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Super-héros et politique

Lien publiée le 22 décembre 2018

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.zones-subversives.com/2018/12/super-heros-et-politique.html

Les super-héros envahissent les écrans. Leur succès populaire révèle également des préoccupations sociales et politiques. Les super-héros reflètent leur époque et les contradictions des valeurs démocratiques. 

Les super-héros sont devenus omniprésents. Ils ont émergé des les comics avant d’apparaître dans des films et des séries. Ces figures incarnent le plaisir du divertissement. Mais elles s’inscrivent aussi dans un contexte historique, social, économique et politique.

Le succès des super-héros s’explique par le mélange des légendes contemporaines avec les mythologies anciennes, notamment gréco-romaines, scandinaves ouarthuriennes. Le genre est traversé entre l’espoir en l’avenir et l’effondrement de la société démocratique. Les auteurs de comics n’hésitent pas à donner leur point de vue sur le monde. L’historien William Blanc propose ses analyses dans le livre Super-héros, une histoire politique.

                         

Combat pour la justice

Les super-héros sont souvent des individus issus de milieux modestes qui parviennent à acquérir des pouvoirs qui leur permettent de rétablir la justice. Le comte de Monte-Cristo, roman du XIXe, correspond à cette mythologie. Un jeune marin est enfermé. Il se libère et découvre un trésor pour se venger des notables qui l’ont trahit. Harry Houdini s’évade également d’une forteresse. Ce Juif hongrois fuit les pogroms de l’Europe médiévale avant de s’émanciper dans le Nouveau Monde. « Cette vie "surhumaine" qui a vu un être parti de rien échapper à se condition a sans doute inspiré nombre d’auteurs de comics issus pour beaucoup, eux aussi, de l’immigration juive européenne », observe William Blanc.

Superman voit le jour en 1938. Il devient le symbole d’une confiance inébranlable en l’avenir. Il vient de la planète Krypton, une société plus avancée, pour apporter la paix et la justice sur la Terre. Les super-héros sont souvent créés par des immigrés juifs qui se rapprochent du syndicalisme de lutte et des mouvements progressistes. Superman s’oppose à l’idée de la colonisation. C’est un étranger qui vient rétablir la justice dans une société occidentale perçue comme primitive. Superman incarne ensuite le messianisme américain et le programme de la Société des Nations (SDN). Il apporte de la nourriture à travers diverses régions du monde. Ensuite, il devient plus modeste, et apprend simplement aux enfants à planter des semences. Mais Superman incarne aujourd’hui le doute de l’hyperpuissance américaine. Ses interventions créent davantage de guerres qu’elles ne parviennent à résoudre des conflits. Mais, dès le début, Superman reste un personnage ambigu. Ses pouvoirs peuvent sembler terrifiants, et il peut les utiliser pour contrôler le monde.

Batman est souvent perçu comme sombre et réactionnaire. Dans The Dark Knight Rises, Christopher Nolan le montre s’opposer à des prolétaires et des terroristes. David Graeber estime même que ce film dénonce le mouvement Occupy Wall Street. L’album Batman : War on Crime (1999) montre au contraire que la lutte violente contre le crime ne peut pas réussir tant que les inégalités sociales perdurent. Néanmoins, Batman incarne les valeurs aristocratiques contre la plèbe et ses désordres. Gotham City reste plongée dans les ténèbres pour évoquer un décor médiéval.

  

 James Cameron dit que Wonder Woman est un "pas en arrière".

Idéal démocratique

Wonder Woman vient de la société des Amazones. « A l’image de Superman, Wonder Woman est donc une immigrante venue d’une culture futuriste afin d’aider la démocratie américaine à franchir un nouveau cap de l’évolution et du progrès », observe William Blanc. Les images d'une Wonder Woman attachée peuvent incarner l’érotisme BDSM, mais aussi l’imaginaire féministe avec une femme qui se libère des chaînes de la domination masculine et du puritanisme. La période anti-communiste dénonce les discours progressiste des super-héros. Wonder Woman doit revenir à son rôle traditionnel de femme. Mais, à la fin des années 1960, Wonder Woman devient une égérie émancipatrice de la libération sexuelle. L’amour progressiste s’oppose à la masculinité belliciste. Mais Wonder Woman peut aussi se réduire à un objet sexuel avec un discours patriotique contre l’obscurantisme des femmes des pays arabes.

Captain America incarne l’unité nationale contre le nazisme. Il combat le fascisme et l’antisémitisme. Mais il peut aussi devenir un symbole du patriotisme. Captain America s’oppose au racisme et au conservatisme. Mais il interroge aussi les défaillances et les dérives du gouvernement américain. Le film Captain America : The Winter Soldier (2014) critique l’influence des agences de renseignement et l’utilisation des drones pour les assassinats ciblés. Un Etat trop puissant peut nuire au « rêve américain » et à la liberté individuelle incarnée par les super-héros. Le conflit entre le gouvernement et les individus imprègne la culture politique américaine.

             Luke Cage Netflix

Black Power

Black Panther est le souverain du Wakanda, un royaume africain à la technologie avancée. Avec son agilité hors du commun, il devient le premier super-héros noir. Il apparaît en 1966 dans le contexte des luttes afro-américaines et son nom se réfère au Black Panther Party. Dans les années 1960 émergent également les premiers pays africains indépendants. Black Panther incarne un afro-fururisme avec les technologies qui garantissent la sécurité et le bien-être du peuple. Il reflète l’optimisme qui découle des luttes anti-colonialistes. Il combat le racisme et le Klu Klux Klan.

Luke Cage, super-héros invincible, impose une justice expéditive dans les rues de Harlem. Ce personnage est créé par Marvel en 1972. Avec la blaxploitation, incarnée par le film Shaft, un public noir se développe. « Pareillement, ses aventures s’apparentent plus à celles d’un détective privé qu’à celles d’un super-héros épique », observe William Blanc. Luke Cage est confronté à des problèmes de la rue et à des gangs plutôt qu’à des extraterrestres. Comme Spiderman, il fait parti des super-héros urbains et sociaux qui s’inspirent du polar et du roman noir. La force physique de Luke Cage lui permet de se libérer de chaînes. Ce qui évoque les luttes afro-américaines et la libération de l’esclavage. Le corps athlétique évoque celui des sportifs noirs des JO de Mexico en 1966 qui lèvent leurs poings gantés, ou encore celui du boxeur Mohamed Ali.

La série Luke Cage reprend des acteurs de la série The Wire. Elle s’inscrit dans une veine sociale avec des clins d’œil à l’histoire des luttes comme à l’actualité. Il y a « quelque chose de puissant à voir un homme noir résister aux balles et qui n’a pas peur », affirme le rappeur Method Man qui intervient dans un épisode. La série évoque les crimes policiers à Ferguson et le mouvement Black Lives Matter.

           Jon Bernthal est le Punisher.

Nouveaux super-héros

Green Arrow, version modernisée de Robin des Bois, combat les inégalités sociales. Les super-héros baignent souvent dans le civisme. Ils traquent les braqueurs de banque pour défendre l’ordre et la propriété. Green Arrow s’inscrit au contraire dans le contexte social des années 1970. Kennedy et Martin Luther King ont été assassinés. Mais leurs projets de gauche perdurent. Green Arrow apparaît comme un héros wilsonien qui porte l’idéal de la démocratie libérale. Il s’oppose à un spéculateur immobilier et tente de résoudre les problèmes sociaux.

L’ancien militaire Franck Castle voit sa famille se faire massacrer. Il décide de se venger et devient le Punisher. Cet anti-héros au costume sombre utilise des armes à feu. Il s’oppose à Dardevil qui préfère éviter de tuer. Franck Castle évoque ces héros urbains solitaires joués au cinéma par Clint Eastwood ou Charles Bronson. Néanmoins, la violence reste montrée comme négative et Franck Castle reste un anti-héros particulièrement sombre et tourmenté. « Son passé trouble permet néanmoins à nombre d’auteurs d’évoquer le sort malheureux des vétérans, notamment ceux issus des classes populaires, revenus des guerres avec des traumatismes graves et plongés dans la misère », décrit William Blanc. Mais le personnage est rapidement récupéré par la NRA qui défend le port d’armes à feu. Il justifie l’antiterrorisme et l’utilisation de méthodes extra-légales.

Wolverine, avec ses griffes métalliques, n’incarne plus l’espoir d’un monde meilleur. Il est créé après la bombe atomique et la guerre du Vietnam. Wolverine est le produit d’expériences scientifiques menées par un Etat qui bafoue les droits humains. Logan apparaît comme un anti-héros de western, un marginal mal rasé qui exerce une violence vengeresse. Dans le film Logan, Wolverine apparaît comme un chauffeur uber précaire qui a perdu ses idéaux. Les mythes fondateurs de la démocratie américaine semblent engloutis par les multinationales et le capitalisme.

   

Mythologies modernes

William Blanc propose des réflexions qui permettent d’éclairer les enjeux qui traversent les super-héros. Il ne propose pas une étude exhaustive. Mais il se penche sur quelques figures célèbres. Son livre permet surtout de comprendre l’évolution des super-héros. Ils reflètent leur époque. Ils incarnent les idéaux et les problèmes de la société. L’historien permet de replacer les super-héros dans leur contexte social et politique. William Blanc décide surtout de prendre au sérieux la pop culture. La réflexion critique et l’imaginaire populaire peuvent être reliés. La politique n’est pas séparée des plaisirs de la vie quotidienne.

William Blanc montre bien les ambiguïtés des super-héros. Dans un premier temps, ces personnages incarnent l’idéal wilsonien, jusqu’aux années Kennedy. Les super-héros aspirent à un monde de paix et de justice. Ils s’opposent aux criminels et même parfois aux exploiteurs. Les super-héros défendent la liberté individuelle contre l’autoritarisme de l’Etat. Dans ce sens, ils reflètent la mythologie politique américaine et ses aspects positifs.

Mais les super-héros dévoilent également une face plus sombre. Les justiciers peuvent aussi devenir des supplétifs de la police. Lorsque la légalité ne suffit plus, ils utilisent des méthodes expéditives et peu démocratiques. Batman incarne cette face sombre, notamment dans les films de Christopher Nolan. Le super-héros peut alors se placer du côté de l’ordre établi, contre l’idéal de justice sociale. Cette vision correspond aussi à des périodes précises. L’anti-communisme de la guerre froide et les années Reagan raffolent de justiciers adeptes de méthodes expéditives pour rétablir l’ordre.

William Blanc montre également que les super-héros accompagnent les mouvements d’émancipation. La libération de la femme et les luttes afro-américaines sont incarnées par des personnages singuliers. Néanmoins, les super-héros se conforment au modèle du justicier solitaire. L’individu triomphe seul face au système. Cette émancipation individuelle, bien que sympathique, occulte la dimension collective des luttes sociales. Les super-héros peuvent s’organiser à travers des groupes comme les Avengers ou les X-Men. Mais ils restent figés dans le modèle de quelques individus exceptionnels qui parviennent, à eux-seuls, à sauver le monde. L’héroïsation s’oppose aux luttes sociales des personnes ordinaires et des classes populaires.

Néanmoins, le super-héros peut aussi apparaître comme l’incarnation individuelle des mouvements de lutte. Il est souvent issu d’un milieu modeste et parvient à se libérer des contraintes sociales. Il porte un idéal de justice. Cette trajectoire, incarnée par un individu, peut aussi refléter le mythe de la réussite avec la figure du « self-made man ». Le rêve américain porte davantage la réussite individuelle que l’émancipation collective. Les super-héros reflètent les contradictions de la démocratie. Les interprétations politiques peuvent donc être multiples. Les super-héros peuvent donc également accompagner l’imaginaire des luttes sociales pour inventer une autre société.

Source : William Blanc, Super-héros, une histoire politique, Libertalia, 2018

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The Wire, divertissement et critique sociale 

Pour aller plus loin :

Vidéo : Même les super-héros font de la politique, mis en ligne sur le site Le Médiale 14 décembre 2018 

Vidéo : William Blanc - Super-héros, une histoire politique, mis en ligne sur le site des Rendez-vous de l'histoire le 3 décembre 2018 

Vidéo : Louisa Yousfi et Rafik Djoumi, Les Super-héros, émission Hors-Série du 13 octobre 2018 

Vidéo : De Superman à Spider-Man, l’aventure des super-héros

Vidéos : documentaires sur les super-héros mis en ligne sur le site Les docus

Radio : Les super-héros sont-ils politiques ?, émission diffusée sur France Culture le 16 novembre 2018 

Radio : La géopolitique des super-héros sous la plume de l'historien William Blanc, émission diffusée sur la RTS le 8 octobre 2018 

Radio : Séries, cinéma, idéologies et luttes des classes. Autour du cinéma populaire, des blockbusters, des séries et du cinéma dit militant et politique, émission de radio Vosstanie du 6 décembre 2014

Jean-Pierre Costille, Note de lecture publiée sur le site de La Cliothèque le 3 novembre 2018 

Sonia D, Note de lecture publiée sur le site Comics have the Power le 1er novembre 2018 

Dragnir, Note de lecture publiée sur le site de Top Comics le 21 novembre 2018 

Franck Guigue, Note de lecture publiée sur le site BD Zoom le 18 octobre 2018 

Nidal Taibi, Captain America a-t-il changé le cours de la Seconde Guerre mondiale ?, publié sur le site Slate le 21 novembre 2018 

L’histoire politique tragi-comics des Super-héros ~ par William Blanc, publié sur le site Lignes de force le 13 octobre 2018 

Cyrnea, Logan : make Wolverine great again ?, publié sur le site 19h17 le 5 mars 2017 

William Blanc, Captain America : des origines mouvementées, publié sur le site Cases d'Histoires le 18 avril 2016 

Articles de William Blanc publiés sur le site du journal L'Humanité

Articles de William Blanc publiés sur le site du journal CQFD 

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