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L’affaire Benalla racontée par Karl Marx

Benalla Marx

Lien publiée le 24 juillet 2018

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https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/220718/laffaire-benalla-racontee-par-karl-marx

Karl Marx décrivait déjà le même phénomène de milice privée à propos de la "Société du Dix Décembre" de NAPOLÉON III. En "Bonaparte" au dessus des partis, mais sans appui dans les partis et l'appareil d'Etat, Napoléon III arrivé au pouvoir commença par se créer sa propre milice, la "Société du Dix Décembre".

22 Juillet 2018 - Luttes Invisibles

Aucun texte alternatif disponible.

Extrait du texte de Karl Marx in, "Le 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte" (1852).


"Bonaparte était donc en droit de faire, de son côté, des tournées dans les départements français et, suivant l'état d'esprit de la population de la ville qu'il honorait de sa présence, de faire connaître, de façon plus ou moins dissimulée ou ouverte, ses propres projets de restauration, et de recruter des partisans. Dans ces voyages, que le grand Moniteur officiel et les petits Moniteurs privés de Bonaparte ne pouvaient moins faire que de célébrer comme des tournées triomphales, il était constamment accompagné d'affiliés de la société du Dix-Décembre .

Cette société avait été fondée en 1849. Sous le prétexte de fonder une société de bienfaisance, on avait organisé le lumpenprolétariat parisien en sections secrètes, mis à la tête de chacune d'entre elles des agents bonapartistes, la société elle-même étant dirigée par un général bonapartiste. A côté de «roués» ruinés, aux moyens d'existence douteux et d'origine également douteuse, d'aventuriers et de déchets corrompus de la bourgeoisie, on y trouvait des vagabonds, des soldats licenciés, des forçats sortis du bagne, des galériens en rupture de ban, des filous, des charlatans, des lazzaroni [48], des pickpockets, des escamoteurs, des joueurs, des souteneurs, des tenanciers de maisons publiques, des portefaix, des écrivassiers, des joueurs d'orgue, des chiffonniers, des rémouleurs, des rétameurs, des mendiants, bref, toute cette masse confuse, décomposée, flottante, que les Français appellent la bohême. C'est avec ces éléments qui lui étaient proches que Bonaparte constitua le corps de la société du Dix-Décembre. «Société de bienfaisance», en ce sens que tous les membres, tout comme Bonaparte, sentaient le besoin de se venir en aide à eux-mêmes aux dépens de la nation laborieuse.

Ce Bonaparte, qui s'institue le chef du lumpenprolétariat , qui retrouve là seulement, sous une forme multipliée, les intérêts qu'il poursuit lui-même personnellement, qui, dans ce rebut, ce déchet, cette écume de toutes les classes de la société, reconnaît la seule classe sur laquelle il puisse s'appuyer sans réserve, c'est le vrai Bonaparte, le Bonaparte sans phrase. Vieux roué retors, il considère la vie des peuples, leur activité civique comme une comédie au sens le plus vulgaire du mot, comme une mascarade, où les grands costumes, les grands mots et les grandes poses ne servent qu'à masquer les canailleries les plus mesquines. C'est ainsi que, lors de son voyage à Strasbourg, un vautour suisse apprivoisé représente l'aigle napoléonien. Pour son entrée à Boulogne, il affuble d'uniformes français quelques laquais de Londres, chargés de représenter l'armée. Dans sa société du Dix-Décembre, il rassemble 10 000 gueux, chargés de représenter le peuple, tout comme Klaus Zettel [49] représente le lion.

A un moment où la bourgeoisie elle-même jouait la comédie la plus achevée, mais le plus sérieusement du monde, sans enfreindre aucune des exigences les plus pédantesques de l'étiquette dramatique française, alors qu'elle était elle-même à demi roulée, à demi convaincue par la solennité de ses propres actions d'Etat, c'était l'aventurier qui devait l'emporter, lui qui prenait la comédie tout simplement pour une comédie. C'est seulement quand il s'est débarrassé de son solennel adversaire, quand il prend lui-même son rôle impérial au sérieux et s'imagine, parce qu'il arbore le masque napoléonien, représenter le véritable Napoléon, qu'il devient lui-même la victime de sa propre conception du monde, le grave polichinelle qui ne prend plus l'histoire pour une comédie, mais sa propre comédie pour l'histoire.

