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Loi pour une «école de la confiance» : l’éducation sous contrôle

éducation

Lien publiée le 4 décembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Par Sylvie Plane, professeure émérite de sciences du langage, spécialiste des questions d'éducation 

Avec son projet de réforme, le ministre Jean-Michel Blanquer veut fixer une norme de progression des élèves tout en réglant ses comptes avec la formation des enseignants.

Tribune. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, s’apprête à faire voter la loi pour «une école de la confiance», dont le logo figure par avance sur les documents du site du ministère. Pour fournir les éléments de langage, il a publié en mai 2018 Construisons ensemble l’école de la confiance, ouvrage dans lequel le mantra «confiance» est martelé plus de 80 fois. Il s’agit bien évidemment d’effacer le mot «refondation» qui donna son nom à la loi sur l’école votée sous la gauche. Mais il s’agit aussi pour le ministre de profiter de cette loi pour imposer ses vues sur l’éducation et régler des comptes avec la formation et le recrutement des enseignants, quitte à déstabiliser profondément les systèmes scolaires et universitaires.

Obsession de la performance

La future loi est motivée par le désir d’instaurer «l’obligation scolaire à 3 ans». Le prétexte est mince puisque seule l’«instruction» est obligatoire dans le droit français aujourd’hui et que quasiment tous les enfants sont scolarisés dès 3 ans. Mais la loi aura néanmoins une incidence financière, en augmentant la contribution de l’Etat à l’enseignement privé.

Cet abaissement officiel de l’obligation scolaire fournit surtout au ministre l’occasion d’intervenir sur l’école maternelle, en justifiant une éventuelle réfection des programmes ou en légitimant les tests d’entrée au cours préparatoire. Car le ministre veut absolument contrôler la manière dont l’apprentissage de la lecture se prépare en maternelle. Rien ne doit être perdu : «Il s’agit d’utiliser au mieux les 11 000 heures que l’élève va passer à l’école [depuis l’âge de 3 ans] jusqu’à ses 18 ans.» (1) La dernière année de maternelle devient donc une classe préparatoire au cours préparatoire.

Dès cette année les élèves sortant de maternelle ont subi à leur entrée au CP une batterie de tests vérifiant qu’ils étaient bien en règle avec les apprentissages attendus d’eux. Une seconde série d’épreuves aura lieu bientôt pour contrôler qu’ils progressent selon le rythme officiel.

En effet, dans un monde qui a l’obsession de la performance, l’idée que des enfants progressent à des rythmes différents et ont des entrées différentes dans les apprentissages est inacceptable.

Il s’agit donc tout d’abord de dépister au plus vite ceux qui ne marchent pas au pas. Mais il s’agit aussi, dans le même temps, d’augmenter les performances des élèves. Pour cela, le ministère entreprend de fixer des normes ayant pour point de repère non pas la moyenne des performances observées chez les élèves d’une classe d’âge donnée, mais les meilleures performances réalisées par les plus avancés d’entre eux. L’idéologie de l’élève augmenté, du zéro défaut, se met en place.

Prétention de maîtriser la formation des enseignants

Pour imprimer à l’école la transformation idéologique que souhaite le ministre, il faut agir sur la formation des enseignants. Mais la tactique a changé depuis l’époque où, devenant Directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) sous Sarkozy, il participait aux manœuvres qui avaient abouti à la suppression de la formation.

Désormais, l’ambition du ministre de l’éducation nationale est de maîtriser la formation des enseignants, et pour cela, il doit soustraire cette prérogative à un autre ministère, celui de l’Enseignement supérieur et de la recherche (MESR). On le voit régulièrement poser avec sa collègue Frédérique Vidal. Ces photos des deux ministres, quasiment main dans la main comme le fait Theresa May en plein Brexit avec ses homologues européens, laissent penser que tout va bien entre eux. Mais dans les faits les choses ne sont ni simples ni sereines.

Les premiers coups portés par Blanquer contre l’autre ministère concernent la recherche : il insinue qu’il saurait mieux s’occuper de la recherche en éducation que ne le fait sa collègue du MESR. Ainsi, dans son ouvrage, il laisse entendre que les Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), qui forment les enseignants et dépendent du ministère de l’enseignement supérieur, puisqu’ils délivrent un master, auraient besoin de se mettre à la recherche. Sans doute n’a-t-il pas lu le rapport publié en 2017 par le MESR, «Enquête nationale sur les forces de recherche impliquées dans le champ de l’apprentissage et de l’éducation». Il y aurait appris que les ESPE sont des acteurs puissants de la recherche et que les travaux qui en sont issus satisfont pleinement aux normes en matière de publication.

Empêcher toute pensée critique

Pour justifier les prétentions de son ministère en matière de recherche, Blanquer invoque l’existence d’un Conseil scientifique dont il s’est doté. Cependant, quelle que soit la compétence de ses membres, cette instance n’obéit pas aux règles universitaires : dans l’enseignement supérieur et la recherche, la désignation des personnes au sein d’une instance n’est pas le fait du prince, elle procède du choix opéré par la communauté scientifique concernée.

Le ministre exhibe cependant l’argument du conseil scientifique pour transformer en «instituts» l’école des cadres de l’Education nationale et les écoles supérieures formant les enseignants. Cette opération pourrait lui permettre de contrôler au plus près ce qui est enseigné et d’empêcher toute pensée critique.

Last but not least : des enseignants pour moins d’un smic par mois

La nouvelle loi va avoir un avantage immédiat pour le budget du ministre : il y est prévu une nouvelle catégorie de personnels : les étudiants qu’on recrutera comme assistants d'éducation (AED), et qui exercent normalement des tâches de surveillance, seront désormais aussi amenés à enseigner. D’après la lecture que les interlocuteurs du ministère ont fait des documents de la DGRH, ces étudiants qui n’ont pas encore de licence, pourront donc accomplir le tiers du service d’un enseignant, pour 266 euros par mois. Faites le calcul : pour 798 euros par mois vous pouvez remplacer un professeur des écoles ou un professeur du secondaire. Tentant, non ?

(1) P.26

Sylvie Plane professeure émérite de sciences du langage, spécialiste des questions d'éducation