[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Agenda militant

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

Marseille | La Coupe est plaine

Lien publiée le 16 octobre 2018

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.com/2018/10/marseille-la-coupe-est-plaine.html

L'urbanisme opératoire à Marseille : du gaz lacrymogène policier contre les opposants au projet de requalification lourde de la grande place Jaurès, prévoyant, entre autres aberrations, l'abattage sans état d'âme des arbres sains pour en planter d'autres... pour faire plus joli, selon les paysagistes en charge du projet.

LE MASSACRE URBAIN DE LA PLAINE

Marseille ; le quartier populaire de la Plaine en centre ville est en ébullition contre le projet de la ville de requalification – lourde - de sa Grand’place bien nommée, Jean Jaurès [ou la Plaine], l’une des plus grandes de la cité phocéenne avec 2,5 hectares ; ce 11 octobre 2018, les travaux de mise en place du chantier ont débuté, mais plus d’une centaine de manifestants – et autant de sympathisants – étaient présents, bien décidés à s’opposer au projet par tous les moyens : l’arrivée d’une escouade de CRS et les premières capsules de gaz lacrymogène tirées contre une foule certes turbulente mais pacifique marquent bien l’acte de naissance de ce que l’on nommait jadis « lutte urbaine » dans le sens du « Droit à la ville » d’Henri Lefebvre, aujourd’hui appelée « Zone à Défendre (ZAD) urbaine », car en effet se déroulant en milieu urbain dense, en centre ville, ce qui ne s’est jamais produit depuis des lustres. 

Jeudi 11 octobre 2018 | Marseille La Plaine : les CRS tentent de disperser manifestants et sympathisants.


Certes, dans maintes cités, des comités de quartier ou associations de citoyens grognent, interpellent leur maire, manifestent pour défendre leur espace vital, mais à Marseille-Plaine, les échauffourées des premiers jours du chantier entre manifestants et forces de l’ordre, leur détermination, invitent à penser que la bataille de la Plaine sera, sans doute, peut-être, longue. Et la mairie prend la « chose » très au sérieux : depuis le début des travaux, une escouade de CRS stationne sur la place nuit & jour ; la journée, la place est interdite à la circulation, la police municipale barrant les rues y menant, et des maîtres chiens (!) d’une société privée renforcent le dispositif de protection du chantier... et sans conteste, l’amertume des habitants, pris en otage. Ici s’exprime au mieux l’urbanisme autoritaire, un dispositif et un processus où la démocratie est bafouée, rien de moins. Habitant et usager du quartier et de ses bars depuis des lustres, l'un de nous au LUI, évoque cette, peut-être, nouvelle ZAD urbaine.

La Plaine est un quartier socialement hétérogène du centre ville de Marseille, et depuis longtemps, avec le voisin Cours Julien, un des épicentres de la vie nocturne de la cité phocéenne ; aux artistes maudits et bohémiens de jadis attirés ici par ses bars bon marché, ses salles de concerts improbables, succède aujourd’hui une jeunesse moins impétueuse, estudiantine – ayant colonisée en particulier la terrasse du Petit Nice -, une faune de créatifs star-upisant barbus et tatoués, et tout simplement une foule de gens venant ici fréquenter la multitude de nouveaux bars et restaurants, ses cinés d’Art et d’Essai, boutiques de fripes, de brocante, ses épiceries bio & eco, ses glaciers artisanaux à prix prohibitifs, en train de remplacer progressivement les antiques kebabs et autres bars louches, sans oublier le marché hebdomadaire bio du Cours Julien, et ses devantures bariolées de mauvais Street Art, etc. : bref, le quartier « branché » de Marseille qui inexorablement n’échappe pas à l’embourgeoisement, et au tourisme [1] mais qui n’entament pas – encore - cette ambiance indéfinissable si particulière de convivialité partagée. C’est que la Grand’place du quartier – ou plutôt des quartiers limitrophes -, la place Jean Jaurès – la Plaine – y joue un rôle central, fédérateur, de « liant » invisible, ce que l’on nomme comme étant un condensateur social.

Littéralement abandonnée depuis, 20, 30 années [outre l’affreux « square » Yves Montand réalisé en 2001] par la municipalité, la place Jean Jaurès présente tous les défauts d’un vaste espace public aux sols défoncés – antiques hideux « pavés autobloquants » des années 80 et asphalte dominant -, des mobiliers urbains hors d’âge, souvent cassés et ne remplissant plus leurs rôles, et des arbres, des tilleuls qui embaument merveilleusement la place au printemps, eux aussi non entretenus, et non remplacés pour ceux n’ayant pu survivre à ce manquement. Le minimum effectué par les services de la mairie de secteur se limite exclusivement, depuis fort longtemps, donc, à la propreté : une Grand’place défoncée mais il est vrai proprette – outre l’armée de rats ayant colonisé son centre végétalisé.

Mais Jean Jaurès est au-delà de cet état de dégradation urbaine avancée et scandaleuse : ses défauts paradoxalement, lui procurent toutes ses qualités urbaines ; c’est un vaste espace hybride où se côtoient, se juxtaposent dans le temps et l’espace plusieurs fonctions habituellement antagonistes : en son centre protégé s’y érigent des magnolias centenaires, de part et d’autres une enceinte clôturée enfermant un jardin d’enfants et une « esplanade » au sol incertain (stabilisé ?) servant de terrain de jeux – football et pétanque , et de rassemblements populaires, fête, sardinade, carnaval, vide-grenier, etc. (Mélenchon y donna un meeting) ; puis tout autour l’espace hybride, libre, un parking informel où les traces au sol délimitant lesstationnements se sont évaporées avec le temps, mais les larges allées plantées et ombragées permettent sans difficulté le cheminement des piétons – excepté le saturday night fever ; entre, des terrasses de café et de kiosques se disputent l’espace, sans conflits, harmonieusement pourrait-on ajouter ; ce parking et ces terrasses doivent cependant céder leur place totalement trois jours par semaine en matinée à un vaste marché, le coeur et peut-être l’ « âme » de la Plaine : s’y meltingpotent toutes les races et genres et catégories sociales de la population de la ville ; bazar où l’on y trouve de tout, alimentaire, fringue et beaucoup d’articles « made in China » à des prix défiants toute concurrence, certes, mais pas que, qui font son originalité et sa réputation : 300 forains y déballaient leurs marchandises depuis des dizaines d’années.

Jean Jaurès était donc un espace public à géométrie variable, animé et vivant au rythme de ses fonctions attribuées au fil du temps par ses usagers mêmes, bien plus que par la municipalité, qui avait concédé certaines dérogations, ou une attitude condescendante aux uns et aux autres, vu l’état déplorable du lieu. Le plus remarquable est bien que dans ce joyeux espace chaotique, où plus aucune signalisation impose ses règles, ce sont les usagers qui suivent d’eux-mêmes, intuitivement et avec civisme les règles de conduite appropriée pour se partager l’espace cordialement : un espace « anarchique », donc, ou une urbanité de convenance, en soulignant que l’urbanité est dans les conduites et non dans les choses, la Plaine le prouve... pleinement.

Les fonctions se côtoient dans un bénéfique chaos urbain qui donnait sens à l'urbanité du quartier.

C’est en 2015 que des fuites rapportent au public, les premières démarches municipales pour un grand projet de requalification de la place Jaurès. Les associations et collectifs d’habitants ou d’usagers s’alarment ; non sans raisons, car l’obligatoire concertation des habitants – inscrite dans le Développement Durable – s’est effectuée en catimini, réduite à quelques séances et à un cahier de doléances citoyennes bien fourni mais parfaitement ignoré par les personnes en charge du projet, en l’occurrence de la Soleam (Société locale d’équipement et d’aménagement de l’aire marseillaise), ayant désigné après concours l’agence de paysagistes APS implantée à Valence (et des experts spécialisés dans la « prévention de la malveillance », pour faire face à l'éventualité d'une attaque terroristeofficiant à la Direction départementale de la sécurité publique). C’est bien pendant cette phase concertation et de médiation jugée inconsistante et dérisoire, et face à l’intransigeance de la Soleam (et des invariants programmes), que s’est développée la grogne citoyenne, dont les exigences, d’ailleurs, ne sont pas outre mesure, démesurées ou insensées, bien au contraire. Dès 2015, lors de la phase de pseudo-consultation, les habitants du quartier et usagers de la place les plus actifs et critiques, regroupés au sein de l’ « Assemblée de La Plaine » organisaient la résistance, et dans un communiqué le collectif regrettait :

