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Où va le POI lambertiste ?

Lien publiée le 5 novembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://aplutsoc.org/2018/10/31/ou-va-le-poi-lambertiste-par-robert-duguet/

Après avoir soutenu lors du congrès d’avril 2018 l’élection de Pascal Pavageau à la direction de la confédération, le POI vient de tourner casaque brutalement et de lâcher le dirigeant, soit disant suite à la révélation d’un fichier sur la vie privée des cadres du syndicat. On s’interroge sur les raisons de ce revirement, qui ne peuvent être que politique. Essayons de démêler l’écheveau !

Un point d’histoire

Rappelons qu’au début de la guerre froide, le mouvement syndical, du fait du rôle éminemment réactionnaire joué par l’appareil stalinien, éclate. Dans la poussée révolutionnaire qui convergera dans la grève générale de juin 1936, les deux CGT, celle dirigée par le courant réformiste de Léon Jouhaud et celle dirigée par le PCF, se réunifieront : cette unité confédérale ne laissait réellement aucune place aux courants ultra minoritaires construits par le corporatisme chrétien (CFTC, ACO et œuvres sociales de l’église catholique…). En 1947, l’offensive de l’appareil stalinien sur une ligne ultragauche, qui avait été celle de la IIIème Internationale en Allemagne avant 1933, dénonçant la social-démocratie comme « la sœur jumelle du fascisme » (disait Staline), aboutit à l’éclatement du syndicalisme confédéré : la CGT, directement contrôlée par le puissant appareil du PCF et la CGT-Force Ouvrière, issue de la tradition réformiste de Léon Jouhaud.

Robert Bothereau…

L’identité de la confédération à sa naissance, c’est un homme comme Robert Bothereau (1901-1985), qui l’incarne le mieux. Il dénonce dès 1940 la Charte du travail du maréchal Pétain (traduisez le « syndicalisme » d’accompagnement qui prolifère aujourd’hui). Il reconstitue dans la clandestinité une structure de la CGT et crée un réseau de résistance dans la région de Beaugency. Après la rupture du pacte germano-soviétique, il s’inscrit dans une démarche d’unité ouvrière en direction des militants communistes et crée, suite aux accords du Perreux avec Louis Saillant, le journal clandestin Résistance Ouvrière.

La scission de 1947

L’éclatement confédéral de 1947 voit les enseignants, dont les instituteurs sont l’aile la plus radicalisée pour l’unité, refuser la division. La motion au congrès de 1948 du SNI (Syndicat National des Instituteurs), dite motion Bonnissel-Valière, était un accord entre le courant réformiste et l’École Émancipée regroupant des syndicalistes révolutionnaires, dont les trotskystes. Ceux qui ont fondé la FEN (Fédération de l’Éducation Nationale), considéraient que son autonomie ne pouvait être que provisoire et entendaient bien œuvrer pour recomposer une CGT Unique et Démocratique, rassemblant en son sein tous les courants de la démocratie syndicale ouvrière. Et on peut dire que le contrat a été profitable aux personnels de l’éducation Nationale, puisque cette fédération a connu un taux de syndicalisation infiniment plus élevé que celui des confédérations divisées… Et quand la FEN toussait, les gouvernements s’enrhumaient. Le courant lambertiste s’appelait dans les années qui ont précédé la grève de 1968, l’OCI (Organisation Communiste Internationalise) : ses militants dans Force Ouvrière défendaient l’indépendance du syndicat vis-à-vis des structures d’intégration à l’État, et l’accord avec les réformistes s’entendait sur cette ligne de résistance : le fondement de cette orientation reposait sur l’analyse juste qu’à l’époque de la décadence impérialiste – aujourd’hui on dira avec le néo-libéralisme – la tendance est à l’intégration corporatiste dans l’État. Dans la FEN jusqu’en 1983, à juste titre les trotskystes ont continué le combat dans l’esprit de la motion Bonnissel-Valière, pour un syndicat rassemblant tous les courants de la démocratie ouvrière et pour reconstruire une CGT unique et démocratique. Au passage, faisons remarquer, que l’éclatement confédéral a largement permis la construction d’une organisation construite sur les principes du corporatisme chrétien, la CFDT, qui a connu un regain d’influence en s’appuyant sur la démagogie gauchiste de la décennie 1970-1981.

