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Catalogne: négociation sous conditions entre l’Etat et les indépendantiste
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
En Espagne, l’arrivée de Pedro Sánchez aux responsabilités offre aux nationalistes catalans une fenêtre de négociation, certes mince, inimaginable sous l’ère Rajoy. Ceux-ci doivent néanmoins composer avec des divergences internes et la mise en accusation, par la justice espagnole, de plusieurs de leurs dirigeants. Éléments d’analyse.
« La manière dont s’est terminé l’été 2017 – l’exil et la prison – a généré des blessures qui, dans certains cas, n’ont pas encore cicatrisé », constate le journaliste politique Oriol March, dans les colonnes du pure-player indépendantiste NacióDigital. À commencer par les divisions internes au camp indépendantiste : depuis l’espace politique de Junts per Catalunya – le centre-droit nationaliste dont sont issus Carles Puigdemont et l’actuel président de la Generalitat, Quim Torra, des accusations d’autonomisme ont été lancées à l’encontre de certaines figures de l’ERC, la gauche républicaine de Catalogne, l’autre composante majeure du bloc souverainiste. Certains partisans de Carles Puigdemont, exilé en Belgique, mais aussi des grandes organisations transpartisanes, l’ANC et Òmnium Cultural, voient d’un mauvais œil les réticences de la gauche catalane à poursuivre la voie unilatérale. Pourtant, avec l’arrivée de Pedro Sánchez à la Moncloa, le siège du gouvernement espagnol, c’est dans la voie de la négociation que dit s’engager Quim Torra. Mais sa proposition, celle d’un « référendum négocié [entre Madrid et la Catalogne], contraignant et internationalement reconnu », a déjà été écartée par le Premier ministre espagnol, qui s’est prononcé pour un référendum portant sur les compétences autonomiques du gouvernement catalan, et non sur l’autodétermination. Torra, dans une entretien accordé le 22 septembre à nos confères de NacióDigital, considère que le sort des exilés, des prisonniers, la récupération des pouvoirs institutionnels et l’organisation de la société civile constituent les quatre principaux axes de travail politique. Pour dépasser les querelles de l’été passé, des discussions sont en cours entre les principales forces de l’espace politique indépendantiste : la coalition Junts per Catalunya, l’ERC, la CUP (gauche radicale indépendantiste) et les organisations transpartisanes.
DU PROCÉS AU PROCÈS
La réflexion stratégique des dirigeants indépendantistes devra bien sûr inclure un facteur majeur : la tenue prochaine du procès des 25 dirigeants indépendantistes accusés par la justice espagnole de rébellion, malversation ou désobéissance. Sans date précise, le verdict pourrait n’advenir qu’après le cycle électoral (municipales, européennes et régionales) du 26 mai prochain. Une échéance lointaine dans laquelle « la justice européenne a beaucoup à voir », écrit le journaliste José María Brunet. « S’il n’était pas clair que c’est le Tribunal européen des Droits de l’Homme qui aura le dernier mot sur ce procès, tout irait plus vite. Mais sur cet aspect, le Tribunal suprême veut renforcer les précautions et garanties », poursuit-il dans les colonnes de La Vanguardia, quotidien de référence en Catalogne. Parmi les treize dirigeants accusés de rébellion, le délit le plus grave, quatre se trouvent en exil (Carles Puigdemont et Clara Ponsatí pour Junts Per Catalunya, Toni Comín et Marta Rovira pour l’ERC) et les neuf autres sont emprisonnés (depuis 217 jours pour les politiques Raül Romeva, Dolors Bassa, Carme Forcadell, Jordi Turull et Josep Rull ; 327 jours pour le président de l’ERC, Oriol Junqueras et Joaquim Forn, de Junts Per Catalunya ; 344 jours pour Jordi Cuixart et Jordi Sànchez, respectivement président d’Omnium Cultural et ancien président de l’ANC).
