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La France, bientôt un pays de (travailleurs) pauvres ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par ATD Quart Monde
Sachant que, selon la DARES, moins de 9 salariés sur 10 sont en CDI sur les 26 millions de personnes en emploi en France et que 9 embauches sur 10 se font en CDD, combien d'années faudra t-il à notre pays pour devenir un pays de CDD - dont, actuellement, 30% ne durent qu'une journée ?
Il faudra un certain temps. En réalité, ce danger n'est pas pour demain, mais pour après-demain.
Car c'est comme s'il y avait deux "bassins" pour l'emploi en France : un grand bain où les gens sont en CDI et y restent de nombreuses années, et un petit bain, celui des CDD, qui ne communique pas avec le premier, où les personnes ne restent que quelques jours ou semaines. 90% des entrées se produisent dans ce petit bain, les sorties compensant en gros les entrées.
C'est ce qu'on appelle la bipolarisation du marché du travail : soit vous êtes en CDI pour un bout de temps ; soit vous ne l'êtes pas, et vous risquez fort de n'aller que de CDD en CDD. À chacun son bain.
Si le risque n'est pas que tout le monde se retrouve en CDD demain, cette bipolarisation présente tout de même une dimension insupportable et insoutenable : 9 travailleurs sur 10 qui n'ont pas de CDI ne peuvent espérer y accéder ; ils sont cantonnés aux CDD, emplois précaires qui, pour 2 à 3 millions d'entre eux actuellement, ne permettent guère de dépasser le seuil de pauvreté.
Les politiques publiques actuelles semblent incapables de corriger ce phénomène. Elles n'en parlent pas. Elles s’accommodent de ce modèle d'emploi "de crise" et apprennent à vivre avec, même si elles savent que cela risque de leur coûter la non-reconduction de l'équipe au pouvoir, comme cela a été le cas pour François Hollande.
Elles parlent d' "emploi", sans distinguer le décent du précaire, sans dire que plus du second, ce n'est pas plus de salut, mais plus de pauvreté et d'insécurité face à l'avenir, comme en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, etc.
Elles mettent en avant des mécanismes économiques (désindustrialisation, mondialisation, financiarisation, robotisation...) auxquels elles semblent se résigner.
Elles lancent des mesures qui ne soigneront pas le mal-emploi : réduction des emplois aidés, renforcement du contrôle des chômeurs (visionnez ici la discussion du 16 juin 2018, sur les articles 35 et 36 du projet de loi "pour la liberté de choisir son avenir professionnel" - jusqu'à la fin, qui résume bien la qualité d'ouverture du gouvernement aux amendements déposés) pour qu'ils acceptent davantage d'emplois précaires, réduction des services publics, baisse de la fiscalité sur les plus riches et sur les grandes entreprises...
Pourtant, les politiques publiques pourraient s'attaquer à la pénurie de CDI en soutenant la création d'emplois utiles, décents, à temps choisi, non délocalisables - et ce ne sont pas que ces emplois marchands, privés, lucratifs et profitables dont on nous rabat les oreilles.
Depuis plusieurs années, des emplois utiles et décents se créent à petite échelle partout en France : par Solidarités Nouvelles face au Chômage depuis 1985, dans des entreprises de l'économie sociale et solidaire, dans des éco-lieux, sur les "territoires zéro chômeur de longue durée" initiés par ATD Quart Monde, etc. Leur particularité est de répondre aux besoins de territoires et des humains qui les habitent, et non pas de "marchés" hors-sols et hors-valeurs.
Notre gouvernement peut agir contre la bipolarisation de l'emploi en lançant une grande évaluation de ces emplois utiles et décents, en identifiant les conditions de leur réussite et en soutenant leur extension.
Ces emplois ne sont pas des sous-emplois. Ce sont en général des CDI à temps choisi, ou des emplois non-salariés, mais qui ont du sens, tissent des liens et créent des richesses de toutes sortes.