La FEN et les contre-réformes, sa dislocation et l’émergence de la FSU

Bien entendu la FEN de 1981 n’était plus celle de 1948 : sa majorité réformiste dans les années qui ont précédé la montée au pouvoir du PS, s’est effectivement adaptée aux contre-réformes qui minent l’Éducation Nationale depuis le plan Fontanet de 1972, année du premier choc pétrolier : la bourgeoisie française veut adapter l’institution scolaire à son appareil de production. Déjà elle met à l’ordre du jour la remise en cause des acquis résultant du contrat social imposé à la Libération par le CNR (Conseil National de la Résistance). La crise de la FEN se développe : sa majorité dans les années 1978-1981 penche plutôt en direction de Rocard que d’un Mitterrand, qui tombe très à gauche pour être élu président de la République.(1) C’est en 1983 que la direction de l’OCI impose à sa fraction enseignante le passage à la CGT-Force Ouvrière. Avec le recul du temps, je pense que ce fait marque une rupture historique avec le combat syndical pour le Front Unique, et sera une des raisons de la décomposition du courant lambertiste dans la période qui va suivre. Le soutien de la majorité de la FEN aux contre-réformes de l’Éducation Nationale par les gouvernements de François Mitterrand, la trahison laïque de 1983, vont conduire à la liquidation de la fédération.

Pour les personnels de l’Éducation National, toutefois, l’émergence de la FSU (Fédération Syndicale Unitaire) en 1992, ne permettra pas l’éclatement vers les confédérations ou le syndicalisme autonome. Le courant lambertiste a cessé alors de jouer un rôle progressiste, il le paiera d’ailleurs au prix fort : le passage à Force Ouvrière a laissé le terrain du syndicalisme unitaire à la composante Unité et Action, courant construit par le PCF en 1948 mais dont les cadres syndicaux rompront les liens de dépendance lors de l’émergence de la FSU. Une occasion manquée pour reconstruire un syndicalisme lutte de classe dans l’enseignement et maintenir le cap pour une CGT ouvrière unique et démocratique, y compris en direction de ses cadres Unité et Action qui vont se retrouver majoritaires dans la nouvelle fédération.

Les dérives du POI donc ne datent pas d’hier…

Il y a l’incrustation dans l’appareil FO d’un certain nombre de cadres politiques de cette organisation dans une carrière syndicale ; il y a surtout la position de Pierre Lambert, son dirigeant historique, vis-à-vis de François Mitterrand, l’implication au plus haut niveau de l’appareil du PS de militants « trotskystes » dans l’opération Jospin, jusqu’à prendre la direction et prendre en charge dès 1983 les contre-réformes du gouvernement socialiste de l’époque. Établir une filiation entre Léon Trotsky et Pierre Lambert, comme le fait le dirigeant du POID Daniel Glückstein, est pour le moins contestable (2). A ma connaissance, la politique de Trotsky et des trotskystes vis-à-vis de la social-démocratie, notamment la SFIO en France dans la montée révolutionnaire de 1933-1936 et en Espagne le PSOE au moment de la guerre civile, ne visait pas à prendre la direction de ces partis, mais à prendre appui sur les couches militantes qui se radicalisaient sur leur aile gauche. La trahison du POI vient de loin. Ce qui se passe aujourd’hui n’est que l’aboutissement d’un processus d’intégration à une bureaucratie syndicale et politique, qui est elle-même intégrée dans la marche au corporatisme et à la politique de Macron.

