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Comment les cabinets privés vont se partager le marché de la réforme de l’État

Lien publiée le 15 juillet 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.acteurspublics.com/2018/06/12/enquete-comment-les-cabinets-prives-vont-se-partager-le-marche-de-la-reforme-de-l-etat

Dans la lignée de ce qui se pratique depuis une quinzaine d’années, l’administration vient de choisir les cabinets de conseil qui vont épauler ses services à l’occasion de la prochaine opération de transformation publique. Plongée dans les méandres d’une mécanique de plus en plus ancrée au sein de l’État.

Le recours aux cabinets privés de consulting dans le cadre de la réforme de l’État revient au cœur de l’actualité. Selon les informations des Échos, également obtenues par Acteurs publics, Thomas Cazenave, le patron de la direction interministérielle à la transformation publique (la DITP, qui a remplacé le secrétariat général à la modernisation de l’action publique, le SGMAP) à Bercy, a signé, le 31 mai, le principal marché public en la matière. Une signature qui intervient alors que les décisions autour du programme Action publique 2022 se font attendre.

Mais ce marché a en réalité été pensé et élaboré indépendamment du cycle politique. Car depuis une petite quinzaine d’années, les marchés de la réforme de l’État sont devenus un outil permanent de l’administration et du politique, avec des vagues qui se succèdent, les marchés s’étalant sur une durée de deux ans, reconductible deux fois pour une durée d’un an. La dernière vague, celle de 2014, arrivant à échéance au cours du premier trimestre 2018, l’administration s’est donc lancée, au début de l’année 2017, dans la rédaction des appels d’offres in fine publiés en octobre. “Nous avons anticipé, car c’est très long de préparer un appel d’offres, avec beaucoup de clauses administratives et financières ainsi que des réflexions sur le fond, indique-t-on à la DITP. Ce travail a été réalisé sans connaître le résultat politique ni l’esprit de la réforme. Mais nous avons conçu le dispositif pour permettre au politique d’avoir tous les outils et pour tous types de projets, en fonction des retours d’expérience des marchés précédents.”

Logique de groupement

Le marché comprend trois lots. Un premier lot intitulé “Stratégie des politiques publiques” s’inscrit dans une logique visant à permettre au décideur de s’appuyer sur une aide à la décision stratégique. Le deuxième lot, intitulé “Conception et mise en œuvre des transformations”, vise à couvrir de bout en bout la mise en place des plans de transformation des ministères : conception de dispositif, méthodologie préalable au déploiement, mise en œuvre d’un pan d’un projet de loi (par exemple l’extension d’un dispositif d’aide publique à une nouvelle cible qui implique de déterminer comment atteindre cette cible et comment organiser les services pour gérer l’afflux de bénéficiaires). Le troisième lot, lui, s’attache à la performance et à la réingénierie des processus (améliorer les délais d’attente dans un service public par exemple). 

Les marchés ont été conçus de telle sorte que les cabinets de conseil ont dû, le plus souvent, s’allier entre eux en groupements pour gagner. Parmi les éléments de la notation, figuraient notamment des études de cas pour tester les idées des cabinets sur certains sujets. À chaque fois, plusieurs attributaires ont été choisis. Le lot 1 a été attribué à 3 groupements concurrents : Roland Berger/Wavestone, BCG/EY et McKinsey/Accenture. Pour le deuxième lot, considéré comme le “lot maître”, 4 attributaires ont été qualifiés : de nouveau le tandem EY/BCG, le trio Eurogroup/CMI/Sepmaphores Expertise, INOP’S (en solo) et le tandem Capgemini/Mazars. Enfin, 3 groupements ont été choisis pour le troisième lot : Capgemini/Mazars, également alliés pour ce lot à SIA Partners ; de nouveau le trio Eurogroup/CMI/Sémaphores Expertise et enfin le duo Wavestone/Roland Berger. Certains observateurs relèvent une prime plutôt donnée aux sortants, même ci cette vague enregistre le retour du BCG, l’un des leaders mondiaux du conseil, qui n’avait pas souhaité participer à la vague de 2014. La session 2018 a aussi été marquée par un petit coup de chaud, le cabinet BearingPoint, non retenu, ayant déposé un recours devant la justice administrative. Ce cabinet a finalement retiré son recours. 

RECAPITULATIF DES CABINETS RETENUS DANS LE CADRE DU MARCHE PUBLIC


De fait, la structuration du marché laisse apparaître une évolution de la stratégie d’achat de conseil. Dans les marchés précédents, les ministères pouvaient être bénéficiaires de ce support juridique pour faire appel aux cabinets, avec une forme d’abonnement : des conventions sur la base du volontariat liaient le SGMAP et les ministères. C’était le cas, par exemple, des ministères des Affaires sociales et de l’Éducation nationale. Mais les ministères conservaient de fortes latitudes en propre. En 2018, la logique interministérielle a été poussée un cran plus loin, la DITP ayant reçu un mandat pour porter ce marché au bénéfice de l’ensemble des ministères hors celui de la Défense.

Arguant d’un calendrier un peu différent, ce dernier a obtenu une dérogation de Matignon afin de pouvoir lancer son propre marché dès l’année précédente. “On rationalise l’achat des ministères en matière de conseil avec une plus forte centralisation du portage”, commente-t-on à la DITP. Ainsi un ministère désireux de satisfaire un besoin de conseil dans le périmètre du marché devra nécessairement le faire via ce marché. Objectif affiché par la DITP : sortir d’une situation où un ministère ayant un marché en propre et souvent mono-attributaire travaillait toujours avec les mêmes consultants. Pas forcément le plus optimal en termes de rapport qualité-prix. “La DITP se pose plus en société de conseil interne qu’en centrale d’achat, relativise un consultant privé, qui juge que les périmètres des marchés restent assez vagues. Peut-être que dans la durée, elle arrivera à s’imposer, mais en général, les ministères ne se sentent aucune obligation. On verra.”

Pousser la dynamique interministérielle

Les ministères auront deux manières de mobiliser le marché. Soit ils envisageront un projet de réforme très structurant – un élément de leur plan de transformation en lien avec la feuille de route ministérielle, porté au plus haut niveau – et ils pourront décider de faire appel à la DITP, laquelle prendra en charge, avec le ministère en question, le pilotage du projet. Les équipes du ministère et la DITP piloteront alors ensemble la prestation de conseil. Un deuxième scénario pourra conduire un ministère à passer lui-même un bon de commande dans le cadre d’un des lots du marché. Il pilotera alors lui-même directement les consultants. 

Dans le cadre de ce marché, l’administration a défini plusieurs axes stratégiques à l’occasion de la structuration des lots. D’abord, l’abandon de la distinction entre conception et mise en œuvre, afin d’éviter de se retrouver avec des attributaires différents sur un même projet (c’est le principe du lot 2). Une rupture par rapport à 2014. Ensuite, l’incitation aux cabinets à se grouper entre eux vise à obtenir des partenaires à la taille critique suffisante pour pouvoir répondre à plusieurs commandes en même temps, puisque le marché est interministériel. La logique de groupement existait déjà auparavant, mais elle a été poussée un cran plus loin.

De même, l’ouverture aux “petits” cabinets enclenchée en 2014 a-t-elle été poursuivie. “Les grands cabinets ont bien joué le jeu car ce n’est pas forcément dans leurs habitudes ni dans leur business model de se mettre dans des logiques de consortium, juge-t-on à la DITP. Jusqu’ici, les consortiums regroupaient des cabinets aux compétences proches, plutôt des acteurs historiques du conseil public, même s’il existait quelques sous-traitants un peu spécialisés. Cette année, on est parvenu à un nombre plus important de sous-traitants, puisque 65 ont été déclarés par les consortiums dans leurs réponses (cliquez ici pour consulter la liste des sous-traitants). On a voulu s’assurer qu’on aurait des spécialistes pour chaque besoin de niche et inclus dans une prestation plus globale”. Ces déclarations de sous-traitants n’entraînent toutefois aucun engagement vis-à-vis de l’administration, les cabinets restant in fine libres de leurs mouvements.

