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Voyons un peu les choses du point de vue présidentiel
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://aplutsoc.org/2018/12/23/voyons-un-peu-les-choses-du-point-de-vue-presidentiel/
Par Vincent Présumey
Un peu d’histoire.
La présidence de la République est la clef de voûte de l’appareil d’État en France. Historiquement, cette institution dérive du titre de premier consul, puis d’empereur, de Napoléon Bonaparte, dont la fonction était d’utiliser sa légitimité nationale de type plébiscitaire pour « terminer la révolution ».
Tel était aussi le sens de l’invention de la présidence de la République proprement dite par la constituante bourgeoise de 1848, devant la peur sociale de l’insurrection prolétarienne de juin. Elle n’avait pas prévu que cette institution allait permettre de désigner Napoléon le petit, lequel allait à nouveau constituer un empire et se lancer dans un cycle de guerres, moins flamboyantes que celles de son grand-oncle (qui se souvient qu’alors la France entreprit d’envahir le Mexique ? !), et qui le conduiront à sa perte.
La nature impériale de l’institution présidentielle fut apparemment conjurée par la constitution de 1958 complétée en 1962, le général De Gaulle utilisant sa posture bonapartiste pour régler la sortie de l’empire colonial français au lieu de se lancer dans un nouveau cycle de guerres. La V° République, troisième édition (quatrième en comptant le régime pétainiste) de régime adossé en France à l’intervention de l’armée et d’une camarilla présidentielle (la « société du 10 décembre » de Napoléon le petit), avait comme ces régimes précédents, pour vocation d’adapter le fonctionnement « démocratique » français à un appareil d’État d’origine bonapartiste, armature bureaucratique, préfectorale, militaro-policière, intellectuelle, technocratique, de nature totalement contradictoire aux aspirations démocratiques de la population, et que les « lois de décentralisation » successives, loin de réduire, ont conduit à proliférer encore plus.
« Démocratie présidentielle » comme le disent les manuels de droit, ce régime place la démocratie sous l’encadrement présidentiel, par un décalage décisif de la « séparation des pouvoirs » plaçant le législatif, avec l’initiative gouvernementale des lois et tout le dispositif du 49-3, des ordonnances, etc., sous l’égide de l’exécutif, d’une manière typiquement bonapartiste, allant en sens inverse de la volonté constituante des révolutionnaires de 1793, aussi bien que, par la suite, de la Commune et des partisans de la « République sociale, démocratique et laïque » dans le mouvement ouvrier.
Un peu d’Engels.
Rappelons, car ce n’est pas suffisamment connu, ce qu’en pensait Friedrich Engels, en l’occurrence bon analyste :
« Une chose absolument certaine, c’est que notre parti et la classe ouvrière ne peuvent arriver à la domination que sous la forme de la république démocratique. Cette dernière est même la forme spécifique de la dictature du prolétariat comme l’a déjà montré la grande révolution française. » (Critique du programme d’Erfurt, 1891).
» … c’est actuellement un fait connu que pendant toute la révolution, jusqu’au 18 Brumaire, l’administration totale du département, de l’arrondissement et des communes se composait d’autorités élues par les administrés eux-mêmes, qui, dans le cadre des lois générales de l’État, jouissaient d’une liberté complète ; que cette administration autonome provinciale et locale, semblable à ce qui se passe en Amérique, devint précisément le levier le plus puissant de la révolution, et cela à un point tel que Napoléon, immédiatement après le coup d’État du 18 Brumaire, s’empressa de la remplacer par le régime préfectoral encore en vigueur de nos jours et qui fut donc, dès le début, un instrument de réaction. » (note complémentaire à l’Adresse du conseil central de la Ligue des communistes de mars 1850, dite La révolution en permanence, ajoutée par Engels en 1885).
La réalisation de la démocratie (la « dictature du prolétariat ») passe par la forme achevée de la république démocratique, d’un système électif à tous les niveaux, de l’assemblée détentrice du pouvoir central à chaque territoire, et chaque unité économique, et par la destruction, entamée par la Commune, de l’appareil d’État militaro-bureaucratique du capital.
Inversement, le régime bonapartiste place sous la tutelle de cet appareil la totalité des assemblées élues à tous les niveaux, reproduit le principe du chef irresponsable à chaque échelon, dont ceux de la fonction publique, et organise l’intégration des syndicats sous le nom courant de « dialogue social », tout en préservant le despotisme patronal dans le cadre de chaque unité économique productive de capital.
