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    Jeune AFAB recherche un AMAB mortel

    Lien publiée le 22 juillet 2018

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.radicalisees-sur-internet.fr/2018/07/21/amab-afab/

    Parmi les termes en vogue dans les cercles féministes et trans, que ce soit sur internet ou dans la vraie vie, on peut trouver ces deux mots ci : AMAB et AFAB. Respectivement, Assigned Male At Birth (Assigné Garçon A la Naissance) et Assigned Female At Birth (Assignée Fille A la Naissance).

    Le plus souvent, ces termes servent à énoncer des généralités tout en incluant les transsexuel·le·s. Ainsi, on ne parlera plus d'hommes et de femmes, mais d'AMAB et d'AFAB pour désigner des catégories plus générales. Par exemple, on ne demandera plus aux femmes comment celles-ci pratiquent la contraception, on préfèrera poser la question aux AFAB. Comme on aime beaucoup à le rappeler, tous les hommes n'ont pas de pénis (sous-entendu : il existe des hommes trans), il est alors nécessaire de trouver un moyen de parler des personnes ayant un vagin tout en étant le plus inclusif possible, c'est à dire en n'oubliant pas de bien rappeler qu'il existe des hommes avec un vagin.

    Plusieurs solutions s'offrent alors à celui ou celle qui souhaite être inclusif·ve, employer des expressions comme « personne à vagin », et les termes AMAB et AFAB, qui remplacent par ailleurs les termes MTF et FTM (Male To Female et Female To Male), jugés trop psychiatrisant et peu respectueux des trans.

    A première vue ces expressions peuvent paraître logiques, s'il existe des femmes avec un pénis, alors on ne va pas demander aux femmes comment elles font pour gérer leurs règles, puisque toutes les femmes ne peuvent pas avoir de règles. Il vaut alors mieux demander aux AFAB, ces personnes qui, qu'elles soient homme ou femme, cis ou trans, ont toutes un vagin et doivent donc avoir un parcours de vie similaire.

    Et pourtant, ces termes qui se veulent inclusifs, sympathiques et bienveillants sont profondément transphobes, antiféministes et conduisent à produire des discours nuisibles à toutes les femmes en effaçant toutes les catégories de pouvoir.

    Le genre et le sexe

    Les divers travaux de vulgarisation scientifique et féministe ont à peu près réussi à faire accepter l'idée, dans la majorité des cercles LGBT et féministes, que « on ne nait pas femme, on le devient ». Les hommes et les femmes sont désormais compris comme des constructions sociales, indépendantes des organes génitaux. Si un enfant a un pénis, alors le médecin présent lors de l'accouchement dira que c'est un petit garçon, mais ça ne veut pas dire qu'il devra forcément devenir un homme, il peut finalement choisir d'être une femme. Beaucoup de ces travaux de vulgarisation, journaux, etc., ont cependant échoué à présenter le genre comme autre chose que « le sexe social », créant ainsi un contraste fondamental entre le sexe (qui est vu comme l'organe biologique et objectif) et le genre (ce qui est dans la tête). Selon cette logique, le sexe c'est biologique, c'est la nature, on peut être de genre femme avec un sexe masculin.

    Cette distinction entre sexe et genre est fausse, car le sexe est en lui-même une catégorie sociale et ne représente en aucun cas une observation neutre de la nature. Le sexe est une catégorie produite par et dans un rapport de domination (voir la section genre de RSI, ainsi que cet article de Questions Trans-Féministes).

    Je fais cette parenthèse pour amener ma première critique des termes AMAB et AFAB, qui supposent l'existence d'une identité commune aux individus des classes AMAB et AFAB. L'identité commune des AMAB est d'avoir un pénis, celle des AFAB d'avoir un vagin. Les AFAB subissent le sexisme depuis qu'elles sont petites, les AMAB dominent, même s'il existe quelques AMAB qui ont décidé de devenir des femmes, et des AFAB qui ont décidé de devenir des hommes.

