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Nouvelle-Calédonie-Kanaky : le 4 novembre, un référendum "décolonial" ?

Nouvelle-Calédonie

Lien publiée le 3 novembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://npa2009.org/actualite/politique/nouvelle-caledonie-kanaky-le-4-novembre-un-referendum-decolonial

Le 4 novembre prochain se tiendra le référendum sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie-Kanaky. Les électeurs et électrices sont appeléEs à répondre à la question suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » Si l’enjeu du référendum semble limité tant l’ensemble des sondages et enquêtes d’opinion indiquent que le « non » devrait être largement gagnant, il est néanmoins l’occasion de revenir sur la situation de ce symbole du colonialisme français, et sur une lutte pour l’indépendance qui ne cessera pas après le scrutin du 4 novembre. 

Le référendum du 4 novembre s’inscrit dans le cadre du processus de « décolonisation » engagé lors de la signature des accords de Nouméa en 1998, sous le gouvernement Jospin. Des guillemets qui s’imposent tant l’évolution de la situation sur le terrain au cours des 20 dernières années témoigne d’une continuité de l’extension de la mainmise coloniale de la France sur un territoire qu’elle a conquis par la force en 1853. Comme le résumait Saïd Bouamama dans un excellent article publié en avril dernier, « l’histoire longue et récente de l’archipel souligne son importance économique et stratégique pour le colonialisme français. Celui-ci mettra tout en œuvre pour maintenir sa mainmise sur cette colonie de peuplement dans laquelle a été tentée une tentative de génocide par substitution »1.

Colonialisme de peuplement 

La colonisation de la Nouvelle-Calédonie-Kanaky répond en effet aux critères de ce que les chercheurs ont défini comme un « colonialisme de peuplement », qui se distingue du colonialisme classique par le fait que l’objectif de la puissance coloniale n’est pas la « simple » exploitation économique de la population autochtone, mais bien son remplacement par une majorité de colons venus de la métropole. Patrick Wolfe, chercheur en histoire à l’université de La Trobe (Australie), explique ainsi que « le colonialisme de peuplement a deux caractéristiques principales. Premièrement, il est gouverné par une logique d’élimination. Les colons viennent pour rester. Leur mission première n’est pas d’exploiter les autochtones mais de les remplacer. Deuxièmement, l’invasion n’est pas événementielle, mais structurelle. Au-delà de la violence fondatrice de l’expropriation territoriale, les autochtones qui ont survécu sont soumis à une variété de stratégies au moyen desquelles la société coloniale cherche à les éliminer. »2

Des phénomènes caractéristiques de la colonisation de l’Australie et des États-Unis mais aussi, à bien des égards, de la Palestine. Et si, au cours d’un 20e siècle marqué par les luttes anticoloniales, les politiques de colonialisme de peuplement ont cessé de se traduire par des pratiques d’extermination des populations indigènes, elles n’en sont pas moins demeurées, à l’instar de ce qui s’est passé en Nouvelle-Calédonie-Kanaky, des entreprises de domination spécifiques, qui passent notamment par une « bataille démographique » visant à instaurer un processus irréversible de minorisation des populations indigènes. 

Supériorité démographique

En Kanaky-Nouvelle-Calédonie, il existe ainsi une continuité entre les politiques ultraviolentes de la fin du 19e siècle (qui a vu la population Kanak passer de 45 000 à 27 000 entre 1887 et 1901), et les vagues de colonisation venues de la métropole, à grands renforts d’avantages fiscaux et salariaux pour les colons. Dans un courrier daté du 19 juillet 1972, le Premier ministre Pierre Messmer écrivait ainsi à son secrétaire d’État aux DOM-TOM : « La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique. À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’outre-mer (Réunion) devrait permettre d’éviter ce danger en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés. À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. Il va de soi qu’on n’obtiendra aucun effet démographique à long terme sans immigration systématique de femmes et d’enfants. »

Des propos explicites qui, plus de 45 ans plus tard, amènent à porter un regard particulièrement méfiant sur le référendum organisé le 4 novembre prochain qui, s’il peut être considéré comme le produit indirect et déformé des luttes du peuple kanak pour son indépendance, n’en demeure pas moins un « moment » institutionnel que la puissance coloniale ne redoute guère tant elle s’est assurée une supériorité démographique et, partant, électorale, qui a fait des Kanak une minorité dans leur propre pays, où ils représentent moins de 40 % de la population totale (sur un peu plus de 270 000 habitantEs). 

