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Haines et divisions entre féministes

féminisme

Lien publiée le 3 septembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2018/08/20/haines-et-divisions-entre-feministes/

Réflexions personnelles sur le thème de l’oppression intériorisée des femmes en réponse au brillant et important livre de Sonia Johnson « Going Out of Our Minds : The Metaphysics of Liberation ».

« J’ai entendu dire que vous dirigiez une secte de privation de sommeil », dit à Sonia Johnson une dirigeante de l’Organisation nationale des femmes des États-Unis (National Organization for Women/NOW) lorsqu’elle s’est rendue dans leurs bureaux peu de temps après avoir aidé à organiser un camp d’été féministe, où les participantes avaient passé leur temps à parler et à chanter.

J’ai ri en lisant ça. Cela m’a rappelé les nombreuses choses qui ont été dites à mon sujet par exemple, être comparée à Donald Trump, être accusée de faire de l’intimidation, de dissimuler des informations importantes que j’avais en fait partagées de façon appropriée, d’être dans un délire d’autosatisfaction, de ne pas parler aux survivantes, d’être « compliquée » et complètement folle, d’avoir un trouble de la personnalité et d’utiliser mes propres antécédents d’inceste, d’exploitation sexuelle et de déficience auditive pour arriver à mes fins, sans que soit spécifié comment j’aurais fait tout cela. Des rumeurs sur les choses terribles que j’aurais faites dans le passé (ce qui n’est jamais précisé) au point que plusieurs femmes de haut niveau (qui me connaissent à peine) ont refusé de s’asseoir dans la même pièce que moi.

Et ainsi, toutes ces années de militantisme (ma contribution) bénévole et travail non rémunéré au mouvement féministe et abolitionniste ont été évacuées. Modèle Nordique Maintenant ! (Nordic Model Now!), le collectif que j’ai cofondé l’année dernière, a également été assailli de plaintes et d’accusations sans fin, de campagnes de salissage et de ragots malveillants, dont beaucoup proviennent de « féministes » de haut niveau, s’adressant surtout à moi personnellement. Par exemple, nous avons été accusées par une « féministe » de renommée internationale d’avoir fait en sorte que les réseaux abolitionnistes de l’UE et du Royaume-Uni soient en permanence en mode « minimisation des pertes » en faisant quelque chose que nous n’avons pas fait en réalité, mais que nous avons été accusées de faire par une journaliste pro-industrie du sexe.

Plus près de nous, deux féministes très en vue nous accusent d’une « ineptie politique sans précédent dans l’histoire du mouvement abolitionniste britannique » pour avoir suggéré que les membres de la Commission spéciale des affaires intérieures (Home Affairs Select Committee/HASC) qui se penchaient sur la question de savoir si l’achat de services sexuels devrait devenir une infraction pénale – devraient déclarer s’ils étaient des acheteurs de services sexuels eux-mêmes afin d’éviter un conflit d’intérêts. Moins de deux mois plus tard, Keith Vaz, le président du comité, s’est révélé comme étant un acheteur sexuel (sex buyer) et nos accusateurs ont alors immédiatement déclaré publiquement avec des visages impassibles que cela devrait le disqualifier de l’enquête. Comme si… Peu importe. Quoi qu’il en soit, nous étions toujours mises au placard et nous continuons d’être accusées de « salir » les pauvres hommes innocents du comité.

Des féministes de haut niveau ont accusé NMN d’une liste interminable d’autres choses qui auraient apparemment « endommagé le mouvement abolitionniste » comme d’avoir présenté la Norvège et la Suède comme un pays appelé ‘Suède’ dans notre article populaire sur la violence inhérente à la prostitution (la carte était en fait de l’UE, dont la Norvège ne fait pas partie et donc, n’a pas été montrée), d’avoir cité des données gouvernementales néo-zélandaises « inexistantes » dans notre article quand nous avons clairement indiqué le lien menant au site du gouvernement d’où sont tirées les données qui sont disponibles au public. Chaque accusation est répétée dans les forums de médias sociaux publics ou semi-publics et dans des forums similaires, souvent à plusieurs reprises, et parce que les accusateurs sont respectés, ce qu’ils disent est pris au pied de la lettre et notre réputation en est entachée, ainsi que notre efficacité en tant que force militante. Peu de gens semblent s’intéresser au fait que les accusations sont manifestement fausses ou simplement la preuve d’une divergence raisonnable d’opinion et d’idées. 

