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Quelques problèmes concernant le discours d’Aurélien Barrau
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Nicolas Casaux
En à peine quelques semaines depuis que son appel a été diffusé sur le site du journal Le Monde, Aurélien Barrau est devenu la coqueluche de l’écologie grand public. S’il énonce des choses tout à fait justes, comme la nécessité pour l’humanité de cesser de s’étendre et même de laisser davantage d’espace aux autres espèces, et la nécessité de consommer moins, de décroître, de renoncer au principe de croissance, son discours pose problèmes pour plusieurs raisons. Retour sur un engouement tout à fait attendu.
Le 3 septembre 2018, Le Monde publie une tribune intitulée « « Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité » : l’appel de 200 personnalités pour sauver la planète ». Son sous-titre résume : « D’Alain Delon à Patti Smith, tous ont répondu à l’appel de Juliette Binoche et de l’astrophysicien Aurélien Barrau pour une action politique « ferme et immédiate » face au changement climatique. » Si Aurélien Barrau parvient à être publié dans Le Monde et à réunir autant de signatures de professionnels de l’industrie de l’écervellement, c’est parce qu’il évolue aussi dans ces milieux. Ainsi que M, le magazine du Monde nous l’apprend : « Si Aurélien Barrau a réussi à réunir autant de stars pour sa tribune, c’est grâce à Juliette Binoche, qui lui a ouvert son carnet d’adresses. Il s’est lié d’amitié avec elle il y a un an sur le tournage du prochain film de science-fiction de Claire Denis (High Life, sortie prévue en 2019). Il y officiait en tant que conseiller scientifique supposé faire en sorte que trous noirs et voyages dans le temps, « choses abstraites », deviennent « sensibles » pour les acteurs du film, Juliette Binoche, donc, et Robert Pattinson. » Mais ce n’est pas la seule raison.
Une autre raison, et sans doute aussi importante, tient au fait que l’appel d’Aurélien Barrau — et son discours plus généralement — ne constitue une menace pour rien ni personne. D’une brièveté troublante, il commence par rappeler le désastre écologique en cours, puis en vient au principal, que nous pourrions résumer en quelques mots : « il faut que les hommes politiques fassent ce qu’il faut ». Formidable. Mais la naïveté et l’incompréhension historique dont témoigne le discours d’Aurélien Barrau ne se limitent pas à cela. Dans l’ensemble, il n’ose pas remettre en question le capitalisme, il affirme par exemple, dans une interview sur France Culture, qu’il « y a évidemment des problèmes et des avantages au système capitaliste », et ajoute, dans son interview chez Thinkerview, qu’il ne pense pas que le capitalisme soit le principal problème. Son discours a pour effet de suggérer qu’un capitalisme vert pourrait sauver la situation. Dans la vidéo qu’il a tournée avec le média Brut (média internet, créé par des anciens de la télévision, qui se spécialise dans les vidéos très courtes pour traiter de toutes sortes de sujets), il affirme :
« Donc la seule manière de nous sauver aujourd’hui, c’est que les dirigeants, c’est leur rôle, c’est pour ça que nous leur déléguons notre pouvoir, c’est pour ça que nous les élisons, il faut donc qu’ils assument leur fonction et qu’ils nous sauvent. Ils sont très exactement là pour ça. »
Et lors d’un passage sur France 5 :
« Parce qu’on le sait nous sommes faibles, et moi le premier, […] nous sommes tous collectivement faibles, mais on est quand même suffisamment sages pour être capables de comprendre que quand ça va plus il faut des lois, il faut que le droit et le politique interviennent pour nous limiter. »
La première chose à rappeler, c’est que si « nous sommes faibles », cela n’a rien de naturel ou d’inéluctable. Il s’agit avant tout du résultat de décennies de conditionnement imposé par l’organisation sociale dominante et ses dirigeants. La société de consommation industrielle produit les individus dont elle a besoin. Au fur et à mesure qu’il parvenait à s’imposer, au cours des dernières décennies — et l’on pourrait probablement étendre cela aux derniers siècles —, l’État et ses institutions se sont mis à usiner leurs sujets, afin de produire le type d’individu dont ils avaient besoin pour fonctionner. C’est-à-dire le type d’individu soumis, conformiste, croyant aux mythes nécessaires de l’État qui l’a formé (« démocratie », « progrès », etc.).
