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"Le football, c’est la guerre en temps de paix"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://blogs.mediapart.fr/denys-laboutiere/blog/150718/le-football-cest-la-guerre-en-temps-de-paix
En cette période si propice à célébrer soi disant la beauté du sport collectif, heureusement que des écrivains et intellectuels savent nous rappeler à quel point cette fascination et la liesse réputée aimable qui l'accompagne peuvent s’avérer ambiguës.
Elfriede JELINEK est assez peu connue, en France. Hélas. Elle a pourtant inventé une littérature hors normes. Ce qui lui valut justement et naturellement le prix Nobel 2004 dans cette discipline, puisque, il faut le rappeler, celui-ci distingue avant tout des écrivains qui ont su créer un langage, une stylistique innovante. D’elle, la plupart des gens cultivés connaissent surtout « La Pianiste », le film de Michael HANEKE avec Isabelle HUPPERT dans le rôle principal, au cinéma, donc.
Mais ses ouvrages, réputés âpres, parfois illisibles (on oublie que la littérature est un Art, pas seulement un vecteur d’idées ou d’émotions purement esthétiques et qu’en matière d’Art, le droit à la non évidence ne peut être proscrit), contiennent également en germe des remarques humoristiques aussi féroces que celles d’un Karl KRAUS. D’ailleurs, JELINEK ne cache jamais son goût pour le vaudeville français, qu’il s’agisse de LABICHE ou FEYDEAU, qu’elle traduit de temps à autre, dans son pays, en Autriche. Pas seulement par goût pour le frivole (elle sait d'ailleurs que ces dramaturges français ne sont pas si divertissants qu'ils semblent l'être) mais pour la distance qu'ils prennent vis-à-vis des réalités pour mieux épingler les dessous peu reluisants d'une société qui croit s'affranchir de toute sérieuse responsabilité.
JELINEK OU LA FEMME ECRIVAIN TROP RESPECTÉE OU TROP PEU PRISÉE EN FRANCE
JELINEK écrit. Sur la nature, sur les rapports fous entre HEIDEGGER et Hannah ARENDT, sur la violence sexuelle des femmes et contre les femmes, et leur assentiment généralisé à accepter la domination masculine, ou leurs besoins de s'en venger, tout en révélant l’ambiguïté des causes féministes extrémistes, elle a écrit sur maintes questions (non « sujets »). Petite fille de déportés et juive, elle s’est attirée les foudres, comme son compatriote, l’écrivain Thomas BERNHARD, de la presse autrichienne. Et fit comme l’auteur de « Des arbres à abattre » : elle censura, au bout d’un moment, elle-même, toute possibilité de la représentation, dans ce pays, des pièces de théâtre qu’elle a écrites. Les metteurs en scène allemands, eux, ne craignent guère de créer ses œuvres. Tandis que la France condescend tout juste à inviter le Goethe Institut pour de simples lectures en Avignon (2012) ou à accueillir un spectacle étranger de théâtre mettant en représentation l’une de ses pièces (2015). En France, à part le dramaturge et intellectuel Michel DEUTSCH (1) , aucun théâtre national, jusqu'ici n’a jamais cru bon programmer ses poèmes dramatiques. Encore moins les proposer en création. Ni au Théâtre de l’Odéon à Paris, ni au T.N.S de Strasbourg, dont les missions devraient quand même être de diffuser et faire connaître une telle auteur fondamentale s’il en est. Cet "oubli" sera un peu réparé à l'Odéon la saison prochaine, puisque, pendant 4 jours, sera présentée "Am Königsweg (sur la voie royale)" (2) de JELINEK, mais bien sûr en langue allemande surtitrée en français. En espérant que le metteur en scène, Falk RICHTER, ne s'approprie pas trop jusqu'à faire écran, l'écriture de l'écrivain autrichienne, au point de lui faire écran comme il a pu le faire dernièrement avec FASSBINDER...
Est-ce parce que la prose et la poétique de JELINEK impressionnent trop les critiques, les créateurs? Qu'on la respecterait éventuellement trop pour davantage diffuser ses oeuvres?
PAS DE "PIECE DE SPORT" EN AVIGNON, TRES PEU AILLEURS...
On pourrait le craindre: Avignon 2018, pour son IN, aurait pu proposer, s’il était un réel espace critique de la Société comme il se plaît à le dire et le démontrer depuis que son Directeur, Olivier PY invente des formats de débats mi théâtraux mi polémiques sur divers sujets, de mettre justement en avant certains de ces textes de JELINEK pour mettre en perspective la folie de la Coupe du Monde dans une triste actualité avec le rendez-vous soi disant international du Théâtre célébré par le Festival. René CHAR et Jean VILAR (tous deux instigateurs et complices, à l’origine de ladite manifestation artistique du Vaucluse, comme plus grand monde ne s’en souvient), s’ils avaient connu JELINEK et connu les affres de ce que représente, désormais l’événement réputé majeur et omniprésent qu’est le Mondial de Football, l’auraient certainement invitée ou créée. CHAR et JELINEK auraient eu, en tout cas, beaucoup de propos à échanger, à propos de la Résistance...
