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Efficacité de l’homéopathie : que dit la science ?

santé

Lien publiée le 22 septembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/visuel/2018/09/21/efficacite-de-l-homeopathie-que-dit-la-science_5358516_4355770.html

Si le débat autour de l’efficacité de ces traitements perdure dans l’opinion publique, il a cessé dans la communauté scientifique : outre son effet placebo, aucune étude n’a pu démontrer rigoureusement l’efficacité de l’homéopathie.

Dans la famille des controverses médicales, celle sur l’homéopathie est probablement l’une des plus anciennes. Une arlésienne qui n’en finit pas de diviser les professionnels de santé, particulièrement ravivée cette année par une tribune parue dans Le Figaro du 19 mars et signée par 124 professionnels de la santé, qualifiant l’homéopathie d’« irrationnelle »« dangereuse » et « coûteuse », ce à quoi a répondu le Syndicat national des médecins homéopathes français en assignant devant la justice de l'ordre des médecins plusieurs dizaines de confrères et de consœurs signataires pour « non-confraternité » et « non-respect du code de déontologie ».

Pourtant, au sein de la communauté scientifique, l’homéopathie ne fait plus réellement débat : plusieurs dizaines d’années d’efforts de recherche n’ont jamais permis de montrer solidement que ces traitements ont un effet supérieur à un placebo, c’est-à-dire à un faux médicament qui n’agit que parce que la personne pense qu’on la traite.

L’homéopathie, une exception à la marche de la science

Fondée à la fin du XVIIIe siècle par le médecin allemand Samuel Hahnemann, l’homéopathie est la médecine alternative la plus vieille à s’être installée en Europe, et repose principalement sur l’idée que quasiment tout mal peut être soigné en administrant la substance ou le produit qui le provoque à des doses moindres, idée fondée sur deux postulats : le premier est de soigner le mal par le mal (ce qu’on appelle la théorie des semblables), le second est de diluer grandement les produits soignants, de sorte à les potentialiser (en pensant que les diluer renforcerait leur potentiel thérapeutique).

Après la soutenance de sa thèse en médecine en 1779 à Erlangen (Bavière), Samuel Hahnemann vit péniblement de ses activités médicales et commence à travailler en tant que traducteur d’ouvrages et de travaux scientifiques. Très critique des pratiques médicales appliquées en cette fin de XVIIIe siècle (comme la saignée ou la purge), qu’il estime inefficaces, Hahnemann s’intéresse en 1790 au Traité de matière médicale écrit par le médecin écossais William Cullen, dans lequel celui-ci propose d’utiliser l’écorce de quinquina pour traiter certaines fièvres. Hahnemann s’auto-administre de fortes doses de la plante et remarque que celle-ci provoque chez lui des poussées modérées de fièvre sans les autres symptômes habituels des fièvres intermittentes telles que le paludisme.

Il en conclut que les maux peuvent être soignés avec les produits qui les provoquent, une idée consacrée en 1796 dans son Essai sur un nouveau principe pour vérifier le pouvoir curatif des substances médicinales, et qui trouve sa confirmation, aux yeux de Hahnemann, dans la découverte la même année, par Edward Jenner, du principe de la vaccination, qui consiste à immuniser un patient contre une maladie en lui injectant le même pathogène affaibli.

Le médecin allemand rencontre réellement la notoriété en 1810 avec son Organon de l’art de guérir, dans lequel il développe pleinement le concept de l’homéopathie et qui rencontre un certain succès dans plusieurs pays d’Europe. Il achève sa théorie en 1814 lorsqu’il propose de ne donner que des doses infimes aux patients afin que les substances ne produisent que les plus petits symptômes possibles de la maladie d’origine, en diluant celles-ci dans une grande, très grande quantité d’eau.

L’unité de base de sa dilution est le CH (ou centésimal hahnemannien), qui est égal à la dilution d’une substance dans un volume d’eau 100 fois supérieur. Deux CH signifient qu’une substance a été diluée deux fois d’affilée dans un tel volume, ce qui amoindrit très rapidement la quantité de la substance d’origine. A tel point qu’au bout de douze CH, plus aucun atome de la solution d’origine n’est présent dans l’eau. Hahnemann, lui, propose une dilution de 30 CH, théorisant que le pouvoir thérapeutique de la substance subsistait sous la forme d’une « force spirituelle dématérialisée ».