Ainsi que le formule l’anthropologue de Yale, James C. Scott :
« Une fois en place, l’État (nation) moderne a entrepris d’homogénéiser sa population et les pratiques vernaculaires du peuple, jugées déviantes. Presque partout, l’État a procédé à la fabrication d’une nation : la France s’est mise à créer des Français, l’Italie des Italiens, etc.[1] »
Ce que cela suggère implicitement, et qu’Aurélien Barrau ne semble pas non plus réaliser, c’est évidemment que l’État n’est pas une institution démocratique. Nous ne choisissons pas de déléguer notre pouvoir[2], d’élire, et le rôle des dirigeants étatiques n’a jamais été de prendre soin de nous. Ainsi qu’Howard Zinn s’évertuait à le rappeler : « L’État n’est pas notre ami ». Dans une société véritablement démocratique, les êtres humains produisent les institutions dont ils ont besoin, et inversement, dans une société non démocratique, les institutions produisent les êtres humains dont elles ont besoin. Or, les régimes électoraux modernes ne sont pas démocratiques[3], même s’ils s’auto-qualifient de « démocratie » (rappelons au passage qu’une démocratie représentative, c’est un oxymore). Le rôle de leurs dirigeants a toujours été de servir une classe dominante au détriment de toutes les autres classes.
La perspective d’Aurélien Barrau, bien trop courante au sein d’une gauche particulièrement ignorante, politiquement, suppose que la destruction de la planète et l’exploitation organisée des êtres humains par d’autres êtres humains, les multiples oppressions et les inégalités qui caractérisent la civilisation industrielle, sont autant d’accidents de parcours, d’effets indésirables qui devraient pouvoir être jugulés. Ce n’est pas le cas. L’État capitaliste repose, au même titre que la civilisation industrielle, sur le pillage et la destruction de la planète, sur les hiérarchies sociales, sur l’exploitation sociale, les inégalités et les oppressions. Il s’agit de ce qu’implique son fonctionnement normal, et non pas d’une erreur qui pourrait être rectifiée.
Ainsi que le formule le sociologue états-unien Charles Derber, l’État capitaliste est une entité sociopathique : ses structures sociales produisent des individus sociopathiques en encourageant des comportements sociopathiques (au travers et à cause de la compétition, de l’exploitation sociale généralisée, la servitude imposée qu’on appelle salariat, de la propriété privée, du militarisme, des inégalités, etc.). Donc attendre de l’État, de ses institutions et de ses dirigeants qu’ils nous sauvent, et qu’ils sauvent la planète, qu’ils fassent donc ce qu’ils ne sont pas censés faire — et même le contraire de ce qu’ils sont censés faire —, c’est se fourvoyer dramatiquement, et se condamner, et la planète avec, à un péril certain.