Il n'aurait pas été si difficile pour le directeur du Festival d'oser créer une des oeuvres les plus représentatives de JELINEK, s'il parvenait à considérer, un tant soit peu, que ledit Festival ne lui est pas confié pour qu'il ne finisse par imposer, chaque année, que "ses" oeuvres à lui et qui, en général, prêtent le flanc à la seule question du "genre" sexué ou à ses partouzes homosexuelles dans des lieux de débauches de la Capitale qu'il romance sous le titre pénible des "PARISIENS" mais qui ne raconte rien, . Il aurait pu, ainsi, lire, créer JELINEK et proposer ainsi une question autrement plus ambitieuse que le maelström confus de ses élucubrations fatigantes. Ne nous leurrons pas: PY étant édité chez Actes-Sud, la Ministre NYSSEN ne peut que l'adouber et lui renouveler son mandat. Et ce n'est pas les éditions Actes-Sud qui se seraient risquées à publier JELINEK (mais ils doivent s'en mordre les rotatives, quelquefois). Et encore moins "Une pièce de sport", même s'ils ont eu le flair de racheter, pour leur groupe, les excellentes mais fugitives éditions Jacqueline CHAMBON.
Sobrement intitulée « Une pièce de sport » – mais qu’il aurait mieux valu traduire par « Un peu de sport » puisque le mot « Stück » en allemand, désigne, en français à la fois le mot « pièce » mais aussi « le morceau » dans le sens de « une partie, un peu », Ein Sportstück met en situation et surtout en mots (JELINEK tient pour acquis que le théâtre est primordialement du texte) la manière qu’a notre société contemporaine de commercialiser le corps. De le valoriser à des fins mercantiles douteuses. Et elle remonte lentement la chaine des causalités et conséquences de cette façon de décomplexer une telle marchandisation, via le mythe sportif. Car elle exhibe très bien mais avec les armes du Verbe qui déshabille tout apparat inconscient, la fausse innocence, précisément, du sport. Elle exhibe les armes de ce domaine si vanté lors de manifestations collectives virant à l’hystérie : hostilité à l’égard de l’adversaire, agressivité entre équipes, fanatisme aveugle encouragé par des sociétés qui croient proposer, par le biais de compétitions, le « spectacle » (de cela aussi elle sait parler) de l’oppression des uns à l’égard des autres. Le culte exagéré du corps tendant à la perfection, le terrorisme grégaire des réputés « forts » contre les désavoués « faibles ». L’uniformité et l’uniformisation des consciences et des divertissements passés par le filtre des intérêts politiques et médiatiques. Etc etc…
UN CHOEUR, UNE VIEILLE ATHLETE ET L'AUTEUR
Son texte est une suite de monologues puissants qui ne véhiculent pas que des récriminations sentencieuses, loin de là, puisque le courage dont fait preuve Jelinek se mesure surtout à l’aune de son talent à faire vibrer les mots dans leurs agencements : une célébration superbe de la langue et de ce que celle-ci peut évoquer en se gardant de n’être qu’un alignement de considérations plus ou moins vagues et généralistes. Une langue que se partagent un chœur comme à l’Antique et une femme âgée, Andy, une athlète d’exception. Qui peut être évidemment perçue comme la voix de l’auteur elle-même.
En superposant performance sportive et performance théâtrale, JELINEK parvient à nous convaincre définitivement qu’en effet, même inconsciemment mais tout de même assez délibérément, la compétition, c’est « la guerre en temps de paix ».
On aurait aimé que certains s’en souviennent et modèrent leurs élans un poil trop unanimes pour un événement réputé mondial qui a duré un mois et qui a servi les intérêts des plus grands pourvoyeurs de capitaux, essentiellement. Et qui, si c'est avéré, autorisera à verser en plus de leurs émoluments habituels déjà exorbitants, une prime de 400 000 euros à chaque joueur de l'Equipe de France, en cas de victoire ce dimanche 15 juillet, finira par ne plus rendre crédible le moindre journaliste qui osera faire semblant d'être compassionnel à l'égard des pauvres, des inanités du pouvoir actuel, tandis qu'il aura, dans le même temps, célébré, pendant 5 semaines, ces Olympiades de l'Indécence. Un événement qui s’est cyniquement servi du prétexte de la liesse soi disant populaire pour renforcer des pouvoirs déjà confortablement assurés de tenir les peuples dans l’admiration de combats qui interdisent plus qu’ils n’autorisent la véritable prise en considération de l’Autre, de l’Etranger, du Différent…
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les ouvrages de Elfriede JELINEK sont parus aux éditions Jacqueline CHAMBON, puis dans la collection "Points" des éditions du Seuil. Son théâtre est publié chez l'Arche Editeur.
Notes:
(1): Michel DEUTSCH est écrivain, dramaturge; il a, entre autres, conçu une pièce de théâtre qui fut au programme du Baccalauréat-Théâtre en 1999: "Dimanche", qui évoque les efforts douteux et sportifs d'une jeune adolescente dont l'ambition est de devenir la meilleure majorette de France et qui finit par laisser, jusqu'à la mort, la vraie vie lui échapper, toute éventualité de sexualité ne jamais l'entraver, pour uniquement parvenir à cette folle ambition. Michel DEUTSCH est publié majoritairement aux éditions Christian BOURGOIS.
(2): du 20 au 24 février 2019, Théâtre de l'Odéon, Paris (VIè arrondissement).