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"La politique agricole commune doit être profondément réformée"

agriculture

Lien publiée le 24 septembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://reporterre.net/La-politique-agricole-commune-doit-etre-profondement-reformee

Le monde agricole pourrait évoluer vers moins de pesticides et davantage de qualité. Selon un collectif d’associations, l’argent nécessaire à cette transition peut être dégagé de la Politique agricole commune européenne. C’est ce qu’explique à Reporterre Quentin Delachapelle, paysan et porte-parole de ce collectif.

C’est la plus ancienne et la plus intégrée des politiques de l’Union européenne (UE) : la PAC, Politique agricole commune. Pour la période 2015-2020, elle représente 40 % du budget de l’UE, dont 9 milliards d’euros par an pour la France, distribués aux agriculteurs selon des règles durement négociées. Des règles qui vont changer pour la prochaine période de la PAC, qui ira de 2021 à 2027. Et si, en changeant la façon de le redistribuer, on pouvait se servir de ce pactole pour une transition agricole ? C’est le fol espoir de 33 organisations, à la fois paysannes, environnementales, de solidarité internationale, de défense du bien-être animal, de consommateurs [1]. Elles présentaient vendredi 21 septembre leurs propositions « pour une autre PAC ».

Leur porte-parole, l’agriculteur Quentin Delachapelle, explique à Reporterre pourquoi la PAC a besoin d’être profondément réformée, et déploie les propositions de cette Plateforme pour une autre PAC.

Quentin Delachapelle.


Reporterre — Que reprochez-vous à la PAC actuelle ?
Quentin Delachapelle — On lui reproche de ne pas porter un projet à la hauteur de celui qu’elle portait à sa création. On reconnaît l’effet important qu’a eu la PAC dans les années 1960 pour accompagner l’évolution de l’agriculture. À l’époque, la problématique était d’avoir moins de bras dans les campagnes et davantage dans les industries pour reconstruire le pays. Mais, depuis les années 1980, d’autres enjeux ont émergé. Les enjeux environnementaux — climat, biodiversité, eau, on ne va pas faire tout le descriptif tellement ils sont longs. Il y a aussi de gros enjeux d’emploi. On passe d’un contexte où il y avait trop de monde dans les campagnes à un contexte où il n’y en a plus assez. Et puis, la PAC, qui était censée répondre à l’autosuffisance alimentaire, y a peut-être répondu en volume, mais pas en qualité. 20 % des citoyens ont du mal à se nourrir correctement en France d’après un récent rapport [2], il y a un vrai problème d’accès à une alimentation de qualité pour tous. Enfin, la PAC crée aussi des distorsions de concurrence avec les pays en développement. Elle nécessite d’être profondément réformée.



Comment la PAC agit-elle sur l’évolution d’une exploitation agricole, la vôtre par exemple ?
La PAC rend dépendante une grande partie de l’agriculture et influence son développement. L’objectif est d’occuper le moins d’hommes possible et de produire au prix le plus bas possible, pour que la valeur ajoutée soit déplacée vers l’industrie agroalimentaire. La PAC incite les agriculteurs à faire de l’économie d’échelle. Donc, plus une exploitation a de surface, plus elle touche d’aides. Ce type d’exploitations perçoit toujours autant d’aides alors que le nombre d’actifs qu’elles emploient est plutôt en régression. Et, en face, il y a de plus en plus de petites fermes qui ne sont pas dépendantes de la PAC, qui cultivent souvent moins de 50 hectares, et qui ont cherché à créer de la valeur ajoutée par de la vente directe, de l’agriculture bio, etc. Cette deuxième catégorie répond aujourd’hui à des attentes sociétales. Mais si on veut que ces exploitations se généralisent, il faut se donner les moyens de les accompagner, car ce sont celles-là qui ont malgré tout beaucoup de difficultés. On est loin de l’image bucolique de la petite ferme.
Je suis en polyculture élevage et je fais partie de la catégorie des exploitations qui dépendent de la PAC. Selon les années, les aides PAC représentent de 50 % à la totalité de mon revenu, en fonction des prix du marché et des aléas climatiques que l’on peut rencontrer. Mais cette PAC ne nous apporte aucun levier pour évoluer. Elle favorise davantage le statu quo qu’une transition vers l’agroécologie.
Par exemple, un producteur de tomates : s’il fait de la tomate industrielle de plein champ en toutes saisons pour la vendre à un transformateur qui fait du coulis, il peut bénéficier d’aides PAC. Mais, si ce producteur décide de changer son système et de se mettre à faire des légumes diversifiés et à les vendre sur le marché, il perd ces aides, car elles étaient liées au contrat avec le transformateur.



