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Portugal: Enseignements de l’expérience du Bloc de gauche, un "non-modèle"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Maria Manuel Rola, Adriano Campos et Jorge Costa sont membres de la direction nationale du Bloc de gauche. Maria Manuel Rola et Jorge Costa sont actuellement députés. (Traduit de l’anglais par JM).
Dans cette brève contribution, nous décrivons l’expérience du Bloc de gauche pendant les deux ans et demi du gouvernement qui a remplacé le consulat de la droite et de la troïka (2011-2015) et les caractéristiques du « non-modèle » portugais (car les circonstances sont si particulières qu’aucune généralisation n’est possible).
1. Une décision difficile en octobre-novembre 2015
Après quatre années d’austérité et de destruction sociale, sous le gouvernement de la droite et de la troïka, les élections portugaises d’octobre 2015 ont infligé un revers aux partis gouvernementaux (la coalition du PSD et du CDS, les deux partis bourgeois, a perdu près d’un million de voix, obtenant 38 % des suffrages exprimés) et une modeste amélioration pour le parti socialiste (PS, 32 %). Les deux partis de gauche, le Bloc de gauche (10,2 %) et le Parti communiste (PCP, 8,6 %), ayant obtenu près d’un vote sur cinq, le parlement s’est retrouvé face à une alternative :
• un gouvernement minoritaire de la droite sans alliés, sauf si le PS choisissait de l’aider ;
• ou un gouvernement minoritaire du PS avec une alliance possible avec les deux partis de gauche – et les deux étaient nécessaires.
Pour faire court, le président de la République de l’époque, Cavaco Silva, a autorisé l’ancien Premier ministre, Passos Coelho, à former un nouveau gouvernement de droite, qui a été défait au Parlement et a été remplacé par un nouveau gouvernement PS (avec António Costa comme Premier ministre) avec un pacte formel avec le Bloc et le PCP. Ainsi, pour la première fois, le PS fut contraint d’établir une alliance avec la gauche et, également pour la première fois, la gauche accepta cette alliance (1).
Cette alliance a été précédée, lors d’un débat télévisé pendant la campagne électorale, par un appel public de la porte-parole du Bloc de gauche, Catarina Martins, exigeant du leader du PS, Antonio Costa, qu’il abandonne trois points essentiels de son programme (gel du montant des retraites, création d’une nouvelle norme pour faciliter les licenciements et réduction de la contribution des entreprises à la sécurité sociale). Ces conditions claires pour ouvrir une discussion sur le futur gouvernement sont devenues une question centrale dans le débat national. Ce n’était pas du baratin électoraliste mais une réponse claire aux besoins du peuple et nous croyons que c’est ainsi que la gauche devrait agir pour diriger un changement politique.
Après les élections, le PS a été contraint d’accepter ces conditions et d’autres, pour que son gouvernement puisse obtenir une majorité au parlement. Le Bloc de gauche et le PCP ont tous les deux conclu un accord écrit à cet effet. Ni l’un ni l’autre ne sont entrés dans le gouvernement.
2. Les résultats de l’accord de la gauche avec le gouvernement PS
Les principales réalisations de ce processus politique peuvent être brièvement résumées en deux chapitres : les mesures de démocratisation et les impacts économiques et sociaux de l’accord. Nous présenterons ensuite les conflits entre les partis de gauche et le gouvernement, et comment le Bloc de gauche présente son alternative.
2.1. Des avancées pour les libertés civiles. Avec la nouvelle composition du parlement après les élections, différentes lois ont été adoptées : gratuité de l’IVG (la légalisation de l’avortement avait été approuvée par référendum, mais la précédente majorité de droite avait imposé des frais pour empêcher son utilisation), élargir les droits des couples homosexuels y compris l’adoption, généraliser la procréation médicalement assistée aux femmes célibataires et aux lesbiennes, régir les conditions de la maternité de substitution, établir une représentation politique intégralement paritaire des genres, autoriser l’usage médical du cannabis. Dans certains cas, le Bloc de gauche et le PS ont formé la majorité pour de telles lois, alors que le PCP a voté avec les partis de droite contre les droits des lesbiennes, la parité entre les sexes, la maternité de substitution et le cannabis. Plus récemment, le Bloc de gauche et le PS ont proposé des lois afin de légaliser l’euthanasie. Dans ce cas, cette initiative a été défaite par seulement 5 voix, le PCP votant encore avec les partis conservateurs.