« Nous dénonçons le fait que la mairie de Marseille et les mairies de secteur fassent des plans de réaménagement dans un total manque d'informations, de transparence et surtout aucune prise en compte des habitants, habitués et commerçants. » Et il est certain que si cette phase pré-projet, de programmation notamment, avait été effectivement bien conduite auprès des habitants et des associations, médiation comprise entre compromis et consensus, la situation aurait été aujourd’hui toute différente, mieux maîtrisée, plus sereine et moins conflictuelle.

Finalement, en 2018, les habitants ont été [dé]-concerté par voie de presse via un article paru dans un grand quotidien local présentant en images le projet lauréat du concours… et ceci dans le programme qualifié de « reconquête » du centre-ville, nommé « Opération grand centre-ville », qui prolonge les programmes d’Euroméditerranée 1 et 2, tout aussi destructeurs : c’est bien, selon mêmes les propos et déclarations de la municipalité, un projet programme destiné à gentrifier le quartier. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, la destruction pure et simple de la vie, de l’urbanité d’un quartier, la requalification d’un espace public majeur où les fonctions seront strictement séparées, bien délimitées excluant de fait une mixité chaotique d’usages mais ô combien vivante, nécessaire et vitale même pour les habitants et usagers de la Plaine, et des visiteurs.

LA - FUTURE – MORNE PLAINE

Jean Jaurès sera une grande place piétonne de 2,5 hectares, hormis une rue la traversant dans sa plus grande longueur – la « scindant en deux » (auparavant, la circulation entourait la grande place), les véhicules seront bannis de stationnement, et dans la même tonalité, les forains du marché, ont été dispatchés ₋ divisés - sur d’autres marchés de la ville, et pour ceux, la majorité, selon les intentions et déclarations publiques des édiles municipales, ne répondant pas à « certains » critères de bienséance folkloriques touristiques - du type plus belle la vie - n’y reviendront jamais… Mieux, la promesse municipale de conserver pendant le temps des travaux – 3 ans – un marché réduit à quelques forains, a été annulé quelques semaines seulement avant le début des travaux : qui a provoqué leurs colère et réaction, pour certains présents sur la Plaine de père en fils depuis des décennies. Bazar non grata pour les élus municipaux, le « Droit à la Ville » d’Henri Lefebvre leur est destitué, comme d’ailleurs aux riverains.

Des arbres abattus

Les paysagistes de l’agence APS sont-ils véritablement des paysagistes lorsque leur projet prévoit l’abattage d’une centaine d’arbres existants ? Ceci est profondément scandaleux, et c’est le point le plus controversé du projet de requalification qui fait l’unanimité de tous les habitants, sans exception aucune : personne dans notre quartier ne peut et veut comprendre cette décision injustifiable ! De même, l’agence APS, sans rire, pour se dédouaner, envisage – sous la pression du tollé général – de les transplanter… opération qui exigerait pour leur survie, une préparation particulière de deux années, qui n’a pas été faite. C’est dire de leur discrédit.

