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Lettre aux signataires de la pétition “Pour la fin immédiate du blocage du site de Censier”

étudiants Université

Lien publiée le 16 décembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://docs.google.com/document/d/1F62Ndv-YFrJ_GszkeLopG9LgsXRFKzwUUalGzwpf4l4/edit

Chères et chers collègues signataires de la pétition “Pour la fin immédiate du blocage du site de Censier”,

Vous déplorez que “pour la seconde fois en moins de huit mois”, le site de Censier soit bloqué, que “ce nouveau blocage (...) porte préjudice à l’ensemble de nos formations, empêche la bonne conduite de la recherche et perturbe le fonctionnement administratif de l’établissement”, que “le blocage va à l’encontre de la liberté d’étudier et de celle de travailler” ; cette situation “cogéré(e) par une minorité agissante et par l’institution” vous apparaît “choquante et désastreuse”. Vous demandez donc “la levée immédiate du blocage” et appelez “à la restauration du fonctionnement normal de la Sorbonne nouvelle”.

Il est fascinant que tant d’intelligence, condensée dans les noms des douze signataires de votre pétition (c'est le nombre que vous êtes au moment où j'écris ce courrier), aboutissent à ce texte particulièrement rabougri et surtout si pauvre en propositions alternatives pour contester ce qui nous arrive collectivement. Rien de très nouveau dans ce que vous nous chantez là, si ce n’est retrouver au plus vite son habituel confort tout en s’affirmant solidaire du mot d’ordre de la mobilisation.

Ce refrain, nous le connaissons bien ; il a d’ailleurs été à nouveau entonné lundi par l’un des signataires de votre texte à l’AG organisée par les étudiant•e•s. C’est celui “des autres méthodes possibles”, des “autres façons de contester”, des autres voies “pour se faire entendre”, de ce qui est démocratique et ce qui ne l'est pas. Tout, sauf le blocage. Rien, si ce n’est votre ardent désir d’un retour rapide à la normale.

L’occupation du printemps dernier par les étudiants de la Commune de Censier en réaction à la loi ORE a été à tous égards exemplaire. N’importe quel journal se prétendant un tant soit peu social-démocrate ou “de gauche” aurait dû monter sur son tabouret et applaudir à deux mains, cette occupation de Censier si respectueuse des équipements de service public. Saviez-vous que les plus taquins de leurs camarades de Tolbiac les avaient nommé “Les Bisounours” ? Devinez pourquoi.

Parce que des nappes avaient été collées sur les murs du bâtiment D pour permettre à tout un chacun de s’y exprimer par écrit sans dégrader les peintures intérieures du bâtiment. Parce qu’un fond de bouteille d’alcool ménager permettait d’effacer les traces de marqueur ayant dépassé les bords du papier et atteint le mur. Parce qu’une commission propreté passait la javel deux fois par jour dans les salles et les couloirs. Parce que, pour m’y être rendu, je n’ai jamais vu ce bâtiment aussi propre que lorsque les étudiant•e•s s’y sont installé•e•s. Parce que j’ai eu honte de voir que le seul mégot écrasé dans la cour du centre Censier qui accueillait alors des assemblées de 2000 étudiant•e•s, était celui que je venais tout juste d’aplatir sous ma semelle. Parce qu’on y faisait même le tri sélectif. Parce qu’une intelligence vive, à l’affût, réactive, ouverte, inclusive s’y est développée pendant 21 jours : revoyez la programmation éclectique du Comité du mercredi, imaginée dans l’urgence, faite de projections, de débats, de performances, de rencontres, d’invitation d’artistes, d’intellectuel•le•s ou d’acteurs et d’actrices du monde social, condensant tout ce qui fait l’esprit de notre université.

Le croirez-vous, j’y ai même apporté ma contribution. J’ai d’abord expliqué ce qu’était une charge administrative pour un enseignant-chercheur comme moi qui gère depuis quatre ans et demi le plus haut niveau de diplôme de mon département. Quarante-cinq participants aussi silencieux et attentifs que lorsque je leur raconte la création de Donkey Kong dans un de mes cours de deuxième année. Et j’y suis retourné. Pour y animer une rencontre avec les animateurs du Syndicat des travailleurs du jeu vidéo (STJV), des jeunes professionnels détruits par des conditions de travail déplorables et écrasés par un management méprisant ; deux journalistes, auteurs en début d’année d’une enquête sur les conditions de travail dans le secteur, sont même venus y donner leur éclairage. Autant vous dire que j’en suis ressorti le ventre retourné, moi qui me félicitais pourtant de voir une belle dizaine d’étudiant•e•s passés par mes cours depuis sept ans avoir réussi à intégrer le secteur du jeu vidéo, le métier de leurs rêves.