L’appréhension de la rémunération témoigne, elle, d’une certaine volonté de souplesse puisque l’administration n’a pas donné de montant minimum ou maximum, mais simplement un montant estimatif annuel de 25 millions d’euros (l’estimation relève d’une obligation légale). “J’ai l’impression, au doigt mouillé, que ce montant estimatif se situe un peu en dessous de celui de la RGPP et un peu au-dessus de celui de la MAP, juge un baron du consulting, bon connaisseur du marché et de son historique. Ce positionnement répond d’ailleurs à la philosophie de ce gouvernement, qui consiste à responsabiliser les administrations des ministères dans leurs schémas de transformation. Le message de cette équipe n’est pas de dire « il faut externaliser la transformation », comme cela avait été dit sous la RGPP, mais au contraire de l’internaliser en s’appuyant sur du conseil. On veut laisser davantage les administrations à la manœuvre, d’où cette estimation du montant plus faible que sous la RGPP, où la DGME [la direction générale de la modernisation de l’État, qui a précédé le SGMAP, ndlr] et les cabinets étaient à l’époque plus en front.”

Jeu d’équilibre

Si l’administration ne s’engage sur aucun montant, elle garantit en revanche une équité financière entre les cabinets, au travers d’un montage d’attribution des projets fonctionnant à la manière d’un tourniquet. Un mécanisme qui existait déjà sous la MAP. Ainsi, dans un lot comprenant 4 attributaires, le premier projet est confié au groupement le mieux classé lors de l’attribution, puis ainsi de suite jusqu’au quatrième. Lorsque les 4 premiers projets auront été distribués selon ce mode (avec forcément des sujets d’importance variée), le cinquième projet est confié, en fonction des montants déjà engrangés sur les 4 premiers, au groupement ayant engrangé le montant le plus faible. Et ainsi de suite, chaque ministère actionnant son propre tourniquet.

Certains cabinets vont donc être amenés à travailler simultanément pour plusieurs ministères, d’où l’incitation au regroupement, propice, selon la DITP, à une certaine garantie de compétences. “Le tourniquet présente un avantage et deux inconvénients, dit le consultant d’un cabinet retenu. L’équité de traitement évite la concurrence interne entre les cabinets et chacun peut se mettre dans une logique plus collective. Mais le système ne permet pas à un ministère de travailler avec le cabinet qui a le plus d’expérience et d’expertise sur un sujet donné. On travaille avec le cabinet dont c’est le tour. Cet écueil est quand même contenu par la taille des cabinets et des consortiums qui ont des capacités internes ou des sous-traitants. Il existe enfin une complexité de gestion pour la DITP et les cabinets eux-mêmes.”

Un consultant travaillant chez un sous-traitant juge, lui, que l’avantage pour les ministères reste d’avoir un support juridique leur permettant de gagner du temps par rapport aux appels d’offres classiques (six mois), mais que ce système tend à fermer le jeu pendant la durée du marché.

Ce marché de la réforme de l’État, qui représente assez souvent une goutte d’eau dans le chiffre d’affaires annuel de ces cabinets (moins de 1 % pour certaines filiales françaises de ces groupes, généralement mondiaux), n’en constitue pas moins pour eux un actif stratégique. Le caractère emblématique et prestigieux du marché permet en effet de faciliter l’atteinte de plusieurs objectifs : conquête d’autres marchés à l’échelle du secteur public, visibilité au sommet de l’État avec une dimension “réseau” qui peut aussi ouvrir des contacts dans le privé.

Pierre Laberrondo