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Stratégie et centralité pour une majorité populaire, par François Cocq

France-Insoumise

Lien publiée le 1 décembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://francoiscocq.fr/2018/11/28/strategie-et-centralite-pour-une-majorite-populaire/

Lundi 26 novembre, j’ai accordé un long entretien à l’AGAUREPS-Prométhée pour sa Lettre du mois n°135. C’était là l’occasion d’approfondir le débat sur la ligne stratégique défendue par La France insoumise et sur le populisme notamment. Hasard du calendrier, j’ai depuis été retiré de la liste de La France insoumise pour les élections européennes. L’entretien ci-dessous à retrouver intégralement sur le site de l’AGAUREPS-Prométhée permet d’éclairer les raisons qui ont présidé à mon éviction ou au contraire les rendre d’autant plus incompréhensibles. A vous de juger.

AGAUREPS-Prométhée – François Cocq, vous avez formulé cet été des critiques à l’égard de ce que vous interprétez comme un virage stratégique de la part du mouvement La France Insoumise. Vous avez en effet parlé de « grand bond en arrière » à propos de la ligne stratégique qui s’est dessinée ces deux derniers mois. Pouvez-vous revenir sur vos critiques ?

François Cocq – J’ai porté au début de l’été des interrogations. Je m’inquiétais alors d’une inflexion stratégique, à savoir une réinscription visible et assumée de La France insoumise au sein de « la gauche » pour en prendre ce que Jean-Luc Mélenchon appelait fin juin « le leadership ». La rentrée de septembre a confirmé cette inquiétude, les termes « rassemblement de la gauche » et même « union de la gauche » faisant leur retour non seulement dans la bouche de celles et ceux qui étaient en passe de se rapprocher de LFI, mais aussi jusque dans la bouche de certains cadres de La France insoumise. Cette séquence a indubitablement marqué une rupture par rapport à la précédente où l’ambition de fédérer le peuple passait par la mise à distance du terme « gauche » lui-même.

Il me semblait donc normal de s’interroger sur la nature et l’efficacité supposée du processus : était-ce là une passade stratégique ? Si oui quelle était sa temporalité et comment s’articulait-t-elle avec la construction d’une majorité populaire ? Ou alors était-ce une bifurcation de plus grande ampleur ? Et pour quels résultats ? Voilà les questions que j’ai mises sur la table.

Le problème n’était bien sûr par l’idée de gauche en tant que telle. L’histoire, les valeurs, les combats du mouvement ouvrier et des forces de la transformation républicaine et sociale de la société, sont le fondement de mon engagement. Mais de reniements en renoncements, la « gauche » a vu à la fois son assise électorale s’éroder, mais aussi sa capacité propulsive se dissoudre. Regardez : les dernières enquêtes estiment le total gauche aujourd’hui autour d’à peine 30% et même parfois en-dessous! Nous sommes désormais loin des 45% qu’on connaissait en 1978 soit trois ans avant l’accession de François Mitterrand à l’Elysée, ou même encore en 2010 deux avant l’élection de François Hollande. Le « leadership » sur ce camp ne peut donc à lui seul suffire aujourd’hui. Il n’existe pas aujourd’hui de débouché majoritaire sur la base d’une simple re-latéralisation. Il faut dès lors construire une nouvelle forme de centralité, non au sein de la gauche, mais du pays tout entier.

Alors bien sûr j’ai noté que ces dernières semaines nous étions revenu sur un discours dans lequel je me reconnais bien plus, où le fait de vouloir fédérer le peuple a repris toute sa place. Je m’en félicite, même si l’on a parfois l’impression qu’il s’agit là d’une réponse un peu sous la contrainte aux évènements récents que nous avons connus. On y a sans doute perdu en cohérence et en force de conviction. Mais la route est longue et, la boussole retrouvée, on reprend la marche en avant.

AGAUREPS-Prométhée – Vous parlez de conquête de la centralité. Qu’est-ce que vous entendez par là ?

François Cocq – La gauche ne s’est pas contenté de s’effondrer électoralement. Pilonnée par 30 ans de martèlement de pensée individualiste et libérale, la gauche a perdu sa force dynamique et sa capacité d’entraînement sur la société. Et peut donc de moins en moins prétendre rassembler autour d’elle sur un deuxième tour électoral par exemple. Regardez : on pourrait penser que les gens qui souffrent en ont marre qu’on restreigne leur accès aux droits et qu’on les pressure au nom de l’orthodoxie libérale. Pourtant un sondage publié en juin dernier estimait que 71% des Français sont favorables à la baisse des dépenses publiques. C’est cette contradiction là à laquelle il s’agit de répondre.