( Ouvrons cette parenthèse sur un sujet que nous évoquons depuis fort longtemps, de l’irrésistible ascension des paysagistes, selon le mot du critique et architecte Jacques Lucan (1993), sur la scène urbaine et territoriale, au détriment des architectes et des urbanistes, qui exprimait l'idée qu’ils n’étaient peut-être pas tant porteurs d’une vision alternative qu’ils ne bénéficiaient du discrédit où ont pu tomber les architectes – et les ingénieurs - : l’innocence des paysagistes leur tiendrait lieu de discours. Et avec perspicacité Lucan prévoyait leur sort :

« Ainsi, les paysagistes ne deviennent-ils pas la bonne conscience des aménageurs ? […]Qu'adviendra-t-il lorsqu'il leur sera demandé d'aller plus loin, de devenir quasiment urbanistes ? Car nul doute que c'est à ce défi qu'ils sont déjà confrontés, à un véritable transfert de compétence, sachant qu'ils sont perçu comme n'étant plus comptables des catastrophes passées, et qu'ils ont, sans douleur et sans bruit, occupé un terrain qu'ils ne quitteront plus. » 

Bernard Debarbieux jugeait également :

  

« Le paysage-comme-œuvre triomphe à toutes les échelles et en tous lieux, suscitant dans son sillage quantité d’emplois mis au service de sa conception, sa réalisation et son entretien. Mais tant qu’il est affaire de spécialistes, ce type de paysage continue de relever d’une logique d’aliénation. » )

Les propos des paysagistes s’inscrivent dans l’ère du vide, qui consiste à aménager le « vide », dans notre cas, plus de marché, plus de véhicules et plus de plèbe, soit la substance vivante et liante de cet espace majeur de la ville, ils s'occupent à concevoir un decorum destiné à masquer une réalité économique dédiée au libéralisme le plus prédateur, un camouflage esthétique végétalisé (qui oserait critiquer le fait de planter des arbres ?) destiné à masquer les excès d'une opération urbaine hautement profitable aux investisseurs, avec comme argumentaire, un discours écologique aux accents de greenwashing ; et encore, dans notre cas, abattre des arbres sains pour une simple question d’esthétisme urbain, d’empaysagement, est une hérésie écologique. Jacques Lucan avait ainsi raison : le capital de sympathie envers les paysagistes-urbanistes s’amenuise au fil du temps, en tout cas, ici auprès de la population de Marseille-Plaine [l’Assemblée de La Plaine avait adressé un courrier aux équipes de paysagistes retenus pour le concours, leur demandant de prendre en compte leurs griefs, ce qui semble-t-il, est restée lettre morte].

La grande place Jean Jaurès est en travaux, un grand vide qui préfigure le projet.

Piétonnisation à outrance

Le projet prévoit l’éradication totale des véhicules sur la place, sont conservées une cinquantaine de stationnements minutes. Certes, une place presque entièrement piétonne serait, en théorie, un programme idéal, surtout qu’un parking Vinci occupe une partie du sous-sol de la place. Cependant, aujourd’hui, ou plutôt hier, la place transformée en vaste parking en soirée de week-end notamment, servait ainsi aux visiteurs qui venaient ici se garer en soirée pour profiter de la trépidante vie nocturne de la Plaine et du Cours Julien : 250 places autorisées en journée, 200 voire plus en soirée tolérées qui s’entassaient tant bien que mal, sans compter les véhicules mal stationnés dans les rues adjacentes, soit environ 500 places – gratuites en soirée - supprimées sans alternative aucune. Marseille n’est pas Paris : peu d’alternative concernant les transports en commun, une ligne de bus seulement la dessert, mais en journée seulement et pour un trajet peu prisé des habitants – et de toute façon, stations de métro et tram les plus proches ferment bien trop tôt pour les noctambules. Ainsi, le premier vendredi soir post-travaux, nos visiteurs véhiculés privés de stationnement et pris au dépourvu, ont formé un des plus grands embouteillages jamais vu dans les rues du quartier…

Les habitants véhiculés les moins fortunés sont déjà touchés de plein fouet, pour ceux tout du moins n’ayant pas la possibilité ou les moyens financiers de s’offrir un parking – en exemples, le parking Vinci de la Plaine est depuis longtemps saturé pour les abonnements résidents, et le prix d’une location d’un stationnement ici ou ailleurs, dépasse la centaine d’euros – dans un contexte où la demande dépasse largement l’offre, qui laisse présager de futures et belles augmentations : essentiellement bâtis au 19e siècle, les édifices modernes du quartier disposant d’un sous-sol y sont sont rares.