    En voulant éviter la transphobie et réfléchir de manière inclusive, ces termes deviennent en fin de compte transphobes car ils re-naturalisent les catégories homme et femme. On ne désigne plus les gens par ce qu'ils sont, des hommes et des femmes (càd leur position dans le patriarcat), mais par comment ils et elles ont été assigné·e·s à la naissance. Or, cette assignation à la naissance se fait simplement en regardant l'appareil reproducteur externe des enfants. On agit donc comme si les individus constituant ces groupes (AFAB et AMAB) partageaient des caractéristiques communes en fonction de leur assignation de naissance et de leurs organes. Le groupe AFAB devient un groupe uniforme subissant le sexisme, parce que vues comme des filles à la naissance. Pourtant, les hommes trans sont des hommes, et les hommes ne subissent pas le sexisme. Ainsi, en parlant d'AFAB on perpétue l'idée que c'est l'assignation à la naissance (donc sur la base des organes) qui compte et que celle-ci est pertinente quel que soit le contexte. 
    On ne se demande plus non plus pourquoi il y a partition entre les hommes et les femmes, pourquoi ces catégories mêmes existent, on se contente de regretter que cette assignation ne fonctionne pas de façon parfaitement effective sur une base identitaire. Choisir cette catégorisation AMAB / AFAB c'est déplorer que l'on assigne un genre à des individus, mais c'est aussi paradoxalement considérer que cette assignation et cette division de l'humanité possède une pertinence en dehors de tout contexte social.

    Est-il bienvenu de placer les femmes trans et les hommes cis dans le même groupe (les AMAB) sous prétexte qu'ils et elles auraient tous et toutes un pénis (ou en auraient eu un) ? Non, pourtant c'est que ces termes font. Lorsque quelqu'un utilise les termes AFAB et AMAB, il part en réalité du principe que l'assignation à un genre ne se fait qu'une fois, à la naissance, et que celle-ci est immuable. Une femme trans restera toujours un AMAB, et sera donc toujours renvoyée à sa soi-disant sociabilisation primaire (sur laquelle nous reviendrons plus tard) et à ses organes génitaux qu'elle est censée partager avec les hommes cis (ignorant ainsi, par simple maladresse ou transphobie non assumée, que oui, les trans peuvent choisir de faire des opérations et suivre des traitements hormonaux).

    Quel est donc dans ce cadre l'intérêt des termes AFAB et AMAB ? Les organes génitaux et corps des trans n'ont bien souvent pas grand chose à voir avec leurs organes de naissance, pourquoi donc les y renvoyer ?

    AFAB, AMAB : et le pouvoir ?

    Ces termes effacent également les rapports de pouvoir entre les classes, faisant comme si la « classe des AFAB » était uniformément dominée, et la « classe des AMAB » (si tant est que de telles classes existent et aient un intérêt) dominante-mais-pas-trop-quand-même-si-on-prend-en-compte-les-femmes-trans-encore-que-peut-être-vu-qu'elles-ont-été-des-hommes.

    Si l'on prend une définition simple de ce qu'est un homme (la catégorie dominante du patriarcat) et une femme (la catégorie dominée du patriarcat), on se rend vite compte des conséquences néfastes de ces termes.

    Prenons en exemple cette phrase, tirée d'un cas réel :

    « 3 ans que je suis TDS1, et je n'ai JAMAIS eu de clientes AFAB. C'est très parlant. D'un point de vu économique, déjà, puis culturel. Déjà, on éduque pas les AFAB à baiser, mais à se faire baiser. Donc a être consommées, plutôt que de consommer. »

    L'auteur part d'un constat simple : il n'a jamais de clientes. Pourquoi ? Parce que la place des femmes n'est pas de baiser mais de se faire baiser, càd parce que ce sont les hommes qui disposent du pouvoir sexuel et les femmes qui doivent négocier selon leurs termes. 
    Or, l'auteur en question choisit d'utiliser le terme AFAB. On souligne aussi l'importance d'avoir accordé « clientes AFAB » au féminin. En utilisant ce terme, l'auteur explique qu'il n'a jamais eu de clientes, càd de vraies femmes, car aucune de ses clientes n'était AFAB, càd aucune de ses clientes n'était une femme cis. En revanche, préciser AFAB implique qu'il a pu avoir des clientes, des femmes, mais des femmes AMAB, femmes AMAB qui sont visiblement différentes des femmes AFAB, les vraies femmes.

    Les femmes trans, puisque c'est d'elles dont il s'agit, sont finalement ramenées dans la même catégorie que les hommes, et ont supposément le même comportement qu'eux parce qu'éduquées comme eux. 
    Utiliser le terme AFAB est violent de transmisogynie puisqu'il suppose qu'au fond les femmes trans sont un peu des hommes, vu qu'éduquées comme des hommes pendant la « sociabilisation primaire » (pendant l'enfance). Ce terme masque en fin de compte précisément ce qui marque les relations entre hommes et femmes : une dynamique de pouvoir.

    Au lieu de dresser un constat sur qui baise et qui ne baise pas, l'auteur implique que les femmes ne couchent pas parce qu'elles ont été éduquées pendant l'enfance à ne pas coucher. Ce faisant, il oublie totalement que les comportements des individus sont déterminés par leur place dans la société et le pouvoir que celle-ci leur confère. Les hommes ne sont pas violents parce qu'on leur apprend à être violents, mais parce qu'ils ont matériellement et juridiquement la possibilité d'être violents, agressifs, meurtriers, etc. Les hommes sont violents parce que tout le leur permet, les lois, la position inférieure des femmes qui ne sont même pas vraiment des êtres humains, les stratégies de protection collectives qui font qu'un homme ne sera pas abandonné par ses collègues, qu'un homme peut coucher à tout va sans jamais risquer de voir sa carrière compromise par la diffusion de photos intimes, etc.

    Non, les hommes ne couchent pas parce qu'on leur apprend à coucher. Les hommes couchent parce que le sexe est un rapport de pouvoir entre les hommes et les femmes (et dont le travail du sexe est une forme explicite car ouvertement centrée sur un échange économique), et quand un homme couche, il exerce directement son pouvoir et sa violence sur une femme. Ce sont les hommes qui ont le pouvoir, et ils l'exercent parce qu'ils peuvent se permettre de l'exercer.

    En parlant d'AFAB et d'AMAB, au lieu de dresser ce constat, on ne fait que renvoyer à l'enfance, comme si tout le patriarcat se jouait entre 0 et 6 ans. Comme s'il était pertinent de comparer un homme cis et une femme trans (et inversement).

    Si vous n'êtes pas convaincu·e·s, prenons un deuxième exemple, lui aussi tiré d'un cas réel :

    « Mais la sexualité des AFAB est contrôlée et on n'embête pas les AMAB parce qu'ils couchent trop, alors que les AFAB on va les traiter de salopes si elles ont plus de deux mecs. »

    Cet exemple pose le même problème, qui est directement induit par le fait d'employer les termes AFAB et AMAB « pour être inclusif » au lieu de parler d'hommes et de femmes. Les femmes trans, qui sont des femmes, se font tout autant reprendre sur leur sexualité que les femmes cis. Supposer que l'on ne reprend que les AFAB, c'est supposer que le patriarcat agit en fonction des organes relevés à la naissance, et que l'assignation à la naissance prévaut sur tout le reste. En réalité le genre est une assignation permanente. Le système de genre classe les individus dans deux cases hiérarchisées et hermétiques, les hommes et les femmes. Une femme trans se fera tout autant insulter pour sa sexualité qu'une femme cis, puisque précisément : elle est une femme, et ce sont les femmes dont la sexualité est contrôlée. Peu importe que ce soit une femme « AMAB ou AFAB ». Ces termes sont dangereux de transmisogynie puisqu'ils effacent l'existence des femmes trans et les ramènent sans cesse à leur assignation à la naissance, les rendant responsables et complices d'un système dont elles sont les victimes au même titre que toutes les femmes.

    Personnes à vagins, personnes à pénis, AMAB, AFAB et l'inclusivité ?

    Comme j'ai tenté de le montrer, sous leurs aspects inclusifs et bienveillants, ces termes sont en réalité des pièges et d'énormes occasions de faire du sexisme et/ou de la transphobie de manière involontaire. 
    Prenons le cas de cette phrase :

    « Personnes à vagins, quelles protections utilisez vous pour vos règles ? »

    On évite ici de dire « femme », qui donnerait l'impression que seules les femmes peuvent avoir leurs règles, et qu'avoir des organes génitaux permettant de porter des enfants est pertinent pour marquer ce qu'est en être une ou non. Cela permet ainsi de prendre en compte les hommes et les femmes trans n'ayant pas encore été opéré.e.s ou ne souhaitant pas l'être.. Pourtant, ce terme ne fait que déplacer le problème à un autre niveau, par exemple que faire des femmes trans opérées qui ont un vagin mais pas leurs règles ? 
    Un autre écueil de ce terme est qu'il recentre complètement l'identité des personnes concernées sur l'organe génital qu'elles ont. Comme on l'a vu, ce terme de « personne à vagin » ne prend en réalité pas du tout compte les réalités et la diversité des expériences des personnes trans, qu'elles soient opérées ou non. Cette non prise en compte doit nous faire analyser ces expressions pour ce qu'elles sont: une manière pudique et détournée de dire « femmes ». Ironiquement, un terme supposément inclusif se trouve en fait être une formulation maladroite pour remplacer un mot déjà existant (femme), formulation qui réduit ainsi tant les femmes cis que les hommes trans aux organes génitaux avec lesquels iels sont né·e·s. Paradoxalement, on ré-essentialise les causes de l'oppression, et ce alors que la naturalisation des faits sociaux est une des clefs de voute du patriarcat: c'est le fait de posséder tel type d'organes génitaux qui est responsable de l'oppression, et non l'oppression qui est justifiée à posteriori par la possession de tels organes génitaux. Ainsi, on déplace l'appropriation du travail domestique et reproductif d'une classe de sexe par une autre comme nœud des rapports de genre à une simple histoire d'organes dont on ne pourrait pas disposer à sa convenance.

    Prenons également le cas où ces termes seraient utilisés dans le cadre des luttes pour le droit à l'IVG. Imaginons une personne qui commenterait un fait d'actualité de la manière suivante (exemples réels à chaque fois) :

    « Les personnes à utérus ont le droit à l'IVG, peu importe si ça vous plait ou non messieurs les cathos » ou « On veut l'IVG pour tou·te·s les AFAB »

    On peut de nouveau s'interroger sur la pertinence de tels propos. Tout d'abord, d'un point de vue purement trans, nous ne sommes pas sans ignorer que réduire une problématique féministe (l'IVG) à une histoire d'organes (l'utérus) est la spécialité d'une partie des féministes transphobes. Pour ces féministes transphobes, l'essence d'une femme se définit par la possession d'un utérus, à la capacité à avoir ses règles et à pouvoir enfanter. Utiliser l'expression « personne à utérus » et la relier à une problématique féministe revient ainsi à adopter une rhétorique où le féminisme et la féminité seraient intrinsèquement lié.e.s à la possession ou non d'un utérus.

    Dans un second temps, il est également possible de regarder ces termes comme des classes. Les femmes représentent une classe sociale. Le sexisme est quant à lui l'oppression de la classe dominante, les hommes, sur la classe dominée, les femmes. Le droit à l'IVG est une problématique féministe majeure puisqu'il représente un contrôle direct des hommes sur le corps des femmes. Les groupes anti-IVG dits « pro-vie » ne s'intéressent pas à la vie (puisqu'ils se moquent des répercussions sur les personnes n'ayant pas pu avorter, ainsi que des dangers des avortements clandestins qu'ils créent pourtant en s'opposant au droit à l'IVG). Lorsque Tugdual Derville de La Manif Pour Tous descend dans la rue pour protester contre l'IVG, il exprime frontalement la domination masculine, ce qui l'intéresse c'est de contrôler le corps des femmes, de toutes les femmes, de la classe femme dans son ensemble. Derville ne s'intéresse pas au cas des hommes trans, ce qu'il veut c'est empêcher les femmes de bénéficier d'un droit, il veut les contrôler en tant que classe dont il pourra par la suite extorquer plus facilement du travail gratuit, pas en raison du fait qu'elles possèdent un utérus. Il veut qu'aucune femme n'ait ce droit, et ce y compris les femmes ne pouvant enfanter, celles n'ayant pas d'utérus fonctionnel, qu'elles soient trans ou non (ex : les femmes ménopausées, stériles, sous traitements médicamenteux lourds, etc.).

    Utiliser la périphrase « personne à utérus » ou AFAB dans ce contexte exclut donc de fait les femmes trans (ne possédant pas d'utérus) d'une lutte qui est tout autant la leur que celle des femmes cis. Il s'agit de lutter pour leur corps et pour les droits de toutes les femmes, parce que ça les concerne en tant que femmes. Peu importe qu'elles ne puissent pas enfanter, l'important est que le militant de LMPT veut leur enlever un droit, même hypothétique, de la même manière qu'il veut enlever des droits aux femmes cis, qu'elles soient fertiles, stériles, ménopausées, etc.

