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Extrême droite, quoi de nouveau ?

Lien publiée le 22 juin 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.nouveau-magazine-litteraire.com/idees/a-lextreme-droite-quoi-de-nouveau-

Alors que les groupuscules d'extrême droite font de plus en plus parler d'eux, ce mercredi, plusieurs membres de Bastion Social occupaient depuis 10 heures le toit de l'immeuble de l'association Forum Réfugiés, à Lyon. Nicolas Lebourg, chercheur spécialiste des extrêmes droites, nous dresse un panorama de la situation de l'extrême droite en France aujourd'hui.

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La transformation du Front national en Rassemblement national n’a pas été accompagnée d’un aggiornamento programmatique et n’a guère focalisé l’attention. En revanche, ces dernières semaines ont vu fleurir les réflexions et remarques sur l’agitation des groupuscules d’extrême droite, au point que la France Insoumise a proposé leur dissolution, qu’un député de la majorité a demandé celle du seul Bastion social, tandis la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) réclame la fermeture des comptes radicaux sur les réseaux sociaux. En fait, quels sont les renouvellements et dynamiques réellement en œuvre dans ce champ ?

Limites de la « fachosphère » sur le web

L’âge d’or de la « fachosphère » s’éloigne peut-être, maintenant qu’elle est parvenue à imposer à un large public son concept de « réinfosphère » forgé par Jean-Yves Le Gallou, déjà auteur en 1985 de l’ouvrage systématisant le principe de « préférence nationale ».

Ce terme de « fachosphère », trivial mais imposé par l’usage ne renvoie bien sûr pas au « fascisme » mais aux sites et pages d’extrême droite interconnectés entre eux – ce qui, en revanche, nous renvoie d’une part à l’idée de « faisceau », à l’origine du mot « fascisme », Jean-Marie Le Pen revendiquant d’ailleurs en 1973 que le FN unisse en « faisceau » les diverses extrêmes droites, d’autre part à la forme historique de l’extrême droite française, marquée depuis l’entre-deux-guerres par une structure en nébuleuse de groupes interconnectés.

Certes la fachosphère conserve sa puissance de feu d’entretien des polémiques hebdomadaires sur l’islam, et s’il y a un manque de vigueur dans sa production, il n’est pas dû à un abaissement de la demande sociale. Le problème relève du fond et de la forme. L’accumulation des diatribes est un viatique pour un succès médiatique, mais elle ne fait pas une majorité sociale ou politique. Marine Le Pen le sait dorénavant électoralement, mais cela vaut aussi pour la fachosphère : le rejet des autres est puissant, mais, pour réussir politiquement, il nécessite d’être finement articulé à un projet positif d’exaltation du « nous ». En outre, le changement d’algorithme de Facebook, déjà fatal à des entreprises de presse comme Buzzfeed, et ses fermetures de pages militantes, ont montré la faiblesse du tout-réseaux sociaux. 

Le site d’Alain Soral enregistre ainsi une décrue de son trafic et de son influence – l’ouverture de pages sur les réseaux sociaux russes ne compensant pas ses déboires sur les occidentaux. En outre, le polémiste n’a pas concrétisé sa création d’un parti qu’il devait coanimer avec Dieudonné. Le développement des reportages vidéos de Vincent Lapierre, personnage identifiable (toujours la même apparence, à l’instar des protagonistes de bédés anciennes), s’intéressant aux problématiques socio-économiques, et donc aisément partageables au-delà du socle des soraliens, paraît montrer qu’il existe une stratégie de rebond. Néanmoins, la consultation des recherches google sur Alain Soral montre nettement la difficulté :

À dire vrai, il semble que l’une des difficultés d’Alain Soral soit la marginalisation de Manuel Valls. N’étant plus désigné par le plus haut sommet de l’État comme une question d’ordre public, il perd en attractivité – il faudra voir si la volonté de la LICRA de faire fermer ses outils de communication peut le relancer.

