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Xavier Guessou : "Refonder un projet d’émancipation"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Nombreux sont les camarades qui rappellent que l’existence de l’URSS constituait malgré tout une preuve tangible qu’une autre société était possible. La chute du Mur conduit parfois ces camarades à se considérer comme « orphelins » d’une telle manifestation palpable de la possibilité d’une alternative. Et c’est le « débouché politique » qui serait alors l’élément central pour débloquer la combativité des travailleurs, l’élément manquant qui permettrait de trouver la clé de la situation. Comme si un élément extérieur à notre classe sociale, à la lutte de classes pouvait nous sauver.
Il faut élargir le débat comme avaient eu le mérite de le faire F. Borras et M. Duboz dès 2010 dans une contribution lors de la préparation du premier congrès du NPA (« Les enjeux du premier congrès du NPA » 16/04/10). Ils y proposaient une « nouvelle stratégie » vers la prise du pouvoir, qu’ils opposent à la stratégie dite simpliste de la grève générale. Les 3 éléments qui permettraient de mener à la prise du pouvoir pour une transformation révolutionnaire de la société étaient selon eux : la généralisation des luttes, la construction d’une hégémonie (gagner des majorités d’idées sur des questions-clés dans le domaine politique et culturel) et la conquête de positions institutionnelles. Le propos de ces camarades était de relativiser le rôle de la grève générale et de mettre en valeur l’importance des 2 autres éléments, qui selon eux a fini par s’incarner dans une force comme le FdG.
Le débat réel derrière le « poids de la chute du Mur de Berlin », au-delà de la question d’histoire et de l’analyse de la situation, c’est celui de l’élaboration d’une stratégie révolutionnaire pour aujourd’hui. Car le problème principal auquel nous nous heurtons pour rendre crédible notre projet de renversement du capitalisme est de moins en moins l’argument du stalinisme (« regardez ce que ça a donné en URSS »). La difficulté, c’est que si notre discours rencontre une sympathie réelle, la grande majorité des travailleurs considère qu’il est impossible de changer de société, ou ils ne voient pas comment mettre en place nos propositions comme l’interdiction des licenciements etc...
Cette introduction ne prétend pas apporter une réponse d’ensemble mais à soulever quelques questions-clés pour chercher à résoudre ce problème.
1- L’actualité d’un projet révolutionnaire
Tout d’abord, est-il toujours pertinent de chercher à renverser le capitalisme ? Y-a-t-il une actualité du projet « anti-capitaliste », au projet révolutionnaire ?
Nous avons parfois tendance à découvrir une « situation nouvelle » tous les 4 matins (post-1989, post-2001, post-crise...). Si on prend un peu de recul, la situation est effectivement devenue aujourd’hui différente de celle qui existait jusque dans les années 70-80 : 2 superpuissances qui se partageaient la domination mondiale, un compromis entre les classes sociales dans les pays capitalistes dominants, les courants réformistes PS/PC qui dominaient le mouvement ouvrier avec des révolutionnaires marginalisés politiquement...
Aujourd’hui, le tableau est moins stable, la domination mondiale est disputée entre plusieurs puissances, la crise est en train de rebattre les cartes et en bref, des situations comme en Grèce, des situations pré-révolutionnaires ou en tout cas très explosives peuvent survenir au cœur de l’Europe.
C’est pour cela qu’il y a une actualité du projet anticapitaliste, plus encore qu’au moment de la fondation du NPA.
Et les révolutionnaires ont de nouvelles responsabilités : ils ont la capacité d’influer sur la situation dans certains secteurs, dans certaines situations pour le moins.
Mais tout particulièrement depuis quelques années, depuis le déclenchement de la crise et l’accélération de l’offensive, une évolution contradictoire du rapport de forces s’est dessinée : la violence de l’offensive fait naître une rage populaire plus importante, qui s’exprime de toutes sortes (réactionnaire, auto-destructrice, ou au contraire sous forme de luttes collectives) mais cette rage est plus difficile à organiser ... On assiste donc à la fois à des bagarres et à des processus de mobilisations qui ont monté d’un cran depuis un ou 2 ans (Tunisie, Egypte, Syrie etc... mais aussi d’une autre manière le mouvement des Indignés, Occupy... en France le mouvement des retraites fin 2010, le plus grand mouvement de grève depuis plusieurs décennies). Et en en même temps, politiquement, ce sont les néo-réformistes et l’extrême-droite qui semblent profiter le plus politiquement de l’accélération de la crise.
