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L’imaginaire contestataire du XXe siècle

Lien publiée le 30 novembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.zones-subversives.com/2018/07/l-imaginaire-contestataire-du-xxe-siecle.html

L’imaginaire contestataire du XXe siècle

Une filiation contestataire relie le punk au dadaïsme. Le refus du conformisme et des valeurs bourgeoises rythme l'histoire culturelle et politique du XXe siècle. Nourris par la critique de la vie quotidienne, différents mouvements attaquent l'ordre établi. 

La pop culture doit être prise au sérieux. La musique punk incarne le désir de changer le monde et de changer la vie. Les Sex Pistols s’attaquent à Dieu, à l’Etat, au travail et aux loisirs, à la famille, au sexe, et même à leur public. Ce ne sont pas des faits naturels, mais des constructions idéologiques qui ont été fabriquées et qui peuvent donc être modifiées ou abolies.

Cette critique de la société moderne est également développée par l’Internationale situationniste. Ce groupe devient connu à travers la révolte de Mai 68. Il s’inspire du jeune Karl Marx, mais aussi des surréalistes et du mouvement Dada. Il ironise même sur l’aliénation des « vacances » incarnée par le Club Med.

Malcolm McLaren, fondateur des Sex Pistols, est influencé par les idées situationnistes. La critique de la vie quotidienne relie les avant-gardes artistiques et les contre-cultures. Le journaliste Greil Marcus déroule cette filiation dans son classique Lipstick Traces.

                                 

Punk et Dada

Malcolm McLaren et les Sex Pistols rejettent le rock n’ roll. Cette musique n’incarne plus la révolte, mais la passivité et l’ennui. Ils veulent utiliser les armes du rock contre lui-même. Ils s’opposent au culte du professionnalisme de la technique pour mieux libérer une colère et une frustration. « C’était un concentré de chaos, une mise en scène des derniers jours de la vie quotidienne. Par toutes sortes d’émotions elle allait frapper au visage ceux qui hésitaient entre la fixité d’un regard vide et une grimace sardonique », décrit Greil Marcus.

Le punk remet en cause les hiérarchies, notamment entre gouvernants et gouvernés, et attaque les valeurs morales traditionnelles. Une culture punk dessine une nouvelle civilisation. « Les équations émergeaient, qui remplaçaient le travail par la paresse, la position sociale par la réprobation, la gloire par l’infamie, la célébrité par l’obscurité, le professionnalisme par l’ignorance, la politesse par l’injure », observe Greil Marcus. La critique de la culture de masse est elle-même devenue une culture de masse. Le punk s’impose au cœur de la musique pop.

Le Club Dada de Berlin se développe dans le contexte de la révolution allemande de 1918. Des conseils d’ouvriers, de soldats et d’intellectuels s’organisent de manière spontanée. Dada attaque la culture allemande par l’humour, la satire et l’ironie. Sur scène, les dadaïstes proposent poésie incompréhensible avec des gestes fous, des chansons ridicules et des insultes au public.

Le punk se rapproche de dada. Pour la théorie dada, l’art peut être fait à partir de n’importe quoi. Pour la théorie punk, tout le monde peut faire de l’art. Ensuite, les deux mouvements expriment une provocation critique. Dada apparaît comme de l’anti-art tandis que le punk se présente comme un anti-rock. « L’acte dada primaire était compris comme l’attaque du public par l’artiste ; les punks juraient et crachaient depuis la scène », observe Greil Marcus.

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Contestations artistiques

Les origines de Dada révèle une démarche artistique et politique. Le Cabaret Voltaire émerge à Zurich pendant la première guerre mondiale. Il regroupe des artistes qui rejettent l’esprit militariste et patriotique. Tristan Tzara, Hugo Ball et Richard Huelsenbeck proposent des soirées originales. Une « soirée expressionniste », explicitement anti-allemande et anti-guerre, permet une lecture de poèmes sonores sans le moindre sens. Le public est invité à interrompre le spectacle.

