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Boues rouges à Gardanne : le tribunal met la pression sur l’usine polluante

écologie

Lien publiée le 21 juillet 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://reporterre.net/Boues-rouges-a-Gardanne-le-tribunal-met-la-pression-sur-l-usine-polluante

Boues rouges à Gardanne : le tribunal met la pression sur l'usine polluante

Vendredi 20 juillet, le tribunal administratif de Marseille a imposé une nouvelle enquête publique sur l’ensemble des rejets polluants de l’usine Alteo de Gardanne, et n’autorise plus les rejets en Méditerranée que pour deux ans. Les requérants se félicitent d’une « victoire d’étape » tout en étant « sur leur garde ». Retour sur un an de procédure judiciaire, sur la reprise de la pollution à terre et l’absence d’action de Nicolas Hulot.

Marseille (Bouches-du-Rhône), correspondance.

C’est une décision importante qu’a rendu vendredi 20 juillet le tribunal administratif (TA) de Marseille sur le dossier des boues rouges d’Alteo à Gardanne (Bouches-du-Rhône). Ou plutôt six décisions, tant le nombre de requérants et les recours étaient nombreux : treize particuliers et quinze associations. Par celles-ci, le TA réforme l’autorisation donnée à Alteo, exploitant de l’usine d’alumine de Gardanne, de déroger aux valeurs limites d’émission concernant six polluants (arsenic, aluminium, fer, pH, DBO5 et DCO). Les rejets en mer étaient autorisés jusqu’au 31 décembre 2021 ; le TA demande à ce que ce délai soit ramené à 2019. En outre, il impose qu’une nouvelle étude d’impact soit ouverte, prenant en compte l’ensemble des sites d’Alteo à terre et en mer. Il oblige que celle-ci soit suivi d’une consultation publique. Le tout sous un délai de six mois.

Même s’ils se disent satisfaits, les opposants, qui demandaient en particulier l’annulation de l’arrêté préfectoral du 28 décembre 2015 concernant les rejets en mer, regrettent que la justice n’ait pas accédé à leur demande de faire stopper les rejets en mer. Pour Olivier Dubuquoy de l’association ZEA, « c’est une victoire d’étape ». Me Mathieu Victoria, avocats des associations FNE, Surfrider Foundation, LPO, Sea Shepherd et Union Calanques Littoral « préfère voir le verre à moitié plein. On progresse. L’étau se resserre autour d’Alteo et de l’État ». Tous se disent attentifs aux suites données par l’administration et l’industriel. A savoir si l’étude d’impact sera suffisamment pertinente. « Nous sommes sur nos gardes et nous invitons tous nos sympathisants à participer à la consultation. Mais une étude d’impact suffisante n’est pas faisable efficacement dans les six mois », dit Sarah Hatimi de Surfrider. Par voie de communiqué, Alteo a fait savoir qu’il pourrait étudier la possibilité d’engager un appel.

La décision publiée vendredi 20 juillet fait suite à l’audience qui s’est tenue le 14 juin dernier. Signe de l’intérêt sans précédent de la juridiction sur le sujet, « c’est la plus longue audience au TA que j’ai connu depuis que j’ai prêté serment », dit Me Mathieu Victoria, avocat des associations FNE, Surfrider Foundation et Sea Shepherd.

La colline de Mange-Garri, lieu de stockage des boues rouges remis en service depuis 2007.

Le jugement est un épisode d’un dossier à scandale au long cours. Pour traiter la bauxite, l’usine de Gardanne utilise le procédé Bayer depuis la fin du XIX° siècle L’alumine est extraite grâce à un mélange d’eau et de soude. Les volumes traités se comptent en centaines de milliers de tonnes annuels et les résidus de bauxite, les fameuses boues rouges, doivent être évacués. Ils sont pleins de soude, d’arsenic et de métaux lourds. Jusqu’aux années 1960, ils prenaient la direction des vallons de Mange-Garri, sur la commune de Bouc-Bel-Air, à quelques encablures de l’usine.

Les capacités de mise en décharge à terre n’étant pas infinies, à partir de 1966, Péchiney, l’exploitant de l’époque, a obtenu une autorisation de rejeter ses effluents en mer pour trente ans. Au moins 30 millions de tonnes ont ainsi été déversées au large de Cassis, par une conduite de 50 kilomètres de l’usine à la mer. Depuis 2016, la partie solide des effluents n’y est plus autorisée. Alors le stockage de Mange-Garri a repris du service, impactant un voisinage qui s’est urbanisé.

Côté mer, la pollution continue

Bénéficiaire d’une dérogation pour la mer jusqu’en 2021, Alteo serait sur la voie d’atteindre les réglementaire dès 2019. Mais la pollution ne disparaît pas pour autant. Par le jeu des courants, les boues se sont disséminées « sur une zone de 2.400 km² entre Martigues et Toulon. Les boues rouges ne restent pas à 320 mètres de fond et au delà comme l’avaient assurés les ingénieurs de Péchiney », s’emporte Gérard Carrodano, opposant historique et patron de la prud’homie de pêche de La Ciotat. Le 5 mai 2016, il a accompagné une équipe de Thalassa, l’émission sur la mer de France 3. En faisant descendre un robot plongeur pour filmer et faire des prélèvements, ils constataient dès 120 mètres de fond une sorte de « semoule », plus précisément « une floculence inquiétante qui est le résultat de la réaction chimiques des rejets liquides avec l’eau de mer », raconte-t-il.

