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Le racisme anti-Blancs n’existe pas

Lien publiée le 24 octobre 2018

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https://www.liberation.fr/debats/2018/10/22/le-racisme-anti-blancs-n-existe-pas_1687081

Par Alain Policar, politologue au Cevipof. Membre du comité scientifique et coordinateur du Dictionnaire historique et critique du racisme (dir. P.-A. Taguieff, PUF, 2013)

Les insultes dont peuvent être victimes les membres de la population majoritaire ne correspondent pas à une idéologie essentialisante.

Tribune. Dans un ouvrage qui vient de paraître, Le racisme est un problème de Blancs (Autrement), Reni Eddo-Lodge évoque «les ravages imaginaires du racisme anti-Blancs». A-t-elle raison de considérer que, dans les démocraties libérales contemporaines, le concept de «racisme anti-Blancs» est mal fondé ? Que subissent réellement les Blancs en tant que «Blancs» ?

De nouvelles catégories, telles que «blanchité» ou «blanchitude», soulignent l’apparition d’un nouveau groupe, «les Blancs», qui auparavant n’était pas reconnu et d’ailleurs ne se reconnaissait pas comme tel. Cette reconnaissance implique la possibilité d’être sujet aux agressions des autres groupes ethniques ou ethnicisés. Or, même si ces nouvelles catégories ont trouvé, au carrefour des études de genre et des cultural studies, une certaine légitimité dans l’antiracisme militant, elles contribuent à décrire le monde en termes de «races» distinctes, et, corrélativement, à rompre avec l’humanisme universaliste, lequel serait celui, dévalorisé, de la gauche «blanche».

Outre la délégitimation du combat des Blancs, assimilés aux colonisateurs, contre le racisme, l’extension du domaine de la «race» a des effets pervers redoutables. Dès l’instant où est reconnue la pertinence du concept de blanchité, il n’y a aucune raison que les Blancs ne puissent, en tant que tels, être victimes de racisme. Songeons à l’appel signé par Jacques Julliard, Alain Finkielkraut, Bernard Kouchner et Pierre-André Taguieff en 2005 contre les ratonnades anti-Blancs, qui visait à situer ce racisme anti-Blancs sur le même plan que l’antisémitisme, ce qui ne manque pas de surprendre chez des auteurs aussi conscients de la nature de l’antisémitisme. Rigueur scientifique et lutte antiraciste ont tout à perdre à cette extension du domaine de la race.

Il va, certes, de soi que n’importe quel groupe humain est susceptible d’être racialisé (perçu comme une race) et racisé (soumis à des stigmatisations). Et il est indéniable que des insultes à caractère raciste (parfois d’une insupportable violence) sont proférées à l’égard d’individus identifiés comme Blancs. Ces événements sont pour l’essentiel limités à l’espace public. En outre, le pourcentage de «Blancs» victimes d’insultes à caractère raciste est infiniment plus faible que celui des immigrés noirs de première génération et que celui de leurs enfants. Une étude de l’Ined de janvier 2016 confirme que la population majoritaire ne déclare pas de discriminations associées aux expériences de racisme, que les réactions racistes sont peu nombreuses et ne se traduisent pas par des préjudices matériels. Ainsi, le racisme explicite, qui vise les enfants d’immigrés, est un racisme qui les discrimine en réduisant leur accès à l’emploi et en dégradant leurs conditions de travail, alors que le racisme visant la population majoritaire prend essentiellement (pas exclusivement) la forme d’insultes dans la rue ou les cours d’école.

Ces différences, autorisent-elles à nier la réalité du racisme anti-Blancs ? La question décisive est de savoir si actes racistes et racisme se superposent. Répondre implique une définition scientifiquement consistante du racisme.

Bien qu’il existe des raisons pouvant conduire à nuancer la célèbre définition d’Albert Memmi, telle qu’elle est proposée dans la Nef en 1964, je pense souhaitable de partir de celle-ci : «Le racisme est la valorisation, généralisée et définitive, de différences réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de justifier ses privilèges ou son agression.» Nous avons là une remarquable synthèse des éléments constitutifs du racisme : l’insistance sur des différences, réelles ou imaginaires, leur valorisation au profit du raciste, leur absolutisation par la généralisation et leur caractère définitif et, enfin, leur utilisation contre autrui en vue d’en tirer profit. Catégorisation, hiérarchisation et discrimination.

Albert Memmi n’a, certes, pas dégagé la spécificité du tournant différentialiste du racisme analysé par Pierre-André Taguieff dès 1988. En outre, il laisse entendre que l’éventuelle disparition du racisme se confondrait avec celle des privilèges ou de la situation d’oppression. Il existe pourtant des manifestations du racisme qui ne peuvent trouver place dans ce cadre. Il peut, en effet, exister des objectifs strictement imaginaires, dès lors non réductibles à des stratégies de légitimation de privilèges ou d’agressions. Mais si le phénomène de domination est essentiel, il n’est pas exclusif. Il y a aussi le rejet et l’exclusion.

En effet, les électeurs du Rassemblement national (RN) veulent voir les immigrés et leurs enfants retourner dans «leur» pays. Or, on ne peut dominer celui avec qui on n’a pas de liens parce qu’on l’a justement exclu. Surtout, le génocide, qui représente le pire de ce à quoi le racisme peut aboutir, est incompatible à terme avec les idées d’exploitation ou de domination.

Mais peut-on faire entrer le supposé racisme anti-Blancs dans ce cadre conceptuel ? Le rejet et l’exclusion que peuvent subir les Blancs relèvent, pour l’essentiel, des émotions, de la colère, du ressentiment. Les insultes, voire les violences, dont ils peuvent être victimes sont-elles équivalentes aux discriminations à l’embauche ou au logement, lesquelles sont le reflet de pratiques structurelles concrètes ? Les insultes et les préjugés que des non-Blancs peuvent avoir envers des Blancs sont, certes, dommageables et peuvent considérablement blesser, mais ils ne sont pas historiquement chargés et, surtout, ne viennent pas en complément d’un traitement social défavorable envers les Blancs parce qu’ils sont blancs. Les actes «anti-Blancs» ne correspondent pas à une idéologie essentialisante qui pourrait la relier à un véritable racisme. Reni Eddo-Lodge a donc parfaitement raison d’insister sur la notion de racisme structurel, racisme dont la population majoritaire ne peut être victime. Le concept de racisme anti-Blancs n’a donc guère de sens dans une société où les Blancs ne subissent pas un racisme institutionnalisé et une discrimination sociale à dimension historique.

Alain Policar politologue au Cevipof. Membre du comité scientifique et coordinateur du Dictionnaire historique et critique du racisme (dir. P.-A. Taguieff, PUF, 2013)