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Dans la «Rust Belt», l’Amérique ouvrière retourne aux urnes

USA

Lien publiée le 7 novembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.slate.fr/story/169482/rustbelt-amerique-ouvriere-midterms-democrates-republicains-trump

Les États (dés)industrialisés du Midwest se profilent comme un champ de bataille crucial des élections de mi-mandat. Les Démocrates tentent d’y remobiliser leur base et de renouer avec l’électorat ouvrier séduit par Donald Trump en 2016.

Elle était, à son heure de gloire, le poumon industriel du rêve américain. Du Wisconsin à l’État de New York en passant par le Michigan et l’Ohio, la Rust Belt («ceinture de rouille») s’imposait autrefois comme le plus imposant bassin de production métallurgique et automobile du monde. Aujourd’hui encore, ses vastes plaines son crénelées de cheminées d’usines et d’entrepôts de briques rouges. Bon nombre, toutefois, sont désormais en sous-capacité ou désaffectés. La mondialisation, les délocalisations et les crises ont, lentement mais sûrement, coupé les ailes de cette région jadis prospère.

C’est de cette détresse socio-économique, dit-on, que Donald Trump aurait tiré sa victoire de 2016. Le mécontentement des classes populaires blanches de la Rust Belt, notamment, aurait fait basculer dans le camp Républicain plusieurs États clé, tels le Michigan, la Pennsylvanie ou le Wisconsin, pourtant électoralement acquis aux Démocrates depuis vingt ans. Deux ans plus tard, alors que l’Amérique retourne aux urnes pour les élections de mi-mandat (ou midterms), tous les regards sont tournés vers la Rust Belt: cimetière des ambitions Démocrates en 2016, elle pourrait cette année nourrir leur contre-attaque. Des vingt-trois sièges qui leur sont nécessaires pour reprendre la majorité à la Chambre des représentants, les États de la Rust Belt pourraient à eux seuls leur en délivrer la moitié, selon les dernières projections.

L’enjeu, pour le Parti démocrate, est de remobiliser sa base et veiller cette fois à «faire sortir le vote». «En 2016, le Wisconsin a enregistré une des plus grosses chutes de participation électorale du pays», se souvient Renee, bénévole dans un bureau de campagne Démocrate à Madison, capitale de l’État. En conséquence, cette année, elle et sa petite équipe n’ont pas tant cherché à vanter les mérites des candidats locaux qu’à tout simplement encourager les sympathisants Démocrates à s’inscrire sur les listes, et surtout se rendre aux bureaux de vote le 6 novembre.

À Detroit (Michigan), une foule de sympathisants Démocrates font la queue pour assister au meeting de l'ex-président Barack Obama, le 26 octobre 2018 | Alexis Rapin

Dans le même but, le parti a également dépêché ses poids lourds dans la région: Barack Obama, l’ancien vice-président Joe Biden ou le sénateur du Vermont Bernie Sanders ont tenu pas moins d’une quinzaine de meetings à travers la Rust Belt rien que dans les deux dernières semaines. À Detroit, ancienne capitale de l’automobile dévastée par la désindustrialisation, la visite de Barack Obama a suscité une affluence digne d’une campagne présidentielle. À quelques pâtés de maison d’immenses usines à l’abandon, une foule en bonne partie composées de personnes afro-américaines se pressaient autour du bâtiment accueillant l’ex-président: «J’attends dans ma voiture depuis 15h cet après-midi, mais j’étais prête à prendre congé toute la journée si nécessaire», raconte une supportrice, ajoutant que «certains font même la file depuis ce matin».

Guerre commerciale en question

Palpable, cet enthousiasme suffira-t-il pour autant à annuler la déferlante Républicaine de 2016 dans la Rust Belt? Will Vorys, lobbyiste à Colombus (Ohio) n’en est pas certain: «Plusieurs aciéries du nord de notre État se portent légèrement mieux grâce aux tarifs sur les métaux instaurés par l’administration Trump ce printemps, observe-t-il. Oui, les agriculteurs de l’Ohio sont directement touchés par les tarifs sur le soja imposés par la Chine en représailles. Mais je crois qu’ils laissent encore le bénéfice du doute à Trump, qui a su les séduire par la dimension identitaire et leur sentiment de déclassement social.»

Chaudement débattu, cet enjeu apparaît au cœur de la bataille pour la Rust Belt, et par extension de celle pour le Midwest (la région des grands lacs). L’Ohio, le Michigan, l’Illinois, le Wisconsin et le Minnesota sont tous partagés entre d’importants bassins industriels bénéficiant des tarifs de Donald Trump, et de grandes plaines agricoles qui en subissent les contrecoups. Or, tous les cinq sont également le théâtre d’élections de gouverneur d’État très disputées. Alors que le prix de certaines denrées agricoles a chuté de près de 15% du fait de la guerre commerciale, nombre de stratèges Démocrates veulent croire que l’électorat rural du Midwestvoudra sanctionner le parti du président.

Plusieurs États de la Rust Belt (ici, l'Ohio) sont partagés entre d'importants bassins industriels et de vastes plaines agricoles | Alexis Rapin

«Nos nombreuses fermes laitières dépendent en bonne part de la main d’œuvre étrangère pour survivre», note également Tom McCann, directeur d’un bureau de campagne Démocrate du Wisconsin, État souvent surnommé «America’s dairy land» (le pays du lait de l’Amérique). «Le verrouillage de l’immigration promus par les Républicains vont les desservir ici», estime-t-il. De fait, le gouverneur Républicain Scott Walker, pourtant candidat sortant et en poste depuis 2011, fait actuellement face à une réélection très difficile. Au Minnesota, en Illinois et au Michigan, les sondages confèrent aux candidats gouverneurs Démocrates une avance avoisinant les 10% d’intentions de vote.

L’Amérique à «col bleu»

Qu’à cela ne tienne, les Républicains demeurent confiants quant au soutien de l’électorat ouvrier qui les a plébiscités en 2016. Ils ont de bonnes raisons: dans une région qui voit les usines fermer depuis de nombreuses années, la récente réouverture d’une aciérie de Illinois grâce aux tarifs de Donald Trump ne manque pas de marquer les esprits. Au comptoir des diners de la région, on concède volontiers que les comportements du président sont problématiques, mais on insiste sur le fait que celui-ci, pour l’heure, «livre la marchandise»: création d’emplois et, de surcroît, d’emplois ouvriers. Dans la Rust Belt, le rêve américain n’est pas juste affaire de prospérité ou de mobilité sociale, on vibre aussi pour une Amérique en salopettes, dont les mains rugueuses continuent de produire fièrement du «made in the USA».

«On observe une relation quasi-parfaite entre la baisse du taux de syndicalisation et le recul de la gauche parmi l’électorat ouvrier»

Kevin Gundlach, président d’une fédération syndicale du Wisconsin

Un défi pour le Parti démocrate, que l’on considère désormais plus proche des programmeurs de la Silicon Valley que des travailleurs de la métallurgie. Le divorce ne doit rien au hasard, estime Kevin Gundlach, président d’une fédération syndicale du Wisconsin: «On observe une relation quasi-parfaite entre la baisse du taux de syndicalisation et le recul de la gauche parmi l’électorat ouvrier». Jadis force politique majeure dans des États comme le Michigan ou le Wisconsin, les syndicats y sont aujourd’hui considérablement diminués. «On aurait été le meilleur moyen de préserver les cols bleus de figures comme Trump», affirme-t-il, «mais entre 2010 et 2017, plusieurs États gouvernés par des majorités Républicaines ont délibérément affaibli les syndicats, sans que les Démocrates au pouvoir à Washington ne réagissent en conséquence».

En dépit d’un mouvement ouvrier ébranlé, certains candidats Démocrates semblent trouver d’autres voies pour toucher les classes populaires blanches de la Rust Belt. En Ohio, un swing state important, Richard Cordray est en passe de ravir le siège de gouverneur aux Républicains. Protégé de l’influente sénatrice progressiste Elizabeth Warren, Cordray a dirigé pendant sept ans le Consumer Financial Protection Bureau, organe créé au lendemain de la crise de 2008 pour protéger les citoyens et citoyennes des abus de l’industrie financière. Fort de son image de croisé anti-Wall Street, il a focalisé sa campagne sur la crise des opioïdes(drogues de synthèse) qui ravage la population ouvrière de l’Ohio –et de la région dans son ensemble. Résultat: «Cordray a levé plus de fonds que son adversaire Républicain, notamment de la part de petits donateurs», note Will Vorys.

Pour autant, un constat s’impose: quels que soient les résultats des midterms dans la Rust Belt, renouer avec l’Amérique ouvrière s’annonce comme un travail de longue haleine pour les Démocrates. Face à un électorat très polarisé et de plus en plus obnubilé par les enjeux identitaires, c’est tout un dialogue social qui doit aujourd’hui être rétabli. Le syndicaliste Kevin Gundlach s’efforce d’en prendre sa part: «L’autre jour j’ai bavardé avec un sympathisant de la NRA [association pro-armes à feu, ndlr], j’ai essayé de lui montrer qu’on peut s’entendre sur pas mal d’enjeux», raconte-t-il. «Je lui ai d’abord parlé de chasse, puis de droits des travailleurs, puis de politique. Je constate qu’on peut encore faire passer notre message auprès de ces gens, si on les questionne d’abord sur leur réalité plutôt que leur faire la leçon.»