La pertinence de ce programme est évidente car il poursuit un processus de démocratisation et conteste efficacement différentes formes d’oppression. Dans d’autres pays, les mouvements sociaux pourront valoriser ces acquis.
2.2. Effets sociaux et économiques. Entre autres, les mesures suivantes de l’accord ont été ou seront appliquées pendant cette période :
● Les privatisations ou concessions établies par le gouvernement de droite dans les transports publics (compagnie aérienne nationale et transport public des deux plus grandes villes) ont été annulées ;
● De nouvelles privatisations ont été explicitement interdites ;
● Le salaire minimum augmente par étapes jusqu’à atteindre 20 % d’augmentation le 1er janvier 2019 ;
● Quatre jours de vacances ont été rétablis après avoir été supprimés par le gouvernement précédent ;
● Les retraites n’ont pas été gelées (au niveau du taux d’inflation) et les plus basses ont été augmentées chaque année de 3 à 4 % ;
● Le programme de déplacement des fonctionnaires contre leur volonté a été annulé ;
● Le processus de négociation collective des fonctionnaires a été rétabli ;
● La taxe sur la consommation dans les restaurants est passée de 23 % à 13 % ;
● Tous les enfants auront une place en crèche d’ici 2019 ;
● Les manuels scolaires sont offerts à tous les élèves jusqu’à l’âge de 17 ans, par étapes successives ;
● La taxe extraordinaire imposée sur les salaires et les retraites par la troïka a été abolie ;
● Les impôts sur le revenu du travail ont été réduits et l’impôt sur les grandes entreprises a augmenté ;
● Une nouvelle taxe sur l’immobilier de luxe a été créée ;
● Les saisies immobilières sont suspendues pour les personnes âgées ou handicapées qui logent au même endroit depuis 15 ans, et la loi sur les loyers est en cours de révision pour protéger les locataires ;
● De nouvelles règles ont été appliquées pour les travailleurs indépendants qui fournissent des services à différentes entreprises en leur assurant la protection de la sécurité sociale.
L’effet global de ces mesures en 2016 et 2017 – dans un contexte favorable avec des prix du pétrole plus bas et de meilleures perspectives d’exportation compte tenu de la légère reprise en Europe – fut une combinaison de faible croissance du PIB (+ 4,3% en termes réels, après une diminution de 7,9% pendant la période de récession et d’austérité), de forte création d’emplois (réduction des chiffres officiels du chômage de 17,5 % en 2013 à 7,4 % actuellement) et d’une réduction du déficit public (de -3,1 % en 2015 à 0,9 % en 2017 et virtuellement de 0 % en 2018), dans ce cas grâce aux effets de la reprise et aussi du fait du gel des investissements publics. En tout état de cause, la demande globale a augmenté en raison du renforcement de la confiance et de la hausse des retraites et des salaires. La lutte contre l’appauvrissement a eu un réel impact social. Aucun autre pays européen n’a conduit une telle politique.
Bien que des défis majeurs ne soient toujours pas résolus, comme la réduction de la dette extérieure et publique, le fait que le Bloc de gauche ait pu non seulement étudier et présenter des alternatives concrètes, mais aussi imposer un débat public sur ces questions montre la voie à suivre : en effet, un rapport présentant une proposition concrète de mutualisation de 52 milliards d’euros a été signé par le Bloc de gauche et le PS, avec la participation de membres du gouvernement, affirmant que les règles budgétaires actuelles de l’Union européenne sont « injustes et insoutenables ». Cependant le gouvernement n’a pas l’intention d’agir ni de présenter quelque alternative que ce soit aux autorités européennes. Une telle clarification du fait que le gouvernement s’oppose à une stratégie de restructuration de la dette mais qu’il est obligé de constater l’insoutenabilité des règles budgétaires renforce la lutte contre la dette.
