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La philosophie libertaire de Miguel Abensour

Lien publiée le 7 septembre 2018

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http://www.zones-subversives.com/2018/09/la-philosophie-libertaire-de-miguel-abensour.html

La philosophie libertaire de Miguel Abensour

A rebours des modes et des conformismes, Miguel Abensour propose une philosophie de l'émancipation. Il défend l'utopie contre l'Etat.

A la croisée des marxismes hétérodoxes et libertaires, le philosophe Miguel Abensour fait figure de passeur. Il diffuse les textes de l’Ecole de Francfort et les livres majeurs de Adorno et Horkheimer. En 1974, il fonde la collection « Critique de la politique » pour faire connaître cette tradition intellectuelle peu appréciée en France.

Miguel Abensour n’est pas effrayé par la marginalité. Il s’attache également aux écrits de Karl Marx. Mais il rejette le marxisme académique et stalinien. Il s’attache au Marx libertaire valorisée par Maximilien Rubel. Dans l’Université, c’est la lecture scientiste d’Althusser qui prédomine. Le souffle libertaire du jeune Marx est rangé du côté de la naïveté et de l’utopie.

Mais cette critique du marxisme d’Etat ne permet pas non plus à Miguel Abensour de s’intégrer dans la mode de l’antitotalitarisme. Il polémique avec Claude Lefort. Il rejette le marxisme autoritaire mais n’abandonne pas pour autant l’utopie. Il s’attache aux penseurs utopistes comme Walter Benjamin et valorise la tradition politique du communisme de conseils. La revue Lignes consacre un numéro au philosophe décédé en 2017 sous le titre "Miguel Abensour : la sommation utopique".

                                    couverture de MIGUEL ABENSOUR | La sommation utopique

Philosophe non conformiste

Louis Janover présente Miguel Abensour comme un passeur d’utopie. Sa collection « Critique de la politique » publie des marxistes hétérodoxes, de Maximilien Rubel à l’Ecole de Francfort. Ses publications dessinent une constellation attachée à l’utopie et à la critique créatrice.

L’affirmation de l’utopie s’oppose à l’hégémonie intellectuelle. Miguel Abensour critique à la fois le marxisme-léninisme et l’Etat. Ce qui le met à la marge du milieu intellectuel. « Le principe utopique se confond avec la perspective éthique choisie par Marx pour définir la finalité du communisme, l’émancipation de tous les sens et de tous les attributs humains », observe Louis Janover.

Dans La démocratie contre l’Etat, Miguel Abensour oppose « la démocratie insurgeante », d’esprit anarchiste, à la démocratie représentative. De La Boétie à l’Ecole de Francfort, Miguel Abensour fait vivre une critique de la domination politique. Il développe également une pensée de l’émancipation qui passe par l’utopie et le socialisme de conseils.

Miguel Abensour distingue Marx du marxisme, notamment le marxisme-léninisme de l’URSS. Le capitalisme d’Etat et le capitalisme privé reposent tous deux sur l’exploitation d’une main d’œuvre soumise. La critique du totalitarisme ne prend son sens que dans la critique du capitalisme, avec l’utopie pour horizon émancipateur.

Patrice Vermeren évoque la démarche intellectuelle singulière de Miguel Abensour. Certes, il reste un universitaire. Mais il s’attache également à penser en dehors des murs de l’académisme. C’est dans cette perspective qu’il participe au Collège international de philosophie. Il oppose la figure de Pierre Leroux, philosophe socialiste, à celle de Victor Cousin qui incarne le philosophe fonctionnaire. Miguel Abensour et Pierre-Jean Labarrière dénoncent une philosophie « qui ne s’adresse plus aux hommes pour qu’ils changent d’existence et inventent une nouvelle manière de vivre, mais un enseignement destiné à communiquer à des jeunes gens des compétences techniques pour qu’ils puissent, devenus spécialistes, former à leur tour d’autres spécialistes ».

