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Ce que le mouvement étudiant doit apprendre des Gilets Jaunes
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.revolutionpermanente.fr/Ce-que-le-mouvement-etudiant-doit-apprendre-des-Gilets-Jaunes
Depuis maintenant trois semaines, le mouvement étudiant a repris le chemin de l’affrontement avec le gouvernement sur la question des frais d’inscriptions, notamment pour les étudiants extra-communautaires. Mais après de nombreuses Assemblées Générales et manifestations, un certain nombre de limites du mouvement subsistent, empêchant celui-ci de devenir assez puissant pour gagner sur ses revendications.
Rarement une réforme gouvernementale aura été aussi impopulaire à l’université : l’augmentation des frais d’inscriptions pour les étudiants non-européens, de 170 à 2770€ en licence et à 3770€ en master et doctorat a suscité une levée de bouclier dans le monde universitaire. Et pas seulement chez les étudiants, mais aussi chez les professeurs, jusqu’à la Conférence des Présidents des Universités ! Et pour cause : dans certaines universités, c’est jusqu’à 20 % des étudiants qui ne sont pas français, et pour beaucoup d’africains (45% des dits étudiants) ou de latino-américains, cette augmentation des frais d’inscription signifierait tout simplement un retour au pays. Cette opposition, presque unanime, porte en elle-même les potentialités d’une mobilisation qui dépasse les noyaux militants traditionnels, mais, dans le sillage de la mobilisation contre la loi ORE l’an dernier, force est de constater qu’il règne encore une certaine immaturité dans le mouvement étudiant, incapable de dialoguer avec les inquiétudes qui polarisent la jeunesse.
Car si l’augmentation des frais d’inscription est rejetée par une large majorité des étudiants, l’approfondissement de la crise économique et le manque de perspectives offertes à une jeunesse qui est pour 25 % d’entre elle au chômage, sont des sources d’inquiétudes de plus en plus importantes chez les étudiants. Faute d’une alternative politique face au néo-libéralisme, les étudiants se retrouvent devant un choix imposé par le système universitaire : jouer le jeu de la concurrence à l’université pour obtenir les meilleures notes et diplômes pour essayer de décrocher un emploi, ou se mobiliser pour défendre une université gratuite au risque de perdre une année ou un semestre, ce qu’ils ne peuvent se permettre. A bien des égards, la jeunesse scolarisée s’est enfoncée dans une crise morale, minée par les échecs des précédents mouvements étudiants, et par la destruction coordonnée de l’université publique et de leurs futurs conditions de travail. Là est le problème central auquel devrait répondre le mouvement étudiant, compris comme l’ensemble des forces étudiantes qui luttent aujourd’hui contre la hausse des frais d’inscriptions.
Nous insistions, au printemps dernier, sur un certain nombre de contradictions qui traversent le mouvement étudiant actuel, et qui se sont une nouvelle fois exprimées lors des deux dernières semaines dans les différentes facs de France. La contradiction la plus forte semble être aujourd’hui le fossé de plus en plus important entre la taille des Assemblées Générales, qui ont de nouveau battu des records cette année (3000 à Toulouse Le Mirail, 2500 à Nanterre), et le nombre d’étudiants réellement mobilisés dans la rue. Si, en 2016, durant la lutte contre la loi travail, le nombre d’étudiants en AG était réduit et qu’une avant-garde large s’était surtout exprimé dans la rue, depuis l’an dernier, le mouvement semble s’être inversé. Ce nouvel attrait, massif, des étudiants pour les formes de démocratie et d’auto-organisation plus directs sont à mettre en regard avec la défiance de plus en plus marquée des jeunes envers les institutions de la démocratie bourgeoise, ses représentants et ses élections. Ainsi, selon une étude de l’INSEE, les moins de 29 ans sont les électeurs qui s’abstiennent le plus aux élections, avec plus de 20 % qui s’abstiennent systématiquement aux élections. Plus largement, au-delà des élections, c’est tout le système décadent de la Vème République qui est remis en cause par les jeunes, que ce soit par une aspiration à le réformer (30 % des moins de 24 ans ont voté pour Mélenchon et sa VIème République en 2017) ou par un combat beaucoup plus direct contre l’État et ses relais idéologiques et répressifs (cortège de tête, occupations et blocages d’universités, ZAD…). La participation massive des étudiants aux Assemblées Générales est donc le reflet d’une aspiration progressiste à plus de démocratie, mais aussi d’une jeunesse en quête de réponses sur son avenir, au moment même où des centaines de milliers de Gilets Jaunes ont pris la rue en contestant bien plus que la politique fiscale du gouvernement, mais surtout les privilèges des plus riches et des élus.