Vous proposez une autre façon de répartir le budget de la PAC, expliquez-nous.
La PAC est organisée selon deux axes. Le premier est un soutien à la production, majoritairement lié à la surface de la ferme. La moyenne des aides est de 260 € à l’hectare. Si vous avez 10 hectares, vous toucherez 2.600 €. Si vous avez 100 hectares, vous toucherez 26.000 €. Le deuxième axe est le développement rural, auquel correspondent les aides liées à la restauration de la biodiversité ou l’agriculture biologique.

Le problème actuel est que 1er pilier représente 80 % des aides. Le deuxième pilier est là pour compenser aujourd’hui les dégâts du premier pilier — c’est même l’Europe qui le dit —, mais il n’en a pas les moyens.

La PAC actuelle privilégie les grandes exploitations plutôt que les petites fermes.

L’objectif pour nous est que cette rente à la surface, qui n’a pas de légitimité, diminue progressivement. Une PAC légitime vis-à-vis du citoyen ou de l’agriculteur, ce serait d’avoir des aides en fonction de la valeur ajoutée apportée par la ferme, que ce soit en matière d’agroenvironnement, de qualité des produits, mais aussi de nombre d’emplois. Ces critères ne figurent quasiment pas dans la PAC. Il faut un rééquilibrage, et commencer par une forte diminution des aides à l’hectare, pour que les agriculteurs comprennent la logique et réorientent leur système.



Comment comptez-vous arriver à porter ces questions-là au niveau européen ?
Pour nous, la question est : qu’est-ce qui peut se passer si on n’y arrive pas ? Un certain nombre d’États européens considèrent que la PAC n’est pas une priorité budgétaire parce que l’agriculture est très marginale chez eux, notamment en Europe du Nord. La PAC n’est plus comprise par le citoyen, et le grand drame est qu’elle n’est même plus comprise par les paysans qui en bénéficient. Il y a un risque de détricotage et que tout le monde soit perdant en définitive [le budget de la PAC pourrait baisser de 5 à 15 %].
On craint que cette nouvelle réforme ne réponde pas à l’urgence de la transition des systèmes. Très concrètement, je suis installé depuis dix ans, j’ai déjà vécu tous les accidents climatiques qu’a vécus mon père en 40-50 ans de carrière. Et en une heure, j’ai autant de variations des prix que lui pouvait en connaître en un an il y a 20 ans. Il y a un vrai besoin de la PAC comme outil d’accompagnement. Mais pas comme outil de perfusion.



Vous agissez au niveau français – d’ailleurs, la France est le plus gros bénéficiaire de la PAC en Europe. Quelle est sa position dans les négociations européennes ?
La difficulté est qu’il y a de belles intentions, mais que le fond de la bataille actuelle est sur le budget. On nous a dit que la France porterait des propositions fortes telles qu’un plafonnement des aides en fonction du nombre de personnes qui travaillent sur une ferme. Mais cette proposition n’aurait aucun effet en France, parce que le montant du plafond est très élevé ! On sent bien qu’il n’y a pas de réelle volonté de baisser les aides à l’hectare et on ne voit pas comment engager une transition s’il n’y a pas une réelle évolution sur ce sujet.

  • Propos recueillis par Marie Astier