Ce qui explique cela, c’est que face à la crise et à la nouveauté de la situation, toutes les principales familles ou forces politiques ont commencé à s’adapter... sauf nous. Les forces ouvertement pro-capitalistes sont passées d’une position défensive au moment du déclenchement de la crise aux alentours de 2008 (Sarkozy parlait à l’époque de nécessaire « refondation du capitalisme ») à une attitude plus offensive : les gouvernants mènent aujourd’hui une politique basée sur une austérité assumée, et cela a après tout une certaine cohérence, c’est un début de réponse bourgeoise à la crise.
Quant à l’extrême-droite, il est évident que le sillon qu’ils ont commencé à creuser depuis des années porte des fruits.
Les réformistes « de gauche » ont eu aussi su commencer à donner un début de réponse à la crise, ils ont su construire un début de regroupement de forces autour d’eux (Die Linke, FdG, Syriza etc) et ils ont leur propre réponse à la crise en termes de pouvoir : pour faire face à la crise, il faut un gouvernement de gauche.
Quant à nous, nous ne donnons pas de réponse essentiellement différente de celles de l’extrême-gauche il y a 5 ou 10 ans : à l’image de ce que savait bien faire la LCR, nous sommes capables de mener de bonnes campagnes d’opinion, essentiellement électorales, et nous avons des militants impliqués dans divers mouvements sociaux sans réelle coordination, sans nous donner les moyens d’influer décisivement sur divers secteurs. Cela ne suffit évidemment pas face à la crise, et cela manque de crédibilité aux yeux des travailleurs.
Le problème pour nous est donc de donner un contenu compréhensible crédible au projet anticapitaliste et révolutionnaire.
2- Sur quelle force s’appuyer pour construire une autre société ? La centralité de la classe ouvrière aujourd’hui
Une bonne partie des milieux militants dans les pays occidentaux considèrent que le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière a été décisivement entamé : la faute à l’affaiblissement numérique de la classe ouvrière industrielle sous nos latitudes, à la fragmentation des travailleurs selon une multiplicité de lignes de fracture... On aborde trop souvent le débat sur les forces sociales capables de porter un projet d’émancipation uniquement sous l’angle des obstacles, sans jamais chercher les points d’appui. Pourtant, ils existent.
2.1 Le rôle particulier des secteurs industriels traditionnels dans les luttes ces dernières années
En Tunisie, le bassin minier du centre du pays a joué un rôle central dans le déclenchement du processus révolutionnaire actuel. En Egypte, les usines textiles de la banlieue du Caire, ainsi que les salariés du canal de Suez ont joué un rôle clé dans la chute de Moubarak. La lutte des mineurs de l’Etat espagnol a suscité un enthousiasme dans tout le pays. Quant à la France, il n’avait échappé à personne lors du mouvement contre la réforme des retraites de fin 2010 que les raffineries et les cheminots ont eu un impact tout particulier sur la dynamique de la grève. Si on cherche à comprendre ce qui se passe dans les 2 économies les plus importantes du monde, en Chine, on a l’impression que les grèves dans l’industrie notamment automobile posent un réel problème à la direction chinoise. Quant aux Etats-Unis, il existe un début de jonction entre le mouvement Occupy et le mouvement ouvrier organisé autour des dockers de la côte Ouest.
Ce rôle particulier des secteurs industriels traditionnels ne tombe pas du ciel. Tout d’abord les anciens bastions industriels n’ont pas disparu : c’était une illusion d’optique due à une vision centrée sur les pays occidentaux. En réalité, la classe ouvrière industrielle s’est tout simplement mondialisée, redéployée, internationalisée. D’autre part, l’industrie joue toujours un rôle un peu particulier dans l’économie à cause du nombre d’emplois impactés et des concentrations supérieures à la moyenne des sites concernés.
2.2 Force numérique et rôle du facteur subjectif dans les mobilisations des travailleurs
Dans les 50 dernières années, on a connu une véritable industrialisation des services (dans la restauration rapide, les centres d’appels etc...) et du travail intellectuel, qui a élargi la classe ouvrière (la classe des travailleurs salariés). La prolétarisation massive de la paysannerie en Chine et en Inde a occasionné un doublement de la force de travail disponible dans le monde en une vingtaine d’années. La classe ouvrière forme désormais la majorité de la population mondiale, ou presque. Il y plus de prolétaires aujourd’hui dans un seul pays comme la Corée du Sud que dans le monde entier à l’époque du Manifeste Communiste. C’est évidemment une source de force, un point d’appui pour changer le monde qui est fondamental.
