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    "Gilets jaunes" à La Réunion : "C’est une insurrection !"

    Gilets-jaunes

    Lien publiée le 23 novembre 2018

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://www.nouvelobs.com/societe/20181123.OBS5923/gilets-jaunes-a-la-reunion-c-est-une-insurrection.html

    Philippe, 64 ans, médecin hospitalier, raconte son île paralysée par un mouvement inédit.

    La Réunion vit au rythme du mouvement des "gilets jaunes", parasité par le vandalisme des casseurs. Sur l'île, alors que 40% de la population est sous le seuil de pauvreté et 60% des moins de 25 ans sont au chômage, la montée des prix du carburant a i target="_self" target="_blank">mis le feu aux poudres et ravivé les protestations récurrentes contre "la vie chère". Pour déjouer les pillages, l'armée vient d'être appelée en renforts. Philippe, 64 ans, médecin hospitalier, témoigne.

    "L'île est complètement bloquée. Les écoles sont fermées, les commerces n'ouvrent que le matin, l'aéroport est fermé le soir, les pompes à l'essence sont vides ou réquisitionnées pour le personnel soignant et les ambulances. Jeudi, j'ai pu prendre de l'essence à la pompe. Aujourd'hui, il n'y en a plus une goutte dans cette station.

    A l'hôpital, les collectes de sang sont arrêtées, nous sommes alimentés par les centres de la métropole. Il commence à y avoir des pénuries alimentaires. Les boulangeries sont fermées. Je ne sais pas trop ce que je vais manger ce week-end. Il me reste des pâtes, et il y a une petite boutique voisine qui vend des légumes. Jeudi, j'ai trouvé du pain mais j'ai dû le payer d'avance. Il fallait réserver sa baguette avant qu'elle ne soit cuite."

    Ras-le-bol contre la vie chère

    Je n'ai jamais vu cela : il y a des barrages partout, au nord, au sud, à l'est, à l'ouest. Ces barrages sont très mobiles, ils bougent au fur et à mesure de la journée. Les 'gilets jaunes' communiquent via les réseaux sociaux. Par exemple, jeudi, des gendarmes ont été appelés pour libérer un rond-point et il y a eu immédiatement un afflux massif de gens venus de partout. Les forces de l'ordre ont dû faire marche arrière.

    C'est une situation insurrectionnelle. La vie chère, c'est une critique habituelle, mais là le mouvement est incomparable avec tout ce que j'ai pu voir depuis vingt-deux ans que je suis installé ici. Je n'ai jamais connu un mouvement social de cette ampleur. Tous les gens ayant de faibles revenus sont touchés par les taxes et l'augmentation du carburant.

    C'est un mouvement issu de la base, des réseaux sociaux. Ce n'est pas structuré. Il n'y a pas de leader, ce qui complique tout. C'est seulement au bout de sept jours de conflits que les 'gilets jaunes' se sont entendus sur des revendications, mais qui sont irréalistes : aligner les prix sur ceux de la métropole, c'est infaisable.

    Tout est parti du ras-le-bol contre l'augmentation du prix de l'essence, puisque nous avons très peu de transports en commun ici : les gens sont obligés de prendre leur voiture et il y a des embouteillages partout même en temps normal. Puis ça s'est changé en une protestation contre la vie chère : vivre ici coûte beaucoup plus qu'en métropole, les produits sont importés et taxés et leur prix sont 30 à 50 % plus élevés. Au départ, les manifestants étaient les gens qui travaillent et utilisent leur voiture pour cela. Puis, ça s'est étendu à toute la population.

    Le mouvement est très populaire à La Réunion, le soutien est général, à plus de 70%. Les gens mettent leur gilet jaune dans leur voiture pour témoigner leur sympathie, car tout le monde en a marre de ces prix élevés. Même les gens venus de métropole à la retraite se sentent solidaires. Moi-même, en tant que médecin, donc étant un privilégié, je comprends ce mouvement. Il est légitime. Je vois à quel point les gens sont dans la mouise. Par exemple, il y avait beaucoup d'emplois aidés ici, qui ont été supprimés. Bien des gens se sont retrouvés au chômage.

    "Les 'cagnards' rançonnent les gens"

    Les 'gilets jaunes' sont corrects, ils laissent passer les ambulances. Ce sont des gens responsables. Mais il y a les autres, des jeunes qui boivent des bières, que l'on appelle ici des 'cagnards'. Ils mettent des palettes pour bloquer la route et rançonnent les gens. C'est dix euros pour passer. Et ils se livrent à des pillages. Autrefois, les émeutes se limitaient au Chaudron, un quartier défavorisé de Saint-Denis. Cette fois, les pillages ont lieu partout sur l'île, malgré le couvre-feu. Tous les petits commerces vendent du tabac ici, beaucoup de gens fument. Donc ils volent les cigarettes et l'alcool. Le supermarché Jumbo a brûlé.

    Pire, il y a un ou deux jours, j'ai su qu'un chirurgien avait été appelé la nuit pour une opération. Il s'est retrouvé coincé à un barrage de 'cagnards'. Ils l'ont empêché de passer, ils ont cassé sa voiture et lui ont tapé dessus avec des barres de fer... Il a eu trois jours d'ITT. Et je ne sais pas si le patient a pu être opéré. Moi-même, il y a deux jours, j'étais à un barrage de ce type à 200 mètres de l'hôpital avec un collègue, ils ne nous ont pas laissés passer. 'Rien à foutre', ils m'ont répondu.

    Le sentiment 'anti-zoreilles' ressort. Les 'zoreilles', ce sont les blancs venus de métropole. Ce fond de racisme est tout le temps présent ici. Il y a beaucoup d'envie. A la radio, j'entendais un médecin raconter avoir été bloqué ; une auditrice a appelé ensuite pour dire qu'il n'avait qu'à rentrer chez lui… Alors qu'il est utile à la population ! A certains barrages, si vous êtes blanc, vous serrez les fesses. Vous vous dites qu'ils vont bousiller votre bagnole et vous casser la gueule.

    Ce qui m'inquiète, c'est que je ne vois pas d'issue à ce mouvement. Il n'y a pas de représentant, les syndicalistes sont dépassés. La venue de la ministre ne fera qu'envenimer les choses. En bref, ça devrait encore durer.

    Propos recueillis par Cécile Deffontaines