Gérard Carrodano, pécheur opposant aux rejets de boues rouges.

Le 8 avril 2018, un fort vent d’est faisait s’envoler beaucoup de poussières depuis Mange-Garri. En conséquence, Richard Maillé, le maire (LR) de Bouc-Bel-Air déposait plainte pour pollution. Puis, le 3 mai, le préfet, constatant que le dispositif censé empêcher l’envol en cas de fort vent « n’était pas mis en œuvre », prenait un arrêté à l’encontre d’Alteo.

Le 28 juin, Richard Maillé a convoqué une réunion publique, à laquelle Reporterre à assisté. Les services de l’État ont présenté leur action. Le représentant de Santé publique France a dit que deux études étaient engagées, l’une de « mortalité, pour rendre l’objectivité éventuelle de surmortalité » et l’autre de « contexte et attentes locales, pour analyser les inquiétudes et interrogations des différents acteurs ». Les résultats sont attendus au premier trimestre 2019.

Nuage de poussière à Bouc Bel Air le 8 avril 2018.

Avant de s’exprimer, Jean-Claude Monet de l’association Bouc-Bel-Air Environnement a tenu à faire observer « quelques secondes de silence en mémoire d’Abdellatif Khaldi, premier lanceur d’alerte », dont les obsèques avaient eu lieu trois jours plus tôt. M. Khaldi a été atteint par un rare cancer du cœur et d’un cancer du poumon. Selon lui, les poussières de bauxaline en étaient la cause. Aucune étude ne permet de le démontrer mais d’autres cancers dans le voisinage interrogent. Dans son exposé, Jean-Claude Monet rappelle que le nuage rouge du 8 avril s’est produit « 21 mois après l’arrêté du 21 juin 2016 » qui donne des obligations qu’Alteo n’a pas respectées.

Hulot embourbé dans les boues rouges

En leur temps, Delphine Batho et Ségolène Royal, alors ministres de l’Écologie avaient farouchement tenté de mettre fin aux pollutions de l’usine d’alumine de Gardanne. Nicolas Hulot, ministre depuis le 17 mai 2017, n’a rien tenté sur ce dossier. Alors même qu’en 2012, il avait posé sa signature au bas d’un appel à « l’arrêt immédiat » des rejets en mer. Interpellé sur le dossier en marge d’une visite à Marseille le 18 mai 2018, il a déclaré que « la situation n’est pas satisfaisante » (https://www.20minutes.fr/societe/2273931-20180518-boues-rouges-situation-satisfaisante-selon-nicolas-hulot). Mais Olivier Dubuquoy, lanceur d’alerte de l’association ZEA (http://www.zea.earth/) qui est en lien fréquent avec la garde rapprochée du ministre, s’impatiente. « Hulot va être contraint de se positionner (https://reporterre.net/Les-boues-rouges-de-Gardanne-confrontent-Nicolas-Hulot-a-ses-engagements-passes). Le reste du gouvernement l’incite à se ranger du côté de l’industriel et a faire appel du jugement », tient-il de ses contacts. Sollicité, le ministère n’a pas donné suite aux demandes de précision de Reporterre.

Olivier Dubuquoy de l’association ZEA, lors d’une manifestation à Mange-Garri en décembre 2017.

Le jugement du tribunal administratif de Marseille devrait entraîner une redistribution des cartes. Mais les rejets polluants s’arrêteront-ils enfin, au plus tard en mer fin 2019 et à terre fin 2021 ? Les opposants sont bien décidés à maintenir la pression. Fin avril, des riverains de Mange-Garri, Gérard Carrodano et ZEA ont porté plainte contre X pour « mise en danger de la vie d’autrui, par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité ». Et le 29 septembre, à la Seyne-sur-Mer (Var), ZEA organisera un grand concert de « colère rouge ».


EN 2015, MACRON PESAIT POUR QUE LES REJETS EN MER RESTENT AUTORISÉS

Autorisés en 1966, prolongés en 1996, les rejets en mer auraient dû s’arrêter au 31 décembre 2015. Mais lors d’une réunion interministérielle le 3 novembre 2015, le premier ministre Manuel Valls a tranché, contre l’avis de Ségolène Royal, pour une « dérogation pour certains seuils de rejets liquides autorisés ». En clair, Alteo ne devait rejeter en mer que la partie liquide de ses effluents, les solides pouvant être entreposés à l’air libre à Mange-Garri, à raison de 350.000 tonnes par an.

Après de longs mois de bataille juridique, l’association ZEA a obtenu de la justice administrative, que le compte rendu complet de la réunion interministérielle lui soit communiqué. Dans cet écrit, que Reporterre a consulté, on apprend qu’Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie avait fortement pesé sur la décision de Manuel Valls. Ségolène Royal « a fait valoir son avis très négatif sur la demande de la société Alteo de poursuivre des rejets d’effluents industriels toxiques en mer  ». Mais « le ministre de l’économie [...] a fait valoir un avis opposé, la demande d’autorisation concernant un procédé nouveau dont l’empreinte environnementale est nettement améliorée ». C’est précisément cet arbitrage qui est à l’origine de l’arrêté préfectoral du 28 décembre 2015.