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L’impossible quête des "bots russes" de l’affaire Benalla
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Commentaire d'Aude Lancelin sur twitter : "Les @decodeurs du Monde eux-mêmes reconnaissent ce soir que l'étude sur l'influence des « bots russes » dans l’affaire Benalla est bidon. Un commentaire @DisinfoEU ? Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, avait notamment repris votre fake news"
Une étude évoquait un « gonflement » artificiel du volume d’échanges relatifs à l’affaire sur Twitter, poussant des politiques à agiter le spectre de l’influence russe. Une hypothèse à relativiser.
Ce fut un petit événement dans l’événement, et une bouffée d’oxygène bienvenue pour les partisans d’Emmanuel Macron, secoués par une rude fin de mois de juillet rythmée par l’affaire Benalla : cette dernière aurait vu son audience « gonflée », sur les réseaux sociaux et particulièrement Twitter, par des comptes émanant d’une « sphère russophile ».
L’information, reprise par de nombreux médias, émane d’une étude — partielle, dans un premier temps — d’EU Disinfo Lab, une ONG belge fondée par trois spécialistes des questions de réputation, Nicolas Vanderbiest, Alexandre Alaphilippe et Gary Machado.
Elle a été prise très au sérieux par plusieurs responsables de la majorité, à l’instar de Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, qui souhaite que « toute la transparence soit faite » sur ces messages. Le groupe Agir (centre-droit) a demandé que la commission d’enquête consacrée à l’affaire Benalla au Sénat se saisisse de « la manipulation attribuée aux comptes russophiles sur Twitter pour déstabiliser l’exécutif français ».
Derrière ces déclarations, un soupçon devenu récurrent depuis la victoire de Donald Trump, celui d’une influence poutinienne sur les réseaux sociaux français visant à déstabiliser le pays. Mais peut-on réellement parler d’un « gonflage » artificiel de l’affaire, et plus encore d’une « sphère russophile » qui aurait œuvré pour cela ?
L’étude définitive de l’ONG, publiée mercredi 8 août, se montre en réalité bien plus prudente que les reprises qui en ont été faites dans la presse. Et en se penchant sur les cas de comptes identifiés comme douteux, on relativise plus encore l’existence de ces fameux comptes automatiques.
2 600 comptes auraient produit 1,8 million de ces messages
Que montre l’étude ? Qu’une minorité de comptes Twitter a été très active sur l’affaire Benalla, générant une audience très forte autour de cette polémique. L’ONG a compté 4 millions de tweets s’y rapportant au cours des onze derniers jours, et explique que 2 600 comptes auraient produit 1,8 million de ces messages à eux seuls. D’où une proportion, schématisée, de 1 % des utilisateurs à l’origine de 47 % de l’ensemble des messages.
Ce ratio est-il exceptionnel ? Oui, estime EU Disinfo Lab. Difficile d’être catégorique cependant, faute de point de référence clair sur d’autres affaires politiques. Une loi générale des réseaux sociaux postule de manière empirique que 20 % des utilisateurs produit 80 % du contenu. On est ici dans un ratio plus déséquilibré encore, mais qui correspond à des usages très différents de Twitter. Tout utilisateur un peu régulier du réseau social aura remarqué que les personnes qui y militent pour une formation politique tendent à être plus impliquées et plus actives — spécialement en plein mois de juillet.
Rien donc de particulièrement étonnant à ce que, comme le note l’étude, des comptes pro-Mélenchon ou pro-Rassemblement national aient été immédiatement très mobilisés : opposés à la majorité d’Emmanuel Macron, ils ont été prolixes pour relayer, commenter et amplifier les révélations successives de cette affaire politique et régalienne, donc au cœur de leurs préoccupations.
EU Disinfo Lab note également que les partisans d’Emmanuel Macron ont, eux aussi, été nombreux à s’exprimer sur l’affaire Benalla, ajoutant donc au volume global des messages. L’ONG a en outre postulé, surtout dans un premier temps, que parmi les comptes les plus actifs se trouvent un certain nombre de profils gérés de façon automatique et qui feraient ainsi artificiellement gonfler les sujets de leur choix.
Robots ou militants se relayant frénétiquement
Un point méthodologique est ici à préciser : dans ce comptage, il n’est fait aucune distinction entre un tweet « nouveau », qu’une personne rédige, et un « retweet », qui consiste à partager un tweet déjà émis par un autre auprès de ses abonnés. Or, les communautés de militants politiques sont souvent très actives pour retweeter.
Peut-on imaginer que ces retweets aient été en partie le fait de comptes automatisés, appelés « bots » (diminutif de robots) dans le jargon du réseau ? C’est cette partie de l’analyse qui a le plus retenu l’attention. Elle reste pourtant à démontrer en grande part. En prenant les comptes les plus actifs cités par l’étude, on peut de fait se demander s’ils sont tenus par des humains : ils ont une activité frénétique, notamment de retweets.
Ainsi, un compte militant pour La France insoumise (LFI), et centrant son activité sur les retweets, a mentionné 653 fois le nom d’Alexandre Benalla dans ses messages ou relais de messages, en l’espace d’une semaine à peine. Mais ce compte, dont l’activité frénétique peut faire penser à celle d’un robot, semble bien tenu par un humain, une humaine en l’occurrence : contactée, l’auteure explique consacrer beaucoup de temps à son activité sur Twitter, et notamment à relayer des informations issues d’autres comptes.