C’est le même hiatus que l’on constate dans le mouvement des gilets jaunes : dans un même mouvement il y a d’un côté celles et ceux qui réclament plus de services-publics parce qu’ils sont en situation de relégation spatiale, sociale, économique et même démocratique ; et de l’autre il y a ceux qui crient au ras-le-bol fiscal et dénoncent les taxes. Il y a pourtant un point de jonction possible : l’impôt républicain dès lors qu’il exprime la justice fiscale qui préside au consentement que peuvent lui accorder les citoyens. Mais pour cela encore faut-il créer les conditions de cette justice fiscale en multipliant les tranches d’imposition (L’Avenir en commun en propose 14) pour que chacun paye proportionnellement à ses revenus, et dans le même temps en faisant une chasse sans concession aux fugitifs fiscaux, qu’ils trichent dans nos frontières ou qu’ils cherchent à y échapper par une cavale fiscale à l’étranger.

Cette analyse a présidé il y a moins de trois ans à l’émergence de La France insoumise. Elle reste selon moi plus que jamais d’actualité. Avec l’élection d’Emmanuel Macron, on est même conduits à penser que le rapport de force institutionnel s’est encore dégradé.

Dans ces conditions, il convient de chercher à construire une majorité populaire en se plaçant au carrefour des attentes des gens tout en prenant en compte les aspirations de certaines forces privilégiées. Autrefois on appelait cela une alliance de classe parce que le ferment commun se situait d’abord dans l’ordre économique et social. Aujourd’hui, l’émiettement de la société après la parcellisation résultant de l’individualisme à tout crin complique l’accès à cet espace tandis qu’il fait surgir de nouveaux espaces de consentement à du commun. La centralité qui s’en dégage est alors une combinaison de rupture et de stabilité. Rupture avec l’existant dans l’ordre a-démocratique. Et assurance de stabilité dans les sphères de constitution des libertés (service-public, protection sociale, sûreté…). Bref, la volonté de se rendre acteur du fait que demain sera meilleur et plus sûr pour ses enfants. Or cette préoccupation traverse l’ensemble de la société. Une réponse humaniste, émancipatrice et universaliste peut convaincre au-delà du seul camp de la gauche pour peu que l’émetteur soit orienté grand angle. Cette recherche de centralité, ce n’est rien d’autre que le mot d’ordre fédérer le peuple.

AGAUREPS-Prométhée – Dans un article plus récent intitulé « des raccourcis et des impasses » vous vous opposez de la même façon à l’idée d’un référendum anti-Macron. Le président Emmanuel Macron vient pourtant de chuter de façon spectaculaire dans les enquêtes de popularité. Pourquoi cette ligne ne vous semble-t-elle pas pertinente ?

François Cocq – Emmanuel Macron a surgi comme une réponse politique à la situation de blocage démocratique qui se profilait à l’occasion de l’élection présidentielle de 2017. Le personnage Macron, le récit Macron, la politique Macron, anticipaient l’effacement des vieilles structures pour mieux prolonger l’orthodoxie libérale mondialiste. Le fondement de son élection est donc qu’il représentait dans l’imaginaire collectif cette rupture stable que j’évoquais. Macron était la réponse du système à la lame de fond destituante qui traverse l’Europe et qui promettait de venir frapper la France de plein fouet.

Seulement voilà : non seulement la présidentielle n’a pas purgé la question, mais Emmanuel Macron et les siens sont à leur tour balayés par cette vague destituante qui se prolonge. Cette vague les emporte dans le champ institutionnel quand ils se parent des oripeaux de la 5ème République agonisante. Voyez les comédies des départs de Hulot et Collomb ou les palinodies pour le perchoir de l’Assemblée. Elle les balaie quand les pratiques macronistes se révèlent en contradiction flagrante avec la vertu républicaine, et je pense notamment là à l’affaire Benalla ou avec les cas Ferrand ou Nyssen. Cette vague atteint jusqu’au mouvement du président, la structure LREM ayant été phagocytée par le groupe parlementaire et ayant donc abandonnée l’ambition décisive qu’elle avait su incarner (comme La France insoumise soit dit en passant) d’être le chaînon manquant démocratique entre les gens et leur représentation. Cette vague destituante frappe enfin la politique de M. Macron qui est mis en échec sur ce qu’il présentait comme son principal champ de compétence, l’économie, et sur ce que de plus en plus de personnes jugent comme le paradigme structurant d’aujourd’hui et de demain, l’écologie. Mais le meilleur témoignage de la poursuite du phénomène destituant reste bien sûr ce mouvement des gilets jaunes qui, tout en réinventant les codes en laissant les gens s’auto-organiser, manifeste une rupture du consentement et pose donc en filigrane la question de la légitimité du pouvoir par delà l’élection.

On a donc la sensation qu’Emmanuel Macron est à son tour frappé de progéria, vous savez ce vieillissement accéléré qui, en politique, le renvoie déjà dans l’ancien monde dont il souhaitait se démarquer. Macron est déjà dans les poils du balai.

Mais Macron en tant que tel n’est pas l’objet du blocage politique comme pouvait l’être Rajoy en Espagne et qui fait que la population respire depuis l’éviction du PP. Macron est un artefact du système. Il n’en est que le dernier avatar avant le suivant. Réduire le combat à un référendum anti-Macron, c’est prétendre faire disparaître un simple symptôme quand le métabolisme de la société, à défaut d’avoir enclenché le processus global de guérison, rejette déjà de lui-même les greffes qui lui sont imposées. On l’a vu lors de l’élection législative partielle de l’Essonne il y a quelques jours. Certes le retour à la ligne du rassemblement de la gauche a subi un échec patent. Mais au-delà, la candidature anti-Macron portée par La France insoumise est demeurée sans ressort populaire faute d’avoir su traduire l’aspiration des gens à la reconquête de leur dignité par la reconquête de la souveraineté. S’il ne véhicule pas en premier lieu ce message démocratique fort, tout passage aux urnes, quand bien même il cible Macron, peut se traduire par le fait d’être soi-même emporté par la vague dégagiste. « Le peuple sait foudroyer les tyrans. Mais il ne visite point les épiciers » disait déjà Maximilien Robespierre, entendant par là que la capacité de mobilisation sur les questions démocratiques permettait d’aboutir à la question sociale.

Alors bien sûr, si parler de référendum anti-Macron sert à exprimer que Macron n’est jamais que l’émissaire colonial de Bruxelles mis en place pour appliquer la politique de la Commission, très bien. Encore qu’il ne faille pas minimiser le rôle d’acteur de Macron qui, bien conscient de l’impasse démocratique en Europe, cherche à passer en force avec sa souveraineté européenne. Mais il ne faudrait pas que cette idée de référendum anti-Macron réduise à sa seule personne le phénomène dégagiste qui s’exprime à l’endroit de l’UE. La France insoumise y perdrait une force importante dans le même temps qu’elle libérerait un espace dans lequel ne manquerait pas s’engouffrer l’extrême-droite sous toutes ses formes. Or c’est justement l’honneur de LFI que d’avoir su faire reculer le FN par exemple sur ce terrain.

Le référendum anti-Macron a par ailleurs ses propres limites. Voyez les gilets jaunes. Ils ont pu faire leur le mot d’ordre “Macron démission”, mais déjà le mouvement a muté dans l’action. Il a progressivement assumé sa dimension politique et élevé son ambition démocratique, là en appelant à des Etats-généraux, ailleurs en se voulant assemblées locales constituantes, et partout en dépassant le dégagisme à l’endroit du président pour exprimer dans les slogans et sur les pancartes la fierté recouvrée en se voyant si nombreux et la force et l’énergie que cela génère. Le cas Macron est d’une certaine façon déjà scellé.

Je vois enfin dans ce référendum deux contradictions. La première est que chacun sait que ce combat ne peut être gagné. Macron ne partira pas au lendemain des élections européennes, quel que soit le résultat. Au mieux changera-t-il de premier ministre, sans doute même pas de politique. Parler d’un référendum lors d’une élection européenne, scrutin de liste à la proportionnelle, pour envoyer des gens au Parlement européen, et qui ne saurait être pourvu des attributs des élections mi-mandat aux Etats-Unis par exemple, rend l’objet du vote caduc. La seconde est que si le mot d’ordre « référendum anti-Macron » visait à regrouper les oppositions, le processus de re-latéralisation l’a rendu sans effet.

