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Il y a 100 ans, le prolétariat faisait trembler la bourgeoisie en Allemagne

Allemagne histoire

Lien publiée le 10 novembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://fr.internationalism.org/content/9776/revolution-allemagne-il-y-a-cent-ans-il-y-a-100-ans-proletariat-faisait-trembler

RÉVOLUTION EN ALLEMAGNE - IL Y A CENT ANS, IL Y A 100 ANS, LE PROLÉTARIAT FAISAIT TREMBLER LA BOURGEOISIE

Un tel titre peut paraître bien curieux aujourd’hui tant cet immense événement historique est tombé totalement dans l’oubli. La bourgeoisie est parvenue à l’effacer de la mémoire ouvrière. Pourtant, en 1918, tous les regards sont bien tournés vers l’Allemagne, des regards emplis d’espoir pour le prolétariat, d’épouvante pour la bourgeoisie.

La classe ouvrière vient de prendre le pouvoir en Russie ; c’est Octobre 1917, les soviets, les bolcheviks, l’insurrection... Or, comme l’écrit Lénine : "La Révolution russe n'est qu’un détachement de l’armée socialiste mondiale, et le succès et le triomphe de la révolution que nous avons accomplie dépendent de l'action de cette armée. C’est un fait que personne parmi nous n'oublie (…). Le prolétariat russe a conscience de son isolement révolutionnaire, et il voit clairement que sa victoire a pour condition indispensable et prémisse fondamentale, l’intervention unie des ouvriers du monde entier." ("Rapport à la Conférence des comités d’usines de la province de Moscou", 23 juillet 1918).

L’Allemagne est le verrou entre l’Est et l’Ouest. Une révolution victorieuse ici, alors s’ouvre la porte de la lutte de classe au reste du vieux continent, l’embrasement révolutionnaire en Europe. Aucune des bourgeoisies ne veut voir ce verrou "tomber". C’est pour cela que la classe dominante va concentrer sur elle toute sa haine comme ses pièges les plus sophistiqués : la révolution du prolétariat en Allemagne était l’enjeu majeur pour la réussite ou l’échec de la révolution mondiale débutée en Russie.

La force de la classe ouvrière

1914. La guerre mondiale éclate. S’en suivent quatre années, durant lesquelles le prolétariat endure la pire boucherie de l’histoire de l’humanité : les tranchées, les gaz, la faim, les millions de morts... Quatre années durant lesquelles les syndicats et la social-démocratie profitent de leur glorieux passé prolétarien - qu'ils trahirent en 1914 en soutenant l'effort de guerre de la bourgeoisie - et de la confiance que leur accordent les ouvriers au nom de ce même passé pour leur imposer les pires sacrifices et justifier l’effort de guerre.

Mais durant ces quatre années, la classe ouvrière développe aussi peu à peu sa lutte. Dans toutes les villes, les grèves et les troubles dans l'armée ne cessent de se multiplier. Évidemment, en face, la bourgeoisie ne reste pas inerte, elle riposte même férocement. Les meneurs dans les usines, mouchardés par les syndicats, sont arrêtés. Des soldats sont exécutés pour indiscipline ou désertion.

1916. Le 1er mai, Karl Liebknecht scande : "A bas la guerre ! A bas le gouvernement !" Rosa Luxemburg est incarcérée, tout comme d'autres révolutionnaires : Meyer, Eberlein, Mehring[1] (alors âgé de 70 ans !). Karl Liebknecht[2] est envoyé sur le front. Mais cette répression ne suffit pas à faire taire le mécontentement… au contraire ! L’agitation gronde toujours plus dans les usines.

1917. Les syndicats sont de plus en plus critiqués. Apparaissent les Obleute, délégués d’usines, constitués essentiellement de délégués syndicaux de "base" ayant rompu avec les directions des centrales. Surtout les ouvriers en Allemagne sont inspirés par le courage de leurs frères de classe de l’Est, le souffle de la révolution d’Octobre se fait de plus en plus sentir.

1918. La bourgeoisie allemande est consciente du danger, elle sait que l’enlisement dans la guerre doit absolument cesser. Mais la partie la plus arriérée de la classe dominante, issue de l’aristocratie, et notamment l’aristocratie militaire, ne comprend pas la manœuvre et ses enjeux politiques, refusant tout accord de paix et toute défaite. Concrètement, en novembre, les officiers de la marine, basés à Kiel, refusent de se rendre sans combattre, préférant mourir "pour l’honneur"… avec leurs soldats bien évidemment ! Les marins se mutinent sur plusieurs navires, et sur plusieurs également flottent et sur plusieurs également flotte le drapeau rouge. Ordre est alors donné aux navires "non gangrenés" de tirer. Les mutins capitulent, refusant de retourner les armes contre leurs frères et sœurs de classe. Ils s’exposent ainsi à la sentence de mort. Par solidarité avec les condamnés, une vague de grève se propage, elle touche les marins puis les ouvriers de Kiel. S’inspirant de la révolution d’Octobre, la classe ouvrière prend ses luttes en main et crée les premiers conseils de marins et d’ouvriers. La bourgeoisie en appelle alors à l’un de ses chiens de garde les plus fidèles : la social-démocratie. Ainsi, Gustav Noske, dirigeant du SPD, spécialiste de la question militaire et du "maintien du moral des troupes" (sic !), est envoyé sur place pour calmer et étouffer le mouvement. Mais il arrive trop tard, les conseils de soldats propagent leurs revendications : un mouvement spontané gagne d’autres villes portuaires, puis les grands centres ouvriers de la Ruhr et de Bavière. L’extension géographique des luttes est en marche. Noske ne peut plus agir frontalement. Le 7 novembre, le conseil ouvrier de Kiel appelle à la révolution, proclamant : "Le pouvoir est entre nos mains". Le 8 novembre, pratiquement tout le nord-ouest de l’Allemagne est aux mains de conseils ouvriers. Dans le même temps, en Bavière et en Saxe, les événements poussent à la démission des petits seigneurs locaux. Dans toutes les villes de l’empire, de Metz à Berlin, se répandent les conseils ouvriers.

C’est précisément la généralisation de ce mode d’organisation politique, véritable moteur du combat de classe, qui fait trembler la bourgeoisie. L’organisation de la classe en conseils ouvriers avec des représentants élus, responsables devant l’assemblée et révocables à tout instant est un mode d’organisation extrêmement dynamique. Il n’est rien de moins que l’expression d’un véritable processus révolutionnaire. C’est le lieu où toute la classe ouvrière, de manière unitaire, débat de sa lutte et de la prise en main de la société, de la perspective révolutionnaire. Avec l’expérience de 1917, la bourgeoisie l’a d’ailleurs trop bien compris. C’est pourquoi elle va s’atteler à pourrir de l’intérieur ces conseils ouvriers, en profitant des illusions encore très grandes de la classe ouvrière envers son ancien parti, le SPD. Noske est élu à la tête du conseil ouvrier de Kiel. Cette faiblesse de notre classe aura des conséquences tragiques pour les semaines à venir.

Mais pour l’heure, au matin du 9 novembre 1918, la lutte poursuit son développement. À Berlin, les ouvriers se mobilisent et passent devant les casernes pour rallier les soldats à leur cause et devant les prisons pour libérer leurs frères de classe. La bourgeoisie est alors consciente que la paix doit être immédiate et que le régime du Kaiser doit tomber. Elle a tiré les leçons des erreurs de la bourgeoisie russe. Le 9 novembre 1918 Guillaume II est destitué. Le 11 novembre, l’armistice est signé.

La lutte des ouvriers en Allemagne a précipité la fin de la guerre, mais c’est bien la bourgeoisie qui signe le traité de paix et qui va se servir de cet événement pour œuvrer contre la révolution.

Le machiavélisme de la bourgeoisie

Voici un très bref résumé de l’état du rapport de force au début de la guerre civile en novembre 1918 :

  • D’un côté, la classe ouvrière est extrêmement combative. Elle a su étendre les conseils ouvriers à l’ensemble du pays avec une très grande rapidité. Mais elle est pétrie d’illusions sur son ancien parti, le SPD ; elle laisse même ces traîtres aux plus hautes responsabilités au sein de ses conseils, comme Noske à Kiel. Les organisations révolutionnaires, les Spartakistes et les différents groupes de la gauche révolutionnaire, mènent le combat politique, ils assurent leur rôle d’orientation des luttes, ils mettent en avant la nécessité de jeter un pont vers la classe ouvrière en Russie, ils démasquent les manœuvres et le travail de sabotage de la bourgeoisie, ils reconnaissent le rôle fondamental des conseils ouvriers.
  • De l’autre côté, la bourgeoisie allemande, une bourgeoisie extrêmement expérimentée et organisée, est consciente de l’efficacité entre ses mains de l’arme du SPD. Tirant les leçons des événements en Russie, elle a clairement identifié le danger que représentaient la poursuite de la guerre et l’apparition de conseils ouvriers. Tout le travail de sape du SPD va donc être de s’immiscer dans le processus révolutionnaire en dévoyant la lutte vers la démocratie bourgeoise. Pour ce faire, la bourgeoisie va attaquer sur tous les fronts : de la propagande calomnieuse à la répression la plus féroce en passant par les multiples provocations.

Le SPD reprend donc à son compte le mot d’ordre de la révolution : "fin de la guerre" tout en prônant "l’unité du parti" et va faire oublier son rôle prépondérant dans la marche à la guerre. En signant le traité de paix, le SPD exploite les faiblesses du prolétariat, utilise le poison démocratique et met de côté ce qu’il y avait pour lui de plus insupportable pour les ouvriers : la guerre et ses désastres, la famine. Pour enfoncer un peu plus le clou, la social-démocratie trouve un bouc-émissaire de circonstance tout désigné : l’aristocratie militaire et la monarchie.

Mais le plus grand danger pour la bourgeoisie demeure les conseils et le mot d’ordre "Tout le pouvoir aux soviets" venu de Russie. La révocabilité des délégués posait un réel problème à la bourgeoisie, car elle permettait aux conseils de se renouveler et de se radicaliser constamment. Les conseils sont donc assaillis par les représentants fidèles du SPD, surfant sur les illusions sur ce vieux parti "ouvrier" encore existantes. Les conseils sont gangrenés de l’intérieur, vidés de leur substance, par des dirigeants du SPD connus (Noske à Kiel, Ebert à Berlin) ou non. Le poison démocratique y est déversé, au travers notamment du soutien au projet d'élection d'une assemblée constituante. L’objectif est clair : neutraliser les conseils ouvriers en éliminant leur caractère révolutionnaire. Le congrès national des conseils tenu à Berlin le 16 décembre 1918 en est le plus bel exemple :

  • les délégués représentant des soldats sont surreprésentés par rapport aux délégués ouvriers, lesquels étaient en général bien plus à gauche que les soldats (1 délégué pour 100 000 soldats dans le premier cas, 1 pour 200 000 habitants dans le second) ;
  • l’accès au congrès est interdit à la délégation russe. Exit l’internationalisme !
  • l’accès au congrès est interdit aux non-ouvriers, c’est à dire que chaque membre apparaît sous sa profession. Ainsi, les membres de la Ligue Spartakus ne sont pas autorisés à rentrer (notamment Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht). Exit la gauche révolutionnaire ! Même sous la pression de quelques 250 000 manifestants, le congrès ne fléchira pas !

Le système de conseils est une agression au capitalisme et à son fonctionnement démocratique. La bourgeoisie en est pleinement consciente. C’est pourquoi elle agit ainsi, de l’intérieur. Mais elle sait aussi que le temps ne joue pas en sa faveur et que l’image du SPD s’étiole. La révocabilité des délégués élus est un danger trop important pour le SPD qui tente de garder le contrôle de la situation. Il a donc dû précipiter les événements, tandis que le prolétariat avait besoin de temps pour mûrir, pour se développer politiquement.

Parallèlement à ces manœuvres idéologiques, le lendemain du 9 novembre, Ebert et le SPD passent des accords secrets avec l’armée pour écraser la révolution. Ils multiplient les provocations, mensonges et calomnies pour mener à l’affrontement militaire. Mensonges et calomnies, notamment à l’encontre du Spartakusbund qui "assassine, pille, et appelle les ouvriers à verser encore leur sang…" Ils appellent au meurtre de Liebknecht et Luxemburg. Ils créent une "armée blanche" : les Freikorps, ou corps francs, composés de soldats brisés et traumatisés par la guerre qui ne connaissent plus que la haine aveugle comme seul exutoire.

A partir du 6 décembre 1918, de vastes offensives contre-révolutionnaires sont lancées :

  • attaque contre le QG du journal de Spartakus : Die Rote Fahne (Le drapeau rouge),
  • tentatives d’arrestation des membres de l’organe exécutif des conseils ouvriers,
  • tentative d’assassinat de Karl Liebknecht,
  • systématiques escarmouches lors des manifestations ouvrières
  • campagne médiatique de calomnies et offensive militaire contre la division de la marine du peuple, Volksmarinedivision, composée de marins armés qui avaient marché depuis les ports de la côte sur la capitale pour répandre la révolution et agissant pour sa défense.

Mais loin d’effrayer le prolétariat en marche, cela ne fait que renforcer la colère des ouvriers et armer les manifestations pour répondre à la provocation. La réponse est : solidarité de classe, entraînant derrière elle, le 25 décembre 1918, la manifestation la plus massive depuis le 9 novembre ! Cinq jours plus tard est fondé à Berlin le KPD, Parti communiste d’Allemagne.

Face à ces échecs, la bourgeoisie apprend et s’adapte vite. Dès la fin décembre 1918, elle comprend que s’attaquer de front aux grandes figures révolutionnaires la dessert et renforce la solidarité de classe. Elle décide alors d’accentuer les rumeurs et les calomnies, évite les confrontations armées directes et manœuvre autour de personnages moins connus. Elle cible alors le préfet de police de Berlin Emil Eichhorn qui avait été élu à la tête d’un comité de soldats sur Berlin. Ce dernier est démis de ses fonctions par le gouvernement bourgeois le 4 janvier. Ceci est aussitôt ressenti comme une agression par les ouvriers de la ville. Le prolétariat berlinois réagit massivement le 5 janvier 1919 : 150 000 personnes sont dans la rue, ce qui surprend même la bourgeoisie. Mais cela ne va pas empêcher la classe ouvrière de tomber dans le piège de l’insurrection prématurée. Tandis que le mouvement n’est pas suivi ailleurs en Allemagne où Eichhorn n’est pas connu, et face à l’euphorie du moment, le comité révolutionnaire provisoire[3] dont Pieck et Liebknecht, décide le soir même de lancer l’insurrection armée, allant à l’encontre des décisions du congrès du KPD. Les conséquences de cette improvisation sont dramatiques : descendus massivement dans la rue, les ouvriers restent là, sans instructions, sans objectif précis et dans la plus grande confusion. Pire, les soldats refusent de prendre part à l’insurrection, ce qui signe son échec. Devant cette erreur d’analyse et la situation très dangereuse qui en découle, Rosa Luxemburg et Leo Jogiches défendent la seule position valable pour éviter un bain de sang : poursuivre la mobilisation en armant le prolétariat et en appelant celui-ci à encercler les casernes jusqu’à ce que les soldats se mobilisent en faveur de la révolution. Cette position est argumentée par l’analyse juste que si le rapport de force politique n’est pas en faveur du prolétariat en Allemagne, début janvier 1919, le rapport de force militaire est lui en faveur de la révolution (au moins à Berlin).

Mais au lieu de chercher à armer les ouvriers, le "comité provisoire" commence à négocier avec le gouvernement qu’il vient de déclarer déchu. Dès lors, le temps ne joue plus en faveur du prolétariat, mais en faveur de la contre-révolution.

Le 10 janvier 1919, le KPD demande à Liebknecht et Pieck de démissionner. Mais le mal est fait. Il s’ensuit la "semaine sanglante", ou "semaine Spartakus". Le "putsch communiste" est déjoué "par les héros de la liberté et de la démocratie". La terreur blanche s’installe. Les corps-francs pourchassent les révolutionnaires dans toute la ville et les exécutions sommaires deviennent systématiques. Le soir du 15 janvier, Rosa Luxembourg et Liebknecht sont kidnappés par la milice, puis aussitôt assassinés. En mars 1919, ce sera au tour de Leo Jogiches et de centaines de militants de la gauche révolutionnaire.     

Les illusions démocratiques de la classe ouvrière et les faiblesses du KPD

A quoi est du cet échec dramatique ? Les événements de janvier 1919 contiennent à eux seuls tous les facteurs ayant conduit à la défaite de la révolution : d’une part une bourgeoisie intelligente à la manœuvre, et d’autre part une classe ouvrière encore illusionnée par la social-démocratie et un parti communiste insuffisamment organisé, malgré les efforts pour lui donner des bases programmatiques solides. Effectivement, le KPD est assez désorienté, trop jeune (beaucoup de jeunes camarades le constituent, les plus vieux ayant disparu avec la guerre ou la répression), inexpérimenté, manquant d'unité, ne parvenant pas à donner des orientations claires à la classe ouvrière.

Contrairement aux bolcheviks qui avaient une continuité historique depuis 1903, et l’expérience de la révolution de 1905 et des conseils ouvriers, la gauche révolutionnaire allemande très minoritaire au sein du SPD doit faire face à la trahison de celui-ci en août 1914, et ensuite construire en toute hâte un parti, dans le feu des événements. Le KPD est fondé le 30 décembre 1918 à partir du Spartakusbund et des Communistes internationaux d'Allemagne (IKD). Lors de cette conférence, la majorité des délégués se prononcent très clairement contre la participation aux élections bourgeoises et rejettent les syndicats. Mais la question organisationnelle est largement sous- estimée. La question du parti n’est pas comprise à la hauteur des enjeux du moment.

Cette sous-estimation va amener la prise de décision de l’insurrection armée par Liebknecht et d'autres camarades une nouvelle analyse du parti, sans méthode d’analyse claire de l'évolution du rapport de force. La centralisation des décisions fait défaut. C’est bien, en fin de compte, l’inexistence préalable d’un parti mondial (l’IC ne sera fondée que deux mois plus tard, en mars 1919) qui se reflète dans l’impréparation du KPD dans un tel contexte qui va conduire à ce drame. En quelques heures, le rapport de force s’est inversé : le temps était venu pour la bourgeoisie de répandre sa terreur blanche.

Pour autant, les grèves ne s’arrêtent pas. De janvier à mars 1919, la grève de masse émerge de façon spectaculaire. Mais en même temps la bourgeoisie continue son sale travail : exécutions, rumeurs, calomnies… la terreur écrase le prolétariat petit à petit. Tandis qu’en février des grèves massives émergent partout en Allemagne, le prolétariat berlinois, le cœur de la révolution, n’est plus capable de suivre, assommé par sa défaite de janvier. Lorsque, enfin, il se met en marche, il est trop tard. Les luttes à Berlin et dans le reste de l’Allemagne ne parviendront pas à s’unir. Dans le même temps, le KPD "décapité" est contraint à l’illégalité. Ainsi, dans les vagues de grèves de février à avril 1919, il ne peut jouer le rôle déterminant qui lui incombe. Sa voix est quasiment étouffée par le capital. Si le KPD avait eu la possibilité de démasquer la provocation de la bourgeoisie, lors de la semaine de janvier, et d’empêcher que les ouvriers ne tombent dans ce piège, le mouvement aurait sûrement connu une toute autre issue. Partout on fait la chasse aux "communistes". Les communications entre ce qui reste des organes centraux et les délégués locaux ou régionaux du KPD sont plusieurs fois rompues. Lors de la conférence nationale du 29 mars 1919, on fait le constat que "les organisations locales sont submergées d’agents-provocateurs".

En conclusion

La révolution en Allemagne, c’est avant tout le mouvement de grève de masse du prolétariat, qui s’est étendu géographiquement, qui a opposé la solidarité ouvrière à la barbarie capitaliste, qui s’est réapproprié les leçons d’Octobre 1917 et qui s’est organisé en conseils ouvriers. La révolution en Allemagne, c’est aussi la leçon de la nécessité d’un Parti communiste international centralisé, avec des bases organisationnelles et programmatiques claires, sans lesquelles le prolétariat ne pourra pas déjouer le machiavélisme de la bourgeoisie. Mais la révolution en Allemagne, c’est aussi la capacité des bourgeoisies à s’unir contre le prolétariat avec son arsenal de manœuvres, mensonges et manipulations de tous ordres. C’est la puanteur d’un monde à l’agonie qui refuse de s’éteindre. C’est le piège mortel des illusions sur la démocratie. C’est la destruction acharnée de l’intérieur des conseils ouvriers. Bien que les événements de 1919 aient été décisifs, les braises encore ardentes de la révolution en Allemagne ne s'éteignirent pas avant plusieurs années. Mais à l'échelle de l'histoire, les conséquences de cette défaite furent dramatiques pour l'humanité : la montée du nazisme en Allemagne, du stalinisme en Russie, la marche vers la Seconde Guerre mondiale sous la bannière de l'antifascisme. Ces événements cauchemardesques peuvent tous être imputés à l'échec de la vague révolutionnaire, entre 1917 et 1923, qui avait ébranlé l'ordre bourgeois sans pouvoir le renverser une fois pour toutes. Voilà ce qu’est pour nous la révolution en Allemagne en 1918, une source d’inspiration et de leçons pour les luttes futures du prolétariat. Car comme l’a écrit Rosa Luxemburg, la veille de son assassinat par la soldatesque de la social-démocratie : "Que nous enseigne toute l’histoire des révolutions modernes et du socialisme ? La première flambée de la lutte de classe en Europe s’est achevée par une défaite. Le soulèvement des canuts de Lyon, en 1831, s’est soldé par un lourd échec. Défaite aussi pour le mouvement chartiste en Angleterre. Défaite écrasante pour la levée du prolétariat parisien au cours des journées de juin 1848. La Commune de Paris enfin a connu une terrible défaite. La route du socialisme (à considérer les luttes révolutionnaires) est pavée de défaites. (…) Où en serions-nous aujourd’hui sans toutes ces "défaites", où nous avons puisé notre expérience, nos connaissances, la force et l’idéalisme qui nous animent ? Aujourd’hui, (…) nous sommes campés sur ces défaites et nous ne pouvons renoncer à une seule d’entre elles, car de chacune nous tirons une portion de notre force, une partie de notre lucidité. (…) Les révolutions (…) ne nous ont jusqu’ici apporté que défaites, mais ces échecs inévitables sont précisément la caution réitérée de la victoire finale. À une condition il est vrai ! Car il faut étudier dans quelles conditions la défaite s’est chaque fois produite (…) "L’ordre règne à Berlin !", sbires stupides ! Votre "ordre" est bâti sur le sable. Dès demain la révolution "se dressera de nouveau avec fracas" proclamant à son de trompe pour votre plus grand effroi : J’étais, je suis, je serai !".

CCI, 29 octobre 2018


[1] Tous trois firent partie de la minorité du SPD qui refusa les crédits de guerre et rejoignirent la ligue spartakiste.

[2] Avec Rosa Luxemburg, l'un des deux dirigeants les plus connus et persécuté de la ligue spartakiste.

[3] Le 5 janvier, les revolutionäre Obleutes, les membres de la direction de l'USPD du Grand Berlin, Liebknecht et Pieck du Parti communiste se réunirent à la préfecture pour discuter de comment poursuivre l'action (…) les représentants des ouvriers révolutionnaires instituèrent un comité révolutionnaire provisoire de 52 membres chargé de diriger le mouvement révolutionnaire et d'assumer en cas de nécessité toutes les fonctions gouvernementales et administratives. La décision de commencer la lutte pour tenter de renverser le gouvernement fut prise lors de cette réunion malgré six voix contre. (D'après "Révolution et contre-révolution en Allemagne", Paul Frölich)