Dans l’économie du web, ce sont bien les vidéos partageables qui sont à la mode. A cet égard, le phénomène actuel est celui du Raptor dissident, d’ailleurs en guerre avec Soral. Ce youtubeur (557 500 abonnés) est en phase avec les codes de son média : un débit de parole mitraillette, des injures, des clashs, des gags scabreux, servis dans un montage survolté. Le fait qu’il s’agisse d’un individu non affilié à une organisation politique, semblant n’avoir aucune biographie militante, témoigne du nouvel âge individualiste de la politique – même Fdesouche s’était constitué grâce à un collectif, au-delà de la personnalité de son emblématique fondateur. Dans cette veine, la viralité des bandes dessinées de Marsault, autre auteur réfutant tout encartement militant, est à relever, le dessinateur parvenant à retourner les codes de l’humour façon Fluide glacial contre les valeurs censément progressistes. Certes, cela représente un enfoncement complet dans la dérision post-moderne, mais cette faiblesse doctrinale est loin des préoccupations des lecteurs et n’est pas grand-chose face à la viralité de la subversion des valeurs de l’humanisme égalitaire accomplie. Décidément, les réussites du combat culturel d’extrême droite peinent toujours, que ce soit en littérature, en musique ou en bédés, à provenir des milieux organisés à cet effet.

Un frémissement dans la presse papier

Le dernier numéro de la revue néo-droitière Éléments, fondée il y a plus de 40 ans, affiche d’ailleurs Marsault en couverture. Pendant des décennies, la Nouvelle droite s’est fait croire qu’elle faisait du combat culturel en compilant des fiches de lectures agrémentées de citations allemandes et latines. L’impuissance de cette voie l’avait amenée en 1987 à envisager une transformation sur un modèle para-maçonnique. Systématiquement, elle butait sur ses contradictions : se proclamer des aristocrates au-delà des autres, et vouloir mener une guerre culturelle qui impose quelques contacts avec le commun ; rechercher la provocation publicitaire, et larmoyer à la première critique, etc. Le changement de formule d’Éléments, devenu un magazine bien présenté dans les kiosques, désigne désormais un cap stratégique. Mais d’autres journaux-laboratoires sont aussi apparus, en particulier L’Incorrect, qui travaille à une union des droites autour de quelques items clairs. Si le web d’extrême droite paraît actuellement peu inventif, c’est donc bien du côté de la presse papier qu’il semble se produire un frémissement. À cet égard, se note aussi la relance de la maison d’éditions Ars Magna, spécialisée dans les textes sur les marges fascistes.

Ces rapports ambivalents entre rénovation et adaptation à la demande se retrouvent dans les essais de construction partisane. Ils peuvent provenir de l’infra-culturel : c’est le phénomène existant autour d’Henry de Lesquen. Ancien du Club de l’Horloge, comme Jean-Yves Le Gallou, Henry de Lesquen est devenu une star de twitter par son racialisme décomplexé, phénomène comparable à celui de Jérôme Bourbon mais poussé si loin que certains ont pensé qu’il s’agissait d’une parodie artistique. Résultat, un petit milieu s’organise autour de lui. Ce Parti National-Libéral pousse le goût de la « private joke » jusqu’à avoir un logotype où ses initiales évoquent la « rune du loup » utilisée jadis par la division Das Reich, et remise à la mode par les ultras ukrainiens. Malgré le succès de curiosité, le PNL ne devrait guère déboucher sur un phénomène militant.

En marge des partis

Il est vrai que construire un parti à côté d’un FN hégémonique à l’extrême droite est une gageure. Invoquant le puissant mouvement de La Manif Pour Tous, les nationaux-catholiques de Civitas se sont transformés en parti. Mais ils n’ont pu présenter que 14 candidats aux élections législatives, le plus connu étant sans doute Alexandre Gabriac, ancien leader des Jeunesses nationalistes dissoutes par l’État en 2013, recueillant entre 0,3 % et 1,1 % des suffrages. Les derniers faits de Civitas ne témoignent pas de la volonté de devenir un parti en course pour la participation au pouvoir : en janvier, son délégué aux Affaires internationales rejoignait le Bureau exécutif de l’Alliance pour la Paix et la Liberté (APL), une internationale très radicale, en février le mouvement s’installait à la campagne dans une gentilhommière. Mais il est vrai qu’aux législatives partielles de janvier les Patriotes de Florian Philippot, qui fut médiatiquement si mainstream, ont oscillé quant à eux entre 1,6 % et 2 % des voix. La crise de charisme et de confiance que connaît Marine Le Pen n’a pas ouvert d’espace pour de nouvelles formations partisanes. 