A la recherche de la personnalité présidentielle assortie …
De cette fonction du bonapartisme, l’institution présidentielle sous la V° République est le bélier et la clef de voûte. En 1958-1962 puis avec la démission du premier, et inégalé, Bonaparte de ce régime que fut Charles De Gaulle, en 1969 suite à la grève générale de mai-juin 1968, elle s’est imposée à travers un certain nombre de compromis, liés au circonstances initiales brièvement évoquées ci-dessus (en résumé : nous en sommes au déclin relatif de l’impérialisme français dans le monde, et non plus à son affirmation « impériale » en Europe), puis à la résistance et à la contre-offensive de la jeunesse et du prolétariat. D’où l’expression de « bonapartisme bâtard et inachevé » employée notamment par certains trotskystes pour le caractériser à ses débuts.
Or, depuis la démission de De Gaulle, malgré la longue durée de ce régime, la question de retrouver une institution présidentielle vraiment forte, avec une personnalité présidentielle assortie, a été récurrente et, à la longue, de plus en plus insistante, en raison d’une part de la résistance sociale à l’intérieur, d’autre part des contradictions extérieures subies par l’impérialisme français, intégré à la Communauté Économique Européenne puis à l’Union Européenne et à la zone euro, seule puissance nucléaire autonome par rapport aux États-Unis en « Occident », contrôlant indirectement avec des difficultés croissantes les appareils d’État d’une vingtaine de pays africains.
Sarkozy voulait rétablir un plein pouvoir présidentiel, donc en quelque sorte faire de la V° République un « bonapartisme assumé et achevé », sans réaliser d’ailleurs la contradiction totale entre cette prétention et le poids réel de la « France dans le monde » et en Europe, que ceci aurait cruellement manifesté s’il avait réussi. Mais il n’a pas réussi et François Hollande, issu de cet échec, ne semblait justement pas « configuré » pour y réussir à son tour – ne prétendait-il pas au rôle de « président normal » ? Il a pourtant essayé, dans le cadre de la crise provoquée par les crimes islamistes de novembre 2015 : état d’urgence, mise en cause du droit de la nationalité, et attaque frontale contre le droit du travail formaient un tout, qui a aggravé la crise du régime tout en suscitant ce qui était d’abord apparu comme « la » solution, et qui est maintenant « le » problème : Macron.
Un affaiblissement inédit.
Qu’il soit Jupiter tonnant ou Manu en prince polisson, Emmanuel Macron avait clairement mis le cap vers l’autoritarisme renforcé et la restauration d’une fonction présidentielle de type pleinement bonapartiste. Ceci supposait qu’il parvienne à encadrer le corps social, population, syndicats et élus locaux. Comme on le sait, malgré son succès à faire passer une première batterie de contre-réformes (ordonnances, Parcoursup, SNCF …), il y a échoué, ce qui rétrospectivement paraît avoir été inévitable, et le fossé s’est creusé à travers par exemple les sentiments des retraités et la crise des maisons de retraite, et le centre du pouvoir. Un immense fossé.
On connaît la suite récente, dont il faut préciser qu’elle s’est déclinée en deux moments : le moment « Benalla » de la crise et de l’étalage de turpitudes au sommet, et le moment « gilets jaunes » où la lutte des classes soudain explose et pose la question de chasser Macron, avec des manifestations perçues, dans le pays et dans le monde, comme insurrectionnelles et visant l’Élysée.
Nous avons donc au moment présent un président cassé, et une institution présidentielle, clef de voûte de l’État, sévèrement affaiblie. Il est dans cet état pour avoir tenté de relancer et d' »achever » l’affirmation bonapartiste, voire impériale, de la V° République. C’est une situation nouvelle, inédite, et éminemment instable et transitoire même si l’on ne sait combien de mois elle peut durer, ou non.
Le salaire des policiers, un révélateur.
Certes, exécutif et aussi patronat aimeraient bien reprendre le « rythme des réformes » qui, on le sait, appelle notamment à l’ordre du jour de ces prochains mois la retraite à points et la casse des statuts de la fonction publique.