Une vérification plus poussée de son activité et de ses échanges tend à confirmer qu’il s’agit bien d’une personne réelle et non d’un robot ou d’un espion russe. On obtiendra la même réponse en se penchant sur plusieurs possesseurs de compte, souvent « fiers », d’ailleurs, du rythme de leurs retweets, là encore, en général plusieurs centaines par jour.
Des comptes très militants chez les « hyperactifs »
Nous avons regardé un peu plus en détail les 120 comptes cités comme les plus actifs selon l’étude. On y note une très forte domination de l’extrême droite et des comptes militants issus de la droite Les Républicains (LR). Mais la plupart de ceux-ci n’ont pas franchement l’air de robots, même si tous font montre d’une activité impressionnante, souvent ancienne d’ailleurs, sur le réseau.
On repère en réalité dans ces 120 comptes plusieurs « familles » militantes issues de divers combats politique (la sphère « Manif pour tous », les ex-soutiens de François Fillon, la « Team Michu », nom d’une série de comptes affiliés à la droite républicaine et active sous François Hollande, par exemple), toutes rompues à l’activisme numérique. La France insoumise y est peu présente, moins d’une dizaine de comptes parmi ces 120 hyperactifs semblent y militer. EU Disinfo Lab estime cependant que dans le corpus total, les militants LFI ont été très actifs.
En vérifiant ces 120 « hyperactifs », on note qu’un grand nombre de ces profils ont des interactions personnalisées avec d’autres utilisateurs, répondent, questionnent… bref, manifestent une activité « humaine » qui rend difficile de croire qu’il s’agit là de profils entièrement informatisés. Si quelques comptes louches ou « hybrides » (tenus par des humains, mais avec des fonctions automatisées de retweet par exemple) sont pointés du doigt par EU DesinfoLab, ils représentent une faible minorité.
Nous avons cherché, par des moyens informatiques, à trouver des « canevas » commun : heures de publication, liens entre les divers comptes, etc. Rien ne nous a semblé pouvoir prouver une « collusion » entre les comptes, qui certes produisent frénétiquement des tweets, mais se suivent essentiellement entre eux et par affinités politiques. Même si on a pu voir des comptes militants de droite reprendre des tweets de militants LFI autour de l’affaire, ou l’inverse, cela restait l’exception plutôt qu’une règle.
EU Disinfo Lab pointe un réseau de comptes affiliés à La Manif pour tous, dont un compte en particulier, HdeBonneVolonté, existant depuis les débats de 2013. De fait, on le retrouve parmi les plus suivis de notre échantillon de 120 « hyperactifs ». Mais quel poids a-t-il pu jouer à lui seul ? Une autre étude, menée par Damien Liccia, analyste d’opinion, spécialisé donc lui aussi dans ces mesures, mais avec une autre méthodologie (excluant les retweets), parvient à une conclusion similaire : pour lui, si des comptes ont pu bénéficier d’une forme d’aide ou d’automatisation, ils n’étaient pas au centre de l’influence et n’ont pas joué de rôle particulier pour amplifier la polémique.
Que signifie, ici, le terme « russophiles » ?
L’autre point qui a beaucoup retenu l’attention est celui des fameux comptes « russophiles ». Quelques politiques ont voulu, dans cette affaire, mettre en avant une influence étrangère. En réalité, « l’écosystème russophile » dont parle EU Disinfo Lab n’a rien à voir avec le spectre des hackers russes, souvent agité ces derniers mois. L’ONG, qui consacre une longue partie de son étude à justifier ce point mal compris, définit cet écosystème comme un ensemble de comptes ayant par exemple tweeté sur des rumeurs ou des scandales comme les « macronleaks » ces documents piratés aux responsables de la campagne d’Emmanuel Macron, et apparus à la veille du premier tour sur Internet), ou partageant fréquemment des liens issus de sites francophones russes comme Russia Today ou Sputnik.
Mais, là encore, il y a un monde entre partager des documents qu’on imagine nocifs pour Emmanuel Macron lorsqu’on s’oppose à lui ; apprécier Russia Today par opposition aux médias français qu’on ne porte pas dans son cœur ; voire admirer Vladimir Poutine et sa « fermeté » ; et travailler pour la Russie. Il est assez fréquent à l’extrême droite de préférer Russia Today au Monde ou à Libération, et de se montrer élogieux envers Vladimir Poutine. Cela ne signifie pas pour autant qu’on œuvre activement pour une puissance étrangère.
Les deux études d’EU Disinfo Lab et de Damien Liccia concluent finalement dans le même sens : sans infirmer catégoriquement la présence de « bots », ceux-ci n’auront de toute façon joué qu’un rôle mineur dans cette polémique.
De fait, s’il est celui des journalistes, des communicants ou des politiques, Twitter n’est pas, contrairement à Facebook, un réseau de masse. S’il peut être efficace d’y utiliser des méthodes artificielles pour faire exister médiatiquement un sujet dont on craint qu’il ne le soit pas, il est moins aisé de comprendre l’intérêt de tenter d’y « gonfler » une affaire qui fait déjà l’ouverture des journaux télévisés et les couvertures des quotidiens et revues périodiques, comme ce fut le cas de l’affaire Benalla.