Vous savez ce qui est finalement arrivé aux Bisounours ? Les forces de l’ordre sont venues les déloger le lundi 30 avril 2018 vers 4h40 du matin. Ils ont été malmenés quoiqu’en disent les déclarations de la présidence ; la vice-présidente étudiante a parlé de “la peur de sa vie” à la CFVU du 5 mai dernier. Les Bisounours ont ensuite été fichés, leurs affaires mises au rebut. Vous savez qui était en charge de déloger ces “agitateurs”, cette “minorité agissante” ? Monsieur Laurent Simonin, chef d’état-major à la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC). Et savez-vous à qui monsieur Simonin écrivait-il par SMS le lundi 30 avril à 7h36 du matin ? “Lundi 30 avril, à 7 h 36, M. Simonin informe M. Benalla que la Fac de Censier [a été] évacuée en 35 mn ce matin à 04 h 30. Record de Tolbiac battu et bon échauffement pour demain. On a pris une banderole de black bloc.” C’est un article du Monde en date du 27 juillet dernier et signé par Fabrice Lhomme et Gérard Davet qui nous l’apprend. Croyez-vous qu’il est ici question de liberté d’étudier ou de travailler ? Non, il est ici question du simple et fondamental droit de contester, de ne pas être d’accord, du droit de s’opposer, politiquement, aux décisions gouvernementales. Je vous le réécris, vous ne l’avez pas bien lu : Record de Tolbiac battu et bon échauffement pour demain. Bon échauffement pour demain. Le lendemain, c’était le 1er mai. On sait désormais par trois vidéos ce que M. Benalla faisait le 1er mai dans le quartier de notre université et ce à quoi M. Simonin s’échauffait le 30 avril dans nos locaux : mâter par la violence physique la contestation estudiantine. La présidence nous a parlé d’une opération de maintien de l’ordre. C’était évidemment une opération policière éminemment politique qui visait à démanteler le dernier point de ralliement étudiant sur la capitale la veille du 1er mai, et la semaine du 3 mai (cortège pour la défense de la fonction publique) et du 5 mai (La Fête à Macron organisée par le député François Ruffin). A tout hasard, vous avez vu ce qui est arrivé la semaine dernière aux lycéens et lycéennes de Mantes-la-jolie qui contestaient la réforme du lycée ?

Que retirer de tout cela ? Que le blocage est un puissant outil de mobilisation, le seul qui fonctionne, effraie et fasse réagir nos gouvernants, qu’il s’agisse de notre université ou de notre tutelle. J’ai siégé pour ma part quatre années à la CFVU et au CAC, j’y ai voté tant de motions largement majoritaires contre la fusion puis contre l’application de ParcourSup dans notre université et enfin contre la décision de la présidence de faire intervenir les forces de l’ordre le 30 avril, motions qui ne sont jamais remontées plus loin que le procès-verbal de la séance. Notre démocratie locale va très mal. Et les tenants d’une privatisation de l’université s’en réjouissent. Le blocage mis en place par les étudiant•e•s nous a permis de discuter entre nous, collègues enseignant•e•s-chercheur•se•s, vacataires et personnels, de prendre des décisions collectives comme celle du département CAV de ne pas faire remonter de classement via la procédure ParcourSup en mai dernier, de constater des dysfonctionnements inquiétants de notre démocratie interne, directe, comme à l’occasion de l’AG de l’UFR Arts & Média du lundi 7 mai (vous demanderez à l’un ou l’autre de vos signataires). Le blocage a mille vertus que je ne pourrais résumer ici : nous sortir de notre train-train peut-être pour nous faire penser autrement, permettre aux étudiant•e•s de s’intéresser à la chose politique et de se positionner idéologiquement, de prendre part à quelque chose de collectif. Que notre rôle est de l’accompagner. Le blocage n’est pas de trop : à la vérité, il ne suffit même plus.

Alors, je vais vous le révéler, il y a un outil encore plus puissant que le blocage pour se faire entendre. Une véritable bombe. Un formidable épouvantail. Un truc qui va vous faire pâlir du simple fait de vous l’entendre dire. Un machin qui va faire bondir nos étudiant•e•s, même celles et ceux de votre fameuse “minorité agissante”. La notation et la diplomation. Imaginez des enseignant•e•s-chercheur•se•s qui d’un coup disent : “Non, Madame la Ministre. On arrête tout. Il y a des cours, mais il n’y a plus de notes et de diplômes. Il n’y a plus ce qui fait pour vous le coeur de votre idée de l’université : un pur lieu d’évaluation, de notation et de diplomation” Imaginez des étudiant•e•s solidaires qui, comme leurs camarades de lycée disent “cette année, nous n’attendrons pas le bac”, diraient “cette année, nous n’attendrons pas le diplôme”. Évidemment, du côté des personnels, cela nous demande à toutes et tous d’affronter ce que j’avais appelé lors de l’AG des personnels de l’UFR Arts & Média du 12 avril dernier, notre syndrome de Stockholm : cette attachement viscéral à ce que la machine université tourne, à ce que le service public soit tout de même assuré, malgré tout, même malmenés, même mal payés, même sans moyens humains et matériels, même dans la contestation de la décision la plus injuste, la plus terrible, la plus idiote. Il faut que nous fassions tourner la machine. En bons agents du service public. Malgré tout. Malgré nous.

Imaginez que l’on dépasse collectivement cela. Que ferait la tutelle ? Que ferait la Ministre ? Que ferait le gouvernement ? A mon avis, ils nous inviteraient bien vite à nous mettre autour de la table pour enfin discuter le modèle de service public que nous défendons chaque jour devant nos étudiant•e•s, pour non plus parler de réforme - enlevez leur ce mot de la bouche, ils ne savent plus faire une phrase - mais de refinancement de l’université, pour s’engager a minima à 3% du PIB pour le financement de l'ESR, pour arrêter les aterisations et les gels de poste en masse et pourquoi pas créer enfin les trop nombreux postes manquants et permettre aux précaires de l’ESR de trouver un emploi stable dans l’université, pour envisager de construire enfin les universités qui manquent à notre pays pour offrir à tous les bacheliers et toutes les bachelières une place sur les bancs de la fac.

Imaginez.

Respectueusement,

Alexis Blanchet

Maître de conférences au département CAV

Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle

Et puisque vous êtes arrivés jusqu’ici, pour stimuler votre imagination :