Parfois, on a l’impression de vivre dans une zone de guerre où le plus grand danger vient des gens de son camp. La tentation d’abandonner est immense surtout quand vous savez indubitablement que si vous le faisiez, tout s’arrêterait d’un seul coup. L’énergie émotionnelle nécessaire pour affronter l’hostilité apparemment sans fin de son propre camp est considérable.

Et pendant ce temps, nous nous sentons obligées de garder le silence parce que nous ne voulons pas jeter de discrédit sur notre mouvement tout en craignant que notre silence permette à ce comportement destructeur et toxique de proliférer et d’endommager ce même mouvement. Comme c’est effectivement le cas.

Nous entendons souvent parler d’autres femmes qui sont traitées de la même façon, souvent par les mêmes femmes ou leurs proches. Ce que ces femmes maltraitées ont en commun, c’est qu’elles se sont activées, ont bougé leur derrière et qu’elles ont fait quelque chose pour les femmes et le mouvement des femmes. Il s’agit invariablement de femmes de terrain, non rémunérées, qui effectuent un travail ingrat.

Le message subliminal envoyé à toutes les autres femmes du mouvement est le suivant : gardez la tête baissée sous le parapet ; suivez aveuglément ; ne remettez pas en question les leaders autoproclamés ; conformez-vous.

« Le contraire du courage dans notre société n’est pas la lâcheté, mais la conformité. » Rollo Mai

Sonia Johnson nomme ce syndrome l’oppression intériorisée, et explique qu’il est commun à tous les groupes opprimés. À la page 43, elle écrit :

« Les esclaves et les prisonniers, par exemple, sont toujours beaucoup plus durs les uns envers les autres qu’envers leurs gardiens. Beaucoup moins gentils et tolérants, pour des raisons évidentes. Ils gagnent aussi la faveur de leurs gardiens en se trahissant les uns les autres de différentes manières tous les jours. »

Parfois, quand je dis à mes amies ce qui s’est passé, elles me demandent : « Mais pourquoi quelqu’un voudrait-il faire ça ? » Comme si je l’imaginais ou si j’étais mythomane. Si seulement. Elle explique :

« Une fois que nous comprenons que le patriarcat est totalement dépendant de notre méfiance, du fait que nous nous contrecarrons et nous blessons les unes les autres, et que pour cette raison nous avons été délibérément, complètement et férocement endoctrinées dès la naissance à la haine et à blesser les femmes, nous pouvons certainement nous pardonner les unes les autres et apprendre à résister à ce mandat patriarcal central et l’un des plus mortels qui soit.

Notre oppression intériorisée a en son cœur la conviction presque inébranlable, presque totalement inconsciente, que nous méritons notre condition parce que nous sommes inférieures à tous les égards ; nous ne pouvons pas gouverner notre propre vie, nous devons dépendre de l’homme pour tout, et nous devons donc lui faire plaisir, parce que nous n’avons pas de pouvoir personnel et sommes incompétentes, peu attrayantes, stupides. Citez quelque chose de positif et nous ne le sommes pas. » [Page 44]

Elle utilise des histoires tirées de ses nombreuses années de militantisme pour illustrer comment cela fonctionne.

« Mon expérience avec les dirigeantes de NOW m’a appris que même si elles se nommaient elles-mêmes féministes, leur esprit était encore pris au piège du paradigme du pouvoir patriarcal. Une à une, au fur et à mesure que des femmes fortes surgissaient au sein de l’organisation et ne voulaient pas suivre la ligne officielle, elles étaient soumises à un exorcisme par un rituel ou un autre. Ce qui est désolant et très lourd, puisque c’est exactement la façon dont les hommes au pouvoir veulent que nous nous comportions et nous ont entraînées à nous comporter les unes envers les autres. Tant que nous continuerons, nous ne serons pas en mesure de changer quoi que ce soit, et ils le savent. […]

J’ai commencé à apprendre les grandes lignes de la psychologie des opprimé-e-s cette nuit-là […] : l’hostilité horizontale, ou l’attaque mal dirigée contre des pairs impuissants comme substitut, pour faire face à la colère redoutable de l’intérieur et des maîtres tout puissants ; l’imitation du paradigme des oppresseurs, la loyauté organisationnelle inculquée par l’humiliation systématique par les pairs – comme la plus haute valeur ; le confessionnalisme et le rituel de groupe comme moyens primaires de maintenir la conformité ; la croyance absolue dans la rareté du pouvoir.