D’autres conflits entre les partis de gauche et le gouvernement ont émergé à mesure que les budgets étaient appliqués. Sans exception, le Bloc de gauche a fait valoir son point de vue, sachant que la construction d’un rapport de force politique nécessite des alternatives détaillées et convaincantes. Quelques exemples de ces conflits publics peuvent être présentés en se référant aux premières pages des principaux quotidiens au Portugal.
Le premier fait référence à la critique des choix quotidiens du ministre des Finances, la personne la plus puissante du gouvernement. Comme vous pouvez le voir, Catarina Martins polémique à plusieurs reprises sur des alternatives détaillées pour les banques, sur l’euro et son effet néfaste, sur le statut des chercheurs scientifiques et sur la gestion des dépenses de services publics.
Voyons le deuxième exemple. Mariana Mortágua, députée et porte-parole du Bloc de gauche pour les finances et les banques, conteste les priorités et le faible niveau des dépenses publiques, car des incitations supplémentaires sont nécessaires pour la création d’emplois. C’est ce qu’elle argumente dans le journal.
La politique de gauche n’est pas un dîner de gala, donc il faut créer et présenter des alternatives, qui doivent attirer, convaincre et mobiliser les travailleuses et les travailleurs. Si nous regardons d’autres conflits, les différences entre le Bloc et le PS et son gouvernement deviennent encore plus évidentes.
3. Conflits sur les finances et les banques et droit du travail
Les deux domaines les plus importants qui ne sont pas couverts par l’accord écrit sont la réglementation et la gestion du système financier et la législation du travail. Dans certains cas, des thèmes qui n’étaient pas régis par l’accord ont été inclus dans les négociations postérieures et un consensus a finalement été établi (c’est le cas de la nouvelle taxe sur les biens de luxe ou de plusieurs autres choix budgétaires). Mais cela n’a pas été possible, compte tenu des stratégies divergentes, dans les affaires majeures de la finance et de la réglementation du travail.
En conséquence, les partis de gauche se sont opposés à la vente de Banif (une petite banque régionale) à Santander, et à celle de Novo Banco (auparavant la première banque commerciale privée) à Lone Star, une société immobilière étatsunienne. Dans d’autres cas, la gauche s’opposait à des avantages spéciaux pour les banques. Ces conflits prouvent que les partis de gauche avaient raison de ne pas envisager la participation au gouvernement, car entre un gouvernement central, tel que celui du PS, et la gauche, les divergences sur la finance et sur d’autres questions sont énormes.
Les conséquences des divergences entre le gouvernement et la gauche sur les lois du travail sont d’autant plus graves qu’un conflit social est en cours (la photo ci-jointe fait référence à une grande manifestation syndicale en juin contre la loi proposée par le gouvernement).
La question des lois du travail est importante. Deux ans durant, le Bloc de gauche a discuté avec le gouvernement PS un ensemble de mesures pour corriger les contrats de travail précaires et pour promouvoir des emplois avec tous les droits. Une partie de ces mesures a été approuvée après de longues discussions : pour qu’ils aient une meilleure retraite dans l’avenir, la façon dont les travailleurs indépendants précaires paient leurs cotisations à la sécurité sociale ainsi que le montant payé par les entreprises qui contractent leurs services ont été modifiés. Ce fut une victoire majeure, non seulement pour les partis de gauche, mais aussi pour le mouvement social construit par les jeunes travailleurs précaires, qui ont été les plus militants au cours de la dernière décennie.
Le contrat social a ainsi été au premier plan du débat national à plusieurs reprises. En une occasion, début 2017, le gouvernement PS, applaudi par les patrons, a proposé une réduction de la contribution des entreprises à la sécurité sociale. C’était le premier cas de violation directe de l’accord écrit avec le Bloc de gauche. Le parti a réagi et rejeté la proposition, car cela aurait porté préjudice aux recettes du système public des retraites. Il l’a combattu et finalement l’a fait rejeter (comme en témoigne le rapport d’Expresso, le plus grand hebdomadaire du pays, ci-dessous).