Lire aussi : « A Barcelone, les étranges soutiens de Manuel Valls »
Les indépendantistes entendent faire du procès un moment politique, comme l’explique Quim Torra, dans l’entretien cité plus haut : « Nos prisonniers ne seront pas là pour se défendre de quoi que ce soit, mais pour accuser l’État de toute cette plainte contre l’indépendantisme. Aussi difficile que cela soit, et avec tous les sacrifices que cela comporte, passer par cette étape nous permettra cette différenciation définitive avec la justice espagnole et nous aidera à nous renforcer si nous allons vers des verdicts autres que l’acquittement ou le classement de la plainte. » Un sentiment partagé par le président de l’ERC, Oriol Junqueras, l’un des accusés : « Ils nous accusent de délits que nous n’avons pas commis, sur la base d’une violence qui n’a pas existé. Ce procès sera vu partout comme un procès politique qui générera un rejet énorme de la part des citoyens, ceux qui sont indépendantistes et ceux qui ne le sont pas. Et pas seulement en Espagne, mais dans le Monde entier », avance l’historien emprisonné dans les colonnes de la Vanguardia.
Pour le président du Parlament, Roger Torrent, « tant que l’on n’aborde pas l’origine et la base du conflit politique, il n’y aura pas d’avancées définitives qui vaillent. Tant que l’on n’aborde pas ce que réclame une majorité de la population catalane, on n’avancera pas politiquement. Mais le dialogue ne sera pas crédible du tout tant qu’il y a des prisonniers politiques. »
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Crédits : Téo Cazenaves pour Le Média
PEDRO SÁNCHEZ ET L’EXEMPLE CANADIEN
C’est donc avec un agenda politique national marqué par le dilemme catalan que Pedro Sánchez devra composer. En visite pendant sept jours au Canada, avant un passage par New York où il interviendra à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations Unies, le Premier ministre espagnol, arrivé au pouvoir en juin dernier à l’issue d’une motion de censure contre Mariano Rajoy soutenue par Podemos et les groupes indépendantistes, compte à son actif un geste politique fort, pour ce début de mandat : l’adoption par le gouvernement, le 24 août dernier, d’un décret relatif à l’exhumation de la dépouille de Franco du monument aux morts érigé par les franquistes, la Valle de los Caídos. Aux côtés de Justin Trudeau, chef du gouvernement canadien, le premier ministre espagnol a dressé un parallèle significatif entre les situations nationales, évoquant un « exemple du fait qu’on puisse trouver des solutions politiques à une crise sécessionniste, même si chaque pays a ses chemins propres ».
La déclaration, qui rompt avec la vigueur des saillies anti-indépendantistes de Sánchez avant son accession à la Moncloa, n’est logiquement pas du goût du nouveau président du Parti populaire, le député Pablo Casado. Lors d’une conférence, le jeune loup de la vieille droite espagnole a exhorté Sánchez à « appliquer le 155 [l’article constitutionnel qui suspend les pouvoirs autonomiques, NDLR] le temps qu’il faudra », considérant qu’on ne peut parler « avec ceux qui posent un pistolet sur la table », malgré l’absence de violences dans le camp indépendantiste, constatée de manière quasi-unanime. Une tonalité habituelle pour celui qui avait, en octobre 2017, mis en garde Carles Puigdemont contre une fin à la Lluís Companys – président de la Generalitat fusillé par les troupes franquistes en 1940 –, et qui considère aujourd’hui que le gouvernement espagnol « est otage des votes pour la motion de censure des groupes [parlementaires] indépendantistes ».
Casado, affaibli par la chute de Rajoy et par des soupçons de fraude liés à ses diplômes, doit aussi compter avec la concurrence d’Albert Rivera, leader de Ciudadanos – dont le soutien sans faille au libéralisme économique des origines s’accompagne désormais de sorties conservatrices et anti-indépendantistes régulières -, laissant « le centre politique en Espagne, par défaut, dans les mains de Pedro Sánchez », comme l’analyse Francesc-Marc Álvaro. « Tous ceux qui devaient être théoriquement de centre-droit se sont aujourd’hui déplacés vers des territoires plus vigoureux et “décomplexés”, comme le louent leurs acolytes médiatiques. Ciudadanos et le PP vont jusqu’au style et à l’agenda de Vox [extrême-droite, NDLR] et d’autres groupes qui veulent actualiser la droite la plus vieille, la plus extrême et la plus rance, à partir d’un vernis populiste qui tourne toujours autour de trois obsessions : les indépendantistes catalans, les immigrés et Pablo Iglesias. C’est le lepénisme espagnol, qui a un pied – qu’il le veuille ou non – dans la Valle de los Caídos et qui voit la renaissance d’ETA dans tout ce qui ne lui plaît pas », poursuit le journaliste et écrivain.