Mais la capacité de la classe ouvrière à bousculer l’ordre établi n’est certainement pas simplement une question de nombre. On a même souvent tendance à réduire cette capacité au rôle de la classe ouvrière dans la production : ce serait la capacité de « blocage », la capacité à infliger des dommages économiques au patronat par l’arrêt de travail qui serait déterminante. En réalité, c’est en combinant le nombre, le rôle dans la production et la capacité d’organisation qu’on peut comprendre tout le potentiel de la CO aujourd’hui. En se focalisant sur la « capacité de blocage », on en vient à relativiser sa propres capacité à agir, comme cela a pu être le cas chez les personnels non-roulants à la SNCF en 2010 : « ça ne sert à rien que je sois en grève, je ne bloque rien ». Si le danger ne venait que de cela, pourquoi tous les gouvernements du monde ont-ils si peur des mobilisations du secteur qui a un rôle proche de zéro dans l’économie, à savoir la jeunesse ? Parce que les mobilisations de la jeunesse sont populaires et menacent toujours de déborder du cadre institutionnel, de s’étendre. C’est cette menace de l’extension qui est le cauchemar des classes dirigeantes.
Prenons l’exemple de la grève des contrôleurs aériens de l’Etat espagnol de fin 2010. Difficile de trouver un secteur qui avec un nombre relativement réduit possède un impact économique aussi important. Le gouvernement de Zapatero a réussi à isoler les contrôleurs aériens en les faisant passer pour des privilégiés et à brisé la grève en envoyant l’armée aller chercher les grévistes chez eux... Ce qui est déterminant, c’est au moins autant la capacité à étendre la grève et à gagner l’opinion publique que le poids économique. En un mot, la politique suivie par les grévistes, le facteur subjectif, compte autant que l’impact brut sur la production.
La plus grande grève en France depuis des années, en termes numérique et de durée, a été la grève des travailleurs Sans-papiers de 2009-2010, qui a impliqué 6000 grévistes, dont 1500 dans l’intérim organisés en comité de grève, sur un an. Si les précaires parmi les précaires sont capables d’un tel courage et d’une telle abnégation, on peut estimer que les réserves potentielles de combativité dans la classe ouvrière au niveau international sont énormes... Cette grève qui a regroupé les travailleurs Sans-papiers indépendamment de leurs employeurs, en les regroupant par branche pour organiser des occupations qui permettaient de regrouper les grévistes, esquisse une réponse à la fragmentation de la classe ouvrière et à la concentration croissante du pouvoir dans les mains du capital financier. A l’éclatement de notre camp social, il faut répondre par le regroupement dans et en dehors des luttes, dans et en dehors du lieu de travail.
C’est facile à dire mais il n’y a pas le choix, et cette grève héroïque est là pour montrer que lorsque l’isolement est surmonté, beaucoup de choses sont possibles.
2.3 La capacité à fédérer l’ensemble des opprimé-e-s
La grève générale dans les Antilles en 2009 a été une démonstration grandeur nature de la capacité qu’avaient les travailleurs à faire naître un mouvement de contestation global, porteur de questions politiques et culturelles d’ensemble (la remise en cause du colonialisme, du consumérisme...). La mobilisation organisée par le LKP s’est construite en Guadeloupe à partir de l’unité des 3 principaux syndicats guadeloupéens, dirigés par des trotskystes, qui ont ensuite élargi leur coalition à une myriade d’organisations à la faveur d’un processus d’élaboration d’une large plateforme de revendications discutée avec tous les secteurs opprimés de la population. C’est par un front unique avec la classe ouvrière à son centre mais ayant polarisé une large coalition autour d’elle que ce mouvement a pu acquérir un tel souffle, sans commune mesure avec la relative faiblesse numérique des populations concernées.
2.4 La classe ouvrière n’est pas chimiquement pure
Ce qui nous empêche parfois de saisir le potentiel réel des différents segments de la classe ouvrière, c’est la vision compartimentée que nous pouvons en avoir et au final prisonnière des préjugés dominants. Nous avons tendance à aborder nos priorités d’intervention/construction selon la trinité « Entreprises/quartiers populaires/jeunesse ». Evidemment, cela a une part de réalité : ce sont 3 secteurs d’intervention avec chacun leurs spécificités. Mais nous tendons trop souvent à exagérer ces distinctions, et du coup nous avons tendance à avoir une vision réductrice des entreprises, comme si les salariés étaient essentiellement des travailleurs mâles (et blancs) de l’industrie, à voir les jeunes scolarisés comme des petits-bourgeois coupés des réalités du monde du travail, et les quartiers populaires comme peuplés majoritairement de jeunes chômeurs à casquette.
