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Revenu universel d’activité, un nom scandaleux, un projet dangereux
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le Président Macron a présenté le 12 septembre dernier dans le cadre d’un plan de lutte contre la pauvreté, la mise en place d’un « revenu universel d’activité ». Henri Sterdyniak, membre du collectif d'animation des économistes atterrés, souligne notamment que le projet annoncé n’est en rien un revenu universel (versé à tous, sans aucune condition), ni même un revenu minimum garanti.
Le 12 septembre 2018, Emmanuel Macron a annoncé, dans le cadre d’un plan de lutte contre la pauvreté, la mise en place d’un « revenu universel d’activité », soit une allocation unique sous conditions de ressources et d’activité (emploi, recherche d’emploi ou effort d’insertion)
Le nom est en lui-même une usurpation scandaleuse. L’objectif est de dévoyer les espoirs que les partisans d’un vrai revenu universel avaient pu susciter chez certains[1]. Le projet annoncé n’est en rien un revenu universel (versé à tous, sans aucune condition), ni même un revenu minimum garanti.
L’expression de revenu universel d’activité est un oxymore, un mensonge d’État. Par définition, un revenu universel ne doit pas dépendre de l’activité. Les minimas sociaux bénéficient essentiellement à des personnes qui, pour une raison ou une autre (âge, handicap, santé, contrainte familiale, absence d’emplois disponibles), ne peuvent pas travailler. On ne peut renoncer à leur objectif de solidarité[2] sous prétexte d’inciter à l’emploi. Le revenu minimum d’activité, celui qui doit être garanti à toute personne qui travaille, existe déjà, c’est le SMIC.
Dans le plan présenté le 12 septembre, il est proclamé que ce prétendu revenu universel d’activité (RUA) fusionnera le revenu de solidarité active (RSA), la prime d’activité (PA), les allocations logement (APL). C’est oublier que beaucoup de personnes touchent les allocations logement sans bénéficier du RSA ou de la PA. C’est le cas des retraités, des handicapés, des chômeurs et des étudiants.
Le projet oublie le minimum vieillesse (ASPA), l’allocation adulte handicapé (AAH) et l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI). Il semble acté qu’il permettra de supprimer l’allocation l’ASS (l’allocation spécifique de solidarité, qui permet tout de même aux chômeurs de longue durée de continuer à valider des droits à retraite).
La fusion des minimas sociaux est un mythe dangereux. Sous prétexte de simplification, elle aboutirait à mélanger des populations très différentes : des personnes âgées sans ou avec peu de ressources, les handicapés, des chômeurs de longue durée ayant des difficultés à retrouver un emploi, des personnes hors emplois, des travailleurs précaires ou à bas salaires, des femmes isolées avec des enfants en bas âge. Ces personnes ont actuellement des minimas sociaux de montants différents. Elles ont surtout des besoins de suivis très différents : on ne peut imposer des conditions d’activité aux personnes âgées, aux handicapés, etc.
La prime d’activité a été créée en 2016 pour différencier les personnes sans ressources ni emploi (qui avaient droit au RSA socle) et les salariés pauvres (qui avaient droit au RSA activité, mais pour lesquels le taux de recours était faible en raison de la confusion avec le RSA, des effets de stigmatisation, des difficultés d’obtention). La prime d’activité, attribuée plus automatiquement, a permis d’augmenter fortement le taux de recours L’ensemble RSA/PA assure une hausse des ressources suite à une reprise d’emploi. Faut-il revenir en arrière au bout de 3 ans ?
Il y a une forte contradiction entre prétendre créer une prestation universelle, lutter contre les non-recours (ce qui suppose une attribution automatique) et imposer des conditions comme un examen de la situation du bénéficiaire par un conseiller, la signature d’un contrat comportant des engagements de recherche d’emploi et d’efforts d’insertion, la suppression de l’allocation en cas d’efforts jugés insuffisant.
Un travailleur au SMIC, une famille avec 2 enfants, dont un conjoint est au SMIC à temps plein et l’autre à temps partiel, ont droit actuellement à la PA et à l’APL. Quel engagement devront-ils signer ?
Il est proclamé que la prestation pourra être suspendue en cas de refus de deux offres d’emploi raisonnables. Cette suspension entraînerait donc la suppression de l’APL, l’expulsion de la famille de son logement. C’est trop ignoble pour être crédible.