On comprend alors que son discours témoigne de la réussite du conditionnement d’État, qui est en effet parvenu à infantiliser la plupart, à les persuader que la seule chose qu’ils peuvent faire, c’est demander à Papa-l’État d’intervenir et de sauver la situation. C’est ce qui amène Aurélien Barrau à affirmer, sur France Culture : « Il me semble que les présidents de la république […] doivent endosser leur costume de super-héros et mettre en marche cette révolution indispensable à notre survie. »
Seulement, l’État, en tant qu’organisation sociale non démocratique, n’est pas la solution, mais bien le problème. De même que Murray Bookchin, il nous semble inconcevable de penser l’écologie sans la démocratie. Comme lui, nous considérons que « l’obligation faite à l’homme de dominer la nature découle directement de la domination de l’homme sur l’homme », et que :
« Tant que la hiérarchie persistera, tant que la domination organisera l’humanité autour d’un système d’élites, le projet de domination de la nature continuera et mènera inéluctablement notre planète vers la catastrophe écologique. »
***
Mais il n’y a pas que sur le plan politique que le discours d’Aurélien Barrau s’égare. S’il cite correctement quelques symptômes du désastre écologique en cours, sur lesquels il n’est pas utile de revenir, son diagnostic, dans l’ensemble, est plus que discutable. Ainsi lorsqu’il affirme que la destructivité dont fait actuellement montre la civilisation industrielle serait « endémique à ce que nous sommes », puisque « on sait que, même dans un passé lointain où nous étions encore chasseurs-cueilleurs, dès qu’une zone de la planète se trouvait colonisée par les humains, la macrofaune était massivement décimée. Souvent avec une volonté explicite d’extermination » (citation tirée de son appel publié sur Diacritik). Or, même en admettant qu’une partie des extinctions de la mégafaune (il écrit macrofaune, mais pense probablement à la mégafaune) du Pléistocène soit partiellement imputable à certains groupes humains (et pas à tous, ainsi qu’il semble le suggérer, amalgamant ainsi toute l’humanité dans un simplisme grossier), et sachant que nous restons ici dans le domaine de l’hypothèse, de l’incertitude, contrairement à ce que suggère son « on sait que », d’autant qu’une partie de la communauté scientifique formule une autre hypothèse selon laquelle le changement climatique serait davantage à blâmer, il est franchement grotesque de parler de « volonté explicite d’extermination », comme si les registres archéologiques disaient quoi que ce soit des volontés des humains de l’époque. En outre, dans plusieurs endroits du monde, la macrofaune n’a pas été anéantie, notamment dans certaines régions de l’Afrique et de l’Asie, malgré une très longue cohabitation avec l’espèce humaine. D’ailleurs, ceux qui tenaient à affirmer que l’être humain est un tueur-né recouraient souvent à l’argument selon lequel l’arrivée d’Homo sapiens coïncidait partout avec la disparition de la mégafaune qui s’y trouvait. Seulement, les découvertes archéologiques récentes ne cessent de repousser les dates d’arrivée d’Homo sapiens ici et là, et l’on sait désormais qu’en Australie, par exemple, la mégafaune a cohabité avec l’espèce humaine pendant au moins 17 000 ans[4]. La date d’arrivée d’Homo sapiens aux Amériques risque fort d’être repoussée elle aussi[5]. Bref, à partir d’une affirmation fausse il tire une conclusion fausse, selon laquelle la destructivité de la société industrielle est « endémique à ce que nous sommes ». Conclusion qui lui permet d’affirmer que le capitalisme n’est « pas le principal problème », d’autant qu’il a « aussi des vertus ». Et l’on retombe ici sur sa mauvaise analyse sociopolitique du problème.
***
Aurélien Barrau en appelle à des mesures impopulaires et coercitives — une soumission à toujours plus d’embrigadement étatique pour raison écologique, qui aboutira, selon toute probabilité, à l’éco-fascisme que décrivait Bernard Charbonneau dans Le feu vert, ou René Riesel et Jaime Semprun dans Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable.
« Si la crise énergétique se développe, la pénurie peut paradoxalement pousser au développement. Le pétrole manque ? Il faut multiplier les forages. La terre s’épuise ? Colonisons les mers. L’auto n’a plus d’avenir ? Misons sur l’électronique qui fera faire au peuple des voyages imaginaires. Mais on ne peut reculer indéfiniment pour mieux sauter. Un beau jour, le pouvoir sera bien contraint de pratiquer l’écologie. Une prospective sans illusion peut mener à penser que le virage écologique ne sera pas le fait d’une opposition dépourvue de moyens, mais de la bourgeoisie dirigeante, le jour où elle ne pourra plus faire autrement. Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera, et qui après l’abondance géreront la pénurie et la survie. Car ceux-là n’ont aucun préjugé, ils ne croient pas plus au développement qu’à l’écologie : ils ne croient qu’au pouvoir.