Miguel Abensour s’oppose à deux dérives de la science politique. Il critique le retour à la philosophie politique classique, incarnée par Léo Strauss, qui s’enferme dans l’étude des textes anciens. Il regrette également la « scientifisation » du politique à travers la sociologie. Miguel Abensour privilégie une critique de la politique : une critique sociale de la domination. Il déplore le retour à une discipline académique qui occulte les enjeux politiques pour mieux légitimer la gestion de l’ordre établi. Il propose de penser une démocratie « sauvage » ou « insurgeante ».

Michèle Cohen-Halimi pose son regard sur l’œuvre de Miguel Abensour. Elle évoque sa collection « Critique de la politique ». En 1974, son manifeste se place dans le sillage du jeune Marx. La critique de la domination ne peut pas se réduire à celle de l’exploitation. Ensuite, cette collection entend « écrire sur le politique du côté des dominés, de ceux d’en bas pour qui l’état d’exception est la règle ». Cette collection reste attachée aux mouvements sociaux, aux insurrections et aux révoltes historiques.

Miguel Abensour se réfère notamment au philosophe La Boétie, auteur du Discours sur la servitude volontaire. Il tente de comprendre pourquoi les dominés acceptent leur domination et ne se révoltent pas. Cette analyse de la domination politique s’affine avec l’Ecole de Francfort. Néanmoins, Miguel Abensour ne considère pas que la servitude reste inéluctable. Les dominés peuvent aussi se révolter.

Révolte et utopie

Florent Perrier évoque l’influence de Charles Fourier dans la pensée de Miguel Abensour. Cet utopiste est associé à la figure de Blanqui pour concilier le phalanstère et la barricade, l’insurrection et l’utopie. Fourier incarne une vision hédoniste de la pensée utopiste, qui s’oppose à l’ascétisme chrétien. Il aspire à remplacer la domination par l’association. Il veut supprimer la division sociale mais reste attaché au conflit contre la société homogène. Fourier insiste sur la diversité des passions. « A moins d’appauvrir le désir du peuple et d’étioler le mouvement vers l’émancipation, on ne saurait dissocier le désir de liberté du désir d’utopie », souligne Miguel Abensour. Contre une vision autoritaire et uniformisante de l’utopie, Fourier reste attaché à la diversité et à la liberté.

Daniel Payot évoque l’utopie chez Miguel Abensour. Il se démarque des deux conceptions dominantes. L’utopie ne renvoie pas à l’instauration d’un nouvel ordre total, voire totalitaire. L’utopie n’est pas non plus un simple monde imaginaire et fantaisiste. Pour Miguel Abensour, l’utopie reste attachée à l’émancipation. Contre un monde unidimentionnel, l’utopie doit s’appuyer sur la pluralité et sur la conflictualité. Miguel Abensour puise d’ailleurs dans des sources philosophiques diverses. Le jeune Marx, Ersnt Bloch, le groupe Socialisme ou barbarie, l’Ecole de Francfort, Hannah Arendt, et même Levinas. La chose politique reste complexe et ne peut se réduire à un moule figé. « Car rien n’est plus éloigné de la pensée et de l’écriture de Miguel Abensour que l’affirmation d’une nécessité inéluctable ou d’un destin fatal, qu’il soit de souffrance ou de joie », observe Daniel Payot. La confrontation et la friction polémique permettent au contraire de sortir de la domination.

Sophie Wahnich revient sur la figure de Saint-Just, dont Miguel Abensour a préfacé les œuvres complètes. Saint-Just est une des figures incontournables de la Révolution française. Il a participé à l’élan émancipateur. Mais il a également participé à l’instauration du régime de la Terreur. Miguel Abensour semble plus proche des courants libertaires que du jacobinisme incarné par Robespierre. Le philosophe apprécie la figure de Jacques Roux. Il se réfère également aux analyses historiques de Daniel Guérin qui insiste sur la révolte des classes populaires.

