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Le féminisme des sorcières
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http://www.zones-subversives.com/2018/11/le-feminisme-des-sorcieres.html
La figure de la sorcière combat les normes et les contraintes sociales. La sorcière incarne une subjectivité féministe qui fait trembler l'ordre patriarcal.
Les sorcières nourrissent l’imaginaire populaire. Elles permettent également d’évoquer la société moderne. La chasse aux sorcières, durant la Renaissance, permet de comprendre l’ordre social. La désignation d’un bouc émissaire et la diabolisation des femmes évoquent le racisme et l’antisémitisme. Comme souvent, la chasse aux sorcières ne vient pas d'une populace ignare mais des classes cultivées.
La misogynie est également présente. Les femmes avec un fort caractère ou une sexualité jugée libérée sont considérées comme des sorcières. Surtout, cette chasse intervient à une période historique après laquelle les femmes occupent une place grandissante dans l’espace social.
La figure de la sorcière est appropriée par le mouvement féministe qui dénonce cette persécution. En 1968, le jour d’Halloween, des femmes dansent la sarabande, vêtues de noir, pour dénoncer la bourse de Wall Street. La féministe Xavière Gauthier crée la revue Sorcières, publiée à Paris entre 1976 et 1981. La sorcière Starhawlk devient une figure de l’altermondialisme aux Etats-Unis.
Aujourd’hui, des sorcières participent au mouvement Black Lives Matter et jettent des sorts à Donald Trump. Un Witch Bloc féministe et anarchiste émerge en France en septembre 2017, avec une banderole « Macron au chaudron ». La journalisteMona Chollet propose ses réflexions féministes sur cette mythologie dans le livre Sorcières. La puissance invaincue des femmes.
Femmes indépendantes
La chasse aux sorcières traque les femmes libres et indépendantes. Le refus de se conformer au moule de la famille patriarcale alimente les reproches. Les femmes seules et sans enfants restent stigmatisées. Pourtant, des figures féministes comme Gloria Steinem révèlent qu’il est possible de vivre une existence passionnante sans dépendre d’un mari. Gloria Steinem fréquente les hommes qu’elle désire et entretient des relations singulières sans s’inféoder à un amour éternel.
La célibataire, libre et indépendante, reste mal perçue par les réactionnaires. La femme est jugée fragile et démunie. Elle doit alors rechercher la sécurité affective auprès d’un homme. « Rien, dans la façon dont la plupart des filles sont éduquées, ne les encourage à croire en leur propre force, en leurs propres ressources, à cultiver et à valoriser l’autonomie », analyse Mona Chollet.
La sociologue Erika Flahault étudie la « solitude résidentielle des femmes ». Certaines femmes veulent se conformer au modèle de la bonne épouse et restent attachées aux rôles traditionnels. En revanche, les « apostâtes du conjugal » organisent leur vie, leurs amitiés et leurs amours en dehors du cadre du couple. Ce sont des femmes créatives qui lisent beaucoup. Elles nouent des relations intenses qui correspondent à leur personnalité plutôt qu’à des rôles sociaux.
Les sorcières incarnent la liberté, contre la vigilance et le contrôle du mari. « C’est bien ce que symbolise la vision du vol nocturne de la sorcière, qui l’amène à déserter la couche conjugale en trompant la vigilance de l’homme endormi pour enfourcher son balai et partir au sabbat », décrit Mona Chollet. La femme libre transgresse le genre féminin. La sorcière existe pour elle-même et ne se conforme pas à un rôle social. Elle s’oppose à l’idéal de la femme au foyer, docile et soumise. Dans le monde de travail, les femmes sont cantonnées au domaine de l’éducation, de l’assistance et du médico-social. Les femmes occupent souvent des postes de subordination dans les entreprises.
Refus de la maternité
La chasse aux sorcières traque la contraception, l’avortement, l’infanticide. Des femmes font le choix de ne pas avoir d’enfants pour pouvoir davantage affirmer leur personnalité, leur créativité et leurs désirs individuels. La maternité reste peu critiquée et demeure idéalisée. Les mères projettent leurs rêves et leurs désirs chez leur progéniture. La maternité reste une importante contrainte liée à la société patriarcale. « Nous vivons dans une société de fourmis, où travailler et pouponner modèle l’horizon ultime de la condition humaine. Une société pour laquelle la vie se limite à gagner son pain et à se reproduire est une société sans avenir car sans rêves », ironise Corinne Maier. La maternité reste liée à une société consumériste et capitaliste qui produit toujours plus de marchandises ou d’enfants sans donner de sens à l’existence. Ne pas transmettre la vie peut permettre d’en jouir pleinement.
Le désir d’enfant s’explique également par des conditions matérielles. En France, la fécondité reste importante. Cette situation semble liée à l’importance des services des gardes d’enfants qui permettent aux femmes de travailler malgré leur maternité. En revanche, dans les pays de l’Europe du Sud, la précarité ne cesse d’augmenter. Ce qui n’encourage pas à avoir des enfants et ne permet pas les conditions matérielles pour s’en occuper. Le désir d’enfant relève d’une alchimie complexe, à la fois humaine et matérielle. Néanmoins, le refus d’avoir un enfant reste le seul choix stigmatisé par la société. « Malgré la généralisation de la contraception, il est apparemment toujours impensable que l’on puisse aimer et désirer une personne sans vouloir un enfant avec elle », déplore Mona Chollet.
Le mouvement féministe combat la stigmatisation des femmes sans enfant. Néanmoins, il n’oblige pas non plus à refuser la maternité. Les féministes insistent sur le libre choix individuel. « Un enfant si je veux, quand je veux », scandaient les manifestantes pour le droit à l’avortement. « La campagne a toujours mis l’accent sur le contrôle du moment et du nombre des naissances, jamais sur leur principe », précise Mona Chollet.
Vieillesse assumée
Les sorcières aux cheveux grisonnants révèlent la peur du changement physique. L’âge et le vieillissement des femmes restent un sujet tabou. Les médias et la presse féminine ne cessent de montrer des femmes jeunes, au visage lisse et au corps ferme. La peur de vieillir reste une inégalité entre hommes et femmes. Les hommes qui prennent de l’âge ne sont pas dévalorisés et ne disparaissent pas de l’espace public. En revanche, seules les femmes jeunes sont mises en avant. Dès l’âge de 20 ans, les femmes ont peur de vieillir. Et cette angoisse s’accentue logiquement avec le temps. « Un homme n’est jamais disqualifié sur le plan amoureux et sexuel du fait de son âge et, lorsqu’il commence à présenter des signes de vieillissement, il ne suscite ni les mêmes regards apitoyés ni la même répulsion », observe Mona Chollet.
Les hommes sont souvent en couple avec des femmes plus jeunes. Le cinéma ne cesse d’accentuer cette représentation. La peur du vieillissement est renforcée par les représentations et les normes esthétiques imposées. « Comment peut-on à ce point ne pas se rendre compte du conditionnement, des préjugés, de la longue histoire des représentations qui déterminent notre regard et forgent nos conceptions de ce qui est beau ou laid ? », interroge Mona Chollet.
Les hommes choisissent des femmes plus jeunes pas uniquement pour des raisons esthétiques. Ils veulent favoriser un couple inégalitaire dans lequel la femme est jugée inférieure. Chez la femme, la gentillesse et la politesse doivent primer sur l’intensité et l’humour. Les hommes peuvent vouloir des femmes plus jeunes et immatures qui les admirent plutôt des partenaires indépendantes. « Si les chasses aux sorcières ont particulièrement visées les femmes âgées, c’est parce que celles-ci manifestent une assurance intolérable », souligne Mona Chollet.
La jeunesse féminine est associée à la vulnérabilité. Au contraire, les femmes plus âgées bénéficient de l’expérience et connaissent leurs véritables désirs. Les hommes recherchent des femmes plus jeunes pour leur impuissance et leur vulnérabilité. Mais les femmes expérimentées se sont libérées des peurs et des contraintes. « Contrairement à l’image propagée par ces médias, je me perçois, moi, comme une femme en pleine possession de ses moyens, parvenue au maximum de ses capacités, de ses forces psychiques, et satisfaisant au mieux ses désirs », décrit Audre Lorde.
Les femmes ont intériorisé l’incompétence. La société patriarcale les range comme nulles en maths, en géopolitique ou en économie. En revanche, les hommes se considèrent souvent comme très brillants et plein de certitudes. En raison de leur socialisation, les hommes proposent souvent une manière d’aborder le monde froide, carrée, rationnelle, surplombante. Mais il existe aussi un romantisme révolutionnaire qui valorise la sensibilité et la créativité contre larationalité instrumentale. Ce courant peut permettre de se réarmer sur le plan intellectuel face aux certitudes scientifiques des hommes.
Féminisme et vie quotidienne
Le livre de Mona Chollet est devenu rapidement un succès de librairie. La journaliste évoque l’imaginaire des sorcières pour traiter des questions de la vie quotidienne. La figure de la sorcière n’est pas évoquée à travers son imaginaire populaire, plus ou moins positif. La sorcière devient l’incarnation de la femme qui refuse la soumission aux normes et aux contraintes sociales.
Mona Chollet tranche avec une approche du féminisme souvent universitaire et idéologique. Elle s’appuie sur des problèmes de la vie quotidienne pour aborder les inégalités entre hommes et femmes. Le corps et la famille apparaissent comme de véritables institutions patriarcales. Mona Chollet part de problèmes concrets, et même de situations vécues, pour dévoiler les ressorts d’un monde patriarcal. La journaliste part aussi des complexes, des sujets tabous, des fragilités, pour mieux réarmer les femmes.
En revanche, les inégalités sociales restent l’angle mort du livre de Mona Chollet. La journaliste évoque peu les clivages qui traversent le mouvement féministe. Le gouvernement valorise un féminisme d’Etat, fortement attaché à la réussite individuelle et à la méritocratie. Il suffit alors de promouvoir des femmes à la tête des institutions et des entreprises. Cette approche occulte les inégalités sociales qui existent entre les femmes elles-mêmes. Ensuite, le monde du travail n’est pas remis en cause malgré les importantes inégalités salariales entre hommes et femmes.
Néanmoins, Mona Chollet attaque la société patriarcale de manière originale et stimulante. Elle s’appuie sur les supposés défauts attribués aux femmes, comme la sensibilité et la créativité, pour attaquer la rationalité marchande. Mona Chollet assume les faiblesses et les fragilités humaines pour mieux combattre un monde brutal et inégalitaire.
Source : Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Zones – La Découverte, 2018
Extrait publié sur le site des éditions Zones
Pour aller plus loin :
Vidéo : « Sorcières. La puissance invaincue des femmes », dernier ouvrage de Mona Chollet, émission La Grande Librairie du 15 novembre 2018
Vidéo : « La société chasse encore des sorcières aujourd’hui », publié sur le site Mediapart le 17 octobre 2018
Vidéo : La chronique de Juliette Arnaud diffusée sur France Inter le 12 novembre 2018
Radio : Cellulose – " Sorcières, la puissance invaincue des femmes " par Mona Chollet, émission diffusée sur la RTS le 1er novembre 2018
Radio : Épisode Sorcières #1 - Mona Chollet, émission La Poudre du 11 octobre 2018
Radio : émission avec Mona Chollet diffusées sur France culture
Mona Chollet : « Construire une puissance au féminin », publié sur le site de la revue Ballast le 10 septembre 2018
Catherine Calvet et Anaïs Moran , Mona Chollet: « Il est difficile de ne pas voir les chasses aux sorcières comme un phénomène de haine misogyne intense », publié sur le site du journal Libération le 23 septembre 2018
Sandrine Samii, « Les femmes qui font peur sont celles qui existent indépendamment des hommes », publié sur le site du Nouveau Magazine Littéraire le 13 septembre 2018
Weronika Zarachowicz, Mona Chollet : “ La sorcière est un condensé de tout ce qui dérange chez les femmes ”, publié sur le site du magazine Télérama le 5 octobre 2018
Clara Delente, Mona Chollet: “La chasse aux sorcières, c’est un moment où se cristallise complètement la misogynie”, publié dans le webzine Cheek Magazine le 10 septembre 2018
Salomé Kiner, « Les chasses aux sorcières sont nées aux abords du Léman », publié sur le site du journal Le Temps le 20 octobre 2018
Hugo Guyon, Mona Chollet Sorcières mal-aimées, publié sur le site du magazine Let's Motiv le 1er novembre 2018
Amélie Quentel, Mona Chollet démontre que la chasse aux sorcières a façonné un monde misogyne, publié sur le site du magazine Les Inrockuptibles le 12 septembre 2018
Marion Tremblay, Rencontre avec Mona Chollet : le retour des sorcières, publié sur le site Le Vent se lève le 6 novembre 2018
Clément Pouré, « La femme sans enfant est une figure moderne de la sorcière », publié sur le webzine Vice le 14 septembre 2018
Catherine Kikuchi, La sorcière, métaphore de la condition féminine ?, publié sur dans la revue en ligne Non fiction le 5 novembre 2018
Aude Lorriaux, « Sorcières », le livre de Mona Chollet qui donne envie d’en devenir une, publié sur le site Slate le 17 septembre 2018
Marie, Apprends-en plus sur les sorcières grâce à Mona Chollet !, publié dans le webzine MadmoiZelle le 11 octobre 2018
Marine Le Breton, "Sorcières", de Mona Chollet, explique pourquoi les femmes qui ne veulent pas d'enfant sont vues comme les sorcières d'aujourd'hui, publié sur le site Huffpost le 16 septembre 2018
Marie Étienne, Les sorcières, des femmes libres, publié dans la revue en ligne En attendant Nadeau
Manuela Estel, Pourquoi la sorcière est le nouveau symbole du féminisme (et l'a toujours été) ?, publié sur le site du magazine Cosmopolitan le 24 septembre 2018
Vincent Degrez, Sorcières, la puissance invaincue des femmes, publié sur le webzine Daily Mars le 18 novembre 2018
J.S., Sorcières, la puissance invaincue des femmes, publié sur le site du Nouveau Parti Anticapitaliste le 5 octobre 2018