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Vers un bloc antibourgeois?

Lien publiée le 27 novembre 2018

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https://www.liberation.fr/amphtml/debats/2018/11/26/vers-un-bloc-antibourgeois_1694416

Par Bruno Amable, professeur à l’université de Genève 

Et si la colère des «gilets jaunes» remettait surtout en cause la transformation néolibérale radicale imposée par le gouvernement ?

Cela ne va pas très fort en macronie en ce moment. Emmanuel Macron, toujours prêt à relever les défis, vient d’accomplir ce qu’on pensait impossible : devenir plus impopulaire que François Hollande (26 % de bonnes opinions contre 29 % pour Hollande au même stade de son mandat d’après le baromètre BVA). Et si le chef de l’Etat n’est pas encore convaincu de l’extrême exaspération d’une large partie de la population à l’égard de sa politique, le mouvement des «gilets jaunes» est là pour le mettre face à la réalité.

Un élément central de l’élection d’Emmanuel Macron et de la victoire de La République en marche en 2017 est que, malgré des scores en apparence impressionnants, la base sociale du nouveau régime est très étroite. Amené au pouvoir avec le soutien du «bloc bourgeois» (1), Emmanuel Macron a pu, grâce aux institutions de la Ve République, se dispenser de chercher des alliances politiques au-delà de LREM, ce qui aurait pu élargir le soutien du nouveau pouvoir au-delà de son noyau dur. Le bloc bourgeois - pour simplifier, les classes supérieures et moyennes supérieures qualifiées - est numériquement faible : de 10 % de l’électorat (les groupes sociaux favorables à une transformation néolibérale radicale du modèle socio-économique français) à 25 % si on ajoute les groupes sociaux un peu moins fanatiques de la «réforme».

Mais si le bloc bourgeois n’est pas majoritaire, les groupes sociaux qui en sont exclus ne forment pas un bloc susceptible de l’être non plus. Il n’y a pas (encore ?) de stratégie politique capable d’agréger des groupes aux attentes divergentes voire contradictoires. Il n’est qu’à voir l’éclatement de l’opposition à LREM entre des forces politiques de gauche, de droite et d’extrême droite. Il est impossible d’envisager un projet politique commun à ces différents partis. Du côté des groupes sociaux, il subsisterait a priori, parmi ceux exclus du bloc bourgeois, une telle hétérogénéité des demandes en matière de politique économique que la formation d’un bloc antibourgeois semble très difficile.

Et pourtant, le mouvement des «gilets jaunes» représenterait-il la première étape de la constitution d’un tel bloc ? Sous réserve d’études approfondies, il semble bien que la composition du mouvement, classes populaires et «petites» classes moyennes, soit adéquate. Mais la constitution d’un bloc social suppose une stratégie politique, notamment dans sa dimension économique. C’est la réponse à cette question qui déterminera la vraie nature du mouvement des «gilets jaunes» : une manifestation réactionnaire, comme peuvent l’être le Tea Party aux Etats-Unis ou Pegida en Allemagne, ou bien l’amorce de la convergence des luttes tant attendue depuis Nuit debout.

La question de la résistance à la taxation (du diesel entre autres) est plus complexe qu’il n’y paraît. La contestation de l’impôt est un thème classique de la droite ; et on a vu certains membres du gouvernement tenter d’utiliser la demande de «moins d’impôts» pour prétendre y voir une confirmation du bien-fondé du programme économique macronien. Certains thèmes connexes (on ne fait rien pour nous alors qu’on dépense trop pour les migrants, les «cassos», les chômeurs…) témoignent aussi de l’existence d’attentes de droite au sein de certains groupes des classes populaires.

Mais une telle évolution n’est pas inévitable. Le thème du pouvoir d’achat des ménages à revenus modestes, sous-jacent à toutes les revendications des «gilets jaunes», est un thème de gauche. La contestation des taxes n’est pas séparable non plus de la constatation d’une dégradation des services publics (l’impression de payer pour rien). La défense de ce service est un thème de gauche par excellence. La hausse de certaines taxes qui pèsent sur le pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes, les coupes dans les allocations logement et autres transferts, ne sont pas dissociables de la suppression de l’impôt sur la fortune ou de la conversion du CICE en baisse de charges sociales.

Bref, quand, en plus, on connaît l’importance des prestations sociales dans le revenu des classes populaires, il est envisageable de canaliser la colère des «gilets jaunes» vers la remise en cause de la transformation néolibérale radicale du modèle socio-économique français entreprise par le pouvoir macronien et de la poursuite d’une politique économique menée au bénéfice de la fraction la plus aisée du bloc bourgeois.

Bruno Amable professeur à l’université de Genève