En réalité, les 3 « personnages » sont souvent une seule et même personne. Et en réalité, ce qui est décisif, c’est de comprendre que les jeunes (petites) fils/filles d’immigrés sont un des secteurs décisifs de la classe ouvrière, qui jouent un rôle croissant dans les luttes sociales en général depuis 2005 (qu’on pense à la grève de PSA Aulnay en 2007 par exemple). C’est un des secteurs (les femmes en sont un autre) qui peut apporter un impact particulièrement explosif à la lutte.
En somme, la grève générale est quelque chose d’infiniment plus riche en potentiel qu’un simple arrêt généralisé de travail.
3- Un brèche programmatique ouverte par la crise
La crise a ouvert la voie à une accélération de l’offensive de la classe dirigeante. Mais elle a aussi ouvert une brèche pour la contestation d’aspects globaux du fonctionnement du capitalisme contemporain.
Les aides massives aux banques depuis 2008-2009 et la persistance de la crise financière et bancaire rend audible la revendication d’expropriation du secteur bancaire.
La réquisition du secteur énergétique devient elle aussi une idée qui s’apparent au bon sens avec la prise de conscience généralisée de l’urgence écologique.
Avec la violence des plans de licenciements, c’est encore la question de la réquisition et du contrôle des travailleurs et des populations concernées qui pointe le bout de son nez.
Après tout, la socialisation des grands moyens de productions/échange/communication est au cœur du projet socialiste/communiste, et la crise peut lui donner une nouvelle actualité.
L’offensive contre le niveau de vie des salariés est telle que cela charge potentiellement les revendications sur l’emploi et les salaires d’un potentiel d’unification explosif.
D’autre part, la violence de l’offensive est telle que les revendications autour de la défense de l’emploi, des salaires peuvent acquérir un caractère unifiant et explosif.
En bref, pour rendre crédible un projet de renversement du capitalisme, nous avons des possibilités pour formuler des propositions programmatiques anticapitalistes en prise avec des préoccupations réelles du plus grand nombre, à rendre légitimes des mesures qui pourraient être prises par un gouvernement des travailleurs. Mais nous devons avancer pour formuler ces revendications de manière à ce qu’elles puissent fédérer les secteurs en lutte... et les autres.
4- Le rôle de la prise d’initiative
Pour donner confiance dans la possibilité de changer de société, pour donner de la crédibilité à nos propositions, il faut certainement dans certaines circonstances mettre en mouvement les secteurs les plus avancés autour de nous pour donner confiance aux autres.
A ce titre, le rassemblement de la Bastille organisé par le Front de Gauche était une application réussie de ce principe. Evidemment, l’objectif était purement électoral. Mais il faut retenir le principe qui consiste à parfois agir par soi-même pour montrer qu’une force existe, pour entrainer les autres. Dans une situation où le rapport de forces est ce qu’il est mais où la situation est instable, et où le mouvement ouvrier a atteint un degré d’affaiblissement important, attendre que les conditions soient idéales pour déclencher une lutte, pour prendre des initiatives, est absurde.
5- L’internationalisme à l’heure de l’accélération de la crise
La classe dirigeante a plusieurs longueurs d’avance en la matière. Elle dispose d’une série de dispositifs, d’institutions internationales pou chercher à mettre en cohérence son activité par delà les divergences d’intérêts en son sein.
Au moment de la première Internationale de Marx, le mouvement ouvrier était au contraire en avance sur la bourgeoisie en la matière.
La crise de l’UE est certainement une occasion pour rattraper une partie de notre retard : la bourgeoisie a l’air décidemment incapable d’unifier l’Europe, et de notre côté, les gens ordinaire s’intéressent de plus en plus à ce qui se passe en Grèce, dans l’Etat espagnol, comprennent que ce qui s’y passe est l’image de l’avenir et ressentent souvent une solidarité plus importante qu’avec les immigrés de leur propre pays, perçus comme des concurrents... Même si pour l’instant l’idée d’une journée de grève à l’échelle européenne contre l’austérité ou contre les suppressions d’emplois relève du domaine de la propagande, ce type de propositions devient défendable et pourra devenir crédible dans un futur peut-être proche.
Dans ce contexte, connaître les bagarres menées par nos camarades ailleurs, savoir que partout dans le monde des camarades anticapitalistes et révolutionnaires luttent pour la même chose favorise non seulement notre capacité d’analyse, mais c’est aussi une source d’espoir irremplaçable. Mais nous ne pouvons nous en tenir là aujourd’hui. Nous devons mettre à l’ordre du jour la construction d’une Internationale des anticapitalistes/révolutionnaires.