Son affirmation, qui est en contradiction totale avec les connaissances scientifiques en chimie, a valu à Hahnemann de rudes critiques de la part de nombre de ses pairs et a initié une lutte, qui perdure toujours deux cents ans plus tard, entre les homéopathes et le reste de la communauté scientifique. Un fossé qui n’empêchera pas l’homéopathie de progressivement pénétrer les cercles académiques orthodoxes. L’Institut américain d’homéopathie fut la première institution créée dans le but de rendre ces traitements davantage acceptés par les praticiens, selon l’historien de la médecine Irvine Loudon. Ainsi, un rapprochement s’est graduellement opéré entre homéopathes et médecins orthodoxes, les uns adoptant en partie la médecine conventionnelle, les autres empruntant davantage aux pratiques fondées par Hahnemann, quoiqu’elles soient dénuées de tout fondement scientifique.

Aucun résultat convaincant malgré 180 ans de recherche

Bien que les principes fondamentaux de l’homéopathie n’aient jamais été soutenus par autre chose que l’imagination d’Hahnemann lorsqu’il les a formulés, la recherche scientifique s’est longtemps penchée sur l’efficacité des traitements homéopathiques. L’un des premiers essais cliniques eut lieu en 1835 à Nuremberg, lorsque Wilhelm von Hoven, le directeur des hôpitaux de la ville, agacé par la popularité grandissante de l’homéopathie parmi la bourgeoisie bavaroise, organisa une expérience pour en tester l’efficacité. Réunissant une centaine de participants, von Hoven et Johann Jacob Reuter, le médecin homéopathe de la ville, formèrent deux groupes aléatoirement et donnèrent de l’eau distillée aux uns et de l’eau salée dont le sel a été dilué à 30 CH aux autres. Menée avec des standards de qualité élevés, l’étude montrait que seuls 16 % des participants disaient avoir ressenti des sensations dues à l’ingestion de sel. La grande majorité des volontaires ayant pris la solution homéopathique n’avaient ressenti aucun effet, ce qui mena les chercheurs à la conclusion que Johann Jacob Reuter avait tort.

Depuis cette expérience, restée célèbre, le nombre de travaux sérieux ayant mis en évidence l’efficacité thérapeutique des traitements homéopathiques est resté à zéro, malgré les efforts de recherche considérables qui ont été déployés depuis cent quatre-vingts ans pour trancher cette question.

Plusieurs centaines de travaux indépendants ont été consacrées à cette question et ont tenté de déterminer les effets homéopathiques sur une grande variété de maladies et d’états de santé, et notamment pour ceux les plus traités par l’homéopathie (asthme, otites, arthrite, migraines, allergies, hypertension, etc). La plus grande revue de la littérature scientifique existante a été publiée en 2015 par le Conseil national de la recherche médicale australien (National Health and Medical Research Council, ou NHMRC) après trois ans d’un processus rigoureux de relecture des études portant sur le sujet. Un travail considérable qui s’est fondé sur trois sources d’informations :

  • une revue des preuves réalisée en sélectionnant toutes les méta-études remplissant des critères de qualité (les méta-études sont des études qui évaluent les connaissances scientifiques sur un sujet en décortiquant un grand nombre d’études) ;
  • une évaluation des preuves fournies par les groupes d’intérêts défendant l’homéopathie ainsi que par le public ;
  • les rapports publiés par les agences des gouvernements des autres pays.

Le NHMRC a ainsi étudié 57 méta-études publiées entre 1997 et 2013 et recouvrant 176 études scientifiques sur 61 maladies ou problèmes de santé.

Pour 13 problèmes de santé, l’homéopathie n’a pas eu plus de résultats qu’un placebo. Pour les autres pathologies, les études qui ont suggéré un bénéfice supérieur à un placebo se sont révélées mal conçues et peu fiables, en raison d’erreurs méthodologiques sérieuses ou d’un nombre de participants trop faible pour soutenir ces conclusions. Ce à quoi s’ajoute, pour près de la moitié des problèmes de santé étudiés, un nombre très réduit de travaux qui, pour quasiment tous, présentent des défauts de conception, ce qui ne permet pas de conclure dans un sens ou dans l’autre sur l’efficacité de l’homéopathie concernant ces maladies.

Quant aux études soumises au NHMRC par les défenseurs de l’homéopathie et par le public, elles ne se sont pas révélées concluantes du tout. Sur 496 publications soumises à l’examen des scientifiques, 447 ne remplissaient pas les critères requis, étaient sans rapport ou déjà incluses dans le corpus étudié par le NHMRC. Sur les 49 articles restants soumis par les homéopathes, 48 ne satisfaisaient pas aux critères de rigueur requis et présentaient des erreurs ou ne donnaient pas assez de détails, les auteurs les qualifiant de « faible qualité ». Une seule étude portant sur les infections des voies respiratoires s’est révélée assez peu biaisée et suggérait que l’homéopathie avait été efficace. Mais le faible nombre de patients étudiés rend ses conclusions pour le moins fragiles au regard du consensus scientifique qui se dégage du reste des études.

Après trois ans de relectures de la littérature scientifique par deux groupes indépendants d’experts, la conclusion de l’institution australienne est sans appel. « Le NHMRC conclut qu’il n’existe aucun problème de santé pour lequel il existe des preuves satisfaisantes de l’efficacité de l’homéopathie », précisant que celle-ci « ne devrait pas être utilisée pour traiter des pathologies chroniques, graves ou potentiellement graves »« Les personnes faisant le choix de l’homéopathie pourraient mettre leur vie en danger si elles en venaient à refuser ou à repousser le choix d’un traitement dont l’efficacité et la sûreté ont été prouvées », ajoutent les auteurs du rapport.

Le rapport volumineux, détaillé et transparent du NHMRC, s’il est accablant tant les conclusions sont unanimes, n’est pourtant que l’un des derniers épisodes d’une longue liste de travaux similaires, qui ont tous eu pour objet de synthétiser les connaissances les plus fiables sur le sujet et d’étudier les travaux scientifiques publiés dans les revues d’homéopathie et ardemment mis en valeur par les homéopathes. Mais à chaque fois, les conclusions sont négatives : aucun effet distinct d’un effet placebo n’a jamais été mis en évidence de manière rigoureuse. Les preuves dont se réclament les homéopathes pour défendre leurs pratiques – dont ils admettent d’ailleurs qu’elles fonctionnent sans savoir exactement comment – n’ont pas une seule fois résisté aux relectures rigoureuses de leurs pairs.

« Il y aura une avalanche de gens qui ne répondront pas à ce rapport et qui diront que ça n’est qu’une conspiration du système, a tenu à prévenir Paul Glasziou, le président du comité de travail sur l’homéopathie, après la publication du rapport du NHMRC. Mais nous espérons que de nombreuses personnes reconsidéreront le fait de vendre, rembourser ou utiliser ces traitements. » De fait, en novembre 2017, les services de santé britanniques, le National Health Service (NHS), ont décidé d’arrêter leur remboursement, même si la pratique est très marginale au Royaume-Uni, après avoir pris en compte les travaux de leurs homologues australiens et avoir étudié neuf méta-études publiées depuis. Comme précédemment, certaines études ont fait état d’effets supérieurs aux placebos, mais souffraient d’erreurs de conception qui rendent leurs résultats très incertains. Le reste a conclu à l’absence d’effets significatifs. En France, les médicaments homéopathiques sont actuellement classés comme ayant un « service médical au rendu modéré » et sont remboursés par l'Assurance maladie à hauteur de 30 %.

Si, comme le notait l’Académie nationale de médecine en juin 2004, cette pratique « obsolète » n’est fondée qu’« à partir d’a priori conceptuels dénués de fondement scientifique » qui a vécu « à l’écart de tout progrès », sa survie à deux siècles de victoires médicales considérables peut s’expliquer par plusieurs raisons.

Outre le fait qu’elle a été fondée comme une alternative aux pratiques bien peu efficaces de la médecine conventionnelle de son époque, l’homéopathie a été importée par de nombreux praticiens dans d’autres pays d’Europe. Ils étaient présents dans la plupart des pays européens à la mort d’Hahnemann à Paris en 1843, ainsi qu’en Russie et aux Etats-Unis, où naît, un an plus tard, l’Institut américain d’homéopathie. Les homéopathes ont également su « scientifiser » leurs pratiques en adoptant progressivement les progrès et la méthode scientifiques. De nombreuses revues d’homéopathie ont ainsi vu le jour et ont permis la publication de nombreux travaux de recherche qui serviront ensuite à crédibiliser l’homéopathie comme une médecine fondée sur les preuves (même si des relectures critiques desdites publications ont mis en évidence à de multiples reprises le faible degré de fiabilité de leurs résultats). De fait, on compte aujourd’hui en France une quinzaine de facultés de médecine proposant des diplômes universitaires d’homéopathie et quelque 5 000 médecins homéopathes.

Plus généralement, le succès populaire de l’homéopathie en France, en Inde et dans de nombreux autres pays tient aussi au fait qu’elle est vue par ses défenseurs comme un système « attractif, simple, sans danger, facile à comprendre et centré sur le patient dans son intégralité », selon Irvine Loudon. Un principe d’individualisation mis en avant par les homéopathes, qui estiment que le patient reçoit plus d’écoute et de soutien, ainsi que moins de principes actifs ayant des effets secondaires, face à une médecine conventionnelle décrite ou perçue comme surmédicalisée et antipathique.

C'est d’ailleurs ce que montre une grande étude longitudinale baptisée « EPI3 » et ayant suivi quelques milliers de patients de 825 médecins généralistes sur un an. Financée à hauteur de six millions d’euros par les laboratoires Boiron, le leader des médicaments homéopathiques en France, et réalisée par des professionnels indépendants, cette étude a montré que les médecins homéopathes prescrivaient beaucoup moins de traitements actifs que les praticiens de la médecine conventionnelle, pour un résultat thérapeutique similaire.

Ce suivi, assuré entre mars 2007 et juillet 2008, et dont les résultats ont été publiés entre 2012 et 2016, est très souvent utilisé par les médecins homéopathes qui y voient une validation de l’efficacité thérapeutique de l’homéopathie. Si le résultat principal – à savoir que les praticiens homéopathes donnent moins de traitements actifs pouvant générer des effets secondaires – est indéniable, il est important de rappeler que l’étude est conçue pour comparer deux types de prises en charge et non les médicaments en eux-mêmes. Comme le notent les auteurs, les résultats peuvent s’expliquer en partie par « l’interaction entre le médecin et le patient », et l’étude ne peut servir à comparer la différence d’efficacité entre la médecine conventionnelle et l’homéopathie, dont ils rappellent que « l’efficacité au-delà de l’effet placebo reste à prouver ». Selon eux, le dialogue et la consultation en soi peuvent créer les conditions d’un effet placebo.

L’étude ne faisant que suivre la patientèle de médecins aux pratiques différentes, elle n’est pas conçue comme un essai clinique et ne peut ainsi pas contrôler la différence de profil de patients consultants ces deux groupes de médecins. Ainsi, les patients des homéopathes sont-ils souvent davantage non fumeurs, ont suivi des études plus longues, ont un indice de masse corporel plus faible et sont davantage des femmes. Des différences statistiquement significatives qui limitent la solidité des résultats. Le nombre limité de patients sur certains troubles étudiés, ajouté à l’inefficacité de certains traitements conventionnels et à l’absence de contrôle de certaines variables rendent les résultats peu concluants pour l’homéopathie, même s’ils suggèrent que certaines pathologies peuvent se soigner sans surmédication.

Après les vives critiques dont il a fait l’objet, Paul Glasziou tente de tempérer. « Je comprends très bien pourquoi Samuel Hahnemann n’était pas satisfait des pratiques médicales du XVIIIe siècle, comme la saignée ou la purge, et pourquoi il a tenté de trouver une meilleure alternative, écrit-il dans une note de blog en 2016. Mais j’imagine qu’il serait déçu par l’échec de l’homéopathie à poursuivre ses recherches innovantes. »

Comme le rappelle Irvine Loudon, « s’il y a bien une pratique médicale qui a vraiment demandé un examen scientifique minutieux, c’est l’homéopathie ». Pourtant, deux siècles plus tard, elle échoue toujours à démontrer la preuve de son efficacité.