[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

"L’inaction de Hulot est d’autant plus visible que le gouvernement est hyperactif"

Hulot

Lien publiée le 22 juin 2018

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://reporterre.net/L-inaction-de-Nicolas-Hulot-est-d-autant-plus-visible-que-le-gouvernement-est

Deux jours après le lancement de notre Hulotscope, qui cherche à mesurer l’efficacité de l’action gouvernementale en matière d’écologie, Simon Persico, chercheur en sciences politiques spécialiste des questions environnementales, analyse l’action de Nicolas Hulot.

Simon Persico est professeur de sciences politiques à Sciences Po Grenoble et au laboratoire Pacte.

Simon Persico.


Reporterre — Dans un texte publié dans en mai, vous faites un parallèle entre Nicolas Hulot et Brice Lalonde, pionnier des Amis de la Terre et ministre de l’Environnement de 1988 à 1992. Quelles similarités voyez-vous entre ces deux hommes ?

Simon Persico — Rappelons d’abord les différences. Avant 1988, Brice Lalonde était déjà engagé en politique, il avait même été candidat des écologistes à l’élection présidentielle sept ans auparavant. Il disposait donc d’un important capital politique, mais n’avait pas le même niveau de popularité que Hulot. Si l’on regarde du côté des similarités, ce sont tous les deux des figures reconnues du mouvement écologiste. Au moment où chacun décide de faire le pas de la participation gouvernementale — l’un avec la gauche très modérée, l’autre avec le centre droit —, ils font le même constat et le même pari : puisque faire pression sur le système politique de l’extérieur a échoué, ils choisissent d’agir depuis l’intérieur, quitte à devoir accepter une modération du discours. Et quitte, aussi, à faire un choix qui n’est pas celui d’un grand nombre d’écologistes, et notamment du Parti vert.

Brice Lalonde a payé cher sa participation au gouvernement Rocard : il a dilapidé son capital politique dans cette aventure. Après 1993, malgré de relatifs bons scores des écologistes aux élections, il est sorti des radars médiatiques. De la même manière, je m’interroge quant à la stratégie de Hulot. Quel objectif vise-t-il, tant du point de vue de sa trajectoire personnelle que de celui du sort de l’écologie ? Il a accepté de jouer le jeu du pouvoir, au risque d’y perdre sa notoriété et son capital politique. Quand on regarde le sort de Brice Lalonde, on se demande si le jeu en vaut la chandelle.



Pourquoi Nicolas Hulot a-t-il accepté d’aller avec Macron et pas avec ses prédécesseurs ?

Cela fait longtemps que Nicolas Hulot tente de peser sur le jeu politique. En 2002, en se faisant conseiller de Jacques Chirac, en 2007 avec son Pacte écologique, qui aboutira au Grenelle de l’environnement, puis en 2012, avec sa candidature malheureuse aux primaires écologistes… Un échec, puisque c’est Eva Joly qui l’emportera. Pour l’élection de 2017, un boulevard s’offrait à lui pour être le candidat de l’écologie politique. L’ensemble des écologistes, des partis aux ONG, l’appelaient de leurs vœux. Mais il a refusé d’y aller. À partir de là, à moins de rejouer la partition du lobbyiste environnementaliste populaire, la seule manière de peser politiquement était d’entrer au gouvernement. D’autant que son rang protocolaire (ministre d’État) permettait de penser qu’Édouard Philippe et Emmanuel Macron étaient prêts à lui laisser un espace politique.

Maintenant qu’il y est, Nicolas Hulot n’a plus que deux options pour sortir par le haut de cette expérience. Soit il parvient à faire une grande et belle loi environnementale, avec des éléments importants de régulation, de financement, des dates précises et les moyens de la mise en œuvre — sur le climat ou la biodiversité, par exemple. Soit il devra aller au clash : sortir du gouvernement sur un gros désaccord, le faire savoir. Cela pourrait être une stratégie pour effacer un bilan très mitigé et construire, ou reconstruire sa légitimité auprès de la nébuleuse d’organisations, de militants et de citoyens écologistes.

Brice Lalonde en mars 2014, à Belfort.

Mais pour l’instant, on ne voit rien de tout cela. Nicolas Hulot ne semble pas vraiment jouer le rapport de force ; personne ne sait bien quelles sont ses lignes rouges ou jaunes. Il n’est jamais vraiment parvenu à rendre visibles les sujets qui lui tiennent à cœur et n’a pas pris d’initiatives fortes. Il communique surtout en réaction à des décisions qui paraissent contraires au « mandat »que lui avaient confié les organisations environnementales, qui étaient pourtant soulagées, il y a un an, de le voir entrer au gouvernement.



