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L’affaire Benalla, fruit d’un mélange des fonctions pourtant prohibé
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Claude Askolovitch
Le garde du corps que l’Élysée abandonne menait, physiquement, les guerres sociales du président et de ses affidés.
La machine est lancée et nous fait cadeau d’un monstre dénommé Alexandre Benalla. On nous rapporte, on nous rapportera, dans la frénésie des décompositions, de nouvelles sauvageries et tant de facilités dont bénéficiait le gros bras de la Macronie, avant que Le Monde ne le révèle dans sa sauvagerie, et conduise le pouvoir, tardive vertu des lâches, à l’abandonner. La brute Benalla va nourrir nos chroniques; admettra-t-on à quel point cette brute ressemble à ceux qui l’employaient?
Il est d’autres soudards du nouveau monde, moins musclés, policés, et ceux-là passent à travers les scandales. Ils racontent pourtant la même histoire que l’impétueux Alexandre.
Ce jeudi où la tempête prenait le garde du corps, un autre macronien, de même génération et de costume pimpant, postait sur Twitter une autre violence. Gabriel Attal, député des Hauts-de-Seine, avait accompagné un postier dans sa tournée. On y voyait le jeune homme recouvert d’une vareuse, faux postier, vrai briseur de grève, comme Benalla s’était, un sale premier mai, grimé en policier.
Grève à la poste de #Boulogne : j’ai distribué ce matin le courrier avec José, facteur non-gréviste. Merci à tous les personnels au travail face à ce mouvement qui n’a que trop duré. Je lancerai aujourd’hui une initiative pour aider les usagers touchés.
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Il faut s’arrêter un instant sur cette histoire. Les Hauts-de-Seine, c’est exact, sont largement privés de courrier depuis le printemps, et un élu du peuple doit s’en soucier. Mais la grève n’est pas gratuite. Des postiers du 92 font grève contre le licenciement d’un homme appelé Gaël Quirante, leader du syndicat SUD dans le département et animateur des réfractaires à la transformation du service public. Le 10 mai 2010, des syndicalistes, dont Quirante et son ami Olivier Besancenot, avaient occupé la direction départementale de la Poste à Nanterre. En septembre 2011, dix d’entre eux, dont Quirante et Besancenot, avaient été condamnés pour «séquestration» à 1.500 euros d’amende, avec sursis. En 2013, la condamnation avait été confirmée, en appel, pour trois postiers dont Quirante. C’est pour cette condamnation, une amende avec sursis, suite à une action syndicale vieille de huit ans, que Quirante va être licencié, et que ses collègues font grève pour le défendre, et cette solidarité, pour le député Gabriel Attal, «n’a que trop duré».
Quirante, pour être complet, est licencié parce Muriel Pénicaud, ministre du Travail, a donné son feu vert, contrairement à ses prédécesseurs, mais contrainte par le droit jure-t-elle. «Une condamnation pénale, ce n’est pas rien», disait-elle en avril dernier, et puis ajoutait: «J'estime qu'un ministre n'est pas au-dessus de la justice». Et cette protestation n’est pas sans saveur aujourd’hui, quand l’Élysée, son directeur de cabinet, le ministre de l’Intérieur, le président lui-même peut-être, ont enfreint l’article 40 du code de procédure pénale, en ne signalant pas au procureur les espiègleries de leur Alexandre Benalla dont ils avaient connaissance. Ils se rattrapent depuis.
Chacun mène cette guerre à son poste
Maintenant, regardons globalement le paysage.
Côté pouvoir, nous avons Benalla, garde du corps du président, à pied, à ski, à vélo, logé par l’Élysée et qui, après avoir été filmé brutalisant deux manifestants place de la Contrescarpe, fut tancé mais abrité par le château des foudres de la justice et honoré de missions régaliennes, de la panthéonisation de Simone Veil au triomphe des Bleus. Côté contestation, nous avons Quirante, qui fut désagréable à des employés de la DRH de la Poste et qui, condamné, est entouré d’une grève solidaire. Y voit-on une différence? Une seule. Les postiers défendent leur camarade avec plus de constance que les élyséens dévoilés. Côté pouvoir à nouveau, nous avons le député Attal, qui en appelle au peuple sur Twitter pour que les postiers cessent le combat.
Il y a chez Emmanuel Macron une conviction réitérée, que la révolte est une erreur et un obstacle, qu’il n’est de bonnes transgressions qu’individuelles ou entrepreneuriales.