Pour contrôler les dangers de moyens de plus en plus puissants et fragiles parce que complexes, gérer un espace et des ressources qui s’épuisent, prévoir et maîtriser les réactions humaines qui empêcheraient de le faire, on est obligé de renforcer l’organisation. L’éco-fascisme a l’avenir pour lui, et il pourrait être aussi bien le fait d’un régime totalitaire de gauche que de droite sous la pression de la nécessité. »
— Bernard Charbonneau, Le feu vert (1980)
Pour bien comprendre en quoi cet appel à davantage de coercitions étatiques pour nous sauver constitue une chimère indésirable, il faut comprendre que ceux qui détiennent le pouvoir, les dirigeants étatiques et corporatistes, n’agissent et n’agiront jamais à l’encontre de leurs propres intérêts, sans y être forcés. Et dans forcés, il y a force. Parce qu’il faut bien comprendre que l’arrêt du désastre écologique en cours nuira forcément à ceux qui l’ont précipité, qui l’organisent et qui en tirent profit actuellement. Les dirigeants étatiques et corporatistes n’ont pas intérêt à ce que les populations consomment moins, à ce que cesse l’étalement urbain, le « développement », etc.
Pour exemple, citons Jeff Bezos, PDG d’Amazon :
« Nous ne voulons pas vivre dans un monde rétrograde. Nous ne voulons pas vivre sur une Terre où nous devrions geler la croissance de la population et réduire l’utilisation d’énergie. Nous profitons d’une civilisation extraordinaire, alimentée par de l’énergie, et par la population. […] Nous voulons que la population continue à croître sur cette planète. Nous voulons continuer à utiliser plus d’énergie par personne. »
On entend de plus en plus parler de l’idée d’un lobby citoyen, et pourquoi pas, mais il faudrait avant tout que ce lobby vise à redistribuer le pouvoir, et non pas à demander des lois pour ci ou ça. En effet, la plupart des gens, ne réalisant pas l’ampleur de ce qui pose problème dans la civilisation industrielle — à peu près tout —, semblent croire que les petites mesures « impopulaires » et « coercitives » qui pourraient effectivement être approuvées ou acceptées par ceux au pouvoir parce qu’elles ne menacent les intérêts d’aucun capitaine d’industrie, comme la limitation de vitesse passant de 90 à 80 km/h, comme le bannissement de certains objets en plastique, et même, imaginons, l’imposition à l’ensemble de la société des petits gestes de l’écocitoyen modèle par le biais de la législation, pourraient véritablement faire une différence. Ce n’est pas le cas. Dans l’ensemble, cela ne changerait rien[6].
Il importe alors de rappeler que contrairement à ce que suggèrent les écolos grand public comme Cyril Dion, Isabelle Delannoy, etc., une civilisation industrielle verte, un industrialisme vert — et qui plus est, démocratique —, ça n’existe pas. Et ça ne peut pas exister, par définition, étant donné que sur le plan social, l’industrialisme en général et les hautes technologies en particulier impliquent une organisation étendue, très hiérarchisée, avec d’importantes spécialisation et division du travail : autant de caractéristiques peu compatibles avec la démocratie (directe, cela s’entend). Sur le plan écologique, face à l’idée trop répandue selon laquelle le remplacement des énergies fossile et nucléaire par les énergies dites « renouvelables » permettrait de la rendre « verte », rappelons que la civilisation industrielle ravage la planète par son étalement urbain, son agriculture, sa surexploitation de toutes les ressources (renouvelables et non renouvelables), la fragmentation des biomes qu’imposent ses infrastructures, ses innombrables activités industrielles polluantes, destructrices du monde naturel, et pas SEULEMENT par la manière dont elle produit ou obtient l’énergie qu’elle utilise. Même si l’on parvenait à obtenir toute l’énergie qu’elle consomme par des procédés véritablement respectueux du monde naturel, c’est-à-dire même si les énergies dites « vertes » ou « renouvelables » l’étaient vraiment et intégralement — ce qu’elles ne sont pas[7], et ce qui n’est pas possible, mais admettons — seule une petite partie du problème aurait été résolue. Dans l’ensemble, la civilisation industrielle continuerait de détruire le monde, de le bétonner, de l’artificialiser, de le surexploiter, de le polluer, de le contaminer, etc., bref : une civilisation industrielle verte ça n’existe pas. Mettre un terme à la destruction de la nature, c’est arrêter toutes les activités et pratiques qui la détruisent (ce n’est pas bien compliqué à comprendre). Mettre un terme à toutes les activités et pratiques qui la détruisent, c’est arrêter la quasi-totalité des activités industrielles (sauriez-vous citer une seule industrie qui ne soit pas polluante, ou qui ne repose pas sur des infrastructures et des pratiques nuisibles de quelque façon pour le monde naturel ?). C’est arrêter la société industrielle.