Il est aussi dans la communication… de nombreux plans, feuilles de route, programmes ont été annoncés. Mais aucun n’a de portée contraignante.

Le nombre d’annonces est en effet important, mais c’est le cas pour tous les ministères, et c’est un classique des politiques publiques en France. Ce n’est ni nouveau ni spécifique à l’Écologie. Promettre un grand Plan, c’est facile : trois conférences de presse, quelques tables rondes, l’annonce de quelques décrets, dont on ne saura jamais le sort, et cela donne l’impression qu’on agit. Cependant, il vrai qu’Emmanuel Macron comme Nicolas Hulot sont passés maîtres dans l’art de la communication.

Et il y a effectivement un écart entre le discours et les actes. Ce n’est, me semble-t-il, pas forcément à Nicolas Hulot qu’il faut en faire le reproche, mais à Emmanuel Macron ou à Édouard Philippe. Ce sont eux qui ont les clés de l’exécutif. Quand Nicolas Hulot annonce un grand plan, on peut aussi le voir comme une tentative d’imposer un sujet à l’agenda, de pousser le rapport de force. Mais tout cela est bien maigre quand on est ministre d’État.



Sur d’autres politiques, on ne peut pas dire que le gouvernement reste sans agir. Les réformes s’enchainent, et ce sont parfois des réformes de profondeur, comme avec la SNCF.

C’est vrai, et l’inaction de Hulot — ou plutôt son rythme de sénateur — est d’autant plus visible et problématique que le reste du gouvernement paraît hyperactif. L’unique domaine qui mériterait vraiment d’être « disruptif », d’agir de manière radicale et immédiate, si l’on en croit les scientifiques, et notamment le dernier rapport du Giec, c’est l’environnement. Et c’est l’un des seuls domaines pour lesquels l’exécutif considère qu’il ne faut pas faire de réforme radicale.

Comment qualifiez-vous l’action de Nicolas Hulot au gouvernement ?

Il est toujours difficile d’avoir des informations sur d’éventuels désaccords au sein du gouvernement. Pour cela, on est dépendant des informations qui fuitent dans la presse, et l’on sait à quel point la communication du gouvernement est verrouillée. Dans ces conditions, difficile de savoir combien d’arbitrages Hulot a perdus, mais mon impression est qu’il a subi plusieurs revers. Je ne m’explique pas, sinon, comment il a pu accepter la position du gouvernement sur le glyphosate, le site d’enfouissement des déchets à Bure, ou le projet de mine aurifère de Guyane.

Cette impuissance des ministres de l’Environnement n’est pas nouvelle : Corinne Lepage, Dominique Voynet, Delphine Batho… nombre de ses prédécesseuses racontent les mêmes difficultés à peser. Ces ministres essaient d’avancer sur des sujets, généralement transversaux, qui viennent donc toucher les champs d’action d’autres ministères. Et toutes les négociations interministérielles se font en défaveur de l’écologie.

À ce titre, Nicolas Hulot n’est ni pire ni meilleur qu’un autre. Il semble perdre ses arbitrages les uns après les autres, et il garde le silence. Sauf que, pour lui, c’est sans doute encore plus difficile, car il est très peu entouré. Il est isolé, solitaire. Tous les responsables politiques qui veulent peser dans le débat public ont des relais politiques à l’Assemblée nationale, au Sénat, dans les collectivités locales. C’est ce qui leur confère du poids dans les négociations, à l’intérieur d’un gouvernement notamment : ils ont une capacité de nuisance politique. Hulot ne peut compter sur aucun véritable « porte-flingue » capable de défendre ses positions dans l’espace public. Matthieu Orphelin est seul à l’Assemblée, les écologistes centristes comme Barbara Pompili ne sont ni rassemblés ni organisés, et il n’a pas le soutien des Verts… bref, il est dépourvu. Son capital politique relève de sa popularité, et non pas de son réseau. C’est la faiblesse de tous les responsables qui ne sont pas issus du monde politique. Que lui reste-t-il à négocier lors des discussions interministérielles ? Sa démission, c’est-à-dire : tout ou rien.

Matthieu Orphelin dans un jardin de l’Assemblée nationale en 2017.



Quels sont ses principaux renoncements ?

On peut citer son recul sur l’objectif de 50 % de nucléaire en 2025, ou l’évacuation de la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Mais en fait, il n’y a pas vraiment de mesures ou d’échecs symptomatiques, car lui-même ne fait pas ces choix-là. Montagne d’Or, Cigéo, Europacity… c’est le business as usual des politiques productivistes, au détriment de l’environnement, et Hulot se contente de râler un peu, en menaçant à mi-mot de démissionner. Ou tout du moins, c’est l’impression que cela donne.



Nicolas Hulot déçoit aussi d’autant plus qu’il avait suscité des espoirs…

Bien sûr, il est aussi jugé à l’aune de ces attentes. Un militant écologiste lambda espère plus de Nicolas Hulot que de Nicole Bricq à la tête du ministère de l’Environnement. D’autant plus qu’il aurait pu être candidat à la présidentielle, et qu’il ne l’a pas été pour préférer une participation gouvernementale. Pour justifier son renoncement, puis sa participation au gouvernement Philippe, il faut qu’il marque des points. Son absence criante de résultats explique qu’il est désormais critiqué par la plupart des grandes ONG environnementales, qui, comme l’indique Pascal Canfin, le directeur du WWF et jadis fervent défenseur de Hulot, hésitent désormais entre la critique et la rupture.



L’échec de Hulot, reconnu comme un écologiste convaincu, ne montre-t-il pas qu’il est impossible de porter des politiques environnementales d’ampleur, radicales, sous la VeRépublique ?

Je pense vraiment que personne n’aurait fait beaucoup mieux que lui dans cette situation. Face à Gérald Darmanin et Bruno Lemaire [ministres du Budget et de l’Économie], comment peser ? Il a face à lui des personnes hostiles à toute réforme radicale au niveau de l’écologie.

Donc il faut batailler sans cesse, et ce n’est pas facile. Issu de la « société civile », Nicolas Hulot n’est peut-être pas prêt aux sacrifices que cela implique. En effet, aller un cran plus haut en matière de rapport de forces signifierait faire face aux médias quotidiennement, construire un réseau, accepter d’être au cœur du combat… Et il n’est peut-être pas prêt à s’engager plus avant dans une bataille politique qui peut lui paraître — et peut-on vraiment l’en blâmer ? — dérisoire. Il a souvent dit qu’il ne voulait jamais renoncer à ses vacances en Bretagne et à sa pratique du kitesurf. C’est tout à son honneur ; cela serait possible dans la plupart des pays d’Europe, mais en France, si l’on veut être un acteur politique de premier plan, on doit renoncer à une vie douce et agréable.



Nicolas Hulot est donc seul, sans relais politique, sans ministre « allié »… et sous la pression des lobbies ?

Pour la plupart de ses collègues au gouvernement, l’enchevêtrement des intérêts économiques et de la décision publique est une norme. Après tout, Emmanuel Macron lui-même a fait un passage chez Rothschild, en permettant à la banque de profiter d’un carnet d’adresses et d’un savoir-faire acquis au service de l’État. Plus symbolique encore, le Premier ministre, Édouard Philippe, était lobbyiste — on dit aussi « directeur des affaires publiques » — à Areva. Le monde des chefs de l’exécutif, c’est donc celui où les entreprises défendent leurs intérêts et influencent les politiques de manière très naturelle. La France est, comme de nombreux pays, une démocratie dans laquelle les groupes d’intérêt économique ont une influence déterminante. Et l’environnement est le premier perdant dans ce jeu-là, car, face à ces intérêts économiques très bien organisés et écoutés, la préservation des écosystèmes suscite moins de contre-lobbying — de la part des syndicats, par exemple — que des intérêts humains, ou sociaux.



Nicolas Hulot fait-il avancer ou reculer la cause de l’écologie ?

La réponse à cette question dépend des indicateurs. Si l’on considère la visibilité des enjeux écologiques dans les médias, je n’ai pas l’impression qu’elle ait vraiment augmenté depuis son arrivée. Si l’on regarde les sondages, l’opinion publique est restée, elle aussi, stable sur ces questions. Si l’on observe la force des partis qui défendent l’écologie, elle est en baisse — la nébuleuse des écolos centristes n’existe quasiment plus, les Verts et les hamonistes sont très faibles, la dynamique de la France insoumise, qui a opéré un véritable tournant sur les questions écologiques, s’est essoufflée également. De ce point de vue, Nicolas Hulot n’a pas renforcé le poids des écologistes.

En revanche, si l’effritement de la popularité de Hulot se confirme sans qu’il ait obtenu d’avancées significatives, sa participation au gouvernement aura en définitive desservi la cause environnementale en France. Cela voudra dire que le mouvement écologiste aura perdu l’un de ses principaux fers de lance.

  • Propos recueillis par Lorène Lavocat