Les conventions de l’art ressemblent aux conventions sociales. Dada aspire donc à la destruction de l’art. « Qu’est-ce que le dadaïsme et que veut-il en Allemagne ? », interrogent Richard Huelsenbeck et Raoul Hausman. Ils proposent la généralisation du chômage pour donner à chaque individu « la possibilité de prendre conscience de la réalité de la vie et de s’habituer enfin à faire sa propre expérience ». Ils proposent également la création dans chaque ville d’un « Conseil Dadaïste pour la réorganisation de la vie ».

Les situationnistes se réfèrent à la Commune de 1871. Leur fameux texte Sur la commune considère cette révolte comme « la plus grande fête du XIXe siècle ». Les insurgés reprennent le contrôle de leur vie quotidienne et deviennent maîtres de leur propre histoire. « La Commune de Paris avait laissé aux rares personnes qui voulaient se la rappeler le souvenir d’un changement dans les structures qui gouvernent le travail, la famille et les loisirs – d’une dissolution de ces structures, de ces séparations », commente Greil Marcus. Les situationnistes critiquent une société moderne qui réduit les besoins et les désirs au stade de la simple « survie ». L’économie domine la vie et transforme les individus en consommateurs passifs.

L’utopie millénariste nourrit également l’imaginaire contestataire du XXe siècle. Certes, les surréalistes attaquent la religion. La fameuse photo de Benjamin Péret insultant un prêtre incarne la détestation de l’Eglise et de la religion. Michel Mourre lance un prêche à Notre-Dame. Il dénonce l’imposture de la religion, mais au nom d’un idéal authentique. En revanche, Guy Debord estime que l’espérance révolutionnaire se nourrit des révoltes millénaristes de l’époque médiévale. Thomas Müntzer lance une révolte paysanne dans l’Allemagne de 1525. Ce mouvement aspire à réaliser le royaume de Dieu sur terre. Le mouvement du Libre Esprit abandonne même le puritanisme religieux. Il valorise le plaisir contre le travail.

                         

             Debord, La guerre de la liberté..., 1954    

Jeunes lettristes

Les jeunes lettristes de l’Internationale lettriste (IL) veulent rendre la vie passionnante. Ils préfèrent l’intensité du vécu au confort de la bourgeoisie moderne. Ils préfèrent l’amour au vide-ordures. La vie doit également se réinventer chaque jour. Les jeunes lettristes pratiquent la dérive pour découvrir des ambiances nouvelles. « Chaque jour, les membres de l’IL arpentaient les rues non comme des êtres prisonniers des salaires et des prix, non comme des employés, des clients ou des touristes, mais comme des voyageurs dans un labyrinthe révélé par leur souhait de le trouver », présente Greil Marcus.

Les membres de l’IL veulent devenir « maîtres et possesseurs de leur propre vie ». Guy Debord tente de relier la poésie et la révolution sociale pour permettre une transformation radicale de la vie. « Ne travaillez jamais » devient le mot d’ordre qui relie les jeunes lettristes aux Sex Pistols, en passant par l’insurrection de Mai 68.

Isidore Isou, fondateur du lettrisme, invente le cinéma discrépant. Il mélange les images et le son, et raye ses pellicules. En 1951, il organise un scandale au festival de Cannes pour imposer son cinéma expérimental. Son film est projeté et obtient même un « Prix de l’avant-garde » créé pour l’occasion.

Le jeune Guy Debord rencontre le groupe lettriste à cette occasion. Il propose de « détruire le cinéma ». Son film, Hurlements en faveur de Sade ne comprend aucune image et parfois même aucun son. La salle de projection est alors entièrement plongée dans le noir. Le public quitte le cinéma en colère et demande à être remboursé. Ce qui provoque un véritable scandale. L’objectif de ce cinéma est de sortir le spectateur de sa passivité.