Dans les semaines qui ont suivi, quand j’ai eu le temps de réfléchir aux implications de ce qui s’était passé, j’ai conclu que la haine des femmes envers les femmes était le problème le plus grave du monde. » [Pages 52-53, surlignement de l’auteure]

À la page 230, elle fait brièvement allusion à l’oppression intériorisée dont elle a été témoin pendant sa campagne présidentielle de 1984 :

« Je ne prétendrai pas que la campagne a eu lieu sans démontrer des preuves accablantes que l’oppression intériorisée des femmes est vivante et florissante dans le mouvement féministe. Je me suis parfois réveillée la nuit en pensant à cela, je me sentais très proche de Matilda Joslyn Gage, que Susan B. Anthony et Elizabeth Cady Stanton qui ont délibérément effacé de l’histoire au siècle dernier. Ça m’arrivait à moi. Bien que je me souciasse peu de mon propre intérêt, j’ai surtout souffert de ce que je savais que cela signifiait pour la possibilité de voir les femmes changer le monde. S’il nous est impossible de nous prendre au sérieux à moins que les hommes le fassent, nous ne nous prendrons jamais au sérieux, et nous ne ferons jamais le travail de transformation de la société humaine. » [Page 230, surlignement dans l’original]

Elle nous demande à toutes de cesser cette habitude :

« Cependant, dès l’instant où suffisamment d’entre nous briserons cette habitude, le patriarcat commencera à dépérir. Nous devons donc prendre ce phénomène laid et omniprésent suffisamment au sérieux, chacune d’entre nous, pour sortir de nos esprits sadomasochistes dès maintenant et commencer à étudier dans notre propre vie comment cesser de se blesser en s’échangeant des coups de pied les unes les autres. » [Page 58-59]

Elle a remarqué une résistance particulière de la part des soi-disant dirigeantes du mouvement :

« Les leaders au sens patriarcal (et jusqu’à présent, c’est encore le seul sens dans lequel nous reconnaissons réellement les ‘leaders’) acquièrent au fil du temps un intérêt substantiel dans le statu quo (…). Les dirigeantes ont trouvé leur place, elles sont bien connues et respectées, et tirent une grande partie de leurs moyens d’existence du fait de leur position dans le mouvement. Et si une débutante arrive et change tout ? Et si le mouvement des femmes devait vraiment prendre une autre direction ? Où est-ce que ça les mettrait ? Celles et ceux qui sont au pouvoir dans n’importe quel groupe ne veulent pas que les choses changent. Ils risquent de perdre leur niche relativement sûre et prestigieuse si d’autres leaders arrivent. Ils résistent au changement avec passion et sont inconscients de leur motivation. » [Page 139]

Elle fait un lien entre la difficulté qu’ont les femmes à travailler de manière créative à travers leurs différences et la façon dont les filles sont socialisées :

« Alors que les petits garçons se disputent, se battent et partent de là, les petites filles sur le terrain de jeu arrêtent le jeu si quelque chose tourne mal. Puisque les femmes étaient désillusionnées par la campagne, elles n’ont pas su comment jouer, elles ont arrêté le jeu et sont rentrées chez elles.

On ne nous a pas appris que le jeu des filles doit continuer, qu’il faut apprendre à travailler ensemble, que, comme il n’y a pas de façon de s’en échapper, aussi bien trouver comment le faire. On nous a appris exactement le contraire qu’il ne faut pas travailler ensemble, et qu’il ne devrait pas y avoir de match sérieux pour les filles en premier lieu. »

Sonia a écrit Going Out of our Minds au milieu des années 1980. Je crains qu’un certain nombre de faits nouveaux survenus depuis lors n’aient aggravé la situation. Nous sommes disparu-e-s dans le gouffre du post-modernisme et de la politique identitaire où les sentiments prennent le pas sur la réalité matérielle en particulier lorsque les sentiments concernent ceux qui ont plus de pouvoir au détriment de ceux qui en ont moins.

