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L’incroyable histoire du "Madoff" français
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Un scandale à 1 milliard d'euros... Révélations sur une folle aventure où l'on croise PPDA, Villepin ou Johnny Depp.
Gérard Lhéritier inaugure son hôtel particulier, en 2013, avec de gauche à droite Didier Van Cauwelaert, Rachida Dati maire du VIIème arrondissement, le député des Alpes-Maritimes Christian Estrosi et Patrick Poivre d'Arvor.
Episode 1
Où l'on découvre comment un fils de plombier invite le Tout-Paris pour une fête fastueuse dans son hôtel particulier parisien et tente de vendre à Spielberg un manuscrit d'Einstein.
Il est là, au bout de l'interminable tapis rouge, avec sa petite silhouette ronde et son sourire rusé aux lèvres. Il attend ses invités sous un immense portrait de Napoléon. Cette douce soirée d'avril 2013, c'est un peu son sacre. S'il se retourne, il peut admirer le superbe hôtel particulier qu'il vient de s'offrir en plein Saint-Germain-des-Prés, pour 34 millions d'euros. Des Qatariens voulaient l'acheter, mais, comme d'habitude, il a surenchéri. Ses moyens financiers semblent illimités. Ce soir, lui, Gérard Lhéritier, lui le fils de plombier de Lorraine, lui qui a malicieusement noté "autodidacte" à la rubrique "Diplômes" de sa notice du Who's Who, va recevoir le gratin de la République en son palais, pompeusement rebaptisé "Institut des Lettres et Manuscrits".
Voici d'ailleurs Rachida Dati, maire du VIIe arrondissement, qui s'avance vers lui hilare, juchée sur de spectaculaires talons bleus. Puis son grand ami Patrick Poivre d'Arvor. Et encore l'académicien Marc Fumaroli, le maire de Nice, Christian Estrosi, le Goncourt 1994, Didier Van Cauwelaert, les huiles de Sotheby's et de Christie's... De part et d'autre du tapis rouge, des gardes napoléoniens en grande tenue scandent chaque nouvelle arrivée de fracassants roulements de tambour. Au fond d'eux-mêmes, les invités trouvent ça horriblement kitsch, mais tous s'avancent un grand sourire aux lèvres pour serrer la main à "Gérard". Ils lui doivent tant, pour la plupart.
Rien ne résiste à son chéquier
Oui, ce soir, c'est son sacre. Désormais, il est l' "empereur des manuscrits". L'un des plus gros acheteurs du monde. Les écrits de Kafka, Hugo, Mozart, Einstein, Baudelaire, Gauguin, rien ne résiste à son chéquier. A New York, à Londres, à Paris, il fait flamber les enchères. Il a constitué une collection de 130 000 pièces originales. On murmure qu'elle est assurée pour 1 milliard à la Lloyds de Londres. Sous les lustres en cristal de la longue enfilade de salons, qui furent jadis propriété du consul Cambacérès, la silhouette hitchcockienne de Gérard Lhéritier va d'un invité à l'autre. Parfois il emmène quelques invités sur la terrasse en pierre du troisième étage. De là-haut, il surplombe l'hôtel particulier des Gallimard, cette dynastie centenaire éditrice de Proust et de Gide. "Cette soirée est restée gravée dans mon esprit comme l'aboutissement de vingt années de travail de collectionneur", confie à L'Express Gérard Lhéritier.
Coiffé de son éternel chapeau, le libraire Jean-Claude Vrain, qui a vendu pour plusieurs dizaines de millions de livres et de manuscrits à Aristophil, lors de la fête d'avril 2013.
Pourtant, ceux qui le connaissent bien peuvent, l'espace d'une fraction de seconde, saisir comme un éclair d'inquiétude dans son regard. Au fond de lui-même, il sait que son empire de papier n'est qu'un château de cartes.
A la même époque, dans un mail interne, un haut dirigeant chargé de la lutte contre le blanchiment à la Société générale s'inquiète de ce client très particulier : "Ce dossier pourrait se révéler, dans quelque temps, un petit Madoff..." Car, à la vérité, tous ces manuscrits n'appartiennent pas vraiment à Gérard Lhéritier. Il les a revendus, via sa société Aristophil, à 18 000 épargnants, à qui il a promis de les racheter avec des intérêts faramineux, 40% sur cinq ans. Les premières années, grâce aux chèques des nouveaux entrants, il a pu rembourser les sortants.
Mais, depuis plusieurs mois, le système s'est enrayé. Le navire prend l'eau de toutes parts. Chaque jour, ses collaborateurs sont harcelés au téléphone. "L'une de nos clientes a pété un câble et menace de tout révéler à Que choisir", révèle un e-mail en interne. "Monsieur G. attend son remboursement de 91 000 euros depuis six mois et s'apprête à prendre un avocat", dit un autre. Et il y en a des dizaines comme ça. "Aristophil, c'est peut-être le plus gros scandale à l'épargne privée de la Ve République", affirmera plus tard l'avocat de centaines d'épargnants floués.
Il tente de vendre un manuscrit à Steven Spielberg
Alors, pour se refaire, Gérard Lhéritier va tenter un dernier coup de poker. Cinq mois avant de recevoir le Tout-Paris dans son hôtel particulier, il essaie de revendre l'un des joyaux de sa collection, un manuscrit d'Einstein dans lequel le physicien esquisse la théorie de la relativité. Il mandate à prix d'or - 125 000 euros - une communicante, Sylvia Deutsch. A charge pour elle de trouver preneur à... 32 millions de dollars. Avec l'aide d'un membre de la famille Vuitton, elle dresse une liste de 19 personnalités susceptibles d'acheter la chose : Bill Gates, Harry Weinstein, l'Aga Khan, Xavier Niel, etc. Elle les contacte un à un. "Ils exigent tous des contre-expertises, qui risquent de minorer l'estimation", écrit-elle, inquiète. Et pour cause : Gérard Lhéritier l'a acheté 559 000 dollars chez Christie's, en 2002...
Un feuillet du fameux manuscrit d'Einstein que Gérard Lhéritier a tenté de vendre à Steven Spielberg.
Mais Sylvia Deutsch veut faire une ultime tentative : vendre à Steven Spielberg le manuscrit d'Einstein et lui suggérer de tourner, dans la foulée, un biopic sur le savant. Elle écrit même un story-board de 23 pages pour lui. "Dans ce contexte, si elle nous demande de rencontrer Spielberg à Los Angeles, vous ne serez pas hostile à la prise en charge de ses frais de voyage ?" interroge dans un mail à Lhéritier la directrice du développement d'Aristophil. Négocier avec le réalisateur d'Indiana Jones ? Le petit Frenchy de Lorraine en rêve. Mais, finalement, Spielberg n'achètera pas le manuscrit d'Einstein.
Alors, en ce doux soir d'avril 2013, tandis que PPDA, Rachida Dati et Christian Estrosi viennent le rejoindre sur l'estrade dressée dans le salon d'apparat de son hôtel particulier, Gérard Lhéritier sourit. Comme toujours, lui qui n'est pas très à l'aise avec les mots rosit avant de prendre la parole. Vante une énième fois la rentabilité des investissements dans les manuscrits. Évoque les plus beaux fleurons de sa collection, dont cette lettre codée de Napoléon menaçant de faire sauter le Kremlin. Une pièce achetée à prix d'or. "Que voulez-vous, si les enchères sont montées jusqu'à 187 500 euros, c'est parce qu'il y avait deux Russes qui se battaient contre moi", nous avait-il confié, fataliste, un peu plus tôt ce soir-là. Oui, Gérard Lhéritier donne le change. Mais, au fond de lui-même, quand il contemple toutes ces femmes et ces hommes importants rassemblés face à son pupitre, il sait déjà qu'il vit la dernière fête de l'Empire.
Episode 2 Où l'on voit Gérard Lhéritier faire un petit tour en prison avant d'offrir quelques manuscrits à Sarkozy, de "piéger" Giscard d'Estaing et de se faire prendre en photo avec Hollande.
Rien ne prédestinait cet homme, aujourd'hui âgé de 70 ans, à devenir le "Madoff des manuscrits". Il a grandi dans un petit village de l'est de la France. Chez les Lhéritier, on est plombier-zingueur de père en fils depuis le XIXe siècle. A 4 ans, premières vacances sur la Côte d'Azur. C'est décidé : plus tard, il s'installera à Nice. A 19 ans, il s'engage dans l'armée. Il y passera six années comme sous-officier à Verdun ou Tübingen. Dans les années 1980, il se lance dans la vente de diamants, à Strasbourg. Fait banqueroute. Première chute.
Mais Lhéritier se relève toujours. "C'est un vendeur-né qui adore tout ce qui brille", confie l'un de ses anciens collaborateurs. On le retrouve un peu plus tard à Monaco, où il fait cette fois-ci commerce de timbres. Cet épisode philatélique se termine très mal : au petit matin du 18 mars 1996, une escouade de gendarmes perquisitionne sa villa sur les hauteurs de Nice. Gérard Lhéritier passe une quinzaine de jours en prison, avant d'être blanchi. Deuxième chute.
Des chèques de petits épargnants par milliers
La suite, il nous l'avait racontée en 2013 : "Un jour, en passant devant une boutique du côté de Drouot, j'ai découvert les 'ballons montés', ces lettres que les Parisiens envoyaient par montgolfière durant le siège de 1870. De fil en aiguille, j'ai commencé à acheter celles de Théophile Gautier, de Victor Hugo et d'Edouard Manet. C'est alors que j'ai eu l'idée de lancer Aristophil." Il va lui-même dessiner le logo de sa société, à partir de... décalcomanies de ses enfants. A priori, le principe est simple : via une armée de courtiers qui sillonnent la France, de "petits" épargnants souscrivent pour acheter, seuls ou à plusieurs, des lots de manuscrits. Particularité: les lettres d'Hugo ou les poèmes de Baudelaire ne sont pas remis aux acheteurs, mais gardés dans un coffre-fort d'Aristophil. Au bout de cinq ans, la société est censée racheter ces manuscrits, majorés d'intérêts de 8% annuels. Le tout défiscalisé et n'entrant pas dans le calcul de l'ISF. Beaucoup croient avoir découvert la poule aux oeufs d'or. Les chèques arrivent par milliers au siège d'Aristophil.
A l'issue de la visite de Nicolas Sarkozy au Musée des manuscrits, Gérard Lhéritier lui a offert quelques autographes.
En bon "commercial", Gérard Lhéritier l'a très vite compris : il doit faire rêver ses clients. Alors, il commence par ouvrir un musée des Lettres et Manuscrits, boulevard Saint-Germain, à Paris. On peut y admirer des autographes signées Balzac, Hergé, Céline, etc. Un musée qui vend ses pièces ? Cela n'a pas eu l'air d'étonner Nicolas Sarkozy. Le 21 janvier 2014, alors qu'il a quitté l'Elysée depuis dix-huit mois, il est reçu par Gérard Lhéritier au musée. Petite visite et, comme toujours, photo avec le maître des lieux. Et puis, au moment de partir, Lhéritier, qui sait que l'ancien chef de l'Etat collectionne les autographes en amateur, lui offre quelques manuscrits. Les comptes de la société mentionnent une valeur globale de 24 522 euros pour ce cadeau et un autre don à Nice-Matin, sans autres précisions. "M. Sarkozy a en effet visité le musée ce jour-là et il n'est pas exclu qu'il ait reçu un présent", a précisé à L'Express une collaboratrice de l'ex-chef de l'Etat.
"J'ai reçu trois présidents de la République."
"J'ai reçu trois présidents de la République dans mon musée et mon institut", nous avait glissé Lhéritier un jour en gage de bonne foi. En 2010, il accueille en effet François Hollande, lors d'une exposition sur Romain Gary. On prend une petite photo, comme d'habitude. Cette exposition aura coûté très cher au patron d'Aristophil, soit dit en passant. Lhéritier avait acquis plusieurs manuscrits du romancier, dont celui de La Vie devant soi, auprès de son fils, Diego Gary, pour 900 000 euros. Mais, un beau jour, la dernière compagne de l'écrivain, l'ex-mannequin Leila Chellabi, vient réclamer sa part du gâteau. Impossible de se défiler : les manuscrits ont déjà été revendus pour la somme astronomique de 6,2 millions aux épargnants ! Gérard Lhéritier est donc contraint de signer un chèque de 2,91 millions à la dame. Du jour au lendemain, le prix des manuscrits a quadruplé. Qu'importe, on puise dans l'argent des épargnants. On verra plus tard.
Gérard Lhéritier remet un prix à Valéry Giscard d'Estaing et à la journaliste Mémona Hintermann.
"Son" troisième "président", Gérard Lhéritier le harponnera avec une méthode bien à lui. Il crée une récompense au nom ronflant, le "Grand prix de l'Institut des Lettres et Manuscrits", doté richement. Le 3 octobre 2014, sous les ors de son hôtel particulier de 1 700 mètres carrés, il remet son vrai faux prix à Valéry Giscard d'Estaing. L'ancien président empoche au passage un chèque de 10 000 euros (qu'il versera à sa Fondation pour l'Europe). "On a compris plus tard qu'on s'était fait piéger, explique une proche du président. Mais, comme l'année d'avant, c'était Hélène Carrère d'Encausse qui avait obtenu le prix, M. Giscard d'Estaing y est allé en toute confiance." La secrétaire perpétuel de l'Académie française a en effet été lauréate du prix en 2013. Elle aussi a eu droit à son chèque de 10 000 euros (qu'elle a versé au fonds de restauration de l'église Saint-Germain-des-Prés). L'onction des Immortels n'a pas de prix. Aristophil fera aussi un don colossal de 2,5 millions d'euros à la Bibliothèque nationale de France.
Il s'offre Nikos Aliagas
Les présidents de la République, c'est bien. Mais Gérard Lhéritier adore aussi les paillettes. Alors il truffe ses remises de prix d'intermèdes, durant lesquels des comédiens célèbres font des lectures. Ainsi, le 4 octobre 2013, Jacques Weber lit-il sur scène un texte de Michel Serres, en présence de l'académicien. Pour cette prestation d'une demi-heure, Gérard Lhéritier lui verse 3 500 euros. Même tarif pour Elsa Zylberstein, Emmanuelle Béart ou Fanny Cottençon.
Nikos Aliagas lors de la convention Aristophil à Monaco.
Il va également s'offrir Nikos Aliagas, la star de TF1. Le 13 juin 2014, il réunit des centaines de courtiers et de clients au Monte-Carlo Bay Hotel pour une somptueuse fête au champagne. Cette petite sauterie monégasque va tout de même lui coûter 900 000 euros (dont 65 000 euros facturés pour le seul Nikos Aliagas). Sur l'estrade, sanglé dans un impeccable costume blanc, le présentateur de The Voice joue les M. Loyal. Et fait évidemment monter sur scène l'autre vedette de la soirée, Gérard Lhéritier. "Ici, on est dans l'excellence", s'extasie Nikos. Comme d'habitude, on remet quelques prix maison. Celui de la Plume d'or est décerné à une certaine Valérie Lhéritier. Elle n'est autre que la propre fille du boss. Propulsée directrice des acquisitions d'Aristophil, cette jeune femme, qui n'a pas son bac, est officiellement l'une des plus grosses acheteuses de manuscrits du monde. Sur scène, son père se tortille de joie. Dans sa villa de Nice, il a installé des dizaines de cadres avec des photos de ses deux enfants et de ses petits-enfants.