Guy Debord et les jeunes lettristes attaquent également Charlie Chaplin. Ils dénoncent une « escroquerie aux sentiments ». Ils estiment que le cinéma de Chaplin est désormais reconnu et n’exprime plus aucune créativité. « Nous croyons que l’exercice le plus urgent de la liberté est la destruction des idoles, surtout quand elles se recommandent de la liberté », soulignent les jeunes lettristes.

                     

Insurrection situationniste

L’Internationale lettriste (IL) propose le dépassement de l’art et la fin du travail. Elle ne s’appuie pas sur une critique de la souffrance sociale. Elle propose au contraire une remise en cause de la société à travers « une critique globale de son idée de bonheur ».

L’IL participent à la création de l’Internationale situationniste en 1957. Ce groupe d’artistes développe une théorie révolutionnaire qui influence le mouvement de Mai 68. Les situationnistes diffusent « une révolte contre la société et son idée de bonheur, contre l’idéologie de la survie, une révolte contre un monde où chaque élévation du niveau de vie induisait une élévation du "niveau d’ennui" », décrit Greil Marcus. La revue Internationale situationniste, avec sa couverture métallisée et son style littéraire, attaque les bureaucrates, les technocrates, les dirigeants syndicaux, les intellectuels de gauche, l’Etat-providence, les urbanistes, les léninistes, les artistes, les professeurs, les étudiants et les anarchistes. Tous les courants politiques sont critiqués, en dehors des situationnistes.

L’agitation étudiante, de Strasbourg à Nanterre, se nourrit des idées situationnistes.Les communistes libertaires de 1968 diffusent une révolte joyeuse qui remet en cause tous les aspects de la vie quotidienne. L’insurrection de la jeunesse débouche vers une généralisation de la grève. « Le mouvement des occupations était évidemment le refus du travail aliéné ; et donc la fête, le jeu, la présence réelle des hommes et du temps », analyse Guy Debord.

Le livre de Greil Marcus se présente plus comme une mosaïque de récits. Cependant, il ne propose aucune une analyse critique des mouvements révolutionnaires. La description prime sur le recul historique et la réflexion.

Mais sa narration permet de faire revivre l’esprit libertaire de mouvements artistiques et politiques qui ont marqué le XXsiècle. Il trace une continuité entre les avant-gardes artistiques et la pop culture. Le journaliste refuse de hiérarchiser les diverses formes d’expression créative. Ce qui renvoie d’ailleurs à la démarche de dada, malgré la muséification de cette créativité burlesque.

Greil Marcus insiste également sur la dimension politique et libertaire de ces différents mouvements. Ces révoltes remettent en cause l’ordre existant. Elles s’appuient également sur une critique de la vie quotidienne. Les vieilles valeurs bourgeoises de la civilisation marchandes sont attaquées. Ces mouvements entendent changer le monde pour bouleverser tous les aspects de la vie.

Source : Greil Marcus, Lipstick Traces. Une histoire secrète du vingtième siècle, traduit par Guillaume Godard, Allia, 2018

Articles liés :

L'explosion dada

Michèle Bernstein et la vie des situationnistes

La diffusion des idées situationnistes

Une histoire du mouvement punk

Pour aller plus loin :

Vidéo : Greil Marcus, L'esprit punk, émission Tracks diffusée sur Arte le 19 novembre 2016

Vidéo : Greil Marcus, Anatomie de la contre-culture, émission Tracks diffusée sur Arte le 19 novembre 2016

Vidéo : Punk, philosophie et lutte des classes, émission Tracks diffusée sur Arte le 19 novembre 2016

Vidéo : Conférence de Gérard Berréby au CipM de Marseille - 1er avril 2011

Radio : émissions avec Greil Marcus diffusées sur France Culture

S.Kaganski / A.Vivian, Greil Marcus - Les lèvres nues, publié dans le magazine Les Inrockuptibles le 9 décembre 1998

Revue de presse publiée sur le site des éditions Allia