D’autre part, la plan de circulation projeté tient davantage de l’aberration que de l’intelligence : tout est prévu pour entraver les flux des véhicules, et décourager l’automobiliste à venir s’y aventurer s’il n’est pas armé de patience : pas besoin d’être spécialiste de la chose pour apprécier un plan routier ne répondant pas aux besoins des usagers, notamment ceux habitant le quartier du Camas, privés de liaison avec la place.

Mais n’idéalisons pas la place Jaurès qui n’est pas toujours un lieu de vie animé : les jours d’hiver, ou pluvieux ou par trop venteux, elle se transforme en véritable et triste no man land – y compris les jours de marché où de rares forains luttent contre les éléments -, empruntée par de rares rapides passants la traversant, et le va et vient des voitures et de leurs occupants, principaux acteurs d’animation  ; ainsi, du « vide » prévu dans le projet pour la place Jaurès un future no man land, un désert aseptisé… Contre ce désert programmé, retrouve-t-on dans les contre-propositions des opposants au projet, cette idée judicieuse, d’interdire la journée le stationnement des véhicules et l’autoriser sur une partie de la place, le soir venu, autant pour les visiteurs en goguette que pour les riverains : un bon compromis entre exigence de qualité d’urbanité et de réponse aux besoins des habitants et usagers.

La grande place Jean Jaurès est en travaux, un grand vide qui préfigure le projet.

LA RESISTANCE

Dès la fuite de la requalification lourde de la place en 2015, se sont constitués ou renforcés les associations et les collectifs de riverains et d’usagers, dont notamment, l’assemblée de la Plaine comprenant de belles plumes marseillaises, des commerçants, et plus particulièrement, du monde des forains, premières victimes désignées ; et ensemble, ont-elles fourni le plus gros des troupes actives et attentives aux décisions et déclarations municipales, un travail d’information auprès de la population et des appels à manifester ; l’assemblée de la Plaine multipliera au fil du temps les initiatives citoyennes, conviant régulièrement les habitants à des débats ouverts, n’hésitant pas avec d’autres, à « meubler » de mobilier urbain la place, dont les « grandes tables » conviviales pour les repas pris en commun, ou bien des bancs soigneusement conçus et fabriqués. Mobiliers pirates toujours démontés par les employés municipaux des services de la ville, encadrés par la police. C’est aussi ensemble l’organisation citoyenne du carnaval annuel Plaine-Noailles, et de vide-greniers. 


Manifestation devant les locaux de la Soleam, sur la Canebière.

 


Les arbres devant être abattus ont été tagués.


 


Leur durée de longévité est relativement courte - arraché par les services de la ville, la nuit, mais elles reviennent toujours.


 

Le mobilier urbain pirate...

Les forains ont également été les premiers à s'activer, notamment après l'annonce faite peu avant le démarrage des travaux, que le petit nombre autorisé à rester pendant les travaux ne l'était plus, pour des raisons de sécurité : une déclaration ouverte de guerre, qui a les a décidé à bloquer à plusieurs reprises la circulation à Marseille, engendrant des embouteillages importants. Leur détermination et leurs actions ont réussi cette petite victoire d'être réparti sur deux autres marchés de la ville, seulement, et ce, afin de rester groupé, et non éparpillé. Mais de cette manière, les forains fers de lance de la contestation et fiers alliés des habitants opposants se retirent du mouvement...

L’historique est disponible ici :

https://journalplaine.wordpress.com/

Mais attention cependant, nombre des propriétaires – y habitant ou non - approuvent ce projet, appréciant la formidable plus-value faite de leur bien immobilier, et d’ores et déjà des prix à la hausse de leurs m² (des appartements comme des rarissimes parkings en sous-sol) ; les commerçants eux, peuvent compter sur l’augmentation notable de la surface de leur terrasse extérieure, et d’un environnement futur plus propice pour le commerce – « une montée en gamme » de la clientèle et des commerces selon les exigences du programme de la Soleam, non négociable ; d’autres estiment qu’une grande place piétonne débarrassée des véhicules est en soi une excellente idée… 

Il est vrai également que les réunions mensuelles puis hebdomadaires ouvertes aux habitants organisées par l'Assemblée de La Plaine rassemblaient bien peu de monde et touchaient un public particulier du quartier, en majorité plutôt jeune ; en effet, si certains sont favorables au projet, la grande majorité silencieuse - à ma connaissance - conteste le projet destructeur, pour une raison ou une autre, outre le carnage des arbres, elle semble résignée et doute qu'un mouvement puisse arrêter le rouleau compresseur municipal.