Soudain, des milliers de paillettes dorées pleuvent sur le fondateur d'Aristophil, sa fille et Nikos. Gérard Lhéritier est heureux. Le public lui fait une standing-ovation. Qui, dans la salle, se doute que l'on est à la veille d'un krach à 1 milliard d'euros ?
Episode 3 Où Gérard Lhéritier gagne 170 millions à la loterie, évite de justesse la faillite et promet de créer une fondation pour les plus démunis.
Le 13 novembre 2012 est un mardi. Ce jour-là, Gérard Lhéritier prend sa voiture pour se rendre au Trinitaire, un petit bar-tabac des faubourgs de Nice. Il vient jouer au loto. A 10 h 51, il valide des tickets d'EuroMillions. Il en achète pour... 7 022 euros. Un véritable coup de poker. Comme d'habitude, il joue les chiffres de sa date de naissance, le 21 et le 6, auxquels il ajoute les 2, 11, 16, 24 et 29.
Le soir, il consulte les résultats du tirage sur Internet. Il n'en croit pas ses yeux : il a gagné, très exactement 170 371 698 euros ! C'est le troisième plus gros gain de toute l'histoire de l'EuroMillions. Quelques jours plus tard, une limousine vient le chercher et l'emmène dans un palace pour récupérer son chèque. Son identité n'est pas révélée, mais, c'est plus fort que lui, il ne peut s'empêcher de livrer anonymement quelques confidences à la presse : "Je sais ce que c'est de galérer. J'ai eu des hauts et des bas." Grand seigneur, il annonce qu'il versera une partie de la somme à une fondation caritative : "Il y a malheureusement beaucoup à faire pour aider les plus démunis."
En fait de "démunis", l'heureux gagnant va donner 25 millions d'euros à chacun de ses deux enfants, Fabrice et Valérie ; 2 à leur mère, dont il est séparé ; et 5 à sa compagne. Il lui reste donc 113 millions. Il place la plus grosse partie en assurances-vie. Et injecte 40 millions d'apport personnel dans Aristophil. De quoi calmer momentanément les petits épargnants qui commençaient à menacer de révéler l'envers du décor à la presse.
Jet privé, chevaux de course et grands crus
Ce gain à l'EuroMillions est donc providentiel. Tellement providentiel que la brigade de répression de la délinquance économique s'interrogera sur sa réalité. Gérard Lhéritier avait en effet 1 chance sur 116 millions de toucher le gros lot. Or il dispose ou a disposé de comptes bancaires en Suisse, en Irlande, au Luxembourg. Aurait-il racheté un ticket gagnant à son propriétaire de manière à rapatrier son argent en France ? Non. Vérification faite, ce matin-là, il avait bien validé son ticket au Trinitaire.
Du coup, son train de vie, déjà munificent, explose. Il se déplace en jet privé (une brochure évoque même une Aristophil Airlines !), dispose d'une Mercedes de fonction, reçoit ses hôtes au Fouquet's, à Paris. Rachète La Playa, le restaurant où il aime venir déjeuner, sur la plage de Villeneuve-Loubet, dans les Alpes-Maritimes. S'offre des grands crus, son péché mignon. Devient propriétaire de quatre chevaux de course qui arborent ses couleurs - damier jaune et bleu - sur les hippodromes. Se verse un salaire de 15 000 euros par mois, qui lui sert d'argent de poche, et touche de confortables dividendes d'Aristophil (1,2 million en 2012, par exemple). Quand la police perquisitionnera sa villa de Nice, elle tombera sur une serviette Mont-Blanc remplie de 155 000 euros en cash.
Gérard Lhéritier, le 2 avril 2014 à Paris
C'est que Gérard Lhéritier a fait de confortables culbutes personnelles sur certains manuscrits. Le fameux Einstein, il l'a acheté, via sa société luxembourgeoise Cipo Palmeris, 559 500 euros, en 2002. Il le revend 3,5 millions à Aristophil, en 2003. Bénéfice net : 3 millions. Mieux, dans la foulée, Aristophil le revend 12 millions à ses épargnants. A l'appui de ce prix faramineux, un document signé Gérard Lhéritier, "expert de l'Ordinex, Organisation internationale des experts, Genève". Et il y a des dizaines d' "indivisions" sur le même modèle - Baudelaire, surréalisme, Napoléon... La machine folle est lancée.
"Pipeau et clarinette !"
En interne, une femme va tirer la sonnette d'alarme. Liliane R., directrice générale d'Aristophil, est la seule à oser s'opposer à lui. En mai 2013, elle lui envoie un e-mail : "On a l'impression que le circuit est fermé et qu'un seul homme fixe les prix. Le taux de 8% d'intérêt est disproportionné." Réponse de Gérard Lhéritier : "Pipeau et clarinette !" En septembre 2014, elle revient à la charge : "Je suis de plus en plus inquiète de découvrir chaque jour de nouveaux dysfonctionnements. Les commerciaux refusent de démarcher des clients, tant que ceux qui demandent leur remboursement depuis plus de six mois ne seront pas remboursés." Réponse de Lhéritier : "Vous racontez n'importe quoi avec vos analyses perturbées !"
Aujourd'hui encore, il persiste et signe auprès de L'Express : "Madoff a trompé son monde en vendant des actions qu'il n'avait jamais achetées. Moi j'ai toujours vendu ce que j'avais d'abord acquis. Vous voyez la différence ?"
Episode 4 Où l'on découvre comment Gérard Lhéritier se concilie les bonnes grâces des journalistes et couvre de cadeaux son grand ami PPDA.
Le jour où il "distingue" Valéry Giscard d'Estaing, Gérard Lhéritier remet aussi deux autres prix. A des journalistes, cette fois. Frédéric Taddeï, alors présentateur de Ce soir (ou jamais !), se voit gratifier d'un chèque de 7 000 euros. Dans la foulée, on décerne un autre vrai-faux prix à Mémona Hintermann, célèbre grand reporter de France 3, qui vient juste d'être nommée au Conseil supérieur de l'audiovisuel. Nouveau chèque de 7 000 euros. Vêtu de son éternel blazer à pochette, Gérard Lhéritier pose tout sourires à côté de ce beau monde.
Lors des Journées européennes des Lettres et Manuscrits, qu'il organise chaque année à l'hôtel Salomon de Rothschild, à Paris, une nuée de journalistes anime des débats avec Alain Finkielkraut, Jean-Louis Debré ou Gonzague Saint Bris. Parmi eux, Natacha Polony, Michel Field, Franz-Olivier Giesbert, Bruce Toussaint, etc. "D'habitude, pour ce genre de prestations, on est défrayé 200 euros. Là, on touchait 1 000 euros pour deux heures de boulot. C'était royal", se souvient l'un d'eux.
Gérard Lhéritier, lors de l'inauguration de son Institut des lettres et manuscrits.
Le patron d'Aristophil fera encore plus fort. Il va s'offrir la couverture d'un bimestriel économique, Winner, le "magazine des gagnants". En juillet 2013, tous les dos de kiosques de France affichent son visage radieux en Une du dernier numéro. A l'intérieur, il a droit à 23 pages dithyrambiques : "King reconnu, seigneur des lettres et manuscrits, Gérard Lhéritier déroute et envoûte, etc." Modeste, le "king" se réjouit dans un mail à ses salariés : "Nous pouvions nous attendre à tout, mais pas à cette vague Winner dans toute la France." En réalité, il s'y attendait un peu. Beaucoup, même. Avant sa sortie, il avait déjà précommandé 3 000 exemplaires du magazine, payés 20 537 euros. Et c'est lui qui a financé l'intégralité de la campagne d'affichage sur les kiosques, soit 120 000 euros.
Un peu mégalo, il commande aussi à deux journalistes du Figaro une pièce de théâtre le mettant en scène sur fond d'Académie française. Ce 41e fauteuil lui sera facturé à prix d'or par la société de communication RLD Partners. Mais le spectacle ne plaît pas au "King" : il ne s'y trouve pas assez à son avantage. "Ce projet fumeux de pièce injouable nous a coûté 250 000 euros", fulmine un collaborateur dans un e-mail interne. Il semblerait que pour ce prix, RLD Partners ait aussi livré quatre clips.
La "tête de gondole" PPDA
Mais, parmi tous les journalistes, il en est un qu'il aime par-dessus tout. C'est son ami "Patrick". Quand il le rencontre, PPDA est l'indéboulonnable présentateur du 20 Heures de TF1. "Gérard" l'invite parfois pour une croisière en Corse sur le Narval II, le yacht de 18 mètres qu'il s'est offert. PPDA est le parrain officiel du musée des manuscrits. On verra aussi "Poivre" dans une vidéo vantant les initiatives de son ami "Gérard" au Fiscap, le Salon de l'ingénierie fiscale.
Cette "tête de gondole" fait merveille auprès des petits épargnants de province. "Aristophil m'a été présentée comme un produit sûr, car la société était en relation avec des gens célèbres, comme Patrick Poivre d'Arvor", déclarera par exemple Bruno J., un transporteur alsacien, qui a investi 146 000 euros. "Mon courtier m'a cité les noms de personnalités qui étaient liées à Aristophil, comme PPDA, je lui ai fait confiance", a regretté Christian R., un policier qui dit avoir perdu 60 000 euros dans l'affaire. Et il y en a beaucoup d'autres comme ça.
Dans les publications d'Aristophil, PPDA est toujours mis en avant.
Officiellement, le parrainage de PPDA est bénévole. Il est seulement rémunéré 2 000 euros pour chacune de ses chroniques dans le bimestriel maison, Plume. Lhéritier y signe aussi sous le pseudonyme de "Gérard de Narval". Mais "Poivre" est un amateur d'autographes. Alors, Gérard Lhéritier va puiser dans le stock d'Aristophil et inonder son ami de cadeaux : 19 manuscrits de Kessel sur le procès Pétain, des autographes de Balzac, Flaubert, Proust, Delacroix, etc. "J'aimerais vraiment savoir ce que tout cela vaut réellement", dira benoîtement PPDA aux enquêteurs durant sa garde à vue. Très exactement : 189 480 euros. Dans les comptes d'Aristophil, ces cadeaux sont sobrement libellés : "Relations publiques, PPDA."
Un prêt de 400 000 euros sans intérêts
Il arrive même au présentateur de passer commande Le 22 novembre 2012, il envoie à Lhéritier un catalogue de vente aux enchères avec ce petit mot agrafé : "Cher Gérard, tu me manques. Il y a une vente Artcurial le 13 décembre. Si tu veux me faire plaisir - et te faire plaisir - jette un oeil sur les lots 13, 47 et 48 ou 21, 22, 23. Quand nous voyons-nous ? Amitiés, Patrick." Quelques semaines plus tard, ô miracle, le patron d'Aristophil offre ces fameux lots (Cendrars, Proust, Céline...) à son ami. Ces petites courses lui auront tout de même coûté la bagatelle de 25 250 euros.
Mieux, en octobre 2012, PPDA est condamné à payer 400 000 euros pour avoir dénigré son ex-employeur, TF1. Très généreusement, Lhéritier va lui prêter cette somme sans le moindre intérêt. Pourquoi "Poivre" a-t-il eu besoin de ce prêt, alors qu'il disposait de 5 millions d'euros placés en banque ? Mystère. Trois ans plus tard, au moment où la police perquisitionnera Aristophil, il n'avait pas encore remboursé le premier centime à son ami Gérard. Depuis, il dit s'être exécuté.
Sur la page Facebook d'Aristophil, les invités prestigieux sont toujours mis en avant. Ici, Didier Van Cauwelaert aux Journées européennes des lettres et des manuscrits, organisées par Gérard Lhéritier.
Autre grand ami de Gérard Lhéritier : le Prix Goncourt 1994, Didier Van Cauwelaert. Il va être propulsé président de l'Institut des lettres et manuscrits. Juste retour des choses, dans Le Point du 21 juin 2012, le romancier publie un portrait "nord-coréen" à la gloire de son ami Lhéritier. Cet "Indiana Jones mâtiné d'Hercule Poirot" a eu "une idée géniale : appliquer aux autographes le principe de l'indivision". Et de vanter ce "placement aussi valorisant que fructueux"...
En revanche, il y a une chose que Gérard Lhéritier n'aime pas du tout : ce sont les articles qui révèlent l'envers du décor. Il a surtout dans le collimateur une enquête intitulée "L'étrange système Aristophil", parue dans L'Express en 2013. Elle a pour défaut de toujours apparaître en deuxième position sur Google. Alors, il va aller trouver le patron d'une petite société, Réputation VIP. Pour 6 000 euros par mois, ses dirigeants lui promettent de faire redescendre l'article dans la liste des résultats du moteur de recherche. Mais ils vont se heurter aux mystérieux algorithmes du web : l'article de L'Express ne veut pas descendre. Alors, Gérard Lhéritier achète des milliers de "clics sur Google". Il paie des sociétés pour cliquer sur les articles favorables à Aristophil : 1 041 clics pour 424 euros, ici, 835 clics pour 306 euros, là...
Parfois, il va beaucoup plus loin. En mars 2013, il engage le détective privé niçois Franco Cudini pour enquêter sur un journaliste de Que choisir, coupable à ses yeux de douter du système Aristophil. La police retrouvera dans un local attenant à la piscine de Gérard Lhéritier des comptes-rendus de filature avec photos. Même traitement pour Frédéric Castaing, un célèbre marchand d'autographes parisien.
Episode 5 Où Gérard Lhéritier élève des poules, après avoir acheté pour 100 millions d'euros de manuscrits au libraire attitré de Dominique de Villepin et du couple Vanessa Paradis-Johnny Depp.
Gérard Lhéritier le sait : pour contrer les mauvaises rumeurs qui commencent à courir sur Aristophil, il lui faut régulièrement faire des coups qui feront parler de lui. En avril 2014, il annonce qu'il a acheté pour 7 millions d'euros le fameux rouleau manuscrit des 120 journées de Sodome, du marquis de Sade. Une pièce exceptionnelle que s'empressent de venir filmer les télévisions du monde entier.
Gérard Lhéritier pose à côté du manuscrit des 120 Journées de Sodome, de Sade, le 2 avril 2014.
Si Lhéritier a pu acheter ce rouleau, c'est grâce à un homme : Jean-Claude Vrain. Ce libraire à l'éternel chapeau vissé sur la tête tient une échoppe qui ne paie pas de mine, à l'ombre de l'église Saint-Sulpice, à Paris. Il est pourtant le plus grand vendeur d'autographes de France. Dans sa boutique, on peut croiser François Pinault, Alain Minc ou Dominique de Villepin.
Vrain a tout pour plaire à Gérard Lhéritier et réciproquement. Cet ancien trotskiste a travaillé en usine avant de découvrir les livres. Les deux autodidactes vont s'entendre comme larrons en foire. Entre 2009 et 2014, Vrain va vendre pour... 90 millions d'euros de livres et de manuscrits à Aristophil ! Chaque fois, le libraire réalise des culbutes vertigineuses. Un exemple entre cent : en 2009, il achète un lot de 43 autographes de, (ou sur) Victor Hugo pour 160 000 euros ; deux ans plus tard, il les revend à Lhéritier pour plus de 1 million d'euros. Soit avec 600% de marge. "Je n'ai jamais, à aucun moment, été dépendant de la société Aristophil, ni financièrement, ni de quelque autre manière. Il n'y a pas plus indépendant que moi", assure pourtant Jean-Claude Vrain à L'Express.
François-Marie Banier vend à Vrain qui vend à Aristophil
Surtout, le libraire semble être devenu le passage obligé entre de prestigieux collectionneurs et Aristophil. Des personnalités comme François-Marie Banier, l'ancien ami de Liliane Bettencourt, ou l'ex-Premier ministre, Dominique de Villepin, ne souhaitent pas "dealer" directement avec Lhéritier. Sans doute trouvent-ils que ses fêtes tapageuses avec Nikos Aliagas et Salvatore Adamo au dessert sont trop "cheap" pour eux. Alors, pourquoi ne pas passer par l'ami Jean-Claude ?
Le 8 janvier 2013, François-Marie Banier vend une correspondance de Cocteau pour 30 000 euros à Vrain. Qui la revend illico 160 000 à Aristophil. Idem pour le manuscrit de Novembre, de Flaubert : cédé par Banier pour 900 000 euros à Jean-Claude Vrain, il est revendu dans la foulée 1,5 million à Aristophil par le libraire. Et la liste de ces transactions est longue : en 2013, Vrain rachète pour 3 millions de manuscrits au flamboyant photographe.
Johnny Depp et Vanessa Paradis ont acheté pour plusieurs centaines de milliers d'euros de livres au libraire Vrain.
Banier va aussi présenter au libraire un couple très glamour : Vanessa Paradis et Johnny Depp. Il est le parrain de leur fille Lily-Rose. Les deux stars ne rechignent pas à la dépense en matière de livres, apparemment. Le comédien américain, qui a bon goût littéraire, achète à Vrain des éditions originales - Une Saison en enfer, de Rimbaud ; L'Etranger, de Camus ; du Baudelaire et du Cendrars - pour 250 000 euros. Vanessa Paradis signe un chèque de 150 000 euros au libraire, en 2009.
Villepin vend du Louis-Ferdinand Céline pour 1,1 million
Même système pour un autre grand ami de Vrain : Dominique de Villepin. Les deux hommes aiment se retrouver au restaurant Casa Bini, à deux pas de la librairie. Ils s'installent toujours à la même table du fond, dans une alcôve. Pour la seule année 2012, Vrain achète quatre manuscrits de Louis-Ferdinand Céline à l'ancien Premier ministre. Un lot extraordinaire de 4 000 feuillets de la main de l'auteur de Voyage au bout de la nuit, dont une version de Nord inconnue du professeur de la Sorbonne qui en a établi l'édition en Pléiade. Prix : 1,135 million d'euros. Vrain revend le tout dans les jours qui suivent pour 1,74 million à Aristophil. "Les personnes à qui j'achète ne savent pas à qui je vends et, inversement, celles à qui je vends ne savent pas à qui j'ai acheté", nous assure le libraire. "J'avais laissé les manuscrits de Céline en dépôt à Jean-Claude Vrain, à charge pour lui de les vendre. Je n'ai su que plus tard que l'acheteur était Aristophil", a expliqué de son côté l'ancien Premier ministre à L'Express.
Dominique deVillepin sortant de la librairie Vrain
"Ce qui est étrange dans cette opération, c'est que Dominique de Villepin n'a jamais été connu pour être un célinien", s'étonne un grand spécialiste de l'écrivain de Meudon. Cette vente cacherait-elle d'autres transactions ? En 2011, déjà, Vrain lui avait acheté pour 250 000 euros de "livres historiques". "Villepin est un collectionneur compulsif prêt à tout pour obtenir une pièce qui le fait rêver", commente un homme du sérail. Un jeu dangereux : le 16 octobre 2014, l'organisme antiblanchiment Tracfin fait un signalement concernant la comptabilité de la librairie Vrain.
Des expertises mirobolantes
Mais pourquoi un homme d'affaires aussi avisé que Gérard Lhéritier surpaie-t-il toujours les autographes achetés à son ami Jean-Claude Vrain ? La réponse est très simple : parce que ce dernier lui signe dans la foulée des dizaines d'expertises de complaisance à des montants bien supérieurs encore. Prenons un exemple. Le 2 juillet 2012, Gérard Lhéritier écrit à Vrain : "Bonsoir Jean-Claude, pourrais-tu me faire pour mes assurances de Londres une expertise de l'indivision Romain Gary à 7 millions ou plus et une autre de l'indivision Incunables et Portulans à 15 millions ou plus ? Amitiés, Gérard." Cinq jours plus tard, l'expertise arrive. Miracle, les Incunables sont estimés à 15,5 millions d'euros et les Gary à 7,2 millions. Dans ce dernier cas, le chiffre est d'autant plus extravagant que Vrain avait estimé ces mêmes manuscrits 800 000 euros deux ans plus tôt. "Il s'agissait d'une expertise destinée à la Loyds. J'ai donc estimé la collection à hauteur de 7,2 millions d'euros en valeur d'assurance et non pas en valeur commerciale", se défend Jean-Claude Vrain.
Lors d'une conversation téléphonique interceptée par les enquêteurs, le principal courtier d'Aristophil résume abruptement le système à son fils : "Lhéritier a un réseau d'experts autour de lui qui évaluent ses oeuvres. Le mec, il achète des oeuvres d'art et, deux ou trois ans après, il leur fait quadrupler le prix, en se basant sur un réseau d'experts avec lequel il copine."
Gérard Lhéritier accueille les libraires-experts Jean-Claude Vrain (noeud-papillon) et Alain Nicolas (cravate), lors d'une manifestation d'Aristophil.
Le 18 novembre 2014 au matin, cette folle fuite en avant va s'arrêter brutalement. La police judiciaire perquisitionne les locaux d'Aristophil et la villa niçoise de Gérard Lhéritier. La société est mise en liquidation. L'hôtel particulier à Paris est saisi (on découvrira qu'il était presque entièrement hypothéqué). Gérard Lhéritier, sa fille, Jean-Claude Vrain et quelques autres comparses sont mis en examen pour escroquerie en bande organisée. On évalue le préjudice des 18 000 épargnants à près de 1 milliard d'euros.
Des ventes aux enchères pour récolter de l'argent
Depuis, via une série de ventes aux enchères, on tente de récolter un peu d'argent pour rembourser les épargnants. On estime qu'il en faudra... 300 sur une durée de dix ans. Les premières ventes ont hélas confirmé ce que l'on pressentait : les manuscrits partent parfois à un dixième des prix affichés par Aristophil. Pour l'instant, un peu plus de 20 millions ont été engrangés. "On est en train de vivre le krach de 1929 des manuscrits", soupire un libraire. Du coup, les épargnants, souvent des retraités qui avaient placé toute leur fortune dans ces manuscrits, ne récupèrent que des miettes de leurs investissements. Le 4 novembre, à Fontainebleau, une vente Baudelaire permettra peut-être de faire entrer un peu d'argent. Détail étrange : l'expert de cette vente n'est autre qu'Alain Nicolas, l'un des principaux fournisseurs du temps de la splendeur d'Aristophil. Puis, du 14 au 19 novembre, une rafale de cinq ventes aura lieu à Drouot, autour de la littérature, de la chanson française et de la science.
La première vente Aristophil, le 20 décembre 2017.
Les sommes disparues ne seront que partiellement récupérées en salle des ventes. Un avocat est donc en train de fédérer quelque 2 000 victimes pour attaquer les banques, plus solvables. "Les banquiers n'ont pas à être les vecteurs d'une fraude. Ils connaissaient les premières activités de Gérard Lhéritier, dont Aristophil est le prolongement. Ils n'auraient pas dû lui ouvrir de comptes, ainsi qu'à sa société, et n'auraient pas dû accepter que les fonds liés à Aristophil y soient versés", s'indigne Me Nicolas Lecoq-Vallon.
"En réalité, le caractère irréaliste du taux de rendement promis ne pouvait conduire qu'à un mécanisme de type 'pyramide de Ponzi', quelles qu'aient été les intentions de M. Lhéritier et de ses complices lors de la création d'Aristophil, analyse l'avocat Marc Susini. En toute hypothèse, il est incontestable que les collections ont été cédées aux investisseurs par Aristophil à des prix totalement surévalués par rapport à leur valeur réelle. Il ressort par exemple des évaluations de l'expert missionné par le cabinet Aguttes, commissaire-priseur chargé de la revente des collections, que la valeur réelle des manuscrits achetés par mon client pour un montant de 1 360 000 euros n'est que de 200 000 euros environ."
Avec ses carpes et ses poules
Gérard Lhéritier, lui, s'est retranché dans sa villa sur les hauteurs de Nice. L'ex-empereur des manuscrits peut encore profiter de ses deux piscines - l'une extérieure, l'autre intérieure - et de son Jacuzzi. De là-haut, le soir, les couchers de soleil sont époustouflants. Là, "Gérard de Narval" s'occupe de ses oies empereurs, de ses canards et de ses poules. Il nourrit aussi les 40 carpes du petit étang qu'il a fait aménager. "J'ai 70 ans, je n'ai plus ni activité professionnelle ni argent, puisque l'État a tout confisqué, même ce qui ne m'appartenait pas !", dit-il.
Surtout, il sait qu'un jour viendra où il devra affronter sur le banc des accusés le regard furieux de milliers d'épargnants lésés. "J'ai le sentiment qu''il faut tuer le soldat Lhéritier' a été le mot d'ordre dans les sphères huppées qui considéraient comme indécent qu'un sous-officier de l'armée française puisse constituer une telle collection", se défend-il. Seul un journaliste du magazine américain Esquire, Joel Warner, a pu le rencontrer là-bas récemment. "Je l'ai trouvé un peu vieilli. Mais il a toujours ce sourire malicieux qui ne le quitte jamais", nous a-t-il raconté. Evidemment, Gérard Lhéritier n'a plus guère de nouvelles de tous ceux qui le fêtaient du temps de sa gloire. Alors, comme en exil, le "Madoff" français tourne en rond chez lui, entre ses carpes et ses poules.