Ce que les ateliers nationaux avaient été pour les ouvriers socialistes, ce que les gardes mobiles avaient été pour les républicains bourgeois, la société du Dix-Décembre, qui constituait son parti spécial, le fut pour Bonaparte. Dans ses voyages, les sections de cette société, massées aux stations de chemin de fer, avaient pour mission de lui improviser un public, de simuler l'enthousiasme populaire, de hurler « Vive l'empereur ! », d'insulter et de rosser les républicains, naturellement sous la protection de la police. Lors de ses retours à Paris, elles étaient chargées de former l'avant-garde, de prévenir ou de disperser les contre-manifestations. La société du Dix-Décembre lui appartenait, elle était son œuvre, sa pensée la plus propre. Ce qu'il s'approprie, c'est la force des circonstances qui le lui donne, ce qu'il fait, ce sont les circonstances qui le font pour lui, ou bien il se contente simplement de copier les actions des autres. Mais lui, parlant publiquement devant les citoyens et dans le langage officiel de l'ordre, de la religion, de la famille, de la propriété, ayant derrière lui la société secrète des Schufterle et des Spiegelberg, la société du désordre, de la prostitution et du vol, c'est Bonaparte lui-même, il est bien là auteur original, et l'histoire de la société du Dix-Décembre est bien sa propre histoire.

Il était arrivé exceptionnellement que des députés appartenant au parti de l'ordre eussent tâté des gourdins des décembriseurs. Plus encore, le commissaire de police Yon, attaché à l'Assemblée nationale et chargé de veiller à sa sécurité, communiqua à la Commission permanente, sur la déposition d'un certain Alais, qu'une section des décembriseurs avait décidé l'assassinat du général Changarnier et de Dupin, le président de l'Assemblée, et déjà désigné les individus chargés de l'exécution. On comprend la terreur de M. Dupin. Une enquête parlementaire sur la société du Dix-Décembre, ce qui eût été une profanation du monde secret bonapartiste, sembla inévitable. Immédiatement avant la réunion de l'Assemblée, Bonaparte fit dissoudre prudemment sa société, mais, bien entendu, seulement sur le papier, car dès la fin de 1851, le préfet de police Carlier, dans un mémoire détaillé, s'efforça en vain de l'amener à dissoudre réellement cette société.

La société du Dix-Décembre devait rester l'armée particulière de Bonaparte jusqu'à ce qu'il eût réussi à transformer l'armée régulière en une vaste société du Dix-Décembre. Bonaparte fit une première tentative en ce sens peu de temps après la prorogation de l'Assemblée nationale, en utilisant à cet effet l'argent qu'il venait précisément de lui arracher. En tant que fataliste, il était convaincu qu'il existe certaines puissances suprêmes auxquelles l'homme et surtout le soldat ne peuvent résister. Parmi ces puissances, il comptait en première ligne les cigares et le champagne, la volaille froide et le saucisson à l'ail. C'est pourquoi il commença par traiter les officiers et les sous-officiers, dans les salons de l'Elysée, en leur offrant de la volaille froide et du saucisson à l'ail. Le 3 octobre, il renouvela cette manoeuvre avec les troupes à la revue de Saint-Maur et, le 10 octobre, il la répéta, sur une plus grande échelle encore, à la revue de Satory. L'oncle se rappelait les campagnes d'Alexandre le Grand [50] en Asie, le neveu les expéditions de Bacchus dans le même pays. Alexandre, il est vrai, n'était qu'un demi-dieu, tandis que Bacchus [51] était un dieu et, qui plus est, le dieu tutélaire de la société du Dix-Décembre."Etc, etc.


Karl Marx . "Le dix huit Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte"