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Gilets jaunes: Pour une marche de toutes les fiertés le 8 décembre.
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Gérard Noiriel
Le très beau film de Matthew Warchus (scénario de Stephen Beresford) intitulé Pride, tiré d’une histoire vraie, raconte l’engagement d’un groupe d’activistes gay et lesbien, à Londres. Ils décident de réunir des fonds pour aider les familles touchées par la grève que les mineurs ont lancée (en 1984-85) pour s’opposer à la politique ultra-libérale de Margaret Thatcher qui les condamnait à mort. Le Syndicat national des mineurs ayant fait part de ses réticences face à ce soutien inattendu (par crainte d’être ouvertement associé à un groupe gay), les militants londoniens choisissent d’apporter leurs dons directement aux familles ouvrières vivant dans un village minier du Pays de Galles.
Le film montre d’une manière très fine et très touchante comment des individus appartenant à des communautés que tout séparait au départ ont fini par tisser des liens très forts entre eux car ils ont découvert au cours de cette lutte commune qu’ils combattaient pour la même cause : défendre leur droit à l’existence et leur dignité. Ce film est un document extraordinaire pour faire comprendre comment une lutte collective transforme celles et ceux qui y participent, fait tomber des préjugés, déplace la frontière du « eux » et « nous ». Des membres du syndicat des mineurs s’engageront d’ailleurs quelques années plus tard pour défendre les revendications du mouvement LGBT.
Depuis trois semaines que le mouvement des gilets jaunes a débuté, on n’a guère entendu les porte-parole des « minorités » (mis à part le comité Adama qui a manifesté aux côté des gilets jaunes), ni les partisans de « l’intersectionnalité » s’exprimer publiquement pour apporter leur soutien. Le fait que le mouvement ait commencé par un rejet des taxes sur les carburants a été perçu comme une revendication anti-écolo. Les propos sexistes, homophobes ou racistes entendus ici et là, ont provoqué le rejet de celles et ceux qui y ont vu un mouvement de «mâles blancs » obsédés par leur bagnole. Notre penseur-académicien national, Alain Finkielkraut, ayant exprimé publiquement sa « sympathie » pour le mouvement des gilets jaunes, cela n’a évidemment pas arrangé les affaires de ces derniers dans le milieu des intellectuels critiques. Dans son petit ouvrage sur la Lutte des classes en France (publié en 1850), Karl Marx avait pourtant déjà souligné que les soulèvements populaires possédaient cette vertu magique de transformer, l’espace d’un moment, les conservateurs en de chauds partisans de la cause prolétarienne. En février 1848, lorsque Paris se hérissa de barricades, écrit Marx, « tous les royalistes se transformèrent alors en républicains et tous les millionnaires de Paris en ouvriers. »
Il faut donc insister sur le fait, qu’à l’heure actuelle, les gilets jaunes sont un enjeu important des luttes qui opposent les différents courants de la vie politique et intellectuelle française. Le fait qu’il s’agisse d’un mouvement hétérogène et que la droite, voire l’extrême droite, tentent de se l’approprier ne devrait pas empêcher ceux qui luttent contre les discriminations que subissent les femmes et les minorités de le soutenir. En 1984-85, les militants LGBT de Londres auraient pu réagir de la même manière car l’homophobie existait aussi chez les mineurs de charbon britanniques. Mais en faisant l’effort de se « rendre étranger à eux-mêmes », ils ont réussi à découvrir ce qu’ils avaient en commun avec ces travailleurs. Au lieu de s’enfermer dans leur logique communautaire, ils ont fait avancé la cause des mineurs, mais aussi leur propre cause.
L’histoire des luttes populaires montre en effet qu’un mouvement social est toujours un processus évolutif ; ceux qui y participent activement en sortent forcément transformés. L’une des grandes innovations dans la pratique inventée par les gilets jaunes tient dans l’articulation d’une sociabilité de rond-point extrêmement dispersée aux quatre coins du pays et d’une coordination de l’action via les réseaux sociaux. Cette démarche conduit le mouvement, quoi qu’on en dise, à se « discipliner », afin de rejeter les discours de haine. Il est très significatif que l’un de ses premiers porte-parole, Benjamin Cauchy, ait été écarté par les gilets jaunes de Toulouse pour propos racistes (même si les médias dominants continuent à le promouvoir sur le devant de la scène).
Tous ceux qui sont engagés aujourd’hui dans les luttes contre les discriminations devraient donc manifester leur solidarité avec les gilets jaunes, car ce serait le meilleur moyen d’établir des passerelles entre toutes les formes de rejet que suscite le pouvoir actuel. Cette solidarité permettrait aussi aux gilets jaunes d’enrichir la palette de leurs actions. Le caractère inédit de leur mouvement pousse aujourd’hui certains commentateurs à surestimer l’originalité de ses pratiques de lutte. Mais en bloquant des routes, en brisant des vitrines, en s’en prenant aux CRS (qui sont issus, eux aussi, des classes populaires), les gilets jaunes reproduisent finalement des formes d’action assez classiques dont l’efficacité risque de s’affaiblir rapidement. Il existe pourtant d’autres façons de donner de la visibilité à un mouvement. Les artistes pourraient apporter leur contribution en réactivant, aux côtés des gilets jaunes, d’anciennes formes de culture populaire très présentes dans les luttes sociales d’autrefois, comme le carnaval ou le charivari.
Telles sont les principales raisons qui m’ont incité à signer la tribune «Justice sociale, justice climatique : c’est un changement de cap qu’il faut imposer » (publiée par Libération) initiée par l’association Attac et la fondation Copernic. Elle appelle à manifester pacifiquement le samedi 8 décembre, de façon à faire converger la journée de mobilisation internationale pour la justice climatique, et la quatrième journée de mobilisation des gilets jaunes. Cette marche sera, je l’espère, celle de toutes les fiertés.