Éclairons le paysage. Il est celui d’une guerre idéologique et sociale. Il est un monde au pouvoir, qui pense devoir transformer ce pays, pour le meilleur sans doute, aux normes libérales de l’époque. Il est un monde de réfractaires qui récusent cette transformation. Cette guerre ne fait pas de quartier. Place de la Contrescarpe, c’étaient des réfractaires qui prenaient l’apéro le 1er mai, quand la police et Alexandre, dans le mouvement, leur sont tombés dessus. À Nanterre, en 2010, c’étaient des réfractaires qui retenaient deux heures les employés de la DRH de la Poste. À Boulogne, c’est le pouvoir qui se déguise pour distribuer le courrier en contournant la grève. Une guerre. Chacun la mène, dans ces histoires, à son poste. Le député Attal dans sa vareuse et le populisme sans risque des réseaux sociaux. Les postiers dans leur grève. Alexandre Benalla dans sa fidèle brutalité. La ministre en baissant le pouce pour qu’un syndicaliste soit licencié. Le président de la République en ne concédant rien à ses adversaires, tant il pense que ses réformes sont notre salut et que ceux qui les empêchent jouent contre le pays.
Emmanuel Macron mène sa guerre. Avant même son élection, il a stigmatisé avec talent et constance les réfractaires à l’ordre social, qu’il s’agisse d’un gauchiste en t-shirt qui ne l’impressionnait pas, d’ouvriers victimes d’un plan social dans la Creuse –ceux de GM & S, qui feraient mieux de chercher du travail «au lieu de foutre le bordel»–, du syndicaliste Mickael Wamen –meneur des GoodYear en grève, traité de pyromane ayant agi contre l’entreprise… Il y a chez Emmanuel Macron une conviction réitérée, que la révolte est une erreur et un obstacle, qu’il n’est de bonnes transgressions qu’individuelles ou entrepreneuriales. Et pour les classes qu’on disait productives, il convient de ne pas se révolter, d’accepter la hiérarchie sociale, l’engagement du patronat et la sagesse des réformes, les plans sociaux raisonnés, les modernisations qui seront heureuses, et un marché du travail rénové qui nous rendra la vie.
L’ascension de Benalla est la logique même de ce pouvoir
Les amusements polémiques sur le monarque Macron, cultivé, historien et impérieux, sont des distractions. Ce chef d’État allie l’orgueil et son projet. Il n’est pas roi en vain, et chaque moment de son règne veut faire sens. Il offre l’optimisme et les vainqueurs en exemple, sans préjugé de race, de genre, de profession ou de culture. Il était avec les start-uppers de l’école 42 il y a un an, cet été avec les footballeurs champions du monde. Ce sont les mêmes et la même promesse, de jeunesse et de volonté française. Emmanuel Macron construit une espérance de libéralisme dans un vieux pays d’histoire et de conquête. Elle est, par moments, superbe. Cela vaut bien, disent les siens, qu’on se batte pour elle. Cela vaut bien qu’on fasse la guerre. Cela vaut bien que l’on trique et matraque les aigris, les vaincus, les pessimistes, les gueulards vains qui pourraient empêcher l’espérance?
Alexandre Benalla n’a pas conçu tout seul, dans son cerveau reptilien, l’envie de terrifier une femme et de traîner au sol son ami; il faut rendre à cet homme sa justice et sa cause, sa raison. Ses employeurs ne le feront plus.
On ne sait que des bribes d’Alexandre Benalla, mais se dessine un jeune ambitieux fort et net et fidèle aux siens, et plein d’espérances à son entrée dans la vie, qui voulait servir. On ne choisit pas en vain de faire le gros bras en politique, pour Aubry, pour Hollande, pour Macron. On n’est pas pour rien chargé de la sécurité du plus brillant de nos politiques. On n’est pas pour rien admis au plus près d’un chef d’État qui reconnaît les siens à leur supériorité naturelle. Il y a dans une équipée politique triomphante une conviction rare d’être dans le vrai, et la jouissance du pouvoir est la récompense, juste, de cette vérité.
Quand les vainqueurs triomphent des vieux systèmes et se réclament d’une révolution culturelle, la conviction devient certitude. Plus rien ne l’empêche, rien ne la contraint. L’ascension d’Alexandre Benalla, avant même que s’en dissipent les mystères, est la logique même de ce pouvoir. Il avait, dans la campagne, bousculé un communiste qui faisait du bruit, un journaliste, qui d’autre? Il accomplissait son devoir, au nom de la juste cause. Il fallait disperser les fauteurs de doutes. Sa force était juste, et justement récompensée, d’un poste élyséen, d’un logement élyséen, d’amitiés élyséennes, de possibles élyséens. Il avait, Benalla, la même jeunesse que les plus brillants et brillantes de la Macronie. Il était, de sa jeune force, le miroir.
La police s'autorise plus qu'un simple souci d'ordre
Alexandre Benalla, le revoici, au 1er mai, place de la Contrescarpe, face à l’ennemi. Il est du côté de l’ordre. Il est du côté du vrai. Il agit comme son président parle, fermement, sans se mentir. Il agit comme le député Attal courtise, sans faire le tri, sans s’autoriser le doute. Se fait-il plaisir? Est-ce interdit?
On parlera de la toute-puissance qui saisit l’enfant pauvre ayant avalé les étapes. On parlera de ses influences dans la police, et du mélange des genres, et de ces fonctionnaires qui indûment le laissèrent agir. On fabriquera des brebis galeuses. On les punira, comme on punira Benalla. On punit ceux qui exagèrent. On rappellera les règles de la République, qui prohibent le mélange des fonctions. Sans doute. Mais cela fait des années que nos forces de police sont sollicitées par les pouvoirs –chiraquien, sarkozyste, hollandiste, macronien désormais– pour soutenir non pas l’État mais une politique, pas seulement la sécurité des personnes et des biens, mais l’ordre des pouvoirs et de leur volonté. Le distinguo est ambigu.
«La police fait sa guerre. On la couvre. Alexandre Benalla faisait la guerre. Il avait, près de la police, toute sa place.»
Il est suffisamment, dans les cortèges d’opposants, d’enragés qui veulent casser du flic, et le cassent parfois, pour que la police fasse corps avec le pouvoir en le confondant avec l’État et s’autorise, face aux ennemis, plus qu’un simple souci d’ordre. La police, parfois, en banlieue, dans un cortège, dans une manifestation, fait aussi cette guerre qui nous prend tous. Elle n’en est pas heureuse. Quelle est son alternative? Elle est envoyée faire cette guerre que veulent chacun leur tour les Raffarin, Villepin, Fillon, Sarkozy, Valls ou Macron, qui veulent que passent les réformes et que l’ennemi soit défait, au prix parfois d’un écologiste qui reste sur le carreau, quand des gendarmes défendent à la grenade un barrage d’irrigation du Tarn. La police fait sa guerre. On la couvre. Alexandre Benalla faisait la guerre. Il avait, près de la police, toute sa place.
En 2016, alors que les socialistes de messieurs Hollande, Valls et Cazeneuve et alors Macron gouvernaient, une «loi Travail» destinée à faciliter l’emploi au détriment de protections désuettes provoqua mécontements et manifestations, à Rennes notamment, et des débordements. Le 28 avril 2016, un étudiant de 20 ans perdait un œil d’un tir de LBD policier, «le petit frère du flashball». Deux jours plus tard, le préfet d’Ille-et-Vilaine et de Bretagne couvrait sa police, victime «d'individus masqués, cagoulés, armés de barres de fer et munis de projectiles divers».
Des destins qui disent la politique
Ce Préfet s’appelait Patrick Strzoda. Il fut, par les gauchistes, surnommé «Monsieur Flashball». Il devint ensuite, bien vite, directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur socialiste Bernard Cazeneuve, puis du Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve, puis, superbe continuité, directeur de cabinet du président macronien Emmanuel Macron. En mai 2018, deux ans tout juste après avoir couvert la police qui éborgnait un étudiant rennais, Patrick Strzoda ne dénonçait pas au procureur de la République Alexandre Benalla, employé de l’Élysée cogneur de manifestants place de la Contrescarpe. Il est, ainsi, des destins qui disent la politique. Strzoda, ayant averti le président Macron, priva le garde du corps emporté de deux semaines de salaire, puis paria sur l’oubli. On sait la suite. Nous la vivons.
Dans le bruit des révélations et du scandale d’État, nous trouvons alors une logique. Strzoda fut socialiste, sa longue vie durant. Benalla fut socialiste, sa jeune vie débutant. Gabriel Attal, qui goute peu les grévistes, socialiste aussi, sa vie brillante commençant. Emmanuel Macron aussi, quoi qu’il en dise, fut de cette histoire, ainsi que Muriel Pénicaud qui licencie un postier, émargeant jadis au progressisme quand Danone, sa maison-mère, était un modèle social. Les voilà donc, tous en chacun, cogneurs de mots, cogneurs de geste, cogneurs de démagogie, cogneurs directement ou par procuration ou par évitement, cogneurs de réfractaires et de contestataires, et le fait qu’ils cognent, tous et chacun, ne dit pas que leur cause est mauvaise.
Peut-être la gauche maintenue n’est-elle qu’une erreur persistante, et les casseurs la vérité de la contestation, les gens de SUD et autres gréviculteurs les fossoyeurs de la poste ou des trains? Peut-être le social-libéralisme est-il notre seule espérance, et peut-être faut-il alors, brutalement, disperser les anciennes révoltes?
Mais alors, Alexandre Benalla, que son nom, son teint oriental et ses fréquentations feront aussi –n’en doutez pas, cela commence– la cible des fascistes et l’objet d’autres polémiques, peut-être Alexandre Benalla à qui tout fut permis, croyait-il, n’est que le brave soldat sacrifié par force, le meilleur des macroniens, le seul authentique, impétueux, exagéré, filmé, piégé, victime de sa foi et de l’arrogance des choisis? Et qu’en pense-t-il, Emmanuel Macron, qui sait le romantisme des soldats égarés, qu’en pense-t-il, lui que cet homme suivait sur les pentes neigeuses et au vélo au Touquet, qu’en pense-t-il, quand les juges et le bruit se saisissent d'Alexandre Benalla qui était à lui, comme Rochefort était au Cardinal et d'Artagnan était au roi?