La victoire la plus importante pour le mouvement ouvrier et pour le Bloc de gauche fut d’obliger le gouvernement à accepter que les travailleurs précaires dans les services publics (écoles, hôpitaux, etc.) obtiennent le statut de fonctionnaires titulaires. Cette possibilité concerne plus de 30 000 personnes qui ont postulé.
Precarios Inflexíveis (les Précaires inflexibles), le mouvement social le plus important des travailleurs précaires, au sein duquel les militants de gauche jouent un rôle important, a à la fois promu une nouvelle loi, approuvée par le parlement, et l’organisation des travailleurs eux-mêmes pour lutter contre les résistances des bureaucrates intermédiaires dans les services publics (tels les universités et les hôpitaux) et du gouvernement en tant que tel. Le processus se poursuit toujours. C’est un mouvement stratégique pour le Bloc de gauche, à la fois en tant que force militante pour l’auto-organisation et en tant qu’acteur politique capable d’imposer la nouvelle règle.
Après avoir été vaincu sur la question de la contribution des entreprises à la sécurité sociale et avoir accepté de mettre en œuvre des changements importants en faveur des travailleurs précaires, le gouvernement a proposé en mars et avril 2018 de nouveaux changements dans la législation du travail. Certains étaient favorable aux travailleur·e·s, comme la réduction du nombre d’années (3 à 2) de contrats à durée déterminée successifs ou la limitation du nombre de contrats de travail temporaire (de très courte durée). Mais certains représentent le pire des scénarios : augmentation à de la période d’essai du contrat de travail de 180 jours à un an (aucun droit, aucune compensation en cas de licenciment) ou établissement de la possibilité de contrats verbaux jusqu’à 35 jours (principalement pour les services touristiques mais maintenant étendus à toute l’économie). Les syndicats et les partis de gauche mobilisent contre ces propositions.
Notre dernier exemple de conflit avec le gouvernement est la question de l’énergie. Suite à son accord écrit avec le gouvernement PS, le Bloc de gauche a pu apporter très rapidement un changement important pour les familles pauvres : l’accès au tarif social sur l’énergie, réduisant substantiellement son prix, a été élargi de 50 000 à 700 000 familles (une famille sur huit), tout en simplifiant la procédure de vérification des déclarations d’impôt sur le revenu et en évitant tout obstacle bureaucratique. Mais le grand conflit sur la question énergétique a commencé fin 2017, lorsque, après une négociation entre le Bloc de gauche et les ministères des Finances et de l’Économie, le parlement a approuvé une nouvelle taxe sur les bénéfices des entreprises de l’énergie, d’une valeur de quelques centaines de millions d’euros., Le gouvernement a alors été mis sous pression par le gouvernement chinois (après les privatisations de 2012, c’est le capital public chinois qui est propriétaire des plus grandes entreprises portugaises du secteur de l’énergie) et a imposé, avec l’aide des partis de droite, un nouveau vote parlementaire renversant la décision précédente. Cette tempête politique majeure a prouvé combien il est difficile de défier les intérêts capitalistes internationaux, à quel point le PS est vulnérable devant leur pouvoir, et aussi comment le Bloc de gauche doit poursuivre son combat pour le bien du peuple.
4. Soutenir et développer les mouvements sociaux
Vous savez maintenant ce que nous vivons : c’est un combat quotidien et sur tous les plans. C’est une claire confrontation pour des alternatives sociales et économiques. Dans ce cadre, les dirigeants des partis de droite et les grands patrons accusent le gouvernement d’être « otage » de la gauche et, bien qu’ils aient tort sur notre pouvoir réel, c’est leur perception de la force du mouvement conduit par la gauche. Simultanément, les leçons de ces accords sont un sujet majeur de division à l’intérieur du PS lui-même.
Construire la lutte en tant que sujet politique alternatif est donc le principal rôle de la gauche.
Nous concluons dans ce sens avec trois exemples actuels. Le premier c’est la grève des enseignants et les revendications pour les salaires, qui a conduit récemment à une très grande manifestation. Ce mouvement donne tort à tous ceux qui prétendent que l’accord passé entre les partis de gauche et le PS empêche ou limite le mouvement social. C’est précisément le contraire : comme beaucoup de travailleuses et travailleurs savent que le gouvernement est plus vulnérable à la pression sociale et que les partis de gauche sont leurs alliés, les victoires de leurs mobilisations leur apparaissent possibles. Le fait est là, les enseignants manifestent et préparent une longue période de combat, si nécessaire avec des grèves pour septembre et octobre.
Notre deuxième exemple c’est l’organisation de différents collectifs et organisations contre la prospection pétrolière et, en général, pour un changement radical des politiques de lutte contre le changement climatique. Ils sont particulièrement forts au niveau local, et convergent dans certaines initiatives, telles que les manifestations hispano-portugaises contre l’installation nucléaire d’Almaraz ou contre la mine d’uranium Retortillo. Dans ce dernier cas ils ont remporté récemment une victoire : le parlement espagnol a décidé d’arrêter ce crime contre l’environnement. Les mobilisations contre l’ouverture d’autres mines, la pollution des rivières par les grands producteurs de papier ou les entreprises agricoles intensives et en défense du bien-être animal contre les entreprises agroalimentaires, par exemple par des manifestations internationales contre le transport de bétail, ont pris de l’ampleur ces dernières années.
Enfin, un troisième mouvement social qui s’est avéré plein de ressources et qui grandit est le mouvement féministe, qui s’oppose notamment aux décisions scandaleuses des tribunaux portugais accréditant la violence domestique et le féminicide ; le mouvement féministe s’attaque aussi au harcèlement de rue et à la culture du viol. Ces mouvements se développent à mesure qu’ils développent un programme féministe lutte de classe, articulant l’inégalité entre les sexes avec le droit du travail productif et reproductif, et qu’ils luttent contre l’inégalité résultant de la société patriarcale capitaliste. Le mouvement féministe a organisé plusieurs manifestations locales, mais aussi de grandes manifestations nationales simultanément dans différentes villes, comme les marches contre Trump et la misogynie et les manifestations du 8 mars. Ces mouvements préparent actuellement la grève des femmes du 8 mars 2019.
On pourrait en dire autant des autres mouvements, tels que celui des locataires contre les expulsions et contre la gentrification des villes, ou celui des associations d’aide et de soins qui se développent actuellement. Le Bloc de gauche est actif dans tous ces mouvements. Tous représentent la lutte sociale telle qu’elle est : mouvante, parfois lente, parfois effervescente, joignant les forces, contradictoire et motivante. Néanmoins, ils sont plus grands et plus organisés qu’ils ne l’étaient quand il n’y avait pas d’alternatives. Représenter ces forces comme « otages » du PS n’est pas seulement une fausse caractérisation, c’est une pure insulte.
Nous insistons pour ne pas présenter le Bloc de gauche ou l’expérience portugaise comme un modèle. Quand la politique de masse est en jeu, il n’y a pas de modèles : seule une capacité bien enracinée d’apprendre et de combattre aux côtés de son propre peuple prépare un parti à ses choix stratégiques. En outre, nous sommes conscients que le Bloc de gauche a encore d’immenses progrès à faire. Il doit changer et être plus ouvert pour représenter la gauche sociale. Il doit aider à créer de nouvelles expressions des travailleurs et du mouvement populaire. Il doit lutter contre les tendances à l’adaptation aux institutions et à la routine. Il doit organiser l’éducation des membres de base et leur implication dans les organisations sociales. Il doit combattre les opinions sectaires à l’intérieur et à l’extérieur du parti. Pourtant, le Bloc de gauche est l’expérience la plus importante de la transformation de la gauche portugaise durent les quatre décennies de démocratie.