Au mieux, le RUA devrait être distingué² en plusieurs modalités selon qu’il serait versé à une personne âgée (il serait plus élevé, sans obligation d’activité), une personne handicapée (plus élevé là aussi, avec une prise en compte adaptée de l’activité), un jeune (qui a droit à une formation ou un emploi), une famille de travailleurs pauvres, un chômeur de longue durée, une personne très éloignée de l’emploi. La prestation unique n’est pas possible.
L’échec du projet de l’Universal Credit au Royaume-Uni aurait dû faire réfléchir. Il s’est avéré impossible de fusionner les fichiers des allocations familiales, logement, chômage, retraite. Le contrôle des allocataires, souvent sous-traité à des entreprises privées, est devenu inquisitorial et contre-productif. Les retraits de droit à prestation ont des conséquences catastrophiques pour les familles.
Le projet de RUA est basé sur un présupposé idéologique et faux : les personnes en difficulté le sont parce qu’elles ne font pas assez d’efforts d’insertion. En les incitant à se former, à changer de région, à prendre un emploi en augmentant le gain à l’emploi (par la baisse des prestations d’assistance), on réduirait la pauvreté. C’est oublier qu’il y a un manque d’emplois disponibles, que certains emplois précaires, à temps partiel, mal payés, ne font pas sortir de la pauvreté, qu’en période de chômage de masse, les employeurs ont le choix et que certaines personnes qu’elles jugent peu employables (pour des raisons diverses : âge, problème de santé, défauts de présentation, ...) ont peu de chance de retrouver un emploi.
Par ailleurs, le projet est dangereux dans une période où le gouvernement veut réduire fortement les dépenses publiques. La fusion risque de permettre d’écarter certaines personnes des prestations (en particulier l’APL) ou de diminuer les montants versés (en particulier pour les bénéficiaires de l’ASS).
Le gouvernement prétend vouloir lutter contre la pauvreté. Mais la sous-indexation des prestations familiales et des allocations logement en 2019-2020 (une baisse de l’ordre de 3% en pouvoir d’achat[3]) va frapper particulièrement les familles monoparentales et les familles nombreuses, celles où se concentrent les enfants pauvres. La désindexation des retraites a suscité plus de réactions que celle des prestations familiales : les familles ne se défendent guère et les enfants ne votent pas.
La hausse annoncée de la prime d’activité de 20 euros en 2018 n’est que la correction d’une mesquinerie du gouvernement de François Hollande qui, en septembre 2017, avait augmenté le RSA sans augmenter la base de la prime d’activité. À partir de 2019 la bonification individuelle augmentera sans bénéficier spécifiquement aux familles avec enfants.
Il faudrait sortir de l’ambiguïté et non s’y enfoncer. La société doit offrir à chacun des possibilités d’insertion, elle doit rendre effectif le droit à l’emploi, mais, cela mis en place, elle doit assurer un revenu minimum garanti à tous (sans condition d’activité). Pour les personnes en emploi, c’est le SMIC (et les prestations familiales universelles) qui doivent assurer un niveau satisfaisant de revenu.
Lutter effectivement contre la pauvreté nécessiterait d’augmenter le RSA, tout particulièrement pour les familles avec enfants, pour les personnes engagées dans un processus d’insertion, pour celles qui, compte tenu des exigences des entreprises, n’ont aucune chance de retrouver un emploi ; de créer une prestation spécifique pour les jeunes de moins de 25 ans à la recherche d’un emploi. Il faudrait lutter contre le développement des emplois précaires sous-payés au lieu de l’encourager par l’extension des exonérations de cotisations sur les bas salaires et la flexibilisation des horaires. Il faudrait lancer un vaste programme de création d’emplois de dernier ressort (tout chômeur de longue durée se verrait proposer un emploi dans une entreprise d’insertion, une association, une collectivité locale) pour contribuer à répondre à de vrais besoins sociaux et assurer effectivement le droit à l’emploi inscrit dans la Constitution[4].
[1] Nous avons montré cependant que ce projet était coûteux et contestable, qu’il était préférable d’assurer le droit à l’emploi et de revaloriser les minimas sociaux. Voir : Henri Sterdyniak : « Des minimas sociaux au revenu universel ? », e-book de l’OFCE, mars 2017 ; Les Économistes atterres et la Fondation Copernic, Faut-il un revenu universel ? Paris, Edition de l’Atelier, 2017.
[2] Figurant dans l’article 11 du préambule de la Constitution de 1946 : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».
[3] Les économies ainsi réalisées seraient de l’ordre de 1,5 milliards en 2020, qui couvriraient une grande partie des dépenses de 2 milliards par an annoncées pour le plan anti-pauvreté.
[4] Dans l’article 5 du préambule de la Constitution de 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ».