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    Extrait de "La guerre civile en France. 1958-1962", de G. Anderson

    Lien publiée le 12 octobre 2018

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.contretemps.eu/putsch-13-mai-58-de-gaulle/

    Grey Anderson, La guerre civile en France. 1958-1962, Paris, La Fabrique, 2018.

    Présentation du livre

    Mai 1958, c’est le début d’une séquence insurrectionnelle où le sort de la France s’est joué à Alger, c’est la fin de la IVeRépublique et le retour au pouvoir de de Gaulle savamment orchestré par le cercle des fidèles, c’est l’arrivée aux commandes d’une nouvelle équipe qui va construire et faire accepter une Constitution encore en vigueur après un demi-siècle. Bref, mai 1958, c’est un moment fondamental au sens fort du terme.

    D’où vient donc que, s’agissant de commémoration, ce moment est éclipsé par rapport à mai 1968, toujours célébré, toujours commenté y compris par ses adversaires ?

    Les chapitres de ce livre donnent la réponse : si mai 1968 est un moment joyeux et solaire, les quatre années de guerre civile qui s’écoulent entre la prise du gouvernement général à Alger le 13 mai 1958 et la fin de l’OAS au printemps 1962 n’ont rien que l’on aime se rappeler : une haine et une violence extrêmes, l’usage généralisé de la torture, les exactions policières contre les Algériens révoltés et ceux qui les soutiennent, le mensonge officiel qui présente le retrait d’Algérie comme une victoire et le complot initial comme le triomphe de la démocratie…

    Écrit par un universitaire américain, ce livre dévoile les mécanismes du refoulement de cette réalité douloureuse qui a façonné durablement l’État français et ses institutions.

    Extrait – Guerre civile et défense républicaine

    Malgré leurs fanfaronnades, les meneurs du 13 mai se trouvaient dans une situation délicate dans les jours suivant le putsch. Les  gaullistes d’Alger devaient agir s’ils ne voulaient pas que l’élan populaire de la révolte ne s’épuise ou qu’elle leur échappe complètement. Delbecque, isolé  dans le CSP parmi les antigaullistes virulents comme Trinquier, attendait anxieusement l’arrivée de Soustelle. Salan posait un problème particulier : prenant par moments des positions en faveur de de Gaulle, influencé par Claude Martin, l’agent de Paillole, et d’autres officiers, il maintenait cependant l’équivoque en gardant des relations calmes et déférentes avec Pflimlin. Mais le 15 mai, il franchit une étape décisive. Après une conférence téléphonique avec Dulac, son chef d’état-major, Sanguinetti et d’autres activistes à Paris, Salan prit la parole devant la foule massée au Forum et termina son discours par « Vive la France! Vive l’Algérie française! » et conclut par un inattendu « Vive de Gaulle! ». Deux jours après sa décevante apparition du 13 mai, il reçut un tonnerre d’applaudissements. Ce n’était pas la dernière surprise de la journée : quelques heures plus tard, de Gaulle lui- même fit une déclaration. Rédigée dans la matinée en réaction à ce qui paraissait être une impasse, elle fut délivrée à 6 heures du soir et interprétée comme une réponse à Salan. Après deux ans de silence, c’était un modèle d’ambiguïté calculée :

    La dégradation de l’État entraîne infailliblement l’éloignement des peuples associés, le trouble de l’armée au combat, la dislocation nationale, la perte de l’indépendance. Depuis douze ans, la France, aux prises avec des problèmes trop rudes pour le régime des partis, est engagée dans ce processus désastreux.

    Naguère, le pays, dans ses profondeurs, m’a fait confiance pour le conduire tout entier jusqu’à son salut.

    Aujourd’hui, devant les épreuves qui montent de nouveau vers lui, qu’il sache que je me tiens prêt à assumer les pouvoirs de la République.

    Ce message, bien qu’il ne fît aucune allusion à l’Algérie et qu’il ramenât la crise en cours à une profonde « dégradation de l’État », marquait pourtant bien les intentions du général.

    À partir du 15 mai, le sens politique des événements se fit plus clair. Dans un souci d’unité, Pflimlin invita Mollet et Pinay à rejoindre le gouvernement comme ministres sans portefeuille. Pinay refusa mais Mollet accepta, de même qu’Albert Gazier, autre important leader de la SFIO, qui devenait ministre de l’Information. Tard dans la soirée, le gouvernement unanime décida de proclamer l’état d’urgence sur le territoire métropolitain pour une durée de trois mois. Fait extraordinaire, le lendemain à l’Assemblée le PCF appuya cette mesure. Alors que les gaullistes et les députés pro-Algérie française protestaient contre la mise en danger des libertés publiques, Jacques Duclos invoquait les exigences de la défense républicaine et de l’unité nationale :

    La loi d’urgence restreint les libertés pour tous. Et pourtant quand on est obligé, comme c’est le cas, de compter sur la classe ouvrière et sur le peuple pour défendre la République, n’est-il pas illogique, mesdames, messieurs, de priver ces défenseurs essentiels des libertés démocratiques du droit d’exercer cette défense? N’est- ce pas, en réalité, affaiblir la défense même de la République qu’il faut sauver? (Applaudissements à l’extrême gauche.) Aux grandes heures de la Révolution française, Saint-Just disait :

    « Pas de liberté  pour  les  ennemis  de  la  liberté  », ce  qui,  en  substance,  voulait  dire  :  liberté  pour  les  défenseurs  de  la  liberté.  (Applaudissements à l’extrême gauche. – Exclamations à droite et à l’extrême droite.)

    Au cours du débat, le gaulliste Raymond Triboulet défendit vigoureusement la position prise par de Gaulle la veille, rejetant l’idée que le général puisse mettre en péril la légalité républicaine. Mollet – qui venait de prendre place sur les bancs du gouvernement aux côtés de Pflimlin – l’interrompit en demandant que de Gaulle confirme l’interprétation de Triboulet et donne l’assurance de sa loyauté envers la république et ses institutions. Mollet écartait le parallèle fait par les gaullistes entre la crise actuelle avec celle de juin 1940 et affirmait être inquiet « moins de ce que dit la déclaration que de ce qu’elle ne dit pas ». Son intervention fut chaleureusement applaudie par la gauche mais certains se demandaient si, en admettant la possibilité que de Gaulle prenne en mains le gouvernement, il n’ouvrait pas la voie à sa réalisation. Après la séance, Mollet nourrissait les spéculations devant les journalistes en demandant à de Gaulle de dire clairement s’il était prêt, au cas où il serait invité à former un gouvernement, à se présenter devant le Parlement et à accepter le résultat d’un vote d’investiture.

    Dans la soirée du 16 mai, Jules Moch céda aux instances personnelles de Coty et entra au gouvernement comme ministre de l’Intérieur. Moch, un dur de la SFIO, avait occupé le même poste dans l’hiver 1947-1948 et avait brutalement réprimé l’agitation sociale en envoyant les CRS et l’armée contre les mineurs et les cheminots en grève. À son arrivée place Beauvau dans la matinée du samedi 17 mai,   il rencontra son prédécesseur, Maurice Faure, qui hésitait à faire venir des chars du camp de Satory, près de Versailles. « Laissez-les donc à Satory », dit Moch, « où je les trouverai en cas de besoin demain matin… » La situation n’était pas brillante. Si les CRS étaient supposés fidèles, la police nationale était moins sûre. Déjà à la mi-mars la police pari- sienne menée par l’ancien commissaire Jean Dides, un poujadiste d’extrême droite, avait organisé une violente manifestation devant le Palais-Bourbon. Maurice Papon, qui avait quitté son poste de préfet de Constantine pour prendre la place de Dides, avait posément averti Pflimlin que « les policiers étaient entraînés à réprimer les communistes mais qu’ils seraient peu enthousiastes à matraquer les nationalistes ». On ne pouvait pas faire confiance non plus aux unités de l’armée stationnées en France. Vers la mi-mai, selon la dernière estimation de Jules Moch, « au moins quatre commandants de région sont suspects, penchant les uns vers Alger et les autres vers Colombey ». D’après lui, « un esprit de guerre civile règne chez les “paras” de Pau, Mont-de-Marsan, Bayonne et Perpignan ». On comptait quelque 8000 parachutistes dans le Sud-Ouest. Les appelés du contingent, que l’on pensait plus fiables politiquement que les militaires de carrière, ne comptaient pas pour grand-chose sur le terrain. À la différence de la situation qu’il avait connue dix ans auparavant, Jules Moch ne pouvait pas compter sur l’armée pour maintenir l’ordre.