    La domination AMABienne et la transmisogynie

    Le patriarcat est la domination d'une classe sur l'autre. Cette classe correspond à la classe des hommes. Employer les termes AMAB et AFAB revient à effacer ces classes et à en faire oublier que ce ne sont pas « les AMAB » (incluant donc les femmes trans) qui dominent. 
    Cette utilisation systématique de ces termes reflète un phénomène global de transmisogynie banalisée et d'antiféminisme y compris dans les discours se voulant « déconstruits ». La prévalence du terme AMAB montre à quel point il est devenu banal de considérer les femmes trans « un peu comme des hommes » (mais pas trop, parce que sinon ça serait transphobe). On voit ainsi l'émergence d'un double discours constitué de pirouettes rhétoriques visant à faire accepter un postulat de base qui va à contre-courant du féminisme. 
    Ce postulat, que j'ai déjà évoqué, est le fait que c'est la sociabilisation primaire qui détermine les individus, leur genre assigné à la naissance. En partant de ce postulat, pour faire tomber le patriarcat il suffirait individuellement de s'éduquer et d'éduquer les autres afin de petit à petit faire reculer la misogynie. Ce n'est pas le cas. 
    Ce double discours crée donc une situation paradoxale : comment considérer les femmes et les hommes trans ? 
    Une femme trans est une femme, et de ce fait elle subit le sexisme. Elle est donc totalement concernée par le féminisme. 
    Un homme trans est un homme, et représente donc la catégorie dominante. Pourtant, ce postulat est remis en question puisque l'on parle d'AFAB et d'AMAB. Les hommes trans ayant été des femmes, ayant vécu la misogynie, ils sont tout à fait à même de s'exprimer sur cette dernière. 
    Par cette pirouette, on en vient à affirmer que les hommes trans, et les femmes cis ou trans, sont dans la même situation et se concertent pour faire front commun face à la catégorie sociale la plus oppressive, l'homme cis. 
    Outre le fait que construire l'homme cis comme le seul oppresseur et le seul profiteur du patriarcat est faux et contre-productif, on peut s'interroger sur les conséquences de cette position. Si l'on raisonne en termes d'AFAB et d'AMAB, si l'on considère que la sociabilisation primaire est importante, alors on assimile (volontairement ou non) les femmes trans aux hommes cis, et on les exclut de fait des sujets qui les concernent tout aussi directement que le reste des femmes (cf IVG qui serait un sujet propre aux AFAB et non une question de droits des femmes). 
    Cela donne lieu à l'émergence de discours transmisogynes, fortement partagés et approuvés. Les femmes trans deviennent exclues de leurs luttes, sont assimilées aux hommes, renvoyées sans cesse à leurs organes génitaux et à leur assignation de naissance : il existerait un privilège AMAB dont elles bénéficieraient ou auraient bénéficié par le passé, et auraient donc des comptes à rendre vis à vis de celui ci.

    Inclusivité cheap

    Comme j'essayais de le montrer avec les exemples plus haut, la recherche de l'inclusivité à tout prix conduit parfois à des comportements antiféministes (réessentialiser le sexe) et transphobes (considérer qu'il existe une catégorie regroupant les femmes trans et les hommes cis, ou que les hommes trans ne sont pas vraiment des hommes), voire les deux (rappeler à tout prix qu'il existe des « personnes à vagin » et des « personnes à utérus » quand tout le monde se porterait bien mieux en arrêtant de se désigner par ses organes génitaux).

    Cette focalisation sur les trans et cette volonté de la part de certains groupes de les ramener au centre du féminisme en toutes circonstances me semble contreproductives. Cela amène toujours inévitablement à des comportements brimant les femmes, cis ou trans. Ainsi, il arrive de lire qu'il est transphobe de dessiner des clitoris et des vulves dans les espaces féministes puisque cela exclurait de fait les femmes trans. Au nom d'une inclusivité cheap on finit par interdire aux femmes de parler de leur corps, tout comme à force de vouloir dégenrer absolument tout, on finit par lire qu'il est transphobe d'expliquer que l'endométriose est une maladie féminine2.

    Décrire la réalité comme elle l'est, parler d'hommes et de femmes, ce n'est pas transphobe, ce n'est pas misogyne et ça n'est certainement pas « souscrire au patriarcat » (exemple réel). Vouloir à tout prix policer son langage et inclure le plus possible conduit de fait à exclure certaines catégories et à saboter ses propres actions.

    En écrivant ces lignes j'ai bien conscience que la plupart des gens qui les liront ne pensent certainement pas à mal en employant ces termes et se contentent probablement de répéter ce qui leur aura été dit par « les concerné·e·s » en utilisant les mots qui leur semblent les moins risqués possible. Je souhaite simplement qu'en lisant ce texte, certain·e·s prennent conscience du fait qu'une inclusivité mal pensée, rabachée et répétée sans recul critique est en fait bien plus nuisible, transphobe et misogyne que ne rien faire.

    Pour aller plus loin :

    •  Nicole-Claude Mathieu (1991), L'anatomie politique: catégorisations et idéologies du sexe .
    •  Priscille Touraille, Juliette Rennes (2016), Encyclopédie critique du genre. Chapitre Mâle / Femelle .
    •  Elsa Dorlin (2008), Sexe, genre et sexualités. Partie le sexe (M/F): un obstacle épistémologique et le genre précède le sexe .