Mais un fait récent révèle la difficulté considérable vers laquelle ils se dirigent : ils ont lâché en catastrophe, sans que ceci ne leur soit demandé clairement par les organisations de ces fonctionnaires assez spéciaux que sont les policiers, une véritable hausse de salaire de 120 euros à ces derniers, tout en clamant que le point d’indice, base du calcul des salaires dans la fonction publique, ne bougera pas. Les hauts fonctionnaires et fonctionnaires d’autorité, qui ne sont pas les cadres des services publics mais l’appareil bonapartiste d’encadrement et, aujourd’hui, de casse de ceux-ci, sont stupéfaits et inquiets de ce « précédent ».
Tout le monde s’attend à voir à la rentrée les revendications salariales déferler dans la fonction publique, même dans l’enseignement. C’est dire. Et ceci s’appuie sur les grèves que la crise dite des gilets jaunes ont déclenchées dans les petites et moyennes entreprises, dans la distribution, dans les collectivités locales, pour les salaires et pour la « prime de Noël », annonce la plus « imprudente » de Macron lors de son allocution du 10 décembre.
Manœuvres constitutionnelles ?
Par un apparent paradoxe, certains commentateurs et politiques préconisent que le pouvoir macronien prenne un peu plus de temps sur les retraites et se ressaisisse de la réforme constitutionnelle.
Celle-ci, visant à faire du parlement une pure chambre d’enregistrement à la façon du corps législatif de Napoléon 1°, et non plus l’assemblée certes « croupion », mais nécessaire à la légitimité du pouvoir, qu’il est sous la V° République, avait reporté à une date indéterminée lors de la première phase de la crise, celle de la crise au sommet, au moment de l’ « affaire Benalla » qui, justement, avait suscité une enquête parlementaire.
L’idée serait de faire revenir une réforme constitutionnelle par le biais du « grand débat national » supposé répondre aux « gilets jaunes », lequel doit avoir lieu sous un pilotage étroit et précis du pouvoir, tout en faisant appel aux syndicats, aux élus locaux, et, comme cela semble être en train de se préciser, aux églises.
Par la magie de la prétendue démocratie soi-disant participative, cette caricature bonapartiste de la vraie démocratie demandée par la population mobilisée, des propositions magiques devraient sortir et peut-être, qui sait, être validées par un référendum, re-légitimant le président. Non seulement nous en sommes bien entendu très loin mais le jeu est très risqué !
Mais dans l’immédiat, il est intéressant de voir comment les thèmes à la mode dans certains réseaux sociaux, qui n’ont pas du tout l’impact de masse imaginaire qu’on leur attribue, à savoir le « référendum à la carte » (qu’il soit « populaire », « citoyen » ou autre) et le tirage au sort, sont parfaitement susceptibles d’être récupérés par les managers du « grand débat participatif ». Et il est et sera amusant d’observer une partie des commentateurs affairés à dénoncer le fascisme, le populisme, la vulgarité, la méchanceté de ces gilets jaunes parlant de référendums voire de tirage au sort, en faire leur propre pain quotidien pour venir au secours du pouvoir en place !
Tout cela est très fragile. Tout cela est très fragile parce que, si la grande majorité des gilets jaunes n’ont jamais entendu parler de ce confusionniste nommé Chouard que des secteurs « de gauche » inquiets fantasment comme étant leur prétendue idole, il est vrai que soudain, ces histoires de référendum et de tirage au sort ont pris une grande place, et que ceci n’est pas seulement dû au tam-tam médiatique, mais s’explique très simplement : après le 10 décembre, les premiers reculs conjugués à la protection apportée à l’exécutif par les directions syndicales nationales, ont soldé le fait que Macron passerait les fêtes. Dès lors, « RIC » et autres ont pris plus de place comme substituts à ce qui reste le mot d’ordre démocratique de fond : « Macron dégage ».
A l’étape actuelle, le pouvoir navigue à vue et ne sait pas comment il tentera de rebondir, entre manœuvres de démocratie « participative » et reprise du cours haletant des contre-réformes antisociales.
Pas de perspective européenne pour le « macronisme ».
En même temps, et cet aspect est important, il mesure la fragilisation de sa posture au plan international.
Au niveau européen, nous allons bien entendu entendre répéter deux fois plus encore que les élections européennes seront vraiment décisives puisque la crise est grave. Mais justement, pour cette raison, elles ne le seront pas.