    Du haut commandement parvenaient également des bruits inquiétants. Sur ordre d’Ély, le général d’aviation Maurice Challe avait rendu visite à Guy Mollet le vendredi 16 mai pour lui dire que si sa conduite de la guerre et le souvenir de l’expédition de Suez lui valaient le respect des milieux militaires, l’armée n’avait pas confiance en de Chevigné, le nouveau ministre de la Défense. Challe demandait si les socialistes accepteraient de former un gouverne- ment d’unité nationale jurant de défendre l’Algérie française. Le soir même, de Chevigné consignait Challe à Brest sous bonne garde et lui interdisait – ainsi qu’à l’adjoint d’Ély, le général André Martin – de contacter son supérieur. Privé de ses deux collaborateurs et se voyant refuser de rencontrer personnellement de Gaulle, Ély démissionna le lendemain. La missive incendiaire qui expliquait sa conduite se concluait ainsi : « J’ai tout tenté pour faire mesurer au gouvernement ce que pouvait être l’état psychologique de forces totalement engagées hors de la métropole dans une forme de guerre nouvelle […] En toute conscience, vis-à-vis d’une armée en guerre qui, en Algérie comme en France, repousse les divisions qui ruinent le Pays, je ne puis paraître, par ma présence donner mon appui à des mesures qui iraient à l’encontre de ce que je tiens pour  essentiel. » Dans l’après-midi du samedi 17 mai, son message aux forces armées répétait presque mot à mot sa déclaration et se terminait par un solennel hommage à « la cohésion et l’unité des forces armées françaises, gage suprême de l’unité nationale ». Craignant que la protestation d’Ély ne déclenche une révolte ouverte, le ministre de l’Intérieur fit interdire sa divulgation et ordonna que tous les journaux qui la reproduiraient soient immédiatement saisis – ce que permettait l’état d’urgence. Le remplaçant d’Ély, le général Lorillot, envoya immédiatement un télégramme à Salan pour l’assurer de sa sympathie et de son intention de faire tout son possible pour préserver l’unité de l’armée, cette valeur quasi mystique au nom de laquelle Ély avait démissionné.

    L’espoir que pouvait avoir Pflimlin de s’entendre avec les généraux d’Alger prit un nouveau coup le 17 à midi, quand la nouvelle parvint à Matignon que Soustelle était arrivé à Alger. Il avait échappé à la surveillance de la police deux jours plus tôt et avait gagné Alger par la Suisse, sur un vol organisé par les conspirateurs gaullistes et financé par l’avionneur Marcel Dassault. Malgré les efforts de Salan pour le faire dérouter, l’avion s’était posé à l’aéroport de Maison-Blanche vers midi. Les efforts pour réduire le retentissement de l’événement, avec l’idée de renvoyer Soustelle sans tarder vers la métro- pole, furent déjoués par Neuwirth qui annonça la nouvelle sur Radio Alger, appelant les auditeurs à venir accueillir l’ancien gouverneur général à l’aéroport. La veille, Massu avait fait mettre Biaggi et Alain Griotteray sous bonne garde au Sahara pour empêcher une éventuelle tentative des amis de Sous- telle pour forcer Alger à rompre ouvertement avec le gouvernement. Désormais, Salan ne voyait pas d’autre solution qu’un accord avec Soustelle dont la popularité était immense dans la population européenne d’Algérie : il accepta sa présence comme conseiller politique officieux. Dans l’après-midi, Salan et Jouhaud téléphonèrent à Pflimlin pour lui signifier l’urgence de la situation, évoquant l’idée de sa démission. Dans l’heure qui suivit, le commandant en chef paraissait côte à côte avec Soustelle au Forum devant une foule enthousiaste criant « Vive l’Algérie française! » et « Vive de Gaulle! ».

