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Chine. «Les travailleurs ne mènent pas une guerre commerciale, mais une guerre pour leurs droits»

Chine

Lien publiée le 7 septembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://alencontre.org/video/chine-les-travailleurs-ne-menent-pas-une-guerre-commerciale-mais-une-guerre-pour-leurs-droits.html

Par Michelle Chen

Les déclarations belliqueuses que l’administration Trump tweete quotidiennement pourraient donner l’impression que la plupart des travailleurs chinois sont engagés dans une seule occupation: absorber collectivement les richesses de l’Amérique et les entasser dans les coffres sans fond de Pékin. Toutefois, si l’on examine de plus près la situation des travailleurs et travailleuses de Chine, on constate que la plupart d’entre eux sont, en fait, occupés à régler des problèmes qui leur sont bien plus proches.

Etudiant·e·s manifestant leur soutien aux travailleurs et travailleuses de Jasic Technology, devant le poste de police de Yansiling, à Shenzhen (Reuters)

Prenons le cas des travailleurs de l’usine de Jasic Technology, qui ne sont pas préoccupés par la guerre commerciale mondiale de Trump, mais par la lutte pour le contrôle de leur propre place de travail. En juillet 2018, dans l’entreprise Jasic [construite en 2005 et qui a connu un fort développement], grande usine produisant divers types de machines à souder – située dans la ville de Shenzhen, province de Guangdong – a éclaté un mouvement de protestation. Les dirigeants ont tenté de contrecarrer une campagne de syndicalisation menée par les travailleurs avec le soutien des étudiants militants syndicaux. Les travailleurs et travailleuses s’étaient plaints d’avoir été traités «comme des esclaves», de voir leur salaire volé et d’être soumis à «un ajustement illégal, de dernière minute, des temps de travail et horaires des employé·e·s, à un système illégal d’amendes, au sous-paiement des aides au logement pour les salarié·e·s et à l’établissement illégal d’une liste noire divulguant des informations concernant les salarié·e·s».

Au départ, les organisateurs croyaient pouvoir aller de l’avant avec la syndicalisation suite à l’obtention d’une approbation de la section locale de l’organisation syndicale officielle de la Chine, la Fédération des syndicats de Chine (ACFTU). Le 23 juillet 2018, la section syndicale locale du district de Pingshan [une des huit subdivisions administratives de la ville de Shenzhen] a annoncé qu’un accord avait été conclu pour établir un syndicat officiel dans la firme Jasic.

Cependant, la direction a rapidement montré qu’elle était moins que satisfaite de la perspective de devoir négocier collectivement avec les travailleurs et travailleuses. Et, «dans le dos», quelques responsables syndicaux favorables au patronat semblaient en accord avec la direction. Le lendemain un autre choc est intervenu: un lock-out de travailleurs. Ils ont protesté en criant: «Nous voulons être réintégrés! Nous voulons nous syndiquer!»

Selon le China Labour Bulletin – un groupe diffusant des informations concernant la situation des travailleurs en Chine, basé à Hongkong – Mi Jiuping, ouvrier et organisateur syndical de l’usine Jasic, a déclaré dans un post sur les médias sociaux (qui a été supprimé par la suite): «Personne ne peut nous empêcher de construire notre propre syndicat, personne ne peut détruire notre solidarité.»

Cette situation a suscité plus d’attention que d’autres manifestations ouvrières dans le pays. Toutefois de tels affrontements ne sont pas inhabituels dans le contexte de boom et effondrement d’entreprises dans ces villes côtières manufacturières de la Chine. Shenzhen est un joyau de la couronne du nouveau modèle économique de la Chine, l’une des zones économiques spéciales de la province de Guangdong, construite sur la base d’un afflux de main-d’œuvre rurale à bas salaires. Mais ces dernières années ont vu un ralentissement du développement urbain dans la ville, parallèlement à des conditions de travail de plus en plus précaires.

Les défenseurs des travailleurs et travailleuses de Jasic rapportent que les autorités ont brutalement réprimé les efforts de syndicalisation «en transférant illégalement les employés sur différents postes de travail», puis en les licenciant et en les «diffamant». La police a attaqué et arrêté des travailleurs, ce qui a stimulé un groupe d’«étudiants concernés» à se mobiliser dans une campagne de solidarité qui s’est depuis étendue à l’ensemble du pays.