L’offensive contre Pavageau

La politique de l’ancien secrétaire de la CGT-Force Ouvrière, Jean Claude Mailly et, non seulement son adaptation, mais son implication dans la rédaction des lois Macron contre le droit du travail, ont mis la confédération au bord de l’éclatement. Le compromis boiteux, ménageant Mailly, lors du congrès d’avril 2018, n’a pas réglé la crise. La ligne sur laquelle Pascal Pavageau a été élu, vise à infléchir le combat contre la politique de Macron, donc à s’ouvrir de fait à l’unité d’action avec la CGT : compte tenu de la composition de FO, cette ligne n’a pas réglé la crise du printemps, elle vient brutalement de l’amplifier. C’est dans ce contexte que surgit l’affaire du fichier : descendre Pavageau pour Macron qui veut continuer à appliquer les contre-réformes devient une nécessité absolue. Il fait donner l’artillerie : le Figaro, organe du groupe Dassault, fleuron de l’industrie de guerre ; le Monde, contrôlé aujourd’hui par le propriétaire de Free Xavier Niel et par Mathieu Pigasse, directeur de la banque Lazard ; Les Échos, propriété du milliardaire Bernard Arnault ; Madame Pénicaud et ses ordonnances de démantèlement du droit de travail. Le tout, avec l’émotion très chrétienne de Laurent Berger en faveur de la démission de Pavageau. Tout ce joli monde d’un ancien monde qui veut nous ramener à l’univers du Germinal de Zola reçoit en interne dans la confédération des soutiens.

D’abord la fédération des métaux qui s’est opposée violemment lors du congrès, allant jusqu’aux menaces : « Pascal, si tu t’écartes de ce que nous considérons comme l’orientation nécessaire, nous dresserons les barricades. » Le syndicat, en violation de ses propres décisions de congrès, et suite à la démission du secrétaire général, est en présence d’une véritable révolution de palais. Dans l’attente du CCN (Comité Confédéral National) convoqué pour les 21 et 22 novembre, le bureau confédéral sera sous la surveillance d’une commission totalement anti-statutaire, de 7 responsables : d’abord quatre prétendus « réformistes » qui sont en fait des cadres syndicaux favorables à l’ancien secrétaire Jean Claude Mailly et trois autres, membres du POI lambertiste.

Comment une organisation issue du trotskysme, peut-elle aujourd’hui, être partie prenante d’une telle opération de charcutage bureaucratique, dans le dos des adhérents, des militants de FO, et pour faire directement le jeu de Macron, du MEDEF et de l’Union Européenne. La question de l’intégration des syndicats à l’État a fait évoluer depuis des décennies de nombreux cadres des syndicats vers l’accompagnement des contre-réformes. La référence au trotskysme chez les lambertistes ne devient plus qu’un prêt à porter idéologique, une vitrine. Le POI est aujourd’hui intégré, ses cadres appartiennent à une aristocratie ouvrière, avec ce que cette position implique en termes d’avantages matériels. Un appareil bureaucratique classique avec un habillage idéologique usurpé.

Le POI et France Insoumise…

Si des camarades s’interrogent aujourd’hui, sur le fait que le POI soit entré dans l’espace politique interne à France Insoumise, jusqu’à servir de Service d’Ordre à la manifestation de la FI le 26 mai 2018, cela doit être mis en rapport avec la politique syndicale des lambertistes. Lorsque Jean Luc Mélenchon était dans l’aile gauche du PS, lorsqu’il construisait la Gauche Socialiste, il recueillait les critiques les plus acerbes, voire haineuses de Pierre Lambert. Lorsqu’il quittera le PS pour constituer le Front de Gauche, cette attitude a perduré : jamais d’ailleurs le courant lambertiste, qui prétendait se réclamer du trotskysme, n’a cherché à faire un travail politique dans l’aile gauche du FDG. Aujourd’hui on est en face d’une vraie dérive populiste du leader de FI, c’est à ce moment-là que les lambertistes, ou du moins ce qu’il en reste, entrent dans l’espace politique de FI.

L’intégration des syndicats à l’État, le corporatisme, va de pair avec l’offensive contre « les corps intermédiaires », c’est-à-dire des syndicats indépendants gérés par les travailleurs eux-mêmes, obstacles à la « construction du peuple », version Mélenchon.

RD, le 29-10-2018.

 Notes:

 (1)Voir sur ce point le Manifeste présidentiel « Ici et Maintenant » de François Mitterrand, publié en 1980.

(2)La Tribune de Travailleurs, jeudi 25 octobre 2018