Contre la philosophie d’Etat

Monique Rouillé-Boireau revient sur la dimension libertaire de la pensée de Miguel Abensour. Le philosophe s’oppose au conformisme frileux des années 1980. Il conçoit la politique comme une résistance à la domination et à l’Etat. Il s’oppose autant au marxisme qu’au libéralisme qui restent très attachés à l’Etat.

Miguel Abensour a participé à la revue Libre pour faire revivre une pensée anti-autoritaire dans la filiation de Socialisme ou barbarie. Mais cette revue glisse vers un libéralisme conservateur, incarné par Marcel Gauchet, qui s’accompagne de pratiques autoritaires au sein du groupe. Miguel Abensour revient sur ces divergences dans sa Lettre d’un révoltiste à M.Gauchet converti à la politique normale. Miguel Abensour pense la liberté contre le pouvoir tandis que Gauchet pense la liberté avec le pouvoir. Il finit par penser le pouvoir sans la liberté.

Miguel Abensour défend une démocratie sauvage liée au principe d’anarchie, une insurrection permanente contre l’Etat et le pouvoir. Marcel Gauchet pense la démocratie uniquement dans le cadre des institutions. Le pluralisme se réduit aux partis parlementaires. Marcel Gauchet qui défend la démocratie et la politique normale n’est qu’un suppôt de l’ordre établi. Pour Miguel Abensour, la démocratie ne peut être qu’une interruption de la normalité.

L’émancipation doit permettre de concilier l’égalité et la liberté. Miguel Abensour s’oppose à la notion de société civile, conçue comme une communauté neutre et consensuelle qui sert de contrepoids à la gouvernance technocratique. Miguel Abensour propose au contraire de construire une communauté politique à l’extérieur de l’Etat, et même contre l’Etat.

La démocratie insurgeante s’oppose à deux dérives des mouvements sociaux actuels. Le populisme de gauche défend le peuple et l’Etat. Le gauchisme postmoderne et le féminisme intersectionnel proposent une multiplication des demandes de droits et de reconnaissance. Cet éclatement devient vide de sens. La démocratie insurgeante refuse les logiques unificatrices et intégratrices. Cette démarche refuse également l’essentialisation et les assignations. Un nouvel horizon doit permettre de créer une communauté attachée à la pluralité et à l’égalité.

 

Démocratie radicale

Ce numéro de la revue Lignes permet de rendre hommage à Miguel Abensour. Ce philosophe incarne un courant intellectuel minoritaire et méconnu. Il reste un universitaire marginal aux positions politiques qui tranchent avec le conformisme intellectuel.

Miguel Abensour n’hésite pas à se référer à Marx à l’ère de l’antitotalitarisme. Il proclame la nécessité de l’utopie à l’époque du réalisme et du pragmatisme gestionnaire. Il affirme une critique de la domination et de l’Etat quand les libéraux défendent l’Etat de droit et que la gauche oppose le gentil Etat contre le méchant marché.

Miguel Abensour reste résolument opposé à l’ordre existant et attaché à la perspective d’une utopie émancipatrice. Mais Miguel Abensour est loin d’être un gauchiste sectaire. Il reste un philosophe hétérodoxe qui ne craint pas de puiser une dimension contestataire chez des auteurs classiques, comme Hannah Arendt. Il contribue également à faire revivre toute une tradition intellectuelle méconnue, comme l’Ecole de Francfort et un certain marxisme romantique.

Néanmoins, cette pensée hétérodoxe et généreuse manque de clarification sur certains points. Miguel Abensour se réfère à des utopistes comme Thomas More. Ce penseur incarne pourtant une vision autoritaire de l’utopie qui vise à imposer un modèle uniforme à tous les individus. Même si Miguel Abensour est évidemment attaché à une conception pluraliste et libertaire de l’utopie, il continue à évoquer des penseurs autoritaires comme Thomas More ou Auguste Blanqui.