Et jamais les capitaines d’industrie qui la dirigent n’accepteront de se tirer une balle dans le pied sans y être forcés — demander ou faire du lobbying citoyen n’y suffira jamais — en démantelant l’ensemble du système industriel, en redistribuant le pouvoir au peuple, en encourageant le démembrement des conurbations et des mégalopoles au profit de la recréation de microsociétés à taille humaine, autonomes, démocratiques et écologiques, reposant donc sur l’utilisation de technologies démocratiques (de basses technologies, ou low-tech, ou d’outils conviviaux), etc.
***
Aurélien Barrau affirme, dans son interview chez Thinkerview, ne pas croire au solutionnisme technologique. Pourtant, peu après, il affirme que des solutions sont à chercher du côté d’une « amélioration de l’efficacité énergétique », d’une meilleure isolation thermique des bâtiments et d’une transformation de « notre mode de production d’énergie » — selon toute probabilité, il faisait ici référence aux énergies dites « vertes » ou « renouvelables ». On comprend ainsi que par solutionnisme technologique il n’entendait que la géo-ingénierie.
L’amélioration de l’efficacité énergétique ne résoudrait rien du tout, bien au contraire[8] — cela fait des décennies que l’efficacité énergétique des processus industriels qui constituent la civilisation industrielle augmente. Manifestement, cela n’a pas même freiné le désastre écologique qui, sur la même période, n’a cessé d’empirer.
Finalement, le problème du discours d’Aurélien Barrau est double, parce qu’il pousse les gens à croire, d’une part, que le désastre écologique en cours ne pourra être résolu que par ceux qui sont en train de le causer et qui en bénéficient le plus — et qui plus est, qu’il pourrait être résolu indépendamment de la question démocratique ; et d’autre part, que quelques révisions à la baisse de nos niveaux de consommation, dans les pays riches, couplées à quelques évolutions technologiques et techniques — les énergies dites « renouvelables », la neutralité carbone et tout le tralala de l’industrialisme vert[9] —, permettraient de le résoudre.
En attendant, ce que l’on peut tous observer, c’est qu’au nom du sauvetage de la planète (et surtout, désormais, du sauvetage « du climat »), plusieurs industries soi-disant « vertes » viennent s’ajouter aux existantes, et l’on produit toujours plus d’énergie chaque année : des centrales solaires, des parcs éoliens, des centrales à biomasse et des barrages sont construits un peu partout, sans pour autant que des centrales à charbon, ou au gaz naturel, ou nucléaires, soient fermées — au contraire, il s’en construit toujours plus. Le monde naturel, lui, comme toujours, en paie le prix. Rappelons, pour exemple, le cas de la centrale solaire de Cestas, en France, près de Bordeaux, la plus grande d’Europe, qui a nécessité l’abattage de 250 hectares de pinède ; un projet du consortium Eiffage, Schneider Electric, Krinner (l’occasion aussi de rappeler que les industries des énergies dites « vertes » sont, très logiquement, dominées par d’immenses entreprises multinationales, et que toutes sortes de multinationales, de Vinci à Total, y investissent afin de faire du profit). Centrale solaire dont l’électricité permettra d’alimenter des smartphones, des télévisions, des ordinateurs, des réfrigérateurs, etc. Formidable. La planète et le climat nous remercient. Tout cela fait que, dans l’ensemble, la consommation de combustibles fossiles continue d’augmenter — ou plutôt, d’empirer. Au même titre que tous les indicateurs écologiques : les océans sont de plus en plus surexploités, vidés, les zones humides disparaissent trois fois plus vite que les forêts, qui disparaissent aussi très rapidement — l’année 2017 a constitué une année record pour la déforestation —, et ainsi de suite.
Les choses empirent et continueront d’empirer au cours des décennies à venir. Les faux espoirs doivent être exposés pour ce qu’ils sont. Pour avoir une chance de mettre un terme à la catastrophe, nous avons besoin d’un véritable mouvement de résistance — à la manière de ce que propose le livre Deep Green Resistance, que nous publions ce mois-ci (courant octobre 2018).
Nicolas Casaux
***
P.S. : 1. Lorsqu’on lui a demandé son avis sur les agissements d’une personne qui s’était mise à faire une sorte de campagne de shaming (jeter l’opprobre sur des individus) via internet à propos des députés qui avaient voté contre l’interdiction du glyphosate, Aurélien Barrau a répondu : « Je ne suis pas complètement en phase avec la chasse aux sorcières, il faut quand même faire attention, toutes les armes ne sont pas forcément bonnes, il faut quand même, je pense, garder un peu de dignité. »
Voilà jusqu’où l’astrophysicien qui veut sauver la planète est prêt à aller. Une campagne basée sur des images diffusées sur internet visant à nommer et à couvrir de honte des députés pour leurs mauvais agissements, c’est déjà trop pour lui.
2. Je ne reviens pas sur l’idée selon laquelle son discours servirait à « éveiller les consciences ». Il me semble que cela revient, au moins en partie, à intervertir la cause et l’effet. C’est possiblement parce que les gens savent que ça ne va pas, et parce qu’ils ne comprennent pas bien pourquoi, que des individus comme Aurélien Barrau font le buzz. Quoi qu’il en soit, ainsi que j’ai essayé de le montrer, il n’aide pas les consciences à s’éveiller aux réalités politiques, économiques et technologiques de la civilisation industrielle.
- http://partage-le.com/2015/01/la-standardisation-du-monde-james-c-scott/↑
- Quand Aurélien Barrau affirme que les dirigeants étatiques que nous avons sont « le reflet de notre faiblesse », il affirme que nous avons les dirigeants que nous méritons. Encore une fois, cela témoigne d’une très mauvaise compréhension du système politique dominant et de la manière dont il s’est imposé. On lui recommandera, entre autres choses, la lecture du livre Propaganda d’Eward Bernays, le père des Relations Publiques (la propagande officielle), ou le visionnage de la série documentaire en quatre volets d’Adam Curtis, intitulée Le siècle du moi, en plus de la lecture du livre de Francis Dupuis-Déri, Démocratie : histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France.↑
- https://www.youtube.com/watch?v=KVW5ogGDlts et http://partage-le.com/2018/08/de-la-royaute-aux-democraties-modernes-un-continuum-antidemocratique-par-nicolas-casaux/. ↑
- https://www.theguardian.com/australia-news/2017/jan/12/megafauna-and-indigenous-australians-coexisted-with-for-at-least-17000-years ↑
- https://www.theguardian.com/science/2017/apr/26/could-history-of-humans-in-north-america-be-rewritten-by-broken-mastodon-bones ↑
- Voir : http://partage-le.com/2015/03/oubliez-les-douches-courtes-derrick-jensen/ & : http://partage-le.com/2018/09/la-consomaction-un-moyen-pour-les-puissants-degarer-la-resistance-par-george-monbiot/ ↑
- http://partage-le.com/2017/02/lecologie-du-spectacle-et-ses-illusions-vertes/ ↑
- Voir : http://partage-le.com/2018/06/pourquoi-lefficacite-energetique-ne-resout-rien-bien-au-contraire-par-max-wilbert/ ↑
- Pour un autre exemple de l’absurdité de l’industrialisme vert, promu par Cyril Dion & Co : http://partage-le.com/2018/07/si-vous-allez-a-san-francisco-vous-y-verrez-des-seringues-et-de-la-merde-par-nicolas-casaux/ ↑