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Des gilets rouges aux gilets jaunes : la classe ouvrière introuvable ?

Gilets-jaunes

Lien publiée le 22 novembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Jean-François Cabral, militant NPA

22/11/2018

Le jaune n’a généralement pas bonne presse au sein du mouvement ouvrier et celui-ci est parfois victime d’une certaine forme de persistance rétinienne. Pourtant si le mouvement des gilets jaunes a quelque chose à nous apprendre, c’est justement que le monde d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec les fantômes d’hier, même si nos grilles de lecture sont restées à la traine.

Mouvement de « petits patrons », mouvement infiltré par l’extrême droite ? Ce jugement pour le moins expéditif a été largement colporté par certains milieux militants. Peut-être pas sans fondement au démarrage, mais la prise de position des directions syndicales, de la CGT et de Solidaires en particulier, ont beaucoup fait pour que la réalité mouvante d’un mouvement naissant ne soit jamais abordée autrement qu’avec suspicion.

En réalité, ce n’est pas tant le mouvement des gilets jaunes lui-même qui est compliqué que le mouvement ouvrier. Lequel finit par être de plus en plus empêtré dans ses vieux mythes au point de ne plus très bien savoir où il habite.

Le retour des années 1930 l’obsède littéralement. Un drapeau tricolore accroché au milieu d’un barrage routier - ou le même brandi par des jeunes (souvent issus de l’immigration !) le soir d’une finale de coupe du monde et parfois doublé d’une Marseillaise - et ce serait le début d’une grande vague réactionnaire, voire la confirmation d’un « fascisme » rampant... Autant de mites qui finissent par trouer nos mémoires et brouiller nos regards, car évidemment à cette aune, rien ne collera jamais avec nos schémas préétablis !

Alors posons-nous le problème à l’inverse : comment imaginer un mouvement social réel, un mouvement de masse, dans la France de 2018 ? Du moins si nous prenons au sérieux nos propres analyses sur le recul de la conscience de classe, la dégradation des rapports de force (dont le résultat concret est qu’une partie du prolétariat n’a jamais participé à une seule journée de grève depuis des dizaines d’années !), l’éclatement de ce même prolétariat du fait des évolutions du monde du travail et trente ans de lepénisme ? Un « nouveau 68 » qui surgirait de nulle part ? Sociologiquement et politiquement comparable ?

La formule a fini par devenir un carcan, même si elle a été brandie comme un drapeau par de nombreux gilets jaunes. Un carcan car comment imaginer un « nouveau 68 » dans un pays qui n’a plus rien à voir avec celui des années 1950-1960 ? Celui de l’après-guerre, du mouvement stalinien et de la guerre du Vietnam ? Un « 68 » hors-sol, hors contexte ? Comme si le seul problème cette fois serait qu’il aille « jusqu’au bout » ?

Samedi, c’est à Paris que cela va se passer !

La première chose est donc de remettre les compteurs à l’endroit et d’éviter de faire comme le vieux Delescluze de la Commune de Paris qui pensait pouvoir rejouer 1792 dans un monde qui avait changé.

La réalité sociale est devenue plus complexe. D’anciens prolétaires se font autoentrepreneurs et côtoient des petits patrons qui ont les mains dans le cambouis : un problème, vraiment ?

La situation politique est devenue elle aussi plus compliquée. Mais comment pourrait-elle être autrement ? La majorité de notre classe n’a plus confiance dans les organisations syndicales ou politiques. Elle s’abstient plus qu’elle ne vote pour Le Pen, mais sur fond de « populismes » variés et nauséabonds dans toute l’Europe. Dans ces conditions, faut-il croire au miracle du Saint-Esprit ? Même dans les cortèges de grévistes cheminots, combien étaient-ils à trouver que « Marine ne dit pas que des conneries » ? Et à ne rien lâcher face aux patrons, face au gouvernement, tous ensemble ?

On peut bien sûr rester au bord de la piscine et trouver que l’eau est un peu froide à notre goût. On peut aussi se dire qu’on a encore de la chance d’avoir un mouvement social qui s’en prend au « Président des riches » et qui veut comprendre où va l’argent, à quoi il sert, et pourquoi on nous taxe au moment où on supprime l’ISF, au lieu de s’en prendre collectivement et violemment aux migrants comme cela se passe aujourd’hui en Allemagne ou en Italie.

Mais le temps nous est compté.

La montée des idées réactionnaires est partout, y compris dans les quartiers populaires pourtant victimes de racisme et de discriminations. Face au danger, la réponse n’est pas dans la désertion. Elle ne consiste pas non plus à se payer de mots sur les syndicats et leurs directions qui devraient appeler à une « journée d’action interprofessionnelle », en se faisant croire que ça va être possible dans les jours qui viennent. Les directions ne sont pas prêtes et il ne suffit pas de claquer dans les doigts. Par contre la question se posera concrètement samedi de savoir si on en sera, ou pas. Il faudra en être, bien évidemment !

Alors peut-être que les uns et les autres, nous aurions aimé que les choses se passent autrement. Mais pour l’instant, il y a ce mouvement réel et ce mouvement avance. Il se décante même à sa façon, malgré l’absence d’une partie des militants du mouvement ouvrier, même si rien n’est définitivement acquis non plus. Les patrons du transport routier ont sans doute envisagé pouvoir s’en servir. Mais le 19 novembre, le naturel a vite repris le dessus en appelant le gouvernement à dégager les barrages.

Ce mouvement fait partie de notre classe telle qu’elle est et nous avons notre part de responsabilité. Non pas en agitant l’épouvantail des « fachos », en tétanisant notre milieu. Mais en faisant ce qu’ont fait les camarades de la CGT de PSA, en appelant à la grève samedi dernier, sans rien opposer.

Nous savons désormais d’expérience que nos mots d’ordre autour des salaires et de la taxation des riches ne sont pas étrangers, encore moins rejetés par le mouvement. Encore faut-il qu’ils s’expriment en dehors des tous petits milieux de la « gauche sociale et politique » que la plupart des gens n’ont plus envie d’écouter ou ignorent tout simplement. Les interventions d’Olivier et de Philippe, elles, sont écoutées. Leur radicalité antisystème est sans compromis avec les thèses de l’extrême droite et pourtant elles ont un écho. Samedi, il faudra que ces idées s’expriment dans les rues de Paris !