    Six jours après la prise d’assaut du GG dans l’après-midi du 13 mai, de Gaulle fit son entrée sur la scène publique avec une conférence de presse tenue dans les ors second Empire de l’hôtel d’Orsay. Jules Moch, averti du risque d’agitation à l’extérieur et craignant les conséquences d’un attentat contre le Général, avait fait entourer le bâtiment du plus grand rassemblement policier de l’histoire pari- sienne : près de 10000 hommes, sous les ordres de Papon et de Jean Verdier, le directeur de la Sûreté nationale. On n’avait pas vu autant de police et de véhicules blindés dans la capitale depuis la Libé- ration. Les journalistes, accrédités ou non, se pressaient à l’entrée sud de la vieille gare. Les apparitions publiques de de Gaulle dans les années précédentes avaient été si rares que l’on s’étonnait de le voir portant d’épaisses lunettes. Son numéro fut d’une grande virtuosité. Après ses habituelles diatribes contre le « système parlementaire », il fit miroiter ce qui « pourrait aussi être le début d’une sorte de résurrection ». Faisant vibrer le souvenir de juin 1940, il donnait comme garantie sa propre indépendance : « Je suis un homme qui n’appartient à personne et qui appartient à tous. » Le ton était sciemment républicain, sinon jacobin. Les partis politiques, après 1944, étaient revenus au pouvoir comme les émigrés après la Révolution, « sans avoir rien oublié ni rien appris ».

    Comme on lui demandait si  sa  déclaration du 15 mai n’avait pas encouragé la sédition en Algérie, de Gaulle se fit vivement sarcastique. Quel sens y aurait-il pour lui à critiquer les généraux alors que les autorités légales de Paris leur avaient délégué leurs pouvoirs? L’armée, selon lui, s’était conduite correctement. Si son action reflétait une dissension avec le régime, la responsabilité était ailleurs. « Quant à l’Armée, qui est normalement l’instrument de l’État, il convient qu’elle le demeure. Mais encore faut-il qu’il y ait un État. » Il ne fallait pas s’étonner que la population d’Algérie, tourmentée par l’incertitude et les vacillations de la volonté poli- tique, se soit révoltée et ait crié « Vive de Gaulle » « comme le font, d’instinct, les Français quand ils sont plongés dans l’angoisse ou emportés par l’espérance. […] on ne crie pas : “Vive de Gaulle!” quand on n’est pas avec la Nation ».

    Alors que Mollet avait demandé que la procédure « normale » soit respectée, de Gaulle  insista sur la nécessité de « pouvoirs exceptionnels  pour une tâche exceptionnelle à un moment exceptionnel ». Maurice Duverger posa la dernière question, demandant si de Gaulle pouvait promettre de garantir les libertés publiques fondamentales : « Certains craignent que, si vous reveniez au pouvoir, vous attentiez aux libertés publiques. » De Gaulle : « L’ai- je jamais fait? Au contraire, je les ai rétablies quand elles avaient disparu. Croit-on, qu’à 67 ans, je vais commencer une carrière de dictateur ? »

