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Cuba, 1959: les reporters de l’AFP, témoins de la révolution
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
1er janvier 1959, flash de l'AFP: "Le président Batista a quitté le pays". Un correspondant local puis un envoyé spécial seront les témoins privilégiés de la révolution cubaine, menée par Fidel Castro.
A l'époque, l'agence n'a pas de bureau sur place. "Un ancien professeur de l'école de journalisme de La Havane, Carlos Tellez, assure non seulement la correspondance de l'AFP mais aussi celle de l'agence Reuters", écrit dans le livre "Une histoire de l'Agence France-presse" Jean Huteau, chargé d'ouvrir le bureau de La Havane en 1960.
En ces premières heures d'agitation, la confusion règne. Selon le correspondant, le président Fulgencio Batista "a quitté mystérieusement jeudi matin son pays déchiré par l'insurrection" pour une destination "inconnue".
On saura plus tard que le dictateur a trouvé refuge à Saint-Domingue.
Dans ses dépêches, envoyées par télégramme, le journaliste cite des "communiqués officiels", des "informations de sources dignes de foi" et de "nombreuses rumeurs de caractère politique et militaire": selon l'une d'elles, un proche de Batista "a été appréhendé au moment où, déguisé en religieux, il essayait de pénétrer dans une ambassade".
- "Triomphale procession" -
La dépêche de l'AFP racontant le voyage de Fidel Castro de Santiago à La Havane, le 8 janvier 1959 ( AFP / Adalberto ROQUE )
Les dépêches, conservées sous version numérisée au siège de l'AFP à Paris, décrivent "une situation très tendue" à La Havane, avec des "manifestations de joie" des partisans de Castro, des saccages de casinos et de sièges de journaux pro-Batista. La police ouvre le feu.
Mais tout se joue à Santiago de Cuba (sud-est), dont les rebelles ont pris le contrôle, la déclarant capitale provisoire.
Fort de cette victoire, Fidel "fait savoir son intention de marcher sur La Havane pour y installer (Manuel) Urrutia", qu'il a nommé président par intérim.
Dans la capitale, les touristes américains, inquiets face à ces événements "tellement inattendus", commencent "leur exode vers la Floride". Beaucoup étaient "venus à Cuba en touristes et pour jouer dans les nombreuses salles de jeux de la ville".
Le reporter pressent que Fidel Castro arrivera "probablement par avion" le 3 janvier. Mais ce dernier prend la "tête d'une colonne motorisée comprenant des tanks et autres véhicules armés, dans une triomphale procession qui doit se terminer +bientôt+ au palais présidentiel".
Et "à chaque arrêt, les jeunes filles embrassent les soldats barbus, tandis que les hommes leur donnent l'accolade".
Impressionné, le reporter rejoint la caravane et écrit fièrement, le 8 janvier: "Le correspondant de l'AFP a fait son entrée dans Matanzas (ville à l'est de La Havane, ndlr) avec les troupes de Fidel Castro".
Ce dernier lui accorde un entretien "exclusif et impromptu", "au cours duquel il déclar(e) à nouveau qu'il n'(est) pas communiste". Quelques heures plus tard, il reçoit dans la capitale "un accueil délirant de centaines de milliers de personnes le long de la route".
C'est "l'apothéose de l'épopée cubaine", écrit le journaliste, évoquant "le visage barbu et maintenant légendaire du chef révolutionnaire".
- Changement de ton -
Fidel Castro et Camilo Cienfuegos font leur entrée à La Havane, le 8 janvier 1959 ( PRENSA LATINA/AFP/Archives / STR )
A l'époque, aucune dépêche ne comporte le nom de son auteur, ni ses initiales. Le correspondant sera ensuite relevé par Jean Allary, chef du service politique et diplomatique de l'agence, qui signera simplement "d'un envoyé spécial de l'AFP", puis par Jean Huteau, venu de Buenos Aires avec sa machine à écrire Underwood, conservée au bureau de La Havane.
"Pour mon père, c'était une fierté d'être à l'AFP car on n'y signait pas les articles, et il estimait que l'information ne doit pas être associée à un nom", raconte sa fille, Marianne Huteau. Cet ancien résistant était d'"une génération qui n'était pas du genre à se mettre en avant".
Le 13 janvier, le ton des dépêches change brusquement: "Les procès commenceront bientôt", confie dans un entretien exclusif Camilo Cienfuegos, bras droit de Fidel.
"Nous sommes moralement obligés, en mémoire de ceux de nos compagnons assassinés par Batista et ses hommes, de mettre à mort tous ceux qui seront reconnus coupables de crimes majeurs", ajoute Cienfuegos, décédé dans un mystérieux accident d'avion en octobre 1959.
Les jours suivants, le journaliste relate "l'épuration", les "exécutions sommaires des partisans de Batista".
Mais "le contrôle des faits et des chiffres devient de plus en plus difficile", alors que les autorités deviennent méfiantes envers les reporters étrangers.
"Déçu" par les critiques de la communauté internationale face aux procès expéditifs, Fidel Castro interdit leur diffusion à la télévision et à la radio, après avoir invité à ses frais les correspondants du monde entier.
En poste à Cuba de 1960 à 1962, Jean Huteau couvrira l'invasion de la Baie des cochons et la crise de missiles. Devenu plus tard directeur de l'information de l'AFP, il est décédé en 2003.