LA BATAILLE DE LA PLAINE

C’est donc dès après la fin du marché, le 11 octobre en début d’après-midi, que le chantier débute avec l’arrivée d’un semi-remorque chargé de longues bornes en béton destinées à interdire les accès des véhicules sur la place, accompagné par la police municipale : ni une ni deux, un rassemblement se constitue d’opposants au projet, et de curieux ; une première barricade se dresse rapidement pour empêcher le dépôt des bornes et l’avancée du poids lourd. Qui entraîne ainsi l’arrivée d’une escouade de CRS et une autre de la BAC. La première petite heure est habituelle : cordon de CRS menaçants faisant face à la foule, salve de lacrymo et charge de la brigade légère sur une dizaine de mètres ; et ainsi de suite, jusqu’à la seconde et troisième barricades. Ici, des constats s’imposent :

  • le très faible nombre de manifestants « actifs », plus d’une centaine – seulement -, certes encouragés par une autre centaine de sympathisants et de nombreux curieux, badauds et visiteurs présents par hasard ; la grande majorité d’entre eux et elles, est jeune, mais parmi les sympathisants, tous les âges étaient représentés. D'ailleurs, la manifestation s'est déroulée de manière étrange, peu commune où les plus actifs étaient bien cernés par les CRS, mais eux-mêmes étaient entourés par une foule de personnes habitant le quartier...

  • ceux et celles parmi les plus vindicatifs s’activaient à visage découvert et sans protection particulière, outre quelques exceptions insignifiantes : ni Black Blocs ou Anti-Fa mieux armés et aguerris, mieux disposés et organisés pour affronter les forces de l’ordre ; et si les visages se dissimulaient sous des écharpes ou foulards, c’était dans l’unique but de se protéger des gaz lacrymo policiers.

  • le mot d’ordre des manifestants, semble-t-il, était d’éviter la violence – pas de jets d’objets divers et variés ou de molotov -, et de répondre à celle policière par soit une retraite rapide, soit par des invectives, soit par des chansons et farandoles...

Marseille La Plaine | le 11 octobre 2018

Enfin, au départ des forces du dés-ordre, les manifestants ont soigneusement déplacé les énormes blocs de béton et libéré la grande place… Depuis, se succèdent les réunions et rassemblements informels, les marches de protestation, celle de samedi a réuni dans les rues de Marseille plus d’un millier d’opposants au projet, marche bon enfant dispersée par les gaz lacrymogènes policiers en haut de la Canebière.

Marseille | le 13 octobre 2018 : manifestation bon enfant sur la Canebière

Marseille La Plaine | le 13 octobre 2018 : la fin de la manifestation est dispersée par les CRS sur la Plaine

La résistance s’est également déroulée lors du Conseil Municipal de la séance du 8 octobre 2018, portée par les partis de l’opposition, qui dénoncent en choeur l’absence de concertation et l’éviction des forains ; Jean-Marc Coppola du Front de gauche estime que le réaménagement laissant moins de forains et moins de stationnements est « une ineptie pour l’économie locale » ; Benoît Payan du groupe socialiste et apparentés, déplorait, entre autres, une place « abandonnée depuis 25 ans » et un projet parfaitement anti-écologique évoquant l’abattage d’arbres et l’artificialisation des sols ; tout pareil que Lydia Frentzel d’Europe écologie les Verts qui propose la municipalisation du parking Vinci-Plaine et des abonnements résidents moins onéreux. Le patriarche Gaudin a essuyé ses critiques d'un revers de la main... 

