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«Derrière Ascoval, l’abandon par l’État de l’industrie française»

Lien publiée le 30 octobre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.lefigaro.fr/vox/economie/2018/10/29/31007-20181029ARTFIG00121-derriere-ascoval-l-abandon-par-l-etat-de-l-industrie-francaise.php

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Pour les économistes David Cayla et Henri Sterdyniak, le sort de l'aciérie d'Ascoval est loin d'être isolé. Ce site est selon eux victime d'une démission de l'État en matière de politique industrielle, illustrée notamment par le remplacement d'Arnaud Montebourg par Emmanuel Macron à Bercy en 2014.


David Cayla est économiste, maître de conférences à l'université d'Angers.

Henri Sterdyniak est économiste à l'OFCE.

Tous deux ont contribué à l'ouvrage collectif, coordonné par Henri Sterdyniak, Macron, un mauvais tournant (Les liens qui libèrent, 2018).


FIGAROVOX.- L'aciérie d'Ascoval (Hauts-de-France) a jusqu'au 7 novembre pour trouver un repreneur. L'État est actionnaire du groupe Vallourec, propriétaire de l'usine: que pourrait-il faire pour sauver le site?

David CAYLA et Henri STERDYNIAK.- Avec plus de 15 % des actions (14,56 % pour Bpifrance et 1,66 % pour la Caisse des dépôts) l'État est en effet le principal actionnaire du groupe Vallourec, une entreprise de taille mondiale spécialisée dans la production de tubes d'acier. Derrière l'État, détenant un peu moins de 15% du capital, se trouve le groupe japonais Nippon Steel & Sumitomo Metal, puis vient l'actionnariat salarié qui possède moins de 5 % du capital. Le problème de Vallourec, c'est que le capital est en majorité (65 %) est «flottant», c'est-à-dire détenu par des investisseurs de marché qui n'ont pas d'engagement à long terme dans cette société. L'absence d'investisseur majoritaire exerce une pression sur le management qui doit concentrer ses objectifs sur la maximisation du cours boursier, ce qui implique une gestion à court terme et pousse à se débarrasser des sites de production les moins rentables.

Ainsi, même s'il est le principal actionnaire, l'État ne pèse pas suffisamment pour contraindre la direction à revoir sa stratégie. D'ailleurs, alors que le ministre de l'économie Bruno Le Maire se dit prêt à accompagner financièrement un éventuel repreneur, Phillippe Crouzet, le président de Vallourec, vient d'exclure toute participation de son groupe à une offre de reprise. Vallourec étant le principal client d'Ascoval, une reprise sans son accord n'aurait aucun sens.

Pour sauver le site, il faut évidemment investir dans l'appareil productif. Mais il faut également trouver des clients et développer une stratégie de diversification pour éviter que cette entreprise sous-traitante soit à la merci de clients bien plus puissants qu'elle. Ceci suppose que l'État indique clairement sa volonté d'assurer la pérennité de cette entreprise et surtout de l'ensemble de la filière en amont comme en aval.

On parle dans la presse d'un «nouveau Florange». En quoi la fermeture d'Ascoval serait un mauvais signal, tant politique qu'économique?

Le fond du problème est que l'État semble largement dépassé dans la logique actuelle de restructuration de la sidérurgie française. Jusqu'au milieu des années 1990, l'État français avait largement accompagné la restructuration de la sidérurgie française via la nationalisation d'Usinor. La création d'Arcelor en 2002 puis le rachat d'Arcelor par l'indien Mittal, son principal concurrent, a dépossédé l'État français de tout levier d'action dans ce secteur.

Mais l'impuissance de l'État n'est pas due qu'à sa faiblesse actionnariale. Elle est aussi le produit d'une absence de stratégie industrielle de moyen et long terme. Depuis la fin de la planification à la française, et en raison des règles européennes qui consacrent le principe d'une concurrence «libre et non faussée», l'État semble avoir abandonné toute volonté d'intervenir sur l'appareil productif français. Les privatisations et la financiarisation ont fortement nui au dynamisme de l'industrie en France. Au-delà de Florange, les épisodes récents du démantèlement d'Alstom, vendu pour partie à l'américain General Electric et pour sa partie ferroviaire à l'Allemand Siemens, traduit une sorte de nonchalance industrielle de la part d'Emmanuel Macron qui a largement contribué à la disparition du groupe, en tant que conseiller de François Hollande et ministre de l'économie.

Justement, dans un livre récent intitulé «Macron, un mauvais tournant», vous avez fait la liste des «paris perdus de la présidence Hollande». Quels choix politiques mettent en péril la compétitivité du secteur industriel?