5. Un programme pour la justice sociale
Au cours de cette courte période du gouvernement PS, ces mouvements sociaux ont inspiré un débat politique et généré de nouvelles idées. Ils ont également influencé le cadre politique. Une des conséquences est le débat au sein du PS entre deux ailes : l’une pousse à la poursuite des politiques sociales et à l’alliance avec la gauche, tandis que l’autre pousse à un style néolibéral et austéritaire blairiste du parti et de la politique.
Cette contradiction au sein même du PS prouve qu’il y a une implication politique de l’accord conclu avec le Bloc et le PCP. Se sentant menacé par de nombreux électeurs socialistes qui favorisent l’alliance avec la gauche – et certains d’entre eux au point de considérer qu’il est avantageux que leur propre parti soit contraint par les partis de gauche – des membres de la direction du PS ont décidé de remettre en cause le pacte avec la gauche lors du récent congrès du PS (juin 2018). Certains d’entre eux ont effectivement invoqué l’exemple de la troisième voie néolibérale, tandis que d’autres ont déclaré que le PS ne devrait pas abandonner le pacte avec la gauche. C’est en effet un débat pertinent sur les idées, mais nous préférons y penser en termes d’action politique puisque c’est l’initiative de la gauche qui a renversé le gouvernement de droite. Le fait qu’être ou ne pas être allié à la gauche devient un sujet de division majeur pour le congrès du PS est la preuve d’un certain succès des partis de gauche. Les néolibéraux du PS et les lobbyistes de l’Union européenne craignent l’influence de la gauche et ils ont raison – mieux que quiconque, ils savent que la gauche constitue une alternative politique avec un soutien populaire.
En ce qui concerne le Bloc de gauche, il a signé un accord avec le PS en 2015. Cela a imposé un nouveau cadre à son activité mais n’a pas changé les objectifs du parti : créer un grand mouvement de classe pour le socialisme. Des mesures allant dans ce sens sont prises à différents niveaux, tels que la promotion de l’augmentation du niveau de vie des travailleurs et des retraités, la création de meilleures conditions pour la négociation collective des syndicats, la promotion de l’auto-organisation des travailleurs précaires, l’organisation du combat au cœur du système économique et social.
En ce sens, le débat sur l’avenir du service national de santé est aujourd’hui le plus brûlant, puisqu’il est au centre de l’offensive des financiers contre les services sociaux et qu’il implique des décisions cruciales en matière de budget. C’est le cas dans lequel l’impact de l’idéologie néolibérale est assez évident, car il s’agit d’une combinaison de privatisation des services et d’extraction des loyers que le secteur public payerait au privé. Le Bloc des gauches a réagi au néolibéralisme en proposant une restructuration profonde du système de santé et l’a fait de la manière la plus efficace, en coalition avec António Arnaut, président honoraire du PS et fondateur du système de santé moderne issu de la révolution d’avril 1974 (il était ministre de la Santé à la fin des années 1970). Arnaut a préparé une nouvelle loi avec João Semedo, un ex-député du Bloc, qui a été son coordinateur, et est un porte-parole bien connu du parti pour les questions de santé. Ils ont publié ce projet de loi dans un livre (en décembre 2017) et il a eu un énorme impact. C’est l’expression d’une initiative politique recherchant des convergences pour changer le panorama des débats et des choix.
Dans ce cas comme dans d’autres, le Bloc de gauche défie et affronte la politique du centre. Nos opinions sur le service national de santé n’ont pas la majorité au Parlement, mais nous ne sommes pas vaincus. Nous persistons et insistons. Et c’est ainsi que la politique de gauche va gagner : parler à des gens qui partagent les mêmes idées, y compris dans d’autres partis, créer un mouvement social, défendre des propositions concrètes et être capable de fournir une alternative. Et ne pas seulement protester.
C’est notre stratégie : nous nous battons pour la majorité partout. En tant que militants du socialisme, c’est notre détermination et notre expérience et c’est ce que nous voulons partager avec nos frères et sœurs.