En même temps, le néoliberalisme capitalisme effréné, profit à tout prix est devenu le paradigme dominant. L’industrie médico-pharmaceutique en a profité pour redéfinir la détresse humaine normale comme une pathologie nécessitant des médicaments psychoactifs visant à corriger le déséquilibre chimique dans le cerveau qu’elle insiste à créer même si la science ne le confirme pas.1 Pendant ce temps, des millions de femmes dans le monde entier prennent des médicaments et les profits affluent.

La croyance que vous avez un déséquilibre chimique dans le cerveau causé par des forces que vous ne pouvez pas contrôler et qui nécessite de fortes substances psychotropes pour le corriger est toxique. Cette croyance, conjuguée aux changements que les médicaments provoquent dans le fonctionnement du cerveau, tend à maintenir les gens coincés, les empêche de faire face aux difficultés et rend la recherche de solutions créatives plus difficile, voire impossible.

Sonia note (à la page 204) que « l’inconfort précède toujours le changement et l’accompagne ». Mais le paradigme psychiatrique va à l’encontre de la compréhension dont nous avons parfois besoin pour assoir notre malaise plutôt que de chercher quelqu’un ou quelque chose à blâmer.

Au milieu des années 1980, il n’y avait pas de listes de diffusion et pas de médias sociaux, donc les outils de déchiquetage étaient limités, voire primitifs. Sonia a dû se rendre physiquement dans les bureaux de NOW pour apprendre qu’elle dirigeait une secte de privation de sommeil !

Maintenant, nous pouvons transmettre notre colère misogyne à des milliers, voire des millions, plus vite qu’en un clin d’œil. Et quand un courriel d’une femme très en vue est envoyé aux centaines de destinataires d’une liste de diffusion australienne, par exemple, pour leur expliquer comment un groupe britannique a fait quelque chose d’horrible, comment quelqu’un peut-il savoir que ce n’est pas vrai ? Mais c’est tellement délicieux d’entendre que les autres femmes sont mauvaises, parce qu’on peut se sentir un peu mieux, alors on prend l’histoire à cœur et on la répète la prochaine fois que quelqu’un parle de ce groupe.

Dans ce meilleur des mondes, toujours connecté, les gens peuvent facilement porter des accusations, mais il n’y a pas de procédures en bonne et due forme pour vérifier la validité des allégations ou donner à l’accusée un droit de réponse. Ainsi, les accusations s’enveniment et finissent par être perçues comme une vérité incontestable. Et par la fenêtre va la nécessité de ressentir notre anxiété et notre inconfort et de trouver un moyen de passer de la confusion à une résolution créative. Nous en devenons un peu plus petites et notre mouvement aussi.

Puis, notre emprise collective sur la réalité s’affaiblit à ce point : Sonia Johnson n’est pas l’une des plus brillantes et profondes penseuses féministes de sa génération, mais une cinglée qui dirigeait un culte de privation de sommeil. Et la possibilité de changer le monde pour les femmes nous échappe un peu plus.

Je vous laisse avec cet extrait de la page 292 :

« Dans une société mondiale fondée sur la haine des femmes, et mourant de cette haine, l’acte le plus rédempteur possible est d’aimer les femmes. L’univers nous met donc au défi, nous toutes et tous, d’apprendre à aimer les femmes ou de mourir. Il nous met au défi de nous aimer nous-mêmes en tant que femmes, de nous honorer et de nous respecter nous-mêmes et toutes les autres femmes, d’écouter et de faire confiance et d’être dignes de confiance et de prendre les femmes et notre culture très, très au sérieux. Si nous ne le faisons pas, rien d’autre ne compte. Si nous ne faisons pas cela, tout est perdu.

L’univers met les hommes au défi d’aimer ce qui est féminin en eux-mêmes et en toute chose, et d’honorer et de respecter les femmes partout dans le monde en tout temps. »

The Feministahood, le 25 Août 2017

https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2018/04/13/haines-et-divisions-entre-feministes/


Des autrices :

Néolibéralisme, théorie queer et prostitution, neoliberalisme-theorie-queer-et-prostitution/


1 Pour en savoir plus sur ce sujet, voir :

  • Toxic Psychiatry par Peter Breggin

  • Cracked: Why psychiatry is doing more harm than good par James Davies

  • Mad in America: Bad Science, Bad Medicine, and the Enduring Mistreatment of the Mentally Ill par Robert Whitaker

  • Anatomy of an Epidemic: Magic Bullets, Psychiatric Drugs, and the Astonishing Rise of Mental Illness in America par Robert Whitaker