En signant le Traité budgétaire, François Hollande s'est refusé à mettre en cause les choix européens d'une politique d'austérité budgétaire. Il n'a pas cherché des alliés en Europe contre la stratégie allemande d'accumulation d'excédents extérieurs qui étouffe les autres pays de la zone euro. Il a accepté les principes «d'une concurrence libre et non faussée», qui obligent les salariés à se concurrencer par le moins-disant salarial et social et qui interdisent à l'État d'avoir une planification stratégique pour l'appareil productif. Manuel Valls s'est rallié à la politique du Medef, axée sur la valorisation du chef d'entreprise, qui remet en cause le droit du travail. Le gouvernement socialiste s'est en réalité parfaitement accommodé de la financiarisation de l'économie, du creusement des inégalités de statut et de salaires, du développement de la sous-traitance et du travail précaire. Les allègements de cotisations ont été centrés sur les secteurs à bas-salaires, au détriment de l'industrie et des entreprises qui valorisent leurs salariés.

Le départ du gouvernement d'Arnaud Montebourg a marqué le refus de mettre en œuvre une politique volontariste de soutien à l'activité productive en France. Celle-ci aurait nécessité un plus grand rôle de la politique industrielle, une politique de filières axée sur la transition écologique, une plus grande capacité de la Banque publique d'investissement (BPI) à soutenir les entreprises françaises. Afin d'améliorer la gestion de long terme de l'entreprise, il aurait été nécessaire de valoriser le travail collectif en développant davantage la démocratie d'entreprise et en donnant aux salariés voix au chapitre dans les décisions stratégiques des entreprises. Les secteurs cruciaux pour l'avenir (rénovation urbaine, rénovation des logements, transports collectifs, énergies renouvelables) auraient dû être massivement soutenus.

Les chiffres du chômage sont en hausse pour le troisième trimestre 2018 de 0,5 %, et en recul de 1,2 % sur l'année. Ces chiffres sont-ils un indicateur politique pertinent? N'ont-ils pas, d'abord, une importante dimension conjoncturelle?

Certes, le taux de chômage varie en fonction de raisons conjoncturelles. Mais on peut tout de même noter que son maintien a un haut niveau témoigne de l'échec de la stratégie d'Emmanuel Macron, basée sur la baisse des impôts des plus riches (censée les faire investir en France) et sur les réformes du droit du travail (censées inciter les entreprises à embaucher). Jusqu'à présent, le choc attendu n'a pas eu lieu. L'emploi pâtit aussi du ralentissement de la croissance provoquée par les mesures qui ont réduit le pouvoir d'achat des ménages au premier semestre 2018 (hausse de la CSG, hausse des taxes).

Plus structurellement, la préoccupation du plein-emploi n'est plus vraiment l'axe central de la politique économique. La France connaît un nombre important de chômeurs, de personnes sous-employées et d'emplois précaires. Elle a donc besoin de nombreuses créations d'emplois, ce qui veut dire à la fois développer l'emploi public (dans l'éducation, la culture, la santé, la dépendance), avoir une politique industrielle tournée vers la transition écologique, inciter les jeunes à se former aux emplois industriels en leur garantissant que l'industrie a un avenir en France. Il faudrait aussi sans doute enrichir la croissance en emploi en améliorant les conditions de travail, en réduisant les cadences de travail dans certains secteurs, en diminuant la durée du travail. La stratégie de développer les emplois précaires et sous-payés ne correspond pas aux besoins des jeunes qui sont de mieux en mieux formés.

Selon vous, donc, le déclin industriel de la France n'est pas une fatalité?

L'idée selon laquelle la «vieille» industrie sidérurgique ou des leaders mondiaux comme Alstom n'auraient plus rien à apporter à l'économie du XXIe siècle est une aberration. On ne fait pas une économie en se concentrant sur les start-up du net. Tout d'abord, parce que les sites industriels tels qu'Ascoval ou Florange, et plus encore les sites de production d'Alstom, sont le fruit d'investissements extrêmement coûteux. Leur main-d'œuvre incorpore un savoir-faire précieux. À l'inverse, la plupart des PME des nouvelles technologies ne disposent que d'un capital largement immatériel. Ainsi, alors qu'il est pratiquement impossible de délocaliser une aciérie, il est très facile à une start-up de transférer ses brevets dans un autre pays à la fiscalité plus avantageuse. L'industrie traditionnelle est plus stable, elle emploie plus de salariés, elle est susceptible de créer autour d'elle un plus vaste écosystème économique via ses clients et ses sous-traitants. Chose que les PME des nouvelles technologies ne font guère. Ensuite, la production d'acier reste extrêmement importante dans notre économie. Les secteurs du bâtiment et le BTP sont les premiers clients de l'industrie sidérurgique. Or, ce sont des activités non seulement essentielles, mais qui sont aussi impossibles à délocaliser. En abandonnant la production sidérurgique française, on condamnerait le secteur du bâtiment à se fournir à l'étranger, ce qui implique des coûts de transports importants et des émissions de gaz à effet de serre inutiles.

Tant qu'on construira des logements, des routes, du matériel ferroviaire et des véhicules en France on aura besoin d'une industrie sidérurgique compétitive sur notre territoire. Aussi faut-il tout faire pour assurer sa pérennité.