La bataille peut commencer : on attend les réactions des habitants lorsque viendront les engins de chantier destinés à abattre les arbres...

EPILOGUE

Le laborieux et plus que lamentable projet des paysagistes pour la requalification de la Plaine est, avant tout, un projet du passé, digne du 19e siècle et d'Haussmann, propositions en chantier qui aujourd'hui, et dans le futur proche ne répondent pas, s'opposent même aux besoins et aux sollicitudes des riverains et usagers, bafouant les règles de notre cher DD - développement durable - concernant son volet social et participatif ; et ce projet s'oppose de facto à un futur plus lointain, dont celui en particulier des nouvelles mobilités urbaines qui, selon les experts les plus pertinents en la matière, très différentes, rendront caduque le type de projet proposé à la Plaine [2]. 

Or c'est cela l'urbanisme, c'est de pré-voir l'avenir, d'anticiper le futur ; c'est l'enjeu majeur, et toute la difficulté, le danger également, et c'est pourquoi, les urbanistes les plus perspicaces réfléchissent - justement - sur des espaces hybrides, presque tout pareil que La Plaine d'hier, permettant selon les moments de la journée, selon les impératifs de la circulation, ou de livraison ou festif par exemples, de modifier les espaces dédiés aux usagers, et d'assurer leur bonne complémentarité. Plutôt que de figer l'espace, de le rendre immuable, rigide, l'idée est bien de le libérer des contraintes héritées d'hier, de le rendre mutable, flexible et transformable. Certes, ceci n'est pas réellement nouveau, un concept appelé architecture modulable  à la mode élaboré dans les années 1960-70, peu appliqué à l'espace urbain, mais qui intéresse les spécialistes de la mobilité, des personnes - connectées -, des véhicules et des marchandises.

Parmi les propositions les plus (im)pertinentes, se démarquent celle des concepteurs du Sidewalk Labs, filiale d'Alphabet, de Goggle donc, qui imaginent un statut inédit des espaces publics pour la réhabilitation d'une friche portuaire à Toronto, destinée à être l'éco-quartier du futur... très proche. Plus classique et théorique est l'approche du géographe et universitaire Luc Gwiazdzinski qui évoque les contours de la figure de la « ville malléable » : la malléabilité réside dans la possibilité de remaniements ultérieurs mais aussi dans la prise en compte de l’existant, où l'on attend que l'espace public soit flexible, adaptable, modulable face aux besoins évolutifs des usagers, au même titre que les édifices [3]. 

Les contre-propositions des opposants au projet, exigent  plutôt qu'une requalification lourde, une simple rénovation du lieu, une identique configuration, avec bien sûr le requalibrage des voiries en faveur des piétons, des trottoirs plus larges, plus de stationnements et une autorisation spéciale de stationner sur la place même la nuit, le maintien exact du nombre de forains, des arbres existants et des mêmes surfaces allouées aux jeux d'enfants : soit préserver ce qui existait et fonctionnait, mais aussi réduire considérablement, selon eux, le financement des travaux. 

C'est le seul reproche que nous pouvons leur faire, car, peut-être, l'occasion leur était offerte d'imaginer l'urbanité du lieu, son Genius Loci en adéquation avec un futur proche qui n'est plus celui d'hier pagnolesque ; et pour y parvenir approcher le corps architectural sinon l'avant-garde, mais le plus critique de Marseille, et bien sûr des étudiants, et surtout pas seulement en architecture, qui sans doute auraient été ravis de participer à son élaboration. Mais il est vrai, que pour les concepteurs - architecte, urbaniste, paysagiste et professeur en poste et membre de l'Ordre ou du Syndicat - qui osent défier ou critiquer publiquement un projet de la ville ou de la région, le danger est grand d'être marqué à vie sur une Blacklist les privant de commande publique : c'est un fait, aucune voix, à notre connaissance, venant de leur corps professoral ne s'est exprimé (la solidarité corporatiste prévaux pour les paysagistes, naturellement) ; l'occasion était belle, cette fois-ci, pour l'Ordre des architectes de la région PACA, d'organiser un débat contradictoire, dans leurs locaux, à un jet de Molotov du Cours Julien...