Selon Jenny Chan, une experte des conditions de travail, basée à Hongkong, les étudiants de plus d’une douzaine d’universités, durant la pause estivale, «ont uni leurs efforts à ceux des travailleurs de Jasic». Ils ont lancé des campagnes de pétition en ligne et établi des bureaux d’aide juridique et en collaborant à l’organisation, à la base et localement, avec les activistes du centre de défense des travailleurs migrants. Leur radicalisme défiait même les avertissements des responsables universitaires et des professeurs.

Pour ceux qui étudient le droit, ajoute Chan, les luttes réelles des travailleurs sont un endroit où appliquer les leçons données lors des cours: «C’est un espace où s’exprime une contestation – comment mettre la loi en pratique? –, les étudiants actifs soutiennent les travailleurs de Jasic pour renforcer leur pouvoir associatif sous la forme d’un syndicat.»

Bien qu’un grand nombre des premiers détenus aient été libérés, les tensions se sont intensifiées avec de nouvelles arrestations et l’enlèvement (présumé) d’un militant local, Shen Mengyu. Ses collègues disent qu’elle a été enlevée par la police en août près de l’usine. Mais les autorités ont nié que l’incident était un enlèvement, déclarant à l’agence Reuters que l’incident était «une question concernant un conflit familial».

La répression policière à Pingshan reflète la politique agressive du président Xi Jinping visant à imposer son ordre politique et à consolider son pouvoir exécutif au moyen de contrôles sociaux stricts. Soumettre l’activisme de la société civile est considéré comme essentiel pour l’agenda économique de Pékin alors qu’il cherche à développer ses investissements en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique, tout en contrecarrant une guerre commerciale avec les Etats-Unis.

Depuis que Xi a récemment prolongé son mandat au pouvoir en assurant sa «présidence à vie», le système de répression a resserré son emprise sur les mouvements sociaux et la dissidence politique, en déployant une surveillance et une censure étendues dans la société civile et les médias.

Pourtant, les observateurs de la «vile syndicale» affirment que l’agitation ouvrière, sous forme de grèves et de protestations, n’a pas été considérablement refroidie par la pression de l’Etat. Selon Geoffrey Crothall du China Labour Bulletin, les salarié·e·s lésés, avec ou sans représentation syndicale, «n’ont souvent pas d’autre choix que de prendre des mesures collectives afin de faire entendre leur voix et de régler leurs revendications. Il y a tout simplement trop de protestations que les autorités ne peuvent réprimer, et comme la grande majorité des cas concernent des travailleurs qui exigent ce à quoi ils ont légalement droit (leur salaire, par exemple), une action répressive serait contre-productive.»

Et finalement, les protestations finissent souvent par obtenir satisfaction. Malgré l’absence de canaux officiels d’expression, les travailleurs révoltés ont réussi à obtenir des concessions par le biais d’actions sur le lieu de travail, parfois avec le soutien de responsables locaux qui ont également intérêt, parfois, à arrêter les actions de patrons trop durs. Lors de nombreux conflits qui ont été résolus par des négociations directes, ajoute Geoffrey Crothall, «on peut dire sans risque de se tromper que les fonctionnaires du gouvernement local ne se seraient pas impliqués du tout si les travailleurs n’avaient pas organisé des manifestations collectives».

Pendant ce temps, les campagnes radicales de solidarité des étudiants – un défi audacieux face aux fonctionnaires qui ont critiqué le mouvement de Jasic – montrent que les droits du travail et la démocratie ne peuvent plus être considérés comme des piliers séparés de la société civile.

Jenny Chan voit le soulèvement de Shenzhen comme un signe que les travailleurs se joignent à une génération d’étudiants de plus en plus instruits et politiquement éveillés afin de lutter pour la liberté politique et des droits économiques comme les deux fondements d’un avenir chinois moderne:

«Les étudiants universitaires partagent les mêmes préoccupations au sujet du travail équitable à l’ère de la sous-traitance et du travail temporaire. Ils s’identifient avec les travailleurs de Jasic selon l’idée qu’un syndicat qui fonctionne bien et qui gagne la confiance des travailleurs et travailleuses est un effort valable aussi bien pour travailleurs que les étudiants. La bataille acharnée pour la justice sociale et économique à Jasic et dans d’autres lieux de travail a écrit une nouvelle page de la société chinoise contemporaine.»

La solidarité ouvriers-étudiants montre que le prochain chapitre de ce qui peut se passer en Chine pourrait être coécrit par un mouvement ouvrier et l’intelligentsia, créant conjointement un nouveau langage politique pour la plus grande classe ouvrière du monde. (Article publié dans The Nation, en date du 4 septembre 2018; traduction A l’Encontre)