    Le lendemain, à l’Assemblée nationale, Mendès France reprocha à de Gaulle d’avoir refusé de désavouer les intrigants d’Alger. Tout en affirmant, comme Pflimlin, son respect pour l’action du général pendant la guerre, il déplorait que le chef de la France libre flirtât avec le danger d’une « guerre civile meurtrière ». Il fit l’éloge de la conduite de Pflimlin tout en le pressant de prendre des mesures plus sévères contre les officiers factieux : « Les Conventionnels ne transigeaient ni sur la suprématie du pouvoir civil, ni sur l’indivisibilité de l’autorité républicaine. Inspirons-nous de leurs leçons pour assurer le règne de la loi. » Mis au défi, Pflimlin réaffirma la solidarité du gouvernement avec « les officiers qui exercent l’autorité en Algérie et qui ont obéi à notre volonté de défendre l’unité nationale, l’ordre public et la légalité républicaine ». Ce serait une erreur, conclut-il, d’aggraver la désunion nationale en pénalisant ceux qui ont répondu instinctive- ment à la crise en franchissant momentanément les strictes frontières de la loi. « Peut-être y a-t-il une autre politique qui pourrait se placer sous l’invocation des conventionnels dont parlait tout à l’heure M. Mendès France, encore que j’aie gardé le souvenir que les grands conventionnels avaient autant le souci de l’unité nationale que celui de la défense de la République (Très bien! très bien! au centre). Pour sa part, le Gouvernement fera tout son devoir. Il ne conçoit pas que l’union nationale puisse être sauvée en dehors de la République. Il ne conçoit pas non plus que puisse être écarté le risque de la guerre civile, d’une guerre civile qui pourrait être mor- telle pour nos libertés, si nous ne réussissions pas à rétablir, dans les jours qui viennent, l’union entre la France et l’Algérie. C’est cette volonté passionnée de tenir les deux bouts de la chaîne, de défendre et la République et la patrie, qui inspire la résolution du Gouvernement. »

    « Tenir les deux bouts de la chaîne », c’était maintenir l’illusion que les généraux n’avaient agi que pour limiter les excès, c’était pour le gouvernement compromettre sa légitimité comme le disait Mendès France en particulier. Cependant, une semaine après le 13 mai, les généraux n’étaient guère plus enclins que le gouvernement à admettre qu’un seuil avait été franchi. Le ministère Pflimlin comme le commandement algérien s’en tenaient au scénario habituel où les militaires appuyaient le pouvoir politique en échange de concessions des autorités civiles, chaque parti s’étant mis d’accord sur une absolution mutuelle. Cette logique, qui avait fonctionné tant bien que mal dans les dix années précédentes, se trouvait déstabilisée au printemps 1958 sous l’influence croisée des gaullistes et des ultras.

    Au matin du mardi 20 mai, le Conseil des ministres décida une fois de plus de maintenir « un contact prudent » avec les autorités militaires d’Alger et d’éviter toute réprimande formelle. On leva  l’embargo  sur  les communications  avec  l’Afrique  du Nord, que de Gaulle avait critiqué dans sa conférence de presse. Mais l’atmosphère en Algérie tournait à l’hystérie. L’ancienne convoyeuse de l’air Arlette de La Loyère, envoyée par la Rue de Solférino et arrivée à Alger le mardi matin, trouva Soustelle dans un état de grande anxiété. Connu pour ses travaux anthropologiques, idéologue subtil, il n’avait guère de goût pour l’action et ne voyait guère comment allaient tourner les événements. La Loyère trouva Jouhaud près de s’écrouler, se voyant déjà devant un peloton d’exécution. Salan continuait à vaciller malgré la pression des gaullistes, hésitant à reconnaître que son double jeu ne tenait plus alors que s’évanouissaient les espoirs de réconciliation avec le gouvernement légal. Mais l’immobilité à Paris et à Alger jouait en faveur des partisans de de Gaulle, dont la stratégie de tension commençait à porter ses fruits.

    « Notre succès, dit Debré à Soustelle, est lié à la peur. Il faut maintenir cette peur jusqu’à la dernière minute. » À mesure que des craquements se faisaient entendre sur le front intérieur, les généraux à Alger clarifiaient leur position. Le 22 mai, Salan pro- clama que le CSP d’Alger était rebaptisé CSP d’Algérie et du Sahara (CSPAS), ce qui outrepassait le mandat formel limité à la région de la capitale. Pour la première fois, il faisait des CSP une hiérarchie parallèle et ses discours au Forum prenaient un ton plus dur.

    Massu démentait avec force les rumeurs de divergence entre l’armée et le CSP, et entre gaullistes et antigaullistes. « Ces calomnies », insistait-il, « faisaient partie de la guerre psychologique subversive », enjoignant à ses auditeurs de « démasquer les colporteurs de fausses informations, qui sont des traîtres ». Le colonel Lacheroy, rappelé dans la ville blanche et nommé directeur de l’information et de l’action psychologique quelques jours plus tôt, affirmait que « l’orientation de tous est axée sur la personne du général de Gaulle ».