« Un modèle économique colonial »

Une minorité numérique, mais aussi une minorité économique et sociale, dans la mesure où, malgré les promesses formulées en 1989 et réitérées en 1998, le « développement » n’a, au total, pas bénéficié à la population kanak. Les chiffres sont à cet égard explicites, et montrent à quel point, dans un territoire pourtant riche en ressources naturelles, notamment minières, les inégalités sociales se confondent avec les inégalités ethno-raciales : selon les chiffres rapportés par Mina Kherfi, de l’Union syndicale des travailleurs kanak et des exploités (USTKE), le taux de chômage est de 26 % chez les Kanak, contre 7 % chez les non-Kanak, tandis que 85 % des chefs d’entreprise et 75 % des cadres supérieurs sont des métropolitains ; on pouvait en outre lire en décembre 2017 dans le Figaro, peu suspect de sympathies indépendantistes, que « 17 % des ménages calédoniens, soit 53 000 personnes, vivent sous le seuil de pauvreté calédonien (600 euros par mois), soit deux fois plus qu’en France métropolitaine », mais surtout « [qu’]au sein même de l’archipel, les écarts sont énormes. Ce taux de pauvreté atteint 52 % dans les îles Loyauté, 35 % dans la province Nord contre 9 % dans la province Sud. »3 Lorsque l’on sait que les populations kanak se concentrent dans les deux premières provinces, on mesure l’ampleur des disparités…    

Pour le Rassemblement des indépendantistes et nationalistes, le verdict est sans appel : « L’objectif de rééquilibrage, notamment vis-à-vis du peuple kanak, dans multiples domaines (emploi public et privé, formation …) n’est pas atteint. Sur le plan du développement économique, la Nouvelle-Calédonie s’est contentée de poursuivre et perpétuer un modèle économique colonial basé sur la dépendance vis-à-vis de la France qui a renforcé les inégalités sociales les plus criantes pour l’ensemble des citoyens calédoniens. »4

Articuler émancipation nationale et émancipation sociale

Des politiques qui traduisent le maintien d’une relation de domination coloniale, et qui ont également eu pour conséquence une perte de légitimité du mouvement indépendantiste, notamment auprès des nouvelles générations. Le processus de « décolonisation », s’il s’est traduit par de nombreux transferts de compétences – l’État conservant les compétences régaliennes : justice, ordre public, défense, monnaie et affaires étrangères –, n’a pas signifié une amélioration substantielle des conditions de vie des Kanak, renforçant le sentiment de bifurcation entre émancipation nationale et émancipation sociale. C’est ainsi que, malgré une importante campagne pour l’inscription sur la liste électorale référendaire menée par les forces indépendantistes, de nombreux Kanak, notamment chez les jeunes, se désintéressent du scrutin d’indépendance et sont davantage préoccupés par leur situation économique et sociale, a fortiori dans la mesure où leur statut de minorité démographique n’encourage guère à aller voter.

Pour certaines organisations indépendantistes, à l’instar de l’USTKE et de son émanation politique, le Parti travailliste (lire l'interview de Rock Haocas), la composition des listes électorales, conçues pour intégrer progressivement de plus en plus de métropolitains et pour marginaliser les Kanak, dans la continuité du processus de submersion démographique, expression du bilan catastrophique de ces 20 dernières années, invite à une « non-participation » au scrutin du 4 novembre, qui s’inscrit dans la continuité des pratiques de domination coloniale. L’objectif, pour ces organisations, est de se concentrer sur l’articulation entre les luttes sociales et la (re)construction d’une conscience nationale et anticoloniale. Le FLNKS, beaucoup plus intégré dans les institutions, a pour sa part fait le choix d’une campagne pour le « Oui », arguant que même en cas de défaite, une victoire trop écrasante du « Non » pèserait dans les futures négociations et prises de décision, alors qu’à l’inverse, un score élevé pour le « Oui » contribuerait à améliorer le rapport de forces pour les Kanak. Il ne nous appartient pas de décider à la place des Kanak, ni de leur avenir ni de leur attitude par rapport au référendum. Une chose est toutefois certaine : nous serons à leurs côtés pour les luttes à venir, qui ne manqueront pas de se poursuivre quel que soit le résultat du référendum, pour un réel exercice du droit à l’autodétermination et pour la justice sociale. 

Julien Salingue