C’est une erreur que firent les Identitaires, et dont ils sont revenus pour abandonner l’utopie de former un parti. Ils investissent le FN en même temps qu’ils assurent un rôle d’aiguillon idéologique et d’avant-garde propagandiste avec des actions qu’ils se veulent l’équivalent d’un « Greenpeace » de l’extrême droite. La complaisance qu’ils ont rencontrée lors de leurs actions à la frontière alpine contre les migrants a encore une fois montré le bien-fondé de cette stratégie développée depuis une poignée d’années. Ils s’y sont montrés avec les règles communicationnelles qu’ils se sont imposées : groupes sexuellement mixtes, accoutrement rassurant, discours ferme mais jouant sur les champs lexicaux de la protection et non de l’agression.

Assumant en revanche la filiation avec le fascisme, tel que conçu dans la tendance nationaliste-révolutionnaire, le lancement du Bastion social a été largement médiatisé. L’inspiration du modèle italien de CasaPound est forte, et Bastion social bénéficie de nombreux contacts dans les diverses mouvances d’extrême droite, facilitant son développement.  L’expérience est à ses débuts, mais elle augure d’être l’une des plus intéressantes connues par le milieu radical depuis longtemps. Son avenir est d’autant moins écrit que la stratégie d’implantation de locaux ouverts est certes faite pour se banaliser dans l’espace public, et ainsi espérer le radicaliser en son sens, mais peut aussi aboutir à une normalisation des radicaux (entre autres car lorsqu’on a un local et que l’on apparaît au grand jour, on tend à vouloir établir des relations apaisées avec son entourage, et à ne pas vouloir être fermés par les autorités publiques).

Enfin, la mouvance skinhead n’a pas réorganisé de mouvements politiques depuis les dissolutions de Troisième Voie et des Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires en 2013. Ce sont depuis les mouvances bikers et des nouveaux arts martiaux qui ont servi de réceptacles. Ces activités ne sont  pas aptes à lancer une démarche politique au sens commun. Mais, après tout, ce sont des formes de sociabilité qui peuvent renvoyer à l’idéal de ce que l’extrême droite radicale recherche depuis des décennies : une « communauté militante », soudée, organique, comme pourrait l’être la nation dans leur utopie, mais vécue à petite échelle, ici et maintenant.

Un débat idéologique appauvri

En définitive, comment qualifier la phase actuelle des extrêmes droites ? Idéologiquement, elle est assez pauvre : l’altérophobie domine, la pensée s’organise plus par rejets que par propositions. Il est vrai que cela s’inscrit dans une globale dévitalisation du débat idéologique et de la production théorique, auxquels les polémiques constantes se substituent. Conséquemment, l’état de l’extrême droite renvoie à celui de l’espace public : la critique de la société multiculturelle et l’entretien des dissensions ethnoculturelles visent une concentration monopolistique des débats sociaux. Cela a des effets très concrets : ce n’est pas pour rien que c’est l’Espagne et non la France qui vient d’offrir l’accueil à l’Aquarius.

La crise économique ouverte en 2008 a été plus violente outre-Pyrénées, mais la déstabilisation du système politique qu’elle a engendrée n’a pas coagulé dans les esprits avec la crise migratoire et la crise terroriste. Un sondage européen de 2015 montrait que l’opinion française était en tête de celles des pays « fermés », et l’espagnole en tête des « sociétés ouvertes ». Une de ses leçons les plus intéressantes était que l’écart entre les réponses quant à l’idée que les migrants « vont s’installer » ou « vont rester quelques mois ou quelques années » était de 36% en France et de 5% en Espagne. L’extension de la représentation d’une « colonisation » ethnique et culturelle venant fragmenter et violenter la France place le pays dans une anxiété aboutissant à une demande autoritaire, tandis qu’une Espagne sans doute sur ce qu’elle est ne cède ni au syndrome obsidional ni à la tentation de l’extrémisme.

Ce qu'il y a de nouveau à l'extrême droite ce ne sont donc ni ses structures ni ses médias, mais le fait que des pans entiers des secteurs de droite et de gauche s'inscrivent dans la diffusion de sa vision du monde, souvent en continuant à voter comme ils le faisaient, cabris de la République comme il y en eut de l'Europe. Ce qu'il y a de plus nouveau à l'extrême droite, c'est avant tout vous ou votre voisin.