En effet, la contradiction principale selon ces prophètes serait celle des démocrates libéraux, symbolisés par Macron, et des populistes, tels que Orban, Duda-Kaksynski, et Conte-Salvini. Mais, outre que si cela était vrai, Macron serait vraiment le plus mauvais cheval pour résister à Salvini et Orban, leur pavant littéralement la voie, cette description superficielle ne correspond pas aux tendances qui montent en Europe, lesquelles peuvent se résumer ainsi : dans chaque pays, opposition croissante du prolétariat et de larges couches de la population envers le pouvoir exécutif, que celui-ci soit démocrate-libéral ou démocrate-populiste.
En Italie, le gouvernement Salvini-Conte vient de remettre à plus tard ses mesures « sociales » sur le revenu universel et les retraites, et sa politique anti-migrants suscite une large indignation.
En Allemagne, le système des partis politiques institué après 1947, qui avait résisté à la réunification, est en train de s’effondrer.
En Hongrie, des manifestations de masse se sont déclenchées contre la mesure phare du « populiste social » Orban, à savoir des milliers d’heures supp » contraintes, appelées la « loi d’esclavage ».
En Espagne, les mobilisations de type gilets jaunes sont saisies par les Catalans et, probablement, par les Basques.
La confrontation sociale monte partout. Le clivage principal n’est pas entre libéraux et populistes mais entre les besoins sociaux de la majorité, d’une part, les politiques menées par les libéraux et les populistes, d’autre part.
Dans cette situation, les partis existants, anciens ou récents, font que les élections européennes ne permettent pas, ou de manière très indirecte et peu accessible au plus grand nombre, de représenter ce vrai clivage fondamental. C’est donc plutôt l’abstention qui risque de le « représenter ».
Un parti en Europe aurait les moyens de modifier cela, mais il est peu probable que sa direction s’en rende compte. Il s’agit du Labour Party britannique, dont la résurrection ces dernières années en a fait pratiquement le seul parti vivant d’Europe, et un parti ouvrier par sa base.
Il se trouve que c’est Pamela Anderson, l’ancienne actrice d’Alerte à Malibu, qui (confirmant au passage que les femmes symboles sexuels ont un cerveau), après avoir soutenu les gilets jaunes et pris position pour la défense des migrants en Italie contre Salvini, a déclaré à Jacobin, la revue de la gauche intellectuelle américaine, que Corbyn, dirigeant du Labour, pourrait se poser et poser son pays en alternative pour l’Europe, proposant une union des peuples démocratique par en bas – en développant son idée : ni Brexit, ni UE, démocratie. Corbyn tâtonne et hésite entre demande d’élections générales et refus d’un second référendum, tout en s’étant décrédibilisé par son incapacité à traiter sérieusement la question de l’antisémitisme – un problème qui traduit les pesanteurs et héritages de la gauche du XX° siècle …
Bref, le macronisme comme perspective européenne a autant, ou plus, de plomb dans l’aile que le macronisme post-jupitérien en France.
Macron, Idriss Déby, Poutine, Sarkozy.
En outre Macron est aujourd’hui (22 décembre) à N’djamena, pour rencontrer le tyran Idriss Déby et discuter du rétablissement de la position française en Centrafrique, où la Russie, après la Libye du général Hattar, a pris des positions envers l’État défaillant.
Dans ce cadre, à l’adresse notamment de ceux qui voient ou veulent voir en Macron un rempart contre Poutine, et qui pensent que les trolls russes ont attisé la crise des gilets jaunes – l’élément de provocation a été présent dans cette crise mais la marée a emporté beaucoup de provocations …-, il est bon d’attirer l’attention envers les contacts répétés de Macron et de Sarkozy ces dernières semaines, nommant Sarkozy pour le représenter à la cérémonie d’investiture présidentielle en Géorgie, le même Sarkozy qui s’est récemment rendu en Russie, ainsi que François Fillon qui, lui, continue à rencontrer officiellement Poutine.
Ce « besoin de Sarkozy » ainsi manifesté par Emmanuel Macron pourrait ne pas avoir que ces causes intérieures. La crise française va de pair avec de grandes manœuvres diplomatiques et parties de billard à plusieurs bandes, très loin de l’image d’un Macron immaculé supposé manier le glaive de la liberté avec les Trump et les Poutine.
Mais ces manœuvres, à leur tour, s’insèrent dans un cadre mondial surplombé par l’accélération prévisible de la crise à Washington, il faudra donc y revenir sur cette base …
VP, 22-12-2018.