La dimension économique et sociale reste l’angle mort le plus criant de la pensée de Miguel Abensour. Le philosophe se réfère au jeune Marx. Il propose une bonne analyse critique de la domination politique. Néanmoins, Miguel Abensour fait l’impasse sur l’exploitation et l’aliénation. Il se réfère à La Boétie et à la servitude volontaire. Mais la soumission s’explique aussi par des conditions matérielles. L’exploitation, et aujourd’hui la peur de perdre un emploi, expliquent aussi l’absence de révolte et la résignation.

Miguel Abensour propose alors une démocratie radicale. Mais il ne propose aucune analyse de classe des révoltes sociales. Surtout, il insiste sur la critique de l’Etat mais reprend le terme vague de démocratie qui repose toujours sur la séparation entre gouvernants et gouvernés. Miguel Abensour ne propose pas vraiment des pistes pour orienter l’action et ne donne pas beaucoup de perspectives aux révoltes sociales. Néanmoins, Miguel Abensour reste attaché au refus de l’Etat. Il insiste surtout sur la perspective d'un horizon utopique qui repose à la fois sur l’égalité et sur la liberté.

Source : Revue Lignes n°56, « Miguel Abensour : la sommation utopique », Lignes, 2018

Extraits mis en ligne sur le portail Cairn

Extrait de l'article de Louis Janover publié sur le site de la revue Réfractions

Extrait de l'article de Monique Rouillé-Boireau publié sur le site de la revueRéfractions

Articles liés :
 

Marx, penseur de l’anarchie 
 

Karl Marx, théoricien révolutionnaire

Réflexions sur le communisme de conseils

Pour aller plus loin :

Vidéos : entretiens avec Miguel Abensour

Vidéo : L’an-archie, entre métapolitique et politique par Miguel Abensour [2013], publié sur le site Deterritorium le 23 septembre 2014

Vidéo : La conversion utopique par Miguel Abensour [2011], publié sur le site Deterritorium le 26 août 2017

Vidéo : Démocratie, Utopie et Insurgence, conférence mise en ligne sur le site de l'Université Paris Diderot

Vidéo : Inactualité de l’utopie, colloque à Paris 8

Radio : émission avec Miguel Abensour diffusées sur France culture

Miguel Abensour, Sophie Wahnich, Entretien avec Miguel Abensour Persistance de l’utopie, mis en ligne sur le site de la revue Vacarme le 25 avril 2017

Patrice et Beray Vincent Truffy, Sous les feux de l’utopie avec Miguel Abensour, publié sur le site Mediapart le 12 Juin 2010 et mis en ligne sur le site Lieux communs le 5 juillet 2010

Louis Janover, Pour Miguel. Le sens éthique de son œuvre, publié sur le site des éditions Libertalia le 3 mai 2017

Michael Löwy, Miguel Abensour, philosophe subversif,  publié dans la revue Raisons politiques n°54 en 2014

Fabien Delmotte, Miguel Abensour : repenser l’utopie, publié sur la revue en ligne La Vie des idées le 13 mai 2015

Nicolas Poirier, Miguel Abensour, l’émancipation par l’utopie, publié sur la revue en ligne La Vie des idées le 6 octobre 2017

Manuel Cervera-Marzal, Hommage à Miguel Abensour (1939-2017) : Critique de la domination et émancipation, publié sur le site Grand angle le 29 mai 2017

Manuel Cervera-Marzal et Nicolas Poirier, NÉCROLOGIE – Désir d'utopies. En hommage à Miguel Abensour, publié sur le site Nonfiction le 27 avril 2017

Lucia Sagradini, Pour Miguel Abensour, publié sur la revue en ligne Variations n°20 en 2017

Robert Maggiori, Miguel Abensour, fin de l’utopie, publié sur le site du journal Libération le 23 avril 2017

J.L., Notre choix de revues (14), publié sur le site En attendant Nadeau