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Tchad : des grèves dans la Fonction publique qui ont fini par faire reculer la dictature
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le 26 octobre dernier, à la suite d’un accord signé entre la Plateforme syndicale (regroupement les principaux syndicats du pays) et le gouvernement, la grève de la Fonction publique qui durait depuis le mois de mai a été suspendue, le gouvernement ayant promis une augmentation des salaires et le paiement partiel des primes supprimées. Mais la crise sociale n’est pas finie, d’autant que chacun sait ce que valent les promesses d’Idriss Déby.
En réalité, c’est tout au long des années 2017 et 2018 que la Fonction publique n’a pratiquement pas fonctionné au Tchad, paralysée par trois vagues de grèves successives qui en bloquaient les secteurs essentiels, l’Éducation, la Santé, les Finances notamment. L’origine en est la politique d’austérité que le pouvoir avait décidé à l’instigation du FMI, précarisant les conditions de vie déjà difficiles du monde du travail et des couches populaires, bien au-delà de la seule Fonction publique.
À la suite de la chute drastique du prix du pétrole en 2015, lors d’une réunion tenue avec les dirigeants de l’Afrique centrale à Yaoundé (Cameroun) le 23 décembre 2016, le FMI avait exigé de ces derniers, dont les recettes tirées de l’or noir avaient brutalement chuté, la réduction des dépenses publiques et le « dégraissage » de leurs administrations.
Printemps 2017, la première riposte
Petit doigt sur la couture du pantalon, le dictateur du Tchad, Idriss Déby Itno, a pris toute une série de mesures, dont un décret, appelé « le décret 687 », qui prévoyait une diminution des salaires et la suppression des primes et des indemnités de tous les agents de l’État, ainsi que son complément, destiné à prévenir les réactions, « la loi 032 » ; celle-ci stipulait que dorénavant, à part les trois premiers, les jours de grève dans la Fonction publique ne seraient plus payés (ils l’étaient au Tchad jusque-là).
Ces mesures annoncées fin mai 2017, une « Plateforme syndicale » était formée par la principale confédération syndicale du pays, fortement implantée aussi bien dans la Fonction publique que dans le privé, l’UST (Union des syndicats du Tchad) ainsi que le Synecs (Syndicat national des enseignants et chercheurs du supérieur) et la CIST (Confédération indépendante des syndicats du Tchad). Cette plateforme appelait début juin à une grève illimitée dans la Fonction publique, empêchant ainsi le bon fonctionnement des secteurs essentiels de l’administration.
Au début de ce bras de fer, Idriss Déby Itno et son gouvernement n’ont montré que leur mépris, affirmant que les mesures prises n’étaient ni négociables ni discutables. Dans la foulée, ils envoyaient à travers le pays ministres, députés, gouverneurs et autres responsables pour en expliquer le caractère prétendument nécessaire et affirmer à tous leur volonté de les appliquer coûte que coûte.
Mais au bout de quatre mois de grève, le Premier ministre d’alors (Idriss Déby en change tous les cinq ou six mois !) a pris contact avec les centrales syndicales à la recherche d’un compromis : il proposait « une trêve sociale, sans condition, sans préalable » en vue de la constitution d’un « comité technique » qui permettrait aux deux camps « de travailler ensemble », de trouver une solution qui satisferait les intérêts des uns et des autres. Et la première grève fut suspendue.
Face à une contestation sociale qui avait la sympathie de toutes les couches pauvres du pays, le gouvernement marquait le pas. Il ne cherchait qu’à gagner du temps et au fur et à mesure des rencontres sa mauvaise foi devenait évidente pour tous les travailleurs et la Plateforme syndicale finit par quitter la table des négociations.
La grève de la nouvelle année
Le FMI non plus ne voulait pas voir Déby tergiverser. En janvier 2018, il renouvelait ses pressions pour exiger des économies de 30 milliards sur les dépenses publiques, ramenant la masse salariale de 378 milliards de francs CFA à 348 milliards, condition posée à un nouveau prêt. Idriss Déby se lançait alors dans une nouvelle attaque en règle contre les travailleurs et, par ricochet, l’ensemble des couches populaires : baisses des salaires jusqu’à 20 %, la suppression des primes et indemnités des agents de la Fonction publique et l’augmentation des prix de certains produits (gasoil, essence notamment) et de la taxe d’habitation.