Cependant, cette recherche de débats, qui dévoile une jeunesse plus politisée qu’on ne voudrait nous le faire croire, ne débouche pas sur des mobilisation massives dans les rues, comme on avait pu le voir en 1968, 1986, 1995 ou encore 2005, et qui avait été la clé de mobilisations étudiantes et lycéennes gagnantes qui avaient poussé le gouvernement à reculer sur ses attaques contre l’université publique. Un des éléments qui empêche aujourd’hui le mouvement étudiant de se massifier et d’atteindre une force suffisante pour atteindre le gouvernement, c’est avant son programme : alors que dans de nombreuses Assemblées Générales ont été votée comme revendication une fac ouverte à tous et toutes et gratuite, nombreux encore sont les étudiants à voir ces mots d’ordre comme une propagande abstraite des militants étudiants. Pourtant, de l’argent il y en a ; tellement que les gouvernements successifs se sont évertués à le dilapider en cadeaux fiscaux pour les grandes entreprises et leurs actionnaires, en CICE, en Crédit d’impôts Recherche, etc. Pour rendre le mouvement étudiant capable d’agir à nouveau comme une force sociale de masse, il faut que ces mots d’ordres, qui sont aujourd’hui encore perçus comme abstraits, s’inscrivent dans un programme d’action qui développent non seulement un programme de subversion de l’université bourgeoise et de la vision du monde qu’elle enseigne et développer, mais aussi expliquent quels moyens les étudiants en lutte devront se doter pour vaincre.
Mais ce programme ne peut rester un seul programme pour les étudiants et lycéens. Ce qui est sûr, c’est qu’en cas d’augmentation des frais d’inscriptions à l’université, ce sont les enfants des Gilets Jaunes qui en pâtirons le plus : comment payer 1000€ par an pour une fac quand on a plus d’argent le 20 du mois ? Ici se pose la question de la convergence des luttes entre étudiants et Gilets Jaunes, qui reste encore très initiale voir nulle. Dans certaines villes comme Bordeaux et Toulouse, là où les foyers de mobilisations réciproques sont assez rapprochés, on commence à voir des éléments de convergences, de liens, d’actions communes : participation des étudiants aux AG des Gilets Jaunes, manifestations communes… ce sont là les bases d’une alliance plus profonde. Ces éléments semblent cependant beaucoup plus absents en région parisienne, là où les blocages sont très éloignés du centre de la capitale, et où la répression contre les manifestants sur les Champs Elysées a empêché à de nombreuses reprises la jonction entre étudiants et Gilets Jaunes. Pourtant, chacune des luttes aurait intérêt à soutenir les revendications de l’autres, à créer des ponts entre elles : cela ne pourrait que les renforcer. Dans ce sens, la politique conjointe de l’UNEF et d’un certain nombre de courant post-moderne consistant à empêcher toute convergence sous prétexte que cela « invisibiliserait » la lutte des étudiants étrangers ne peut être que contre-productive, car elle empêche des mouvements dont les intérêts sont, in fine, commun de se joindre pour construire un rapport de force global contre le gouvernement. Elle revient à jouer le jeu des bureaucrates syndicaux qui, par corporatisme, jouent le jeu du patronat en séparant les luttes et participent à l’éclatement subjectif de notre classe.
C’est non seulement la conviction d’une grande partie des étudiants dans un tel programme, mais aussi dans sa capacité à faire plier le gouvernement, qui pourra renverser aujourd’hui la contradiction entre une faiblesse importante de la jeunesse dans la rue et une politisation très large qui cherche des solutions pour son avenir. Pour sortir de ce défaitisme ambiant, les premiers reculs du gouvernement face aux Gilets Jaunes, sur la hausse des prix des carburants et sur la CSG, devraient être une source pour le mouvement étudiant : comment une mobilisation si spontanée, sans syndicats ni partis derrière elle, sans aucune tradition de lutte, a-t-elle pu, pour la première fois depuis quinze ans, faire reculer le gouvernement sur une de ses mesures ?
Face à ces questions, les divers groupes autonomes répondent par une simple réponse : ce serait l’affrontement, direct, à l’État et sa police qui permettrait seul de faire reculer le gouvernement, ainsi que le blocage. Mais pourquoi Macron recule face aux Gilets Jaunes quand il ne l’a pas fait face aux Blacks Blocs du 1er mai dernier sur la loi ORE ? Visiblement, c’est la question à laquelle les autonomes ne veulent pas se confronter, parce qu’elle remettrait en cause une logique selon laquelle toute action qui serait pas le fait d’une minorité, mais d’un mouvement large et massif, ne pourrait pas être radicale. Or, plutôt que de construire une mobilisation dont le principal atout serait son nombre, dans de nombreuses universités comme Paris 1 Tolbiac ou encore Paris 3 Censier, c’est la radicalité pour la radicalité qui a guidé ces groupes, quitte à bloquer des facultés à seulement 20 ou 40 étudiants et coupant la masse des étudiants, qui n’est pas encore convaincue de rentrer dans la bataille, de leurs camarades mobilisés.
Le blocage comme fin en soi, stratégie que nous critiquions déjà au printemps dernier, tire un trait artificiel entre les « bloqueurs » et les « anti-bloqueurs », là où la frontière devrait être entre les étudiants opposés à la réforme et les étudiants pro-gouvernement. Mais en poussant cette ligne de démarcation autour de la seule question du blocage, dans un contexte où les étudiants qui descendent dans la rue sont toujours une minorité dans les Assemblées Générale, c’est pousser dans les bras des Jeunes avec Macron des étudiants qui pourraient être opposés à cette réforme sans voir l’utilité tactique du blocage, qui permet de libérer du temps pour aller en manifestation ou tout simplement en Assemblée Générale. A force de vouloir imiter les Gilets Jaunes dans leurs formes radicales, les autonomes en oublient que ce tsunami jaune tire avant tout sa force non pas des cocktails molotov, mais de leur nombre, qui se compte en centaines de milliers, et dans le soutien populaire qui n’est jamais passé en dessous de 65 %.
Mais en réalité, dire que les groupes autonomes chercheraient à imiter le mouvement des Gilets Jaunes serait peut-être leur donner trop de crédit : là où le combat des Gilets Jaunes est un combat pour la survie de familles qui n’arrivent pas à finir leurs fin de mois et qui doivent gagner ce combat, beaucoup de militants, à l’origine l’an dernier des « zads universitaires », n’ont même pas l’ambition de « gagner » face au gouvernement. Face à l’impossibilité de faire plier la bourgeoisie, la seule option de repli serait le « zbeul », le désordre, épisodique et soit-disant émancipateur l’instant d’une occupation ou d’un black-bloc. Mais si le mouvement des Gilets Jaunes a pu démontrer une chose, c’est bien que l’on peut faire plier Macron et sa clique, qu’ils ne sont pas invincibles. Dès lors, les fondements de la politique autonomes s’écroulent, sous le poids de leur scepticisme, et il n’en reste plus que la force nuisible qui empêche les mobilisations de se développer.
Aujourd’hui, le développement du mouvement étudiant est d’une certaine manière « inégal et combiné » : il combine à la fois des éléments très progressistes comme des Assemblées Générales massives qui pourraient devenir, à conditions d’une ferme bataille en défense de l’auto-organisation contre tous les groupes autonomes qui sont prêts à saboter bureaucratiquement l’auto-organisation pour leurs propres intérêts personnels, des leviers pour liquider toute forme de défaitisme du mouvement étudiant et pousser les étudiants à sortir des universités pour aller chercher, au bout de leurs manifestations, une victoire contre un gouvernement aux aboies. Alors que les Gilets Jaunes ont fait trembler la bourgeoisie, qui avait évacué de son horizon toute possibilité des exploités et des opprimés de se révolter, les étudiants ne peuvent laisser leurs parents, gilet jaune sur les épaules se battre pour leur avenir sans les rejoindre. La jeunesse ne peut aujourd’hui rester l’arme au pied alors que des brèches de plus en plus importantes s’ouvrent et permettrait de revenir sur toutes les mesures qui ont détruit l’université ces 10 dernières années.