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Policiers "agressés" aux Champs-Elysées : décryptage de Libération
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Quatre motards de la préfecture de Paris ont été pris à partie samedi par des «gilets jaunes». La scène, qui a suscité moult commentaires et l'indignation du gouvernement, est pourtant symptomatique des nouvelles consignes de certaines unités, invitées à aller au contact.
Tout est allé très vite. La scène, filmée par plusieurs personnes, tient en un peu plus d’une minute. Samedi 22 décembre, vers 17 heures 30, une manifestation sauvage de «gilets jaunes» descend l’avenue des Champs-Elysées, après une journée de déambulation dans les rues parisiennes. A l’angle de l’avenue Georges-V, quatre policiers à moto forment une ligne et lancent, à tour de rôle, des grenades en direction de la foule. Plusieurs manifestants s’avancent alors vers eux. En quelques instants, le rapport de force semble s’inverser. Des objets volent en direction des policiers. L’un des agents esquive de justesse un coup au visage, sa moto tombe à terre. Un autre réplique avec un coup pied. Au même moment un autre agent, en train de faire demi-tour, revient en soutien de ses deux collègues, sort son arme de poing et tient en joue des manifestants. Pendant quelques secondes, le spectre d’un mort lors d’une manifestation plane. Le fonctionnaire range finalement son pistolet et sort une matraque télescopique. Un instant plus tard, les policiers parviennent à prendre la fuite et évitent un drame.
«C’est une situation qui se termine bien. Mais elle est révélatrice de la façon dont les choses peuvent dégénérer en quelques instants lors d’une manifestation», réagit Philippe Capon, secrétaire général du syndicat de police Unsa. Dimanche, le parquet de Paris a annoncé l’ouverture d’une enquête pour «violences volontaires avec arme en réunion sur personnes dépositaires de l’autorité publique». Edouard Philippe rencontre ce lundi en fin de matinée l’unité de policiers motocyclistes. Si cette scène souligne pour certains le sang-froid de ces policiers face à une foule hostile, elle interroge aussi sur les choix stratégiques de la préfecture de police de Paris et du ministère de l’Intérieur concernant leur «doctrine revisitée» de maintien de l’ordre.
Malik Oussekine tué par les «voltigeurs»
Face à un niveau de violences inédit à Paris depuis Mai 68, les forces de l’ordre avaient paru dépassées le 1er décembre. Près de 250 barricades avaient été enflammées. 112 véhicules brûlés. 6 bâtiments incendiés. Alors même qu’un volume historique de grenades lacrymogènes et explosives a pourtant été utilisé. Sous pression, le ministre de l’Intérieur avait annoncé une révision de la doctrine de maintien de l’ordre, qui prévoit depuis plusieurs décennies d’éviter le contact avec les manifestants. C’est notamment la mort de Malik Oussekine, tué en 1986 par les «voltigeurs», des policiers à moto qui fonçaient matraque en main dans la foule, qui avait contribué à consolider cet impératif. Pour éviter un mort lors d’une manifestation, policiers et gendarmes ont pendant des années contenu les troubles en retardant au plus tard les charges. Une stratégie maintenant fissurée.
L’évolution de cette doctrine est résumée par un acronyme à la préfecture de police de Paris : DAR, pour dispositif d’action rapide. Ces groupes plus légers que les unités spécialistes du maintien de l’ordre (CRS et gendarmes mobiles) ont pour consigne d’aller justement au contact des manifestants pour disperser le plus vite possible et interpeller. Parmi ces DAR, on retrouve le groupe moto de la compagnie de sécurisation et d’intervention de Paris. L’utilisation de ces policiers à moto rappelle forcément les «voltigeurs», dissous après la mort de Malik Oussekine. D’autant plus qu’ils ont pour mission, comme leurs ancêtres, de disperser la manifestation. Avec une différence cependant, au lieu d’un «bidule», ces policiers sont désormais équipés de fusils à balles en caoutchouc (LBD40) et de grenades explosives. Ils ne foncent donc pas dans la foule mais peuvent se positionner à proximité d’un cortège pour tirer. Les samedis 8 et 15 décembre, ils étaient ainsi une cinquantaine, «destinés à pouvoir se rendre rapidement en tout point de la capitale pour intervenir en cas de troubles» avait expliqué la préfecture à Libération.
Samedi dernier, ce sont donc quatre policiers à moto de la compagnie de sécurisation et d'intervention de Paris qui sont envoyés face aux «gilets jaunes». Ces agents, rompus aux interventions de lutte contre la criminalité, ne sont pas du tout des spécialistes de la gestion de foule, un savoir-faire bien spécifique dans la police et la gendarmerie. La scène, filmée et largement relayée depuis, est un parfait exemple du risque pris par les autorités dans l’utilisation de telles unités pour intervenir lors de manifestations.
Seul rempart : leur arme à feu
A l’aide de grenades – trois détonations correspondant à des grenades de désencerclement sont audibles sur la vidéo, une arme qui propulse 18 galets en caoutchouc à très forte vitesse et peut gravement blesser au visage – ces policiers tentent de disperser la foule. Le samedi 8 décembre, David Dufresne, journaliste et auteur d’un livre référence sur le maintien de l’ordre, avait assisté à une scène similaire, où les policiers avaient cette fois réussi leur manœuvre : «Trois motos dont une avec deux policiers s’étaient arrêtées, ils avaient lancé des grenades de désencerclement, puis étaient partis tout aussi vite qu’ils étaient arrivés.» Mais ce samedi, les policiers ne parviennent pas à se replier assez rapidement. Les explosions des grenades provoquent une réaction d’hostilité des manifestants, qui fondent sur les fonctionnaires, peu nombreux. Les «unités constituées», capables de faire face sans tirer à balle réelle sont trop éloignées. Les quatre motards sont en danger, avec pour seul rempart leur arme à feu. Une situation redoutée par les forces de l’ordre et qui apparaît en contradiction avec la tradition du maintien de l’ordre en France.
Interrogée à propos de cet événement, la préfecture de police de Paris n’a pas répondu à nos questions. «On considère que l’on est face à des violences urbaines et non plus une manifestation traditionnelle», expliquait récemment à Libération un haut gradé de la préfecture pour justifier cette nouvelle méthode. La scène des Champs-Elysées résonne désormais comme un avertissement pour les autorités.