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Ian Angus, Face à l’anthropocène. Le capitalisme fossile et la crise du système terrestre
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://dissidences.hypotheses.org/10293
Ian Angus, Face à l’anthropocène. Le capitalisme fossile et la crise du système terrestre (Facing the anthropocene), Montréal, éditions Ecosociété, 2018 (édition originale en 2016), préfaces de John Bellamy Foster et Eric Pineault, 288 pages, 20 €.
Un compte-rendu de Jean-Guillaume Lanuque
Ian Angus, rédacteur en chef de la revue Climate and Capitalism, signe avec cet essai un travail didactique qui tient à la fois de l’Ecosocialisme de Michael Löwy et de L’Evénement anthropocènede Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz [1]. Défendant l’objectif d’un rapprochement jugé nécessaire entre marxisme et sciences naturelles, il retrace d’abord en détails, dans une première partie, la naissance du terme d’anthropocène, popularisé au tournant du siècle par Paul Crutzen, et succédant à l’holocène en tant que période géologique marquée par l’influence déterminante de l’humanité sur la géosphère.
Il insiste sur les fondements scientifiques d’une telle terminologie, appuyée en particulier sur les travaux de l’International Geosphere-Biosphere Program, et sur l’appréhension grandissante du fonctionnement de la Terre comme système. Sur la question controversée du début de l’anthropocène, plutôt que du début de la révolution agricole, utilisé par les anti-écologistes pour relativiser l’impact récent du réchauffement climatique, une majorité tend à se dégager en faveur du mitan du XXe siècle, initiant une séquence qualifiée de « grande accélération » (en souvenir de la « grande transformation » de Karl Polanyi). Les nombreuses recherches et accumulations de données concernant le climat passé ont également conduit à mettre en valeur l’idée de basculement, de changement brusque sur quoi peut justement déboucher l’actuelle phase de réchauffement climatique ; en bon marxiste, Ian Angus la relie à la dialectique marxienne. Comparativement au pléistocène qui l’a précédé, et sous lequel la pratique de l’agriculture aurait été impossible, l’holocène fut ainsi caractérisé par une grande stabilité des températures (entre un degré en plus ou en moins, seulement). L’exemple pris par l’auteur de basculement récent concerne le trou dans la couche d’ozone, qui connut une aggravation brusque face à laquelle l’industrie chimique exerça un blocage, tout au moins jusqu’à une modification des secteurs les plus rentables. Le scénario qu’il privilégie pour le proche avenir est justement celui de la multiplication d’événements climatiques extrêmes, tels les canicules, les sécheresses ou les tempêtes.
C’est ensuite aux causes de ce changement d’époque que Ian Angus s’intéresse dans sa seconde partie, incriminant le capitalisme et sa soif vitale de croissance. Il reprend pour cela les analyses de John Bellamy Foster dans Marx écologiste [2], valorisant l’idée de « rupture métabolique » entre les humains et la nature, couplée ici à une rupture parallèle des temporalités, puisque le capitalisme privilégie le culte de la vitesse face à la lenteur des cycles naturels. On retrouve également utilisés les travaux d’Andreas Malm dans L’Anthropocène contre l’histoire [3], concernant la transition énergétique vécue dans les premiers temps de la révolution industrielle, et débouchant sur la domination presque exclusive du charbon puis du pétrole : une économie fossile, donc [4]. Concernant plus spécifiquement le tournant de 1950, Ian Angus insiste particulièrement sur la responsabilité du capitalisme étatsunien, en lien avec le phénomène d’extension des banlieues, le développement de l’agriculture industrielle et de l’armée (il révèle ainsi que l’armée des États-Unis est, en tant qu’acteur, le plus grand émetteur de gaz à effet de serre de la planète, pourtant exemptée des accords de Paris !!). Ian Angus conclut alors à une impossible réforme du capitalisme, ce que l’on peut juger quelque peu réducteur, privilégiant une vision sombre d’un avenir toujours soumis à ce dernier : au-delà des plus pauvres victimes du changement global face aux plus riches qui s’en préservent, il ne voit, comme Harald Welzer, que guerres du climat [5] et « exterminisme » (concept de E.P. Thompson) des populations les plus vulnérables.
La troisième et dernière partie débouche logiquement sur la nécessaire transition vers ce que l’auteur qualifie de civilisation écologique, afin, non pas d’enrayer le changement climatique déjà lancé et irréversible, mais de limiter l’ampleur de ses conséquences. Les lecteurs déjà accoutumés à cette adaptation du marxisme qu’est l’éco-socialisme ne seront pas décontenancés par les mesures, somme toutes basiques, qu’il propose : démocratisation radicale, collectivisation des moyens de production, planification, solidarité internationaliste, combinées à des énergies renouvelables, une agriculture bio, des transports en commun dominants, etc… De même, fidèle à la tradition trotskyste en particulier, Ian Angus, lorsqu’il évoque en passant le cas de l’URSS, oppose un avant et un après Staline, les premières années de la Russie soviétique étant marquées, selon lui, par l’avant-gardisme de l’écologique scientifique et de la protection de la nature – ce qui apparaît comme très étonnant lorsqu’on connaît le chaos engendré dans le pays par la guerre civile et les insurrections paysannes entre 1918 et 1921. Mais c’est toujours la question des moyens et du caractère concret de la mise en place d’une transition socialiste qui pèche par insuffisance. La propagande, l’idée d’un front unique contre les ravages du capitalisme, le soutien aux luttes ciblées, ne suffisent clairement pas. Et revendiquer la fin de l’armée et des dépenses militaires semble oublier la possible nécessité d’une riposte à la contre-révolution, quelle que soit la ou les formes qu’elle prenne. Ne faut-il pas, avant de faire bouger les grandes masses majoritaires, qu’une minorité prenne le pouvoir et impulse des changements par une dictature écologique ? Question dérangeante, bien sûr, mais que l’on ne trouvera pas dans cet essai dont le dénouement apparaît dès lors inachevé. C’est comme si la distance prise à l’égard du léninisme et des avant-gardes conscientes, par une partie de l’extrême gauche marxiste, avait laissé un trou noir dans la pensée stratégique…
Dans sa préface à l’édition originale, John Bellamy Foster insiste sur les avancées majeures survenues en Union soviétique, avec la biosphère de Vernadski ou l’alerte lancée dès les années 1970 par Evgueni Fiodorov. Quant à Eric Pineault, universitaire en sociologie, il met en garde dans sa préface à l’édition française contre les défenseurs de l’accélération, sujet largement abordé dans un ouvrage récent [6]…
[1] Chroniqué sur notre blog : https://dissidences.hypotheses.org/4832
[2] Chroniqué dans notre revue électronique : https://revuesshs.u-bourgogne.fr/dissidences/document.php?id=1811
[3] Chroniqué sur notre blog : https://dissidences.hypotheses.org/9607
[4] « (…) dès que le capitalisme a adopté les hydrocarbures fossiles, il n’était plus possible de revenir en arrière : capitalisme et combustibles fossiles sont devenus inséparables et le sont encore aujourd’hui. » (p. 202).
[5] Voir la recension de son ouvrage sur notre blog : https://dissidences.hypotheses.org/5618
[6] Laurent de Sutter (dir.), Accélération !, Paris, PUF, collection « Perspectives critiques », 2016, prochainement chroniqué sur notre blog.