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1940-2018. 78 ans après l’assassinat de Trotsky

Lien publiée le 22 août 2018

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Il y a 78 ans Lev Davidovitch Bronstein, plus connu sous son pseudonyme, Trotsky, disparaissait des suites d’un attentat survenu la veille. Le coup de piolet asséné par l’agent stalinien Ramon Mercader n’a été que la « conclusion logique » d’une machine meurtrière mise en route bien avant par la bureaucratie qui s’était emparé du parti dirigeant de la Révolution de 1917 et de l'Etat dont celle-ci avait accouché. Dans L’homme qui aimait les chiens, sous la forme d’un polar passionnant l’écrivain cubain Leonardo Padura a contribué à faire (re)découvrir les principaux évènements qui ont débouché sur cet assassinat.

Mais pourquoi cet homme, déjà un sexagénaire, expulsé du Parti Communiste de l’Union Soviétique, puis condamné à l’exil, suscitait encore en 1940 autant d’acharnement de la part de la très puissante caste dirigeante en Union Soviétique ? Tout simplement parce que Trotsky incarnait, aux côtés des quelques centaines de militants avec lesquels il avait créé deux ans auparavant la IV Internationale, à la fois la force de la révolution d’octobre et la possibilité de sa régénération. Staline, quant à lui, était le despote à la tête d’une bureaucratie dont les privilèges s’appuyaient sur l’isolement et la dégénérescence de cette même révolution à travers une sorte de contre-révolution interne ou de Thermidor, pour reprendre une analogie chère à Trotsky.

Grand théoricien, le premier à anticiper la dynamique de la révolution en Russie, dirigeant de masses à la tête du Soviet de Petrograd en 1905, principal dirigeant, aux côtés de Lénine, de la révolution d’octobre 1917, chef militaire de l’armée rouge ayant battu les armées blanches alliées aux quatorze armées impérialistes lors de la guerre civile de 1919-1921, Trotsky était le prototype du révolutionnaire. Entacher l’image de ce leader extrêmement populaire n’avait pas été tâche facile pour le stalinisme. C’est tout un dispositif de calomnies et falsifications qui a été déployé pour enraciner l’idée qu’il était devenu un contre-révolutionnaire lorsqu’il a déclenché une lutte politique contre les tendances à la bureaucratisation de l’Etat issu de la révolution.

Pendant plus de quinze ans, Trotsky s’est battu, dans les conditions les plus adverses, d’abord en URSS et ensuite dans les nombreux pays où il a été exilé dans un vaste monde devenu pour lui une « planète sans visa ». Sa famille et ses proches ont payé. Son fils aîné et camarade Léon Sédov a très probablement été empoisonné par les tueurs de Staline à Paris, en 1938, de même que d’autres militants en charge, à l’époque de l’organisation de la conférence de fondation de IV Internationale. Sa fille Zina a développé des troubles psychologiques profonds et a fini par se suicider. Son dernier fils, Sergei, qui n’était pas militant politique, a été envoyé au goulag puis fusillé, accusé d’avoir essayé d’empoisonner tout un village sur les ordres de son père.

Malgré ce contexte, Trotsky a maintenu jusqu’à ses derniers jours une activité et une élaboration fébrile pour forger des directions et des organisations qui puissent constituer une alternative à la bureaucratie qui avait tué la première victoire révolutionnaire, à échelle internationale, de la classe ouvrière. Lui rendre hommage aujourd’hui, loin de tout acte de « dévotion », c’est d’abord et avant tout s’emparer de sa pensée et de son expérience, non pas comme un dogme, mais comme une source pour reconstruire un marxisme révolutionnaire vivant, pour notre époque. C’est forger de nouvelles générations militantes déterminées à accomplir la tâche que « le vieux » nous a laissé à la fin de son testament, écrit au Mexique en février 1940, lors d’une crise d’hypertension, et que nous reproduisons ci-dessous.

« Ma haute (et sans cesse montante) pression sanguine trompe mon entourage sur mon réel état de santé. Je suis actif et capable de travailler, mais l’issue est manifestement proche. Ces lignes seront rendues publiques après ma mort.

Je n’ai pas besoin de réfuter une fois de plus ici les stupides et viles calomnies de Staline et de ses agents : il n’y a pas une seule tache sur mon honneur révolutionnaire. Je ne suis jamais entré, que ce soit directement ou indirectement, dans aucun accord en coulisse, ou même négociation, avec les ennemis de la classe ouvrière. Des milliers d’opposants à Staline sont tombés victimes de semblables fausses accusations. Les nouvelles générations révolutionnaires réhabiliteront leur honneur politique, et agiront avec les bourreaux du Kremlin selon leurs mérites.

Je remercie chaleureusement les amis qui me sont restés loyaux à travers les heures les plus pénibles de ma vie. Je n’en nommerai aucun en particulier faute de pouvoir les nommer tous.

Cependant, je me crois justifié à faire une exception pour ma compagne, Natalia Ivanovna Sédova. En plus du bonheur d’être un combattant pour la cause du socialisme, le destin m’a donné le bonheur d’être son époux. Durant les presque quarante ans de notre vie commune elle est restée une source inépuisable d’amour, de grandeur d’âme et de tendresse. Elle a subi de grandes souffrances, surtout dans la dernière période de notre vie. Mais je trouve quelque réconfort dans le fait qu’elle a connu aussi des jours de bonheur.

Pendant quarante-trois années de ma vie consciente je suis resté un révolutionnaire ; pendant quarante-deux de ces années j’ai lutté sous la bannière du marxisme. Si j’avais à tout recommencer, j’essaierais certes d’éviter telle ou telle erreur, mais le cours général de ma vie resterait inchangé. Je mourrai révolutionnaire prolétarien, marxiste, matérialiste dialectique, et par conséquent intraitable athéiste. Ma foi dans l’avenir communiste de l’humanité n’est pas moins ardente, bien au contraire elle est plus ferme aujourd’hui qu’elle n’était au temps de ma jeunesse.

Natacha vient juste de venir à la fenêtre de la cour et de l’ouvrir plus largement pour que l’air puisse entrer plus librement dans ma chambre. Je peux voir la large bande d’herbe verte le long du mur, et le ciel bleu clair au-dessus du mur, et la lumière du soleil sur le tout. La vie est belle. Que les générations futures la nettoient de tout mal, de toute oppression et de toute violence, et en jouissent pleinement. »