AGAUREPS-Prométhée – Il est parfois reproché à La France insoumise d’être uniquement dans une attitude contestataire. Mais il est difficile de produire de l’adhésion positive dans un contexte de reculs sociaux. Sur quelle base et avec quel discours est-il possible de produire une telle adhésion ?

François Cocq – Je pense en effet que le point de jonction entre différentes demandes ne peut se faire qu’en mettant en avant non pas un ressentiment commun mais une aspiration commune. La difficulté est que, comme vous le notez, c’est rarement dans les périodes de reflux social que peut être générée une telle adhésion. Sauf à ce que la surface de celle-ci se décale des problématiques sociales pour mieux les englober. Qu’est ce qui frappe d’abord les gens ? La fuite en avant vers l’atomisation, le recul des droits, la perte du sentiment d’appartenance à une communauté politique. La réponse ? Le retour à l’ordre des droits. La méthode ? La reconquête par le peuple de sa souveraineté. La reprise en main de la capacité de choisir ce qui est bon pour soi et ce qui est bon pour tous est un recouvrement de la dignité individuelle et collective. En France, il porte un nom : la Liberté. C’est l’idéal premier du triptyque républicain. C’est par elle qu’a pris corps et chair la Grande Révolution de 1789. Transposée aujourd’hui, cette liberté c’est la reconquête de notre souveraineté pour proposer un débouché émancipateur.

AGAUREPS-Prométhée – Les sondages indiquent que l’affaire des perquisitions a impacté le score potentiel de La France insoumise pour les élections européennes et que l’image de Jean-Luc Mélenchon s’est dégradée auprès des Français. Comment rebondir ?

François Cocq – Bien sûr, cette séquence a eu un impact douloureux qu’il serait contre-productif de nier. Pour autant, les perquisitions et les calomnies médiatico-politiques n’ont pas suffi à mettre à terre La France insoumise.

Le mouvement possède une capacité de rebond dès lors qu’il sera en capacité de regagner ses galons sur le terrain de l’action et de l’utilité politique. Le mouvement a besoin de réaffirmer sa position et son existence propre, non en suiviste ou copiste du groupe parlementaire, ce qu’il a trop fait depuis juin 2017, mais en agissant en parallèle et parfois en décalé de celui-ci. L’un doit jouer ce rôle de chaînon manquant démocratique du quotidien vers l’autre qui doit affermir notre légitimité collective en étant une puissance agissante dans le cadre institutionnel. L’un doit être éruptif quand l’autre doit être effusif. Mais l’un et l’autre doivent pareillement permettre aux forces magmatiques qui agitent notre société de se déverser la force du peuple sur notre vie publique.

Quant à Jean-Luc Mélenchon, je lui fais toute confiance pour regagner progressivement dans le cœur et les âmes des Français l’estime et la confiance qu’il avait su susciter et qui demeurent présentes chez beaucoup. Sa capacité à parler au grand nombre de ce que nous sommes et avons à faire collectivement n’a pas disparu et reste au contraire plus que jamais nécessaire dans un paysage politique où les autres organisations et leaders politiques continuent à dégringoler la pente du désaveu populaire.

AGAUREPS-Prométhée – Quelle stratégie est-ce que vous préconisiez pour La France insoumise à l’occasion de ces élections européennes ?

François Cocq – Emmanuel Macron a de longue date préparé le terrain et tendu un piège pour ces élections européennes. Il y a plus d’un an maintenant, dans son discours de 2017 aux ambassadeurs puis dans ses discours d’Athènes et de la Sorbonne, il a organisé une partition binaire de l’espace politique : d’un côté ceux qu’il appelle les progressistes. De l’autre ceux qu’il a d’abord traités de souverainistes, puis de populistes, puis de nationalistes, aujourd’hui d’illibéraux. Chacun est sommé de se ranger derrière l’une ou l’autre de ces deux bannières. Cette collusion d’intérêts est bien comprise par les sparring-partners adoubés par Macron que sont Orban et Salvini en Europe et Le Pen en France.

La première des tâches consiste donc d’abord à ne pas se soumettre à cette grille de lecture pour ne pas se faire phagocyter. Et pour cela il faut choisir le terrain de la confrontation qui ne peut être ni la question identitaire, ni la vassalisation européenne pour s’inscrire plus avant dans la mondialisation capitaliste.