Dès que l’augmentation des prix de l’essence et du gasoil s’afficha dans les stations, le syndicat des transporteurs a réagi par un mot d’ordre d’une grève générale de deux jours, les 22 et 23 janvier. Quelques jours après, ayant constaté que les salaires avaient été affectivement diminués, les primes et les indemnités supprimées, la Plateforme syndicale, rejointe par le Symet (Syndicat des médecins du Tchad), lançait un mot d’ordre d’une grève illimitée le 29 janvier. Dans la foulée, d’autres secteurs du monde du travail, les travailleurs de la justice, ceux du secteur privé, banques, hôtels, énergie, mines et pétrole, ont observé aussi deux jours de grève largement suivis. En peu de temps, tant à N’Djaména, la capitale, que dans les principales villes des provinces, tous les secteurs essentiels de l’administration étaient paralysés, y compris les hôpitaux où était organisé un service minimum.
Celle nouvelle grève a duré sept semaines, du 29 janvier au 14 mars. Comme la précédente, elle a obligé le pouvoir à chercher une solution négociée. Mais cette fois-ci les travailleurs ne voulaient plus parler aux responsables intermédiaires, Premier ministre ou le ministre de la Fonction publique, mais exigeaient l’engagement d’Idriss Déby Itno lui-même. Un nouvel accord entraînait une nouvelle suspension de la grève : le président lui-même s’y engageait et promettait le paiement des jours de grève (finie la loi 032), celui du salaire intégral et le remboursement des primes ainsi que le paiement fin mai des indemnités qui avaient été supprimées.
Contre les promesses trahies, retour de la grève
Mais à la fin mai, reniant ses promesses, le gouvernement continuait à supprimer les primes et les indemnités des fonctionnaires et la grève des fonctionnaires reprenait de plus belle, bloquant ainsi à nouveau les principaux secteurs de l’administration sur toute l’étendue du pays. Elle a duré cinq mois, du début juin à fin octobre. Une fois de plus, elle s’est achevée par un recul du pouvoir : le 26 octobre le palais présidentiel s’engageait à augmenter les salaires de 15 % et à rembourser partiellement les primes et indemnités supprimées (à hauteur de 65 %) en échange de la reprise du travail.
Nouvelle trêve donc. Mais, outre que le compte n’y était pas, qui peut croire vraiment aux promesses de Déby ?
Une chose est certaine, c’est que cette série de grèves, bien que touchant essentiellement la Fonction publique, a été aussi l’expression du refus par l’écrasante majorité des travailleurs du pays des mesures gouvernementales et de toute la politique d’Idriss Déby, arrivé au pouvoir il y a 28 ans par un coup d’État appuyé par le gouvernement français, socialiste à l’époque (contre un autre dictateur pas plus recommandable il est vrai). Au cours de ces grèves, de nombreuses assemblées générales, que tenaient régulièrement les organisations syndicales, réunissaient des foules de travailleurs. Les interventions de ces derniers étaient autant de réquisitoires acerbes de la politique d’Idriss Déby. Des voix se levaient aussi pour s’attaquer à l’impérialisme français, considéré à juste titre comme le principal soutien à la dictature. Déby, dont la dictature n’avait pas eu affaire jusque-là à une sérieuse contestation sociale, n’en a pas fini avec celle qui s’est levée aujourd’hui.
Pétrole pour les uns, misère pour les autres
En ces 28 ans de règne d’Idriss Déby, le Tchad a beaucoup changé, essentiellement depuis la mise en exploitation, depuis 2003, des richesses pétrolières du pays. Mais ce qui a changé surtout c’est l’écart de plus en plus criant entre la population pauvre du pays et une infime couche de privilégiés. L’exploitation des ressources tant naturelles qu’humaines du pays qu’impose l’État, se fait exclusivement au profit des multinationales et de cette minorité d’individus au sommet du pouvoir ou proches de celui-ci. Leur voracité est telle qu’un jour, dans un bref moment de lucidité, Idriss Déby Itno lui-même n’a pas hésité de reconnaître publiquement qu’il n’est « entouré que de voleurs ». Et il en est au centre. C’est aussi pour cela que les gouvernements français successifs, qui ont fait de Déby et de son armée l’un des gendarmes de la région, l’aiment tant.
29 novembre 2018, Bienvenue Césaire