 LIENS 

Site Internet
Marseille Infos Autonomes
Des infos en temps réel :
https://mars-infos.org/la-plaine-en-lutte-fil-d-infos-et-3388

Journal de quartier

Sous le soleil, La Plaine

Octobre 2018

A lire en ligne, très instructif :

https://journalplaine.wordpress.com/


Site Internet dédié
Historique & brochures & bien +

https://laplaine.noblogs.org/

Facebook
https://www.facebook.com/assembleedelaplaine.renovation

Mensuel CQFD
Un dossier spécial Plaine
MARSEILLE : GUERRE AUX « INDÉSIRABLES »
Sur La Plaine, le marché des derniers jours

Par Bruno Le Dantec (de l’Assemblée de La Plaine)
Octobre 2018
A lire en ligne :
http://cqfd-journal.org/


 

NOTES

[1] Il est toujours intéressant de consulter les guides touristiques ; dans le Lonely Planet édition française en ligne nous trouvons parmi les visites incontournables de Marseille, la Plaine et le Cours Ju-(lien) :

« C’est au “Cours Ju”, une jolie place bordée de nombreux bars et de restos ethniques qui surplombe une partie de la ville qu’un mélange de jeunes, d’étudiants et de hipsters, se retrouve en fin d’après-midi pour boire des coups, goûter à des plats exotiques, traîner dans les magasins vintage, les galeries d’art et les magasins ethniques ou concepts. On va aussi au Cours Ju pour déambuler dans les ruelles truffées de Street Art et joliment végétalisées qui mènent à une autre place, La Plaine. Dans cet autre haut lieu du “hipsterisme”, rien de tel qu’une halte au Petit Nice, bar très vivant, très sympa et rassurez-vous, très bon marché contrairement à son homonyme de Malmousque ! »

Première destination dans son édition américaine en ligne en 2018, le Cours Julien :

« Marseille's most vibrant bohemian quarter centres on Cours Julien, an elongated concrete square shaded by palm trees. It’s lined with great bars, cafes and music venues, and its street-art-slathered side-streets are home to a wealth of bookshops, galleries, tattoo parlours and ethnic restaurants. Markets are held in the square on several days of the week: flowers on Wednesday and Saturday, antique books alternate Saturdays, and stamps or antique books on Sunday. »

[2] Qu'en est-il des bornes de recharge pour les futurs véhicules et deux-roues électriques, scooters qui d'ailleurs semblent promis à un grand avenir à Marseille : vont-ils, après les voitures vampiriser la piétonne place Jaurès ? 

[3] La mutabilité accrue de l’espace urbain et architectural, dans la logique d’une ville non finie doit  "laisser à la population une possibilité d’utiliser autrement des infrastructures existantes ou d’assurer le caractère multifonctionnel des espaces créés à différentes échelles. Elle nécessite de réfléchir à de nouvelles règles pour un usage alterné de l’espace collectif dans le sens de l’hospitalité, de l’urbanité, et du développement des échanges qui sont autant de chantiers à différentes échelles de l’agglomération à la rue en passant par le quartier : règles de partage de l’espace public entre les différents usagers de la ville ; limites spatiales (zones) et temporelles de cet usage alterné ; bonne lisibilité de cet usage alterné pour des questions de sécurité et de citoyenneté (panneaux, signalétique) ; responsabilité de la gestion de l’alternance et du calendrier d’usage de l’espace collectif ; définition de chartes d’usage de l’espace collectif et de codes de bonne conduite ; gestion des conflits entre utilisateurs temporaires sur les marges, au moment du changement d’affectation ; adaptabilité du mobilier urbain en fonction des temps et usages différenciés de l’espace collectif (bancs, arrêts de bus, poteaux, bornes rétractables, panneaux d’affichage...) ; péage et coût d’utilisation des espaces aux différents moments ; information et signalétique adaptable aux différents usages." 

https://www.pca-stream.com/fr/articles/metropole-malleable-et-adaptable-vers-un-urbanisme-temporaire-et-temporel-8