (UMSA)… et les manifestations se succèdent de jour en jour tant à El Alto qu’à La Paz.

La question budgétaire est bien sûr toujours au cœur de la revendication de l’UPEA.  Une négociation a été entamée dimanche 10 juin, mais elle a été vite rompue. Le gouvernement a offert une rallonge de 70 millions de bolivianos, tandis que l’université réclamait une modification de la loi des répartitions budgétaires entre les universités de façon à augmenter sa part relative. Le recteur a demandé à être reçu par le président Evo Morales. Lequel a bien sûr d’autres chats à fouetter. Il s’est envolé pour la Russie afin d’assister à l’ouverture de la coupe du monde de football.

Le 13 et le 14 juin les étudiants se sont de nouveau heurtés à la police quand ils ont tenté de pénétrer sur la place Murillo où se situe le palais présidentiel et le parlement. Il y a eu des blessés des deux côtés et des arrestations.  

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Le contexte de la contestation étudiante

Cette colère étudiante, et plus largement cette colère universitaire, appelle l’attention pour plusieurs raisons.

En premier lieu parce qu’elle survient dans la ville d’El Alto connue pour la part active et déterminante de ses habitants dans les mobilisations politiques. En 1960, cette agglomération, qui n’était alors qu’un faubourg de La Paz, comptait 30 000 habitants. Devenue  ville indépendante en 1988, elle n’a cessé de croître jusqu’à dépasser La Paz.  Approchant le million d’habitants, elle est devenue la seconde ville du pays derrière Santa Cruz  de la Sierra, une autre ville champignon, capitale de l’Orient bolivien. Cette croissance s’explique par l’immigration de populations rurales qui proviennent majoritairement de l’altiplano (en particulier des provinces du département de La Paz), mais aussi par la croissance végétative de cette ville jeune, où la fécondité est supérieure à la moyenne nationale.  

La ville est quadrillée par de nombreuses associations et organisations sociales, notamment des associations de voisins (juntas de vecinos) regroupées dans une fédération (FEJUVE), une organisation ouvrière spécifique, la Centrale ouvrière régionale (COR), et des gremios d’artisans et commerçants qui ont joué un rôle central en 2003 en se mobilisant et en bloquant les accès à La Paz pour empêcher la vente du gaz bolivien aux États Unis via le Chili. La « guerre du gaz » a forcé le président  Gonzalo Sánchez,de Lozada à la démission et à l’exil. Puis, en mai-juin 2005, elles ont contraint la compagnie privée Aguas del Illimani  (filiale de Suez-Lyonnaise des Eaux) à abandonner l’exploitation et la distribution de l’eau dans la ville. Et finalement, elles ont permis le succès national d’Evo Morales (après avoir fait pendant dix ans les beaux jours de Carlos Palenque et de CONDEPA (Conciencia de Patria)) et depuis lors, El Alto est la ville qui a le plus massivement voté en sa faveur.

L’université d’El Alto (UPEA) a été créée en l’an 2000 comme une succursale de  l’Université Mayor de San Andrés (UMSA) de La Paz. Elle a pris son indépendance en octobre 2003 au moment de la guerre du gaz à laquelle elle a pris une part très active. En 18 ans elle a vu le nombre de ses étudiants passer de 4541 à 49 635.  

Il est donc particulièrement significatif que cette université prenne l’initiative de s’opposer frontalement au gouvernement d’Evo Morales au point de lui retirer le titre de docteur honoris causa qu’elle lui avait attribué en décembre 2008 et d’entraîner derrière elle une partie des associations représentatives de la population urbaine, jusqu’à provoquer une opération ville morte de 48 heures les 3 et 4 juin dernier. Certes, ce ne fut qu’une demi-réussite car les dirigeants de la FEJUVE et de la centrale ouvrière régionale (COR) alliés au MAS – actuellement la FEJUVE est divisée en deux camps : l’un est proche de la municipalité gagnée par la candidate du parti d’opposition Unidad Demócrata (UD) en mai 2015, et l’autre est proche du parti gouvernant –, ont accepté de se rendre à une réunion de négociation et de conciliation convoquée par le gouvernement le lundi 4 juin dernier (la première journée ville morte), alors que les représentants de l’université refusaient d’y assister. Mais il fut visible pour tous que ces dirigeants étaient embarrassés pour expliquer leur conduite et se trouvaient pris en sandwich entre leurs bases mobilisées en faveur des universitaires et les injonctions du pouvoir exécutif dont ils dépendent.  Cette mésentente fut encore plus nette  le lendemain quand s’installa un nouveau piquet de grève de la faim protestataire composé de membres de  la FEJUVE favorable au gouvernement.

En second lieu, la mobilisation des universitaires d’El Alto illustre le mécontentement des universités publiques qui souffrent d’un mal chronique de sous financement – elles accusent un déficit budgétaire de plus de 1215 millions de bolivianos et annoncent des mobilisations dans les neuf départements pour obtenir des rallonges du ministère de l’Économie[1]. Le gouvernement accuse non sans raison ces universités de bureaucratisation excessive, de dépenses inconsidérées et de dispenser un enseignement de médiocre qualité. Mais il reste qu’en 2017 la dépense totale en matière d’éducation représentait 8% du PIB et dépassait à peine 2% pour les universités ; des pourcentages plus bas que la moyenne latino-américain. Si bien que l’offre d’éducation supérieure est réduite au regard de la population du pays, et que le nombre de diplômés est très bas[2]. Finalement, quoiqu’il en soit du rendement et des dysfonctionnements de l’université bolivienne, on voit bien que les problèmes qui l’affectent  peuvent facilement amener une mobilisation anti gouvernementale d’envergure.

Enfin, il est très clair que le mouvement de rejet d’une  nouvelle candidature d’Evo Morales à la présidence du pays est animé par des dizaines d’organisations citoyennes menées principalement par des jeunes, parmi lesquels figurent de nombreux universitaires et lycéens. Rappelons qu’il est né à la faveur du referendum de février 2016 qui visait à obtenir l’autorisation de modifier la Constitution de telle sorte qu’Evo Morales puisse se présenter une nouvelle fois à la présidence. Le « non » l’a emporté (51,6%). Ne se donnant pas pour battu, le 28 novembre 2017, Evo Morales a obtenu cette autorisation de la part d’un Conseil  Constitutionnel à ses ordres. Depuis lors les manifestations se succèdent pour lui rappeler qu’il doit respecter la volonté populaire exprimée dans les urnes.  Le 26 mai dernier, à Cochabamba, lors de l’inauguration des onzième jeux de l’Organisation sportive sud-américains (dont il s’enorgueillissait d’avoir obtenu qu’ils fussent organisés en Bolivie), il a dû abandonner la cérémonie sous les sifflets des spectateurs du stade répétant à l’unisson « Bolivia dijo no ! ». Le même traitement est maintenant réservé au vice-président, et aux ministres à la plupart de leurs apparitions publiques, ou simplement quand leur nom est prononcé à une tribune ou dans une enceinte de spectacle.

Si bien qu’il faut prendre au sérieux la bataille qui oppose l’UPEA et ses étudiants au gouvernement. Elle est significative d’une lame de fond contestataire du régime parmi les jeunes du pays qui fustigent son autoritarisme, son arbitraire et sa corruption. Et elle révèle aussi les difficultés du pouvoir exécutif pour conserver sa clientèle électorale dans la ville d’El Alto.

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L’élection présidentielle

Or le moment des prochaines élections nationales approche : elles doivent normalement avoir lieu fin 2019. À moins que le gouvernement n’en repousse la date. Ou qu’il les annule. Pour l’heure, dans la course à la présidence, les sondages placent Evo Morales et l’ancien président Carlos Mesa à peu près à égalité, et donnent Carlos Mesa gagnant au second tour. Cependant, celui-ci a annoncé à plusieurs reprises qu’il ne se présenterait pas. Ne le croyant visiblement pas, le gouvernement s’emploie à le disqualifier et à l’empêcher de candidater en le faisant traduire en justice[3] ; un procédé dont il use et abuse avec constance depuis les débuts de sa présidence pour éliminer ses adversaires politiques. Qu’on en juge ! Les leaders de l’opposition seraient actuellement sous le coup de 161 procès : le gouverneur du département de Santa Cruz, Rubén Costas, en cumulerait 31, le maire de La Paz, Luis Revilla en totaliserait 40…Tous deux sont des candidats potentiels à la présidence.[4]

Que pèseront les mobilisations étudiantes et citoyennes face à l’arsenal judiciaire et répressif du gouvernement ? Il est difficile de l’augurer. Mais elles semblent devoir se multiplier.

[1] http://www.lostiempos.com/actualidad/opinion/20180611/editorial/deficit-universidades-publicas

[2] http://www.lostiempos.com/actualidad/opinion/20180612/columna/homenaje-jonathan-repensar-universidad

[3]https://www.eldeber.com.bo/bolivia/Mesa-defiende-la-expulsion-de-Quiborax-y-ataca-a-la-Procuraduria-20180525-9457.html;  http://www.lostiempos.com/actualidad/economia/20180613/claves-entender-caso-quiborax-juicio-que-bolivia-pierde-us-426-millones ; http://www.lostiempos.com/actualidad/opinion/20180614/editorial/carlos-mesa-caso-quiborax

[4]http://www.eldiario.net/noticias/2018/2018_05/nt180528/principal.php?n=72&-opositores-enfrentan-161-juicios-penales ; http://www.la-razon.com/suplementos/animal_politico/Causas_penales-contra-lideres-opositores-pocas-llegaron-sentencias_0_2604939536.html ; https://www.prensa.com/mundo/Bolivia-opositores-afrontan-procesos-penales_0_2774722625.html ; http://www.paginasiete.bo/nacional/2016/6/20/justicia-velocidades-para-juzgar-opositores-oficialistas-100137.html