Le constat ensuite, c’est que plus personne dans ce pays ne croit à la fable d’une Union européenne qui protège. Encore moins à celle de « l’Europe sociale » que l’on construirait patiemment en gagnant des positions au sein des institutions de l’UE. Même Juncker s’est résolu à l’avouer lorsqu’il a déclaré en 2015 qu’« il ne peut y avoir de choix démocratique hors des traités européens ». Il y a donc besoin d’une rupture assumée dans le cours de la construction européenne et non d’un réaménagement à la marge. Quelle est la nature de cette rupture ? L’Union européenne se fait aujourd’hui hors les peuples et donc contre les peuples. Et bien il faut que les différents peuples aient la possibilité de décider de ce qui les concerne.

Je suis convaincu que le fond de l’air sera dégagiste lors de cette élection quand bien même ce n’est traditionnellement pas le cas pour ce type d’élection. Mais celle-ci n’aura rien à voir avec celles qui l’ont précédée : le mémorandum grec est passé par là ; le Brexit est passé par là ; les blocages démocratiques institutionnels sont partout installés. Dès lors la question démocratique apparaît clairement comme première car toute politique de progrès écologique et social est impossible sans une réappropriation de cette liberté qui nous fonde en tant que citoyens. En remettant au cœur la communauté politique des citoyens, on rompt à la fois avec la fuite en avant que promeut Emmanuel Macron avec sa « souveraineté européenne », nouvel artifice pour museler les peuples et déléguer leur souveraineté à la pieuvre technocratique de Bruxelles, mais aussi avec les constructions ethniques, fermées et du repli sur soi promues par l’extrême-droite et les populismes identitaires. Cette élection est l’occasion d’ancrer une position de fond sur la question européenne pour en faire un acquis en perspective de la bataille décisive de 2022, notamment en ce qui concerne la capacité à imposer un rapport de force vertueux par la désobéissance immédiate aux traités sur les points sur lesquels le peuple aurait donné mandat.

AGAUREPS-Prométhée – Après un « moment populiste », les forces progressistes qui ont mis en place des stratégies de conquête de la transversalité dans des contextes électoraux tendent à se re-latéraliser à gauche. Quelle en est la raison selon vous ?

François Cocq – Il y a toujours un moment où l’on a tendance à se dire qu’il faut sécuriser une avancée pour en faire un acquis. C’est de bonne guerre. Pour autant, il ne faut pas anticiper sur des temporalités qui ne sont pas advenues. Si le temps destituant se prolonge, ce serait une erreur de se placer en extériorité et de revenir sur d’anciens schémas. Or je suis convaincu que les blocages démocratiques vont encore s’approfondir. L’alternance gauche-droite a vécu. Les gouvernements de grande coalition installés pour palier cette fin de cycle, 16 sur 28 en Europe en 2014, ont déjà fait leur temps. Désormais ni majorité, ni grande coalition, sinon bancales, ne sortent des urnes. Regardez l’Espagne, l’Italie, l’Autriche… et encore récemment la Suède. En Allemagne, le total CDU/CSU + SPD pointait à 42 % des intentions de votes début octobre là où il représentait encore près de 70% il y a peu ! La grande coalition est aujourd’hui sous la menace de blocages démocratiques dans les länders ! Le mouvement est global et va donc se poursuivre. Le retour dans les anciens prés carrés n’apporte aucune réponse à cette question. Au contraire, il immobilise. Regardez en Espagne. Podemos a fait ce choix et a depuis perdu la main. Sanchez a tout loisir d’affermir son assise tout en reprenant à son compte les standards économiques et sociaux du gouvernement précédent. Retourner dans le giron électoral de la gauche, c’est se ré-enfermer dans cette impasse démocratique.

Alors j’en comprends la tentation. Car il est une question sur laquelle nous achoppons dans tous les pays : comment vaincre cette peur du chaos que les dominants savent si bien mettre en scène et qui nous fait refluer dans les derniers jours d’une élection à chaque fois que le pouvoir est à portée de bulletins de votes ? Pour autant, je ne crois pas que l’alternance de séquences populistes et de séquences plus institutionnelles puisse élargir un socle électoral. Je crois plus en une cohérence globale, en le fait de donner des gages aux gens à un moment où le politique subit une telle défiance de la part des gens.


AGAUREPS-Prométhée – Pensez-vous qu’il soit nécessaire de rompre complètement avec la tradition culturelle et politique de la gauche ?

François Cocq – Ni complètement ni même à moitié. La tradition culturelle et politique de la gauche a irrigué la vie publique et vertébré la pensée du camp du combat social depuis plus d’un siècle, deux selon ma grille de lecture. Son imprégnation reste donc profonde dans les cœurs et les âmes, dans les familles, dans la société, et en France peut-être plus que dans beaucoup d’autres endroits. Mais à avoir été attaquées par l’adversaire mais aussi depuis son propre camp, ses valeurs ne représentent plus un sens commun. Clamer leurs vertus ne suffira pas à les rendre hégémoniques. Il faut donc faire preuve d’humilité et accepter que le fait d’asséner une pensée de gauche ne suffise pas à convaincre le grand nombre. Dès lors, il faut déterminer quelles sont les portes d’entrée pour permettre aux valeurs de l’humanisme radical et de l’émancipation individuelle et collective de conquérir des positions qui les rendent majoritaires. Je parlais tout à l’heure de la Révolution française. La question sociale, certes présente chez Marat et d’autres dès le départ, ne s’est traduite en demande d’égalité qu’une fois que l’aspiration à la liberté a pu déstabiliser l’ordre ancien et exprimer sa propre centralité. Je ne préconise donc aucunement une rupture mais une ré-articulation de notre pensée pour pouvoir s’adresser à la société toute entière et en modifier le sens commun.

AGAUREPS-Prométhée – Vous semblez opposer la guerre de position aux « stratégies électoralistes » et à la guerre de mouvement. Quelle serait une guerre de position digne de ce nom à vos yeux ?

François Cocq – Je n’oppose pas guerre de position et guerre de mouvement. Gramsci était d’ailleurs le premier à mettre en exergue l’imbrication et la complémentarité nécessaire entre l’une et l’autre. Mais je suis par contre convaincu qu’au regard du rapport de force de la période, l’objet dès l’amont de la prise du pouvoir est la conquête d’une hégémonie culturelle faute de quoi l’exercice du pouvoir est promis soit à l’échec, soit aux renoncements. Dans cette optique, la guerre de mouvement ne peut se suffire à elle toute seule.

Les stratégies électoralistes quant à elles ne relèvent pas forcément de la guerre de mouvement. Elles peuvent être prises comme des points de passage pour donner du sens, ancrer une pensée, un mouvement, un.e candidat.e sur le temps long. Mais elles peuvent effectivement représenter une tentation pour emprunter un raccourci qui n’en est pas forcément un. C’est un danger car je pense que la nature de l’électorat s’est transformée. La mise à distance du politique nécessite de regagner la confiance des gens. Et pour cela afficher ostensiblement une cohérence et une persévérance dans l’action. Donner à voir ponctuellement le rassemblement de la gauche alors que la stratégie reste de fédérer le peuple, c’est croire qu’on peut atteindre ce dernier objectif par petits morceaux, en parcellisant la communauté politique. J’y vois une erreur car c’est au contraire l’unité et l’indivisibilité du peuple qui sont les ressorts et les ferments de la stratégie de la révolution citoyenne. Il y a peut-être parmi les 40 % de votants des européennes, les insiders de la politique, quelques électeurs qui rejoindront avec cette stratégie La France insoumise. Mais lorsque viendra la seule élection structurante sous la 5ème République, l’élection présidentielle et ses 80% de participation, combien d’électeurs feront défaut faute d’avoir suffisamment confiance en un projet qui leur apparaît à géométrie variable ?

La force de La France insoumise est de s’être engagée résolument dès 2016 dans ce travail minutieux pour faire émerger un sens commun humaniste. Pour cela, elle s’est rendue lisible en se dotant d’un projet, la révolution citoyenne, d’un programme, L’Avenir en commun, et grâce à sa pointe avancée, Jean-Luc Mélenchon. Que le doute s’instille sur l’un des trois et c’est l’édifice qui vacille. A l’inverse, que la force du peuple trouve un vecteur enviable à son expression et, dans le champ de ruine démocratique qui sera celui de l’élection de 2022